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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 2010 05 06

Dossier : IMM‑3357‑09

Référence : 2010 CF 500

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

JOSE ALBERTO VILLAFUERTE RAMIREZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, prise par un agent d’exécution (l’agent) du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile le 30 juin 2009, de rejeter la demande d’un report du renvoi du demandeur.

 

[2]               Pour les motifs énoncés ci‑dessous, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               Le demandeur est un citoyen du Costa Rica. Il est entré au Canada en 2001 et il a présenté une demande d’asile. Sa demande d’asile a été rejetée en 2002. En 2003, le défendeur a décerné un mandat d’arrestation contre le demandeur. Le mandat d’arrestation a été exécuté en 2007. Pendant cette période, le demandeur a été accusé d’agression armée. Le défendeur a ensuite commenté des procédures de renvoi, et le demandeur a présenté une demande en vue de rester au Canada. Sa demande était fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH), et il a déposé une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR). Cette ERAR a été rejetée en 2009, et le renvoi du demandeur a été fixé au 6 juillet 2009.

 

[4]               Pendant qu’il était au Canada, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne. Il a un fils, né au Canada, qui est âgé de deux ans, et une fille, née au Canada le 13 août 2009. Le demandeur a aussi deux enfants au Costa Rica. Son épouse était enceinte de leur fille à la date à laquelle l’exécution de la mesure de renvoi était prévue. Le demandeur a demandé le report de son renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur sa demande CH ou, subsidiairement, jusqu’à ce que son épouse donne naissance à leur deuxième enfant, et que l’on tienne compte de l’intérêt supérieur de ses enfants nés au Canada. Sa demande était appuyée par des lettres de son épouse, de deux médecins et du député de sa circonscription. Les lettres déclaraient que le possible renvoi du demandeur entraînait du stress pour son épouse enceinte, qu’il serait difficile pour l’épouse de rester avec leurs jeunes enfants en l’absence du demandeur, et que ce dernier serait privé d’une précieuse période de tissage de liens affectifs avec ses enfants si la mesure de renvoi était exécutée.

 

[5]               L’agent n’était pas convaincu qu’il était approprié, vu la situation, de reporter l’exécution de la mesure de renvoi. L’agent a séparé les motifs de sa décision en deux parties. La première partie était intitulée « Intérêt supérieur de l’enfant canadien », il a examiné la question et la preuve relative à la grossesse de l’épouse ainsi que l’intérêt supérieur des enfants nés au Canada. La deuxième partie était intitulée « Demande CH en cours », l’agent a analysé les conséquences de la demande CH du demandeur en cours sur la décision de reporter le renvoi.

 

[6]               Le 3 juillet 2009, il a été sursis au renvoi du demandeur jusqu’à ce que la Cour statue sur la demande de contrôle judiciaire.

 

II.         Question en litige et norme de contrôle

 

[7]               Le demandeur soulève la question suivante : l’agent a-t-il commis une erreur de droit et de fait lorsqu’il a refusé de reporter le renvoi prévu pour le 6 juillet 2009?

 

[8]               Cette question sera examinée selon la raisonnabilité (voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339; Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81; 309 D.L.R. (4th) 411).

 

III.       Analyse

 

[9]               Les mesures de renvoi sont régies par l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Les paragraphes 48(1) et (2) prescrivent ce qui suit :

Mesure de renvoi

 

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

Conséquence

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

Enforceable removal order

 

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

Effect

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

 

[10]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a refusé de reporter le renvoi, pour trois raisons. Premièrement, l’agent disposait d’une preuve médicale indiquant que le renvoi du demandeur avant la naissance de l’enfant causerait un grand stress à son épouse canadienne. Deuxièmement, le renvoi n’était pas dans l’intérêt supérieur de ses enfants nés au Canada, qui seraient alors privés d’une importante période de tissage de liens affectifs avec leur père, et leur mère devrait retourner au travail avant la fin de son congé de maternité. Troisièmement, l’agent aurait dû reporter le renvoi compte tenu de la demande CH en cours que le demandeur avait présentée en avril 2007.

 

[11]           Le demandeur soutient également que l’agent a commis de nombreuses erreurs dans ses motifs. Ces erreurs étaient les suivantes : à deux reprises, l’agent a inclus de la documentation tirée d’une autre décision non liée au demandeur, indiquant erronément que le demandeur avait purgé une peine d’emprisonnement de trois ans au Costa Rica pour agression, et qu’il avait été déclaré coupable relativement à une infraction, celle d’agression armée, au Canada. Le demandeur a en fait été condamné à cinq ans de probation pour agression au Costa Rica et il a été accusé d’agression au Canada, mais il a été soumis à un engagement de ne pas troubler l’ordre public.

 

[12]           Le défendeur fait valoir que les agents d’exécution jouissent d’un pouvoir discrétionnaire limité de reporter un renvoi dont la date est fixée et que, dans ce cas‑ci, il relevait du pouvoir discrétionnaire de l’agent de déterminer que la situation du demandeur ne justifiait pas le report du renvoi. Le défendeur fait valoir que les erreurs dans les motifs, le cas échéant, étaient insignifiantes et sans conséquence.

 

A.        La naissance

 

[13]           L’argument relatif au report du renvoi fondé sur la naissance de l’enfant du demandeur est théorique. L’enfant est né le 13 août 2009. Il n’y a plus de question en litige entre les parties à cet égard, et la Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher la question au fond (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; [1989] A.C.S. no 14).

 

B.         Le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution

 

[14]           Comme la juge Carolyn Layden‑Stevenson l’a déclaré dans la décision Padda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1081; 33 Imm. L.R. (3d) 134), lorsqu’on examine la question du report du renvoi, le renvoi est la règle alors que le report est l’exception, et le pouvoir discrétionnaire qu’un agent d’exécution peut exercer est très limité (voir les paragraphes 8 et 9). Si des circonstances individuelles impérieuses comme la sécurité personnelle ou la santé peuvent être prises en considération, le processus ne doit pas être une « mini‑demande CH » (voir Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 CFPI 614, [2003] A.C.F. no 805; John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 420; 231 F.T.R. 248).

 

[15]           Dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148; [2001] 3 C.F. 682 (1re inst.), le juge Denis Pelletier a passé en revue les limites du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution. Dans l’affaire Baron, précitée, le juge Marc Nadon, pour la majorité de la Cour d’appel, a souscrit à la déclaration du juge Pelletier et l’a résumée de la façon suivante (au paragraphe 51) :

Dans des motifs que je ne puis améliorer, il a expliqué ce qui suit :

 

- Il existe divers facteurs qui peuvent avoir une influence sur le moment du renvoi, même en donnant une interprétation très étroite à l’article 48. Il y a ceux qui ont trait aux arrangements de voyage, et ceux sur lesquels ces arrangements ont une incidence, notamment le calendrier scolaire des enfants et les incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage ou les naissances ou décès imminents.

 

- La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute ligne de conduite en matière de report doit respecter cet impératif de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, on devrait accorder une grande importance à l’existence d’une autre réparation, comme le droit de retour, puisqu’il s’agit d’une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi. Dans les affaires où le demandeur a gain de cause dans sa demande CH, il peut obtenir réparation par sa réadmission au pays.

 

- Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.

 

- Il est possible de remédier aux affaires où les difficultés causées à la famille sont le seul préjudice subi par le demandeur en réadmettant celui‑ci au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était en instance.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[16]           C’est cette définition du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution qui sera appliquée aux faits de la présente affaire.

 

C.        La demande CH

 

[17]           Comme il est indiqué dans l’arrêt Baron, précité, une demande CH ne constitue pas un obstacle à l’exécution d’une mesure de renvoi valide. Lors de l’audience, le demandeur a porté à mon attention la décision Lisitsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 599; [2009] A.C.F. no 1385. Dans Lisitsa, la Cour a déclaré que même s’il est absolument clair que le simple dépôt d’une demande CH ne donne pas naissance à une obligation de reporter un renvoi, la situation peut être différente en présence de circonstances spéciales, comme l’existence d’une demande CH déposée en temps opportun qui est en cours de traitement depuis un long moment (voir les paragraphes 31 à 35).

 

[18]           Après avoir examiné la décision Lisitsa, précitée, je reviens aux propos du juge Nadon, de la Cour d’appel, dans l’arrêt Baron, précité. Le juge Nadon a souligné que l’on peut remédier au préjudice causé par le renvoi si on réadmet la personne à la suite d’une demande CH accueillie, et qu’il s’agit d’un facteur important dans le cadre de l’examen des limites du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution.

 

[19]           Dans la présente affaire, l’agent a pris en considération la période pendant laquelle la demande CH du demandeur a été traitée, le fait que l’on n’avait pas signifié au demandeur une instruction de se présenter que récemment, qu’il avait donc profité d’un retard assez long dans son renvoi jusqu’à présent et qu’une décision définitive sur la demande CH ne semblait pas imminente. La décision de l’agent était raisonnable compte tenu du pouvoir discrétionnaire dont il dispose.

 

D.        L’ intérêt supérieur des enfants

 

[20]           Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que les immigrants illégaux ne peuvent pas se soustraire à l’exécution d’une mesure de renvoi valide simplement parce qu’ils sont les parents d’enfants nés au Canada (voir l’arrêt Baron, précité, au paragraphe 57). Dans la décision John c.  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précitée, la juge Judith Snider a relevé le rôle fort limité que jouent les agents d’exécution dans le processus d’immigration dans son ensemble. Au paragraphe 20, la juge Snider a déclaré que l’agent d’exécution n’a aucune obligation claire de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contexte de mesures de renvoi visées à l’article 48 :

20        Par conséquent, il n'y a vraisemblablement pas d'obligation pour l'agent chargé du renvoi de prendre en compte les facteurs d'ordre humanitaire, y compris la conséquence du renvoi pour l'enfant qui est un citoyen canadien. Une telle obligation pour l'agent chargé du renvoi, compte tenu qu'elle existe déjà à l'étape de la demande CH, constituerait un chevauchement inutile.

 

[21]           Dans la présente affaire, l’agent a bien examiné le fait que la mère continuerait de s’occuper des enfants. L’agent a également signalé que la famille savait que le demandeur était visé par une mesure de renvoi et que l’épouse et les enfants avaient accès à tous les programmes sociaux et à toutes les ressources offertes à tous les Canadiens s’ils avaient besoin d’aide. L’agent a agi raisonnablement dans les limites du pouvoir discrétionnaire dont il dispose.

 

[22]           Dans la présente affaire, l’agent a examiné les documents présentés par le demandeur, et on ne m’a pas convaincu que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle dans son examen de la preuve. Le demandeur prie la Cour de réévaluer la preuve de manière à en arriver à une conclusion différente. La Cour ne dispose pas d’un tel rôle dans le cadre des contrôles judiciaires de cette nature (voir l’arrêt Baron, précité, au paragraphe 60). L’agent a raisonnablement exercé le pouvoir discrétionnaire limité dont disposent les agents d’exécution pour ce qui est d’accorder un report temporaire.

 

E.         Les erreurs

 

[23]           L’agent a clairement commis des erreurs factuelles dans ses motifs lorsqu’il a inclus des extraits tirés de notes d’un autre agent et en ce qui concerne le dossier criminel du demandeur. Cependant, ces questions ne touchent pas au cœur de la décision. Je remarque que, dans la décision Ogiriki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 420; 2006 CF 342, le juge Simon Noël a conclu qu’une décision doit être considérée dans son ensemble et être maintenue même si le demandeur y a décelé quelques « faiblesses » (voir le paragraphe 13).

 

[24]           Les parties n’ont soulevé aucune question pour certification, et aucune ne s’est posée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.         la présente demande est rejetée;

2.         il n’y a aucune adjudication des dépens.

 

 

 « D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM-3357-09

 

INTITULÉ :                                             RAMIREZ

                                                                  c.

                                                                  MSPPC

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                        TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :                       Le 20 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                           LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                             Le 6 mai 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Berger

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Berger

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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