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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100401

Dossier : IMM-2198-09

Référence : 2010 CF 359

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2010

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

AKYOL, SENER

demandeur

ET

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.    Aperçu

 

[1]               Monsieur Sener Akyol est venu au Canada de la Turquie en 2004. Il a demandé l’asile au motif qu’il était exposé au risque d’être persécuté pour des raisons d’ordre politique et religieux dans son pays. Il soutient aussi qu’il est un objecteur de conscience, et qu’il serait emprisonné à son retour pour avoir omis de faire son service militaire obligatoire.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Akyol. La Commission n’a pas cru son compte rendu des événements, et elle a conclu que sa conduite était incompatible avec le comportement d’une personne qui craint la persécution.

 

[3]               Monsieur Akyol soutient que la Commission a commis une erreur dans le traitement des éléments de preuve dont elle disposait, et il me demande d’ordonner qu’un tribunal différemment constitué de la Commission réexamine sa demande. Je conviens que la Commission a commis une erreur, et j’accueillerai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.   Question en litige

[4]               Il y a une seule question en litige en l’espèce : la décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

III. Analyse

 

(1)       Le témoignage de Monsieur Akyol

[5]               Monsieur Akyol a affirmé qu’il avait été membre d’un parti politique appelé le Parti de la liberté et de la solidarité (ODP). Il a soutenu l’ODP à l’époque où il fréquentait l’université. Il dit qu’il a été arrêté en  2002 pour avoir posé des affiches de l’ODP. La police l’a interrogé et l’a torturé. Deux ans plus tard, il a été arrêté de nouveau pour avoir participé à une démonstration. Cette fois encore, il a été interrogé et torturé. Après sa remise en liberté, il a décidé de fuir au Canada.

 

[6]               Monsieur Akyol est venu au Canada en 2004 muni d’un visa d’étudiant. Il n’a pas demandé l’asile avant 2006. Sa demande était fondée sur une crainte de persécution politique en raison de son soutien de l’ODP. Il a aussi allégué qu’il serait emprisonné dans des conditions extrêmement pénibles à son retour pour avoir omis de faire son service militaire obligatoire, comme l’exige la loi turque.

 

(2)       La décision de la Commission

 

[7]               La Commission a tiré plusieurs conclusions :

 

[8]               À l’audience portant sur sa demande d’asile, M. Akyol a dit que lui et deux amis avaient été arrêtés en 2002. Toutefois, dans son exposé écrit, il avait dit que c’était lui et trois amis. Compte tenu de cette divergence, la Commission a conclu que M. Akyol n’était pas crédible.

 

[9]               Monsieur Akyol a été incapable de produire une preuve écrite de son affiliation à l’ODP. Il a expliqué qu’il n’avait jamais été membre, de sorte qu’il ne pouvait pas produire une carte de membre. Il a tenté d’obtenir une lettre de l’ODP mais, par crainte, personne n’a voulu s’en mêler. La Commission a trouvé cette explication déraisonnable parce que l’ODP était un parti officiel et qu’il tenait probablement des dossiers au sujet de ses partisans qui avaient été maltraités.

 

[10]           Monsieur Akyol est retourné en Turquie en 2005 pour rendre visite à sa mère, qui était malade. La Commission a conclu que son comportement était incompatible avec une crainte subjective de persécution. La Commission a estimé que d’autres éléments de preuve renforçaient sa conclusion sur ce point – le temps qui s’était écoulé avant que M. Akyol demande l’asile au Canada, et sa décision de prendre des vacances au Brésil avant de faire sa demande.

 

[11]           Alors qu’il était en Turquie, M. Akyol a rétabli son exemption du service militaire. La Commission a conclu que si M. Akyol était véritablement exposé à un risque de persécution politique, les autorités l’auraient appréhendé à ce moment.

 

[12]           La loi turque permet à une personne de payer des droits au lieu de faire son service militaire. M. Akyol a expliqué qu’il ne s’était pas prévalu de cette disposition parce qu’il ne voulait pas que ses parents payent les droits et il ne voulait pas soutenir l’armée financièrement. La Commission a trouvé cette explication déraisonnable.

 

[13]           D’après ma lecture de la décision de la Commission, ses conclusions sont interreliées. Par exemple, puisque la Commission n’a pas cru le témoignage de M. Akyol au sujet de ses activités politiques, elle n’a pas cru non plus qu’il était un objecteur de conscience. Ensuite, puisqu’il n’était pas un véritable objecteur de conscience, la Commission a conclu que ses actes étaient incompatibles avec ceux d’une personne qui craint de retourner dans son pays d’origine.

 

A.        La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

[14]           Je puis infirmer la décision de la Commission seulement si cette décision était déraisonnable.

 

[15]           La Commission n’a pas cru les prétentions de M. Akyol portant sur la persécution politique parce que ce dernier a affirmé dans son témoignage que deux amis avaient été arrêtés avec lui, ce qui contredisait son exposé écrit dans lequel il mentionnait trois amis. La Commission peut s’appuyer sur des contradictions dans les éléments de preuve lorsqu’elle évalue la crédibilité d’une personne, mais cette contradiction mineure ne constituait pas un fondement raisonnable à la conclusion générale de la Commission selon laquelle M. Akyol n’était pas un témoin crédible.

 

[16]           La Commission s’est également appuyée sur l’absence d’éléments de preuve documentaire de l’ODP pour conclure que M. Akyol n’était pas exposé au risque d’être persécuté pour des motifs d’ordre politique. M. Akyol a fourni une explication, à savoir qu’il n’avait trouvé personne qui fut disposé à rédiger une lettre pour lui, mais la Commission n’a pas répondu à cette explication. Au lieu de cela, la Commission a conclu que l’ODP tenait probablement des dossiers au sujet de tout mauvais traitement subi par ses partisans. Mais M. Akyol n’a pas dit que l’ODP n’avait aucun dossier.

 

[17]           Pour ce qui concerne la conclusion de la Commission selon laquelle M. Akyol n’avait aucune crainte subjective de persécution, la Commission a conclu que la mère de M. Akyol n’aurait pas voulu qu’il retourne en Turquie. M. Akyol a dit qu’il voulait lui rendre visite en personne pour la rassurer. Il n’a pas dit que c’était l’idée de sa mère. Pour ce qui concerne le temps qui s’est écoulé avant que M. Akyol demande l’asile au Canada, M. Akyol a expliqué qu’il était arrivé muni d’un visa d’étudiant, de sorte qu’il avait un statut au Canada. Il n’y avait aucune urgence à demander l’asile. Pour ce qui concerne ses vacances au Brésil, je ne vois aucune contradiction entre un étudiant qui prend des vacances en Amérique de Sud et une crainte subjective de retourner en Turquie.

 

[18]           Enfin, pour ce qui concerne le service militaire de M. Akyol, il n’y avait aucun élément de preuve étayant la conclusion de la Commission selon laquelle une demande d’exemption exposerait M. Akyol à des adversaires politiques. Sa demande a été faite à l’université qu’il fréquentait, et non auprès de l’armée ou de quelque autorité gouvernementale que ce soit. M. Akyol a aussi expliqué pourquoi il n’avait pas payé des droits afin d’être exempté du service militaire. La Commission a souligné que M. Akyol n’avait aucune objection à ce que ses parents payent d’autres choses, y compris ses vacances. Cette observation ne répond pas à la principale explication que M. Akyol a donnée, à savoir qu’il ne voulait pas soutenir l’armée financièrement.

 

[19]           À mon avis, compte tenu de la preuve dont elle disposait, les conclusions de la Commission étaient déraisonnables en ce sens qu’elles n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.       Conclusion et décision

 

[20]           Je conclus que le traitement des éléments de preuve par la Commission a mené à des conclusions déraisonnables au sujet du risque de persécution politique auquel serait exposé M. Akyol et au sujet de sa prétention selon laquelle il était un objecteur de conscience. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune n’est formulée.


 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un tribunal différemment constitué.

2.                  Aucune question de portée générale n’est formulée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2198-09

 

INTITULÉ :                                       AKYOL c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 5 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 1er avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Catherine Bruce

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CATHERINE BRUCE

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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