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Cour fédérale

 

 

Federal Court


 

Date : 20100505

Dossier : IMM-4851-09

Référence : 2010 CF 493

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

SOMPHONE BOUPHAPHANH

WATDEE BOUPHAPHANH

demandeurs

et

 

LE MINSITRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          LES FAITS

[1]               Les demandeurs, mari et femme, sont citoyens laotiens; ils sollicitent le contrôle judiciaire du rejet par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) de leur demande d’asile et de protection. La demande d’asile des demandeurs est fondée sur la situation du mari et celle de l’épouse en est entièrement dépendante.

Les demandeurs sont citoyens laotiens mais ils ont sept enfants, dont l’un vit au Canada et a le statut de résident permanent à la suite de son mariage.

 

[2]               Le demandeur principal affirme qu’il craint les autorités laotiennes parce qu’il a exprimé des commentaires très favorables au sujet du Canada et des États-Unis, de leur succès ainsi que de leurs valeurs et que ces commentaires l’ont rendu suspect aux yeux des autorités laotiennes.

 

[3]               Le demandeur principal affirme avoir été arrêté le 15 novembre 2005, détenu pendant deux semaines, mais pas maltraité, et que lorsqu’il a été remis en liberté, on l’a averti qu’il devait cesser de critiquer le gouvernement car il risquerait sinon de subir des peines sévères.

 

[4]               Après sa mise en liberté, le demandeur principal a réussi à obtenir un visa de sortie de trois mois et a obtenu une lettre de recommandation du ministère du Travail et de l’Aide sociale.

 

[5]               Dans le mois qui a suivi leur arrivée au Canada, les demandeurs ont présenté des demandes d’asile. La demande d’asile présentée en vertu de l’article 96 était fondée sur la crainte exprimée au sujet de l’appui accordé aux valeurs et à la réussite canadienne et américaine; c’était également le fondement sur lequel reposaient la plupart des arguments fondés sur l’article 97. Cependant, en plus des arguments présentés à la Commission et à la Cour, le demandeur principal alléguait qu’il craignait de subir des traitements ou peines cruels ou inusités au sens de l’article 97 pour le motif que leur visa de sortie était expiré.

 

[6]               Les demandeurs ont soulevé deux questions de droit au sujet de la décision de la Commission et ont contesté les conclusions relatives à leur crédibilité au sujet des incohérences contenues dans leur témoignage. La question de la crédibilité n’a pas été débattue de façon approfondie devant la Cour et n’aurait pas non plus dû l’être. Ces conclusions appellent une grande retenue et ne leur auraient pas permis, de toute façon, d’obtenir gain de cause.

 

[7]               L’allégation des demandeurs concernant l’erreur commise par la Commission repose sur la conclusion qui se trouve au paragraphe 24 des motifs de la Commission qui se lit ainsi :

Le demandeur d’asile principal a souligné, à juste titre, que je dois examiner leurs demandes d’asile aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR. Cependant, lorsque je conclus que le demandeur d’asile principal n’est pas crédible, je ne suis pas obligé d’effectuer une analyse approfondie suivant l’article 97 de la LIPR. Dans l’une de ses observations, le conseil signale que, étant donné que le demandeur d’asile principal est resté au-delà du temps permis, son retour l’expose au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Tout d’abord, il incombe au conseil et au demandeur d’asile principal de montrer qu’il est plus probable que le contraire que le demandeur d’asile principal sera arrêté à son retour et que, le cas échéant, la peine infligée sera excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine. Ni le demandeur d’asile principal ni le conseil n’ont présenté d’éléments de preuve appuyant le fait que le demandeur d’asile principal sera arrêté à son retour au Laos et fera l’objet de traitements ou peines cruels et inusités. Je rejette donc la présente demande d’asile suivant l’article 97 de la LIPR.

 

[8]               Les demandeurs soutiennent que ce paragraphe contient deux erreurs :

(1)        la conclusion selon laquelle la Commission n’est pas tenue d’effectuer une analyse fondée sur l’article 97, lorsqu’elle tire une conclusion défavorable en matière de crédibilité;

(2)        pour respecter l’article 97, le demandeur était tenu d’établir qu’il serait arrêté à son retour et qu’il serait exposé au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

II.         L’ANALYSE

[9]               Les questions en litige soulevées par les demandeurs sont des questions de droit auxquelles s’applique la norme de la décision correcte. En l’absence d’erreur de droit, la question de savoir si le demandeur s’est acquitté du fardeau de convaincre la Commission est une question mixte de faits et de droit à laquelle la norme de la décision raisonnable est applicable (Ayilan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1328).

Comme cela a été mentionné plus haut, les conclusions en matière de crédibilité appellent une grande retenue et sont jugées selon la norme de la raisonnabilité (Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 732; [1993] 160 N.R. 315).

 

[10]           Les demandeurs accordent une grande importance aux commentaires du juge Blanchard dans Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, et en particulier, aux commentaires qui suivent :

41        […] Il peut y avoir des cas où l’on conclut qu’un revendicateur du statut de réfugié, dont l’identité n’est pas contestée, n’est pas crédible pour ce qui est de la crainte subjective d’être persécuté, mais où les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger. Il s’ensuit qu’une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l’article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[11]           Les demandeurs soutiennent que le commissaire, même après avoir tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité, était tenu de procéder à l’analyse fondée sur l’article 97. Ils invoquent également la décision Grama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1030, au paragraphe 8 :

8     Dans les situations où la Commission est d’avis qu’on a exagéré une prétention, elle doit tout de même établir s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’existence d’une crainte fondée de persécution. […]

 

Il nous semble que la Commission aurait dû se demander si, même si l’on tient compte de certaines exagérations, le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait sans aucun doute été victime de différentes formes de harcèlement constituant de la persécution, rendant ainsi sa crainte de retourner dans son pays non seulement authentique, mais fondée sur le plan objectif.

 

[12]           À mon avis, la Commission a exactement fait ce qui est mentionné dans la décision Bouaouni, précitée, et dans la décision Grama, précitée, dans la mesure où la Commission a jugé que, compte tenu de la nature des preuves présentées, il n’était pas utile d’effectuer une « analyse approfondie » fondée sur l’article 97. La Commission a en fait souligné qu’il appartenait au demandeur de fournir des preuves susceptibles de justifier qu’une l’analyse fondée sur l’article 97 soit faite.

 

[13]           La juge Layden-Stevenson a, dans la décision Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, résumé l’état du droit auquel je souscris :

17        À mon avis, cette jurisprudence n’exige pas qu’une analyse selon l’article 97 soit faite dans tous les cas. Plutôt, une analyse sera exigée dans certains cas. C’est une question qui doit être examinée au cas par cas. Si des éléments de preuve à l’appui d’une analyse des risques visés à l’article 97 sont soumis à la Commission, alors l’analyse doit être faite.

 

[14]           Le demandeur n’a pas présenté de preuve susceptible de justifier qu’une analyse fondée sur l’article 97 concernant sa crainte de persécution découlant de ses commentaires soit faite. Le demandeur n’a pas présenté suffisamment de preuves pour justifier qu’une analyse fondée sur l’article 97 soit faite.

 

[15]           Pour ce qui est de la question du critère de l’article 97 et de celle de savoir si le demandeur était tenu de démontrer qu’il serait arrêté à son retour, cet aspect est, peut-on penser, lié au fait que les visas de sortie des demandeurs étaient expirés. Les demandeurs n’ont pas présenté de preuve établissant les conséquences que pourrait avoir l’expiration de leur visa de sortie et il n’y avait pas d’autres preuves objectives sur ce point, si ce n’est le fait que l’obligation d’obtenir un visa de sortie avait été récemment supprimée. La seule conséquence à laquelle le demandeur a fait référence pour ce qui est de ses rapports avec les autorités laotiennes était son arrestation survenue en 2005. Les commentaires qu’a faits la Commission au sujet des preuves relatives au fait qu’il serait arrêté, doivent se lire à la lumière du fait que la seule conséquence qui ait jamais été mentionnée par le demandeur était son arrestation.

 

[16]           Par conséquent, j’estime que les commentaires au sujet du critère à appliquer, à savoir « qu’il est plus probable que le contraire » que le demandeur sera arrêté à son retour, ne constituent pas une erreur dans les circonstances de la présente affaire. Il est facile d’affirmer qu’il eut été préférable que la Commission motive sa décision de façon plus détaillée mais c’est le genre de commentaire que l’on peut faire à propos de pratiquement n’importe quel décideur.

 

[17]           Dans la mesure où la décision de la Commission soulève certains problèmes, je souscrirais aux commentaires du juge Blanchard dans Bouaouni, précitée, lorsqu’il déclare au paragraphe 42 :

[…] Je conclus toutefois également, exerçant à cet égard mon pouvoir discrétionnaire, que cette erreur n’a pas d’effet déterminant sur l’issue de l’affaire. Je conclus qu’il y avait matière, eu égard à la preuve, pour la Commission de conclure que le demandeur n’était pas une « personne à protéger » aux termes des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi.

 

III.       CONCLUSION

[18]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4851-09

 

INTITULÉ :                                       SOMPHONE BOUPHAPHANH

                                                            WATDEE BOUPHAPHANH

                                                            c.

                                                            LE MINSITRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 5 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Jack Davis

 

POUR LES DEMANDEURS

 

M. Alex Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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