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Cour fédérale

 

 

Federal Court

 


 

Date : 20100331

Dossier : IMM-1525-09

Référence : 2010 CF 352

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2010

En présence de Monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

KATHERINE SALAHOVA

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Salahova a-t-elle « présenté » une demande de visa de résidence permanente avant le 27 février 2008 en tant que membre de la catégorie des travailleurs qualifiés? Dans l’affirmative, elle a droit à un examen de sa demande en application des articles 75 et suivants du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement). Dans la négative, en vertu d’une instruction ministérielle donnée conformément à l’article 87.3 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), sa demande ne pouvait pas être traitée parce que le ministre a décidé que nous n’avons pas besoin pour l’instant d’immigrants ayant une expérience d’enseignant au niveau secondaire ou de professeur d’anglais au niveau primaire.

[2]               Mme Salahova a envoyé par la poste, le 25 février 2008, sa demande à l’ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne, depuis son lieu de résidence, à Minsk, au Belarus. Sa demande a été reçue à l’ambassade le 3 mars 2008. La Section de l’immigration et des visas de l’ambassade l’a informée quelques mois plus tard que, conformément aux instructions du ministre, puisqu’elle n’avait pas un emploi réservé, qu’elle ne résidait pas légalement au Canada depuis au moins un an à titre de travailleuse temporaire ou d’étudiante étrangère, ou qu’elle n’avait pas d’expérience dans l’un des métiers énumérés dans l’instruction, sa demande ne pouvait pas être traitée. Il s’agit ici du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               Ce que Mme Salahova a perdu, c’est une occasion. Elle savait dès le début qu’elle n’atteignait pas le nombre requis de points dans les critères de sélection, mais elle espérait qu’il y avait des circonstances qui permettraient à l’agent des visas de substituer son appréciation aux critères de sélection, puisqu’elle était probablement apte à réussir son établissement économique au Canada, selon les termes de l’article 76 du Règlement.

 

[4]               Malheureusement pour Mme Salahova, elle se heurte à une loi dont l’effet rétroactif est clair et précis.

 

[5]               L’article 87.3 de la LIPR n’a acquis force de loi que près de quatre mois après que sa demande a été reçue à l’ambassade du Canada. L’article 87.3 faisait partie du projet de loi C-50, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 26 février 2008 et édictant des dispositions visant à maintenir le plan financier établi dans ce budget. Il a reçu la sanction royale le 18 juin 2008.

 

[6]               L’article 87.3 autorise le ministre à donner des instructions visant à atteindre les buts du Canada en matière d’immigration. Son paragraphe (3) est ainsi rédigé :

87.3 (3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment en précisant l’un ou l’autre des points suivants :

 

a) les catégories de demandes à l’égard desquelles s’appliquent les instructions;

 

b) l’ordre de traitement des demandes, notamment par catégorie;

 

 

c) le nombre de demandes à traiter par an, notamment par catégorie;

 

 

d) la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

 

87.3 (3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions

 

 

(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;

 

(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;

 

(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and

 

(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request.

 

 

[7]               En dépit du principe de non-rétroactivité des lois, l’article 120 du projet de loi C-50 renfermait une disposition explicite :

 

Disposition transitoire

 

120. L’article 87.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne s’applique qu’à l’égard des demandes faites à compter du 27 février 2008.

Transitional Provision

 

120. Section 87.3 of the Immigration and Refugee Protection Act applies only to applications and requests made on or after February 27, 2008.

 

 

[8]               La position de Mme Salahova, c’est qu’elle a « présenté » la demande lorsqu’elle l’a mise à la poste le 25 février. Le ministre a chicané sur ce point, mais je suis d’avis qu’elle a été envoyée par la poste ce jour-là et qu’elle n’a été reçue que le 3 mars.

 

[9]               La question à trancher est donc de savoir si la demande a été « faite à compter du 27 février 2008 » ou « made on or after February 27, 2008 », au sens du projet de loi C-50.

 

[10]           Les instructions du ministre n’ont été publiées dans la Gazette du Canada que le 29 novembre 2008.

 

[11]           Malheureusement, les instructions emploient plusieurs mots qui ne veulent pas nécessairement dire la même chose, par exemple :

a.       « les instructions ne s’appliquent qu’aux demandes […] présentées à compter du 27 février 2008 »

b.      « toutes les demandes présentées avant le 27 février 2008 doivent être traitées selon le système en vigueur au moment où la demande a été présentée »

c.       « les demandes présentées par des travailleurs qualifiés (fédéral) à partir du 27 février 2008 […] »

d.      « les demandes présentées pour des motifs d'ordre humanitaire […] » (non applicable ici)

e.       « les demandeurs au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) qui ont présenté leur demande à partir du 27 février 2008 […] doivent être avisés que leur demande ne sera pas traitée[…] »

 

[12]           La version française emploie constamment le mot « présentées » plutôt que le mot « faites », celui qui est employé dans la Loi.

 

[13]           La version française est certes tout à fait explicite et, à mon avis, elle signifie « reçues » ou « présentées » à l’ambassade. Cependant, les Instructions du ministre doivent être conformes au projet de loi C-50, et la question est donc de savoir si la demande a été « faite » ou « made » lorsqu’elle a été mise à la poste le 25 février 2008, ou uniquement lorsqu’elle a été reçue à l’ambassade le 3 mars 2008.

 

[14]           Si nous devions faire un parallèle avec les contrats par correspondance, la demande devrait être considérée comme une offre et ne prendrait effet qu’à la date de sa réception. Cependant, il existe une foule de précédents portant sur des demandes faites en vertu de la LIPR ou en vertu des lois qui l’ont précédée.

 

[15]           On s’est interrogé si une demande était « verrouillée » lorsqu’elle était reçue par les autorités de l’immigration ou lorsqu’elle était traitée. Il peut s’écouler entre les deux un délai considérable. Il est maintenant admis que la réception de la demande éclipse son traitement (arrêt Wong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1986), 64 N.R. 309 (C.A.F.)). Certaines décisions dépendent des dispositions elles-mêmes du Règlement, par exemple le fait qu’un avis est présumé reçu, sauf preuve contraire effective, un certain nombre de jours après sa mise à la poste.

 

[16]           Dans l’arrêt Wong, précité, Monsieur le juge Mahoney s’exprimait ainsi :

Seul un agent des visas, qui, par définition est un agent en poste à l’étranger, était habilité à délivrer ou à refuser de délivrer le visa. Tout examen de la demande qui incombe à l’agent des visas devait nécessairement avoir lieu à l’étranger. Il me semble toutefois qu’une demande de visa d’immigrant est présentée à partir du moment où est engagé en bonne et due forme le processus aboutissant à la délivrance du visa ou au refus de le délivrer et non pas seulement lorsque le dossier est confié au fonctionnaire particulier qui est autorisé à se prononcer sur la demande.

 

[17]           Les dates de « verrouillage », ou de référence, ont souvent leur importance en raison de l’arriéré des demandes.

 

[18]           Dans l’arrêt Choi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 763 (C.A.), Monsieur le juge MacGuigan écrivait, au paragraphe 10 :

Étant donné l’arrêt Wong, je dois donner effet au nouvel argument de l’appelant selon lequel la date « de référence » à l’égard de l’appréciation des compétences a toujours été, à bon droit, la date à laquelle le ministère a reçu la demande. […]

 

[19]           Un arrêt plus récent de la Cour d'appel fédérale va dans le même sens : Hamid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 217, [2007] 2 R.C.F. 152, 54 Imm. L.R. (3d) 163.

 

[20]           Je dois donc conclure que la demande de Mme Salahova n’a pas été « faite » à temps. J’aurais préféré que l’instruction du ministre soit plus uniforme dans les mots employés, mais, vu le contexte, les mots « faites », « reçues » et « présentées » ne peuvent dire que la même chose.

 

[21]           Mme Salahova a fait valoir subsidiairement que le résultat était contraire à l’équité procédurale. D’une certaine manière, sa situation est regrettable. Évidemment, si elle avait su le 25 février ce que la loi allait être, avec son effet rétroactif, elle ne se serait pas donnée la peine de présenter une demande au départ. Cependant, le Parlement était, sur le plan constitutionnel, habilité à faire ce qu’il a fait, tout comme le ministre l’était aux termes de l’article 87.3 de la LIPR. Comme l’a redit la Cour d'appel dans l’arrêt dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 186, [2007] 1 R.C.F. 387, 53 Imm. L.R. (3d) 171, au paragraphe 19 :

[…] La doctrine de l’attente légitime est un principe procédural qui a pour source la common law. Il ne produit donc pas de droits formels et ne peut pas servir à contredire l’intention clairement exprimée du législateur (Canada (M.E.I.) c. Lidder, [1992] A.C.F. n° 212 (C.A.F.), aux paragraphes 3 et 27).

 

[22]           Cela étant, il m’est impossible de certifier une question qui autoriserait le dépôt d’un appel devant la Cour d'appel fédérale.

 


ORDONNANCE

 

            POUR LES MOTIFS SUSDITS,

 

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1525-09

 

INTITULÉ :                                       Salahova c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 MARS 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE:   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 31 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Inna Kogan

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jamie Todd

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Inna Kogan

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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