Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100311

Dossier : T-2106-04

Référence : 2010 CF 281

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2010

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

FRANCIS MAZHERO

 

demandeur

 

 

et

 

 

 

L’HONORABLE J. EDWARD RICHARD,

L’HONORABLE BEVERLY BROWNE,

LUCILLE BERTRAND, MME UNETELLE ET M. UNTEL

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En 2004, M. Mazhero a présenté à la Cour une déclaration à l’encontre de l’honorable Beverly Browne, juge à la Cour de justice du Nunavut, de l’honorable J. Edward Richard, juge de la Cour d’appel du Nunavut et de Lucille Bertrand, une agente du greffe à la Cour suprême du Canada.

 

[2]               Selon cette déclaration, M. Mazhero avait introduit diverses instances devant les tribunaux du Nunavut et il avait également présenté une demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Le fondement de l’ensemble de ces instances aurait été une allégation faite par le directeur de l’école où il enseignait, laquelle, selon lui, le qualifiait avec malveillance comme un agresseur d’enfants. Ses diverses instances devant les tribunaux du Nunavut et la demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada auraient prétendument été mises en échec par des activités criminelles et autres malfaisances de la part des défendeurs. Il cherche à obtenir des dommages‑intérêts et un jugement déclaratoire selon lequel leurs actions ont violé ses droits constitutionnels garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[3]               Le greffe de la Cour fédérale a sollicité des directives quant à savoir s’il devait accepter le dépôt de la déclaration.

 

[4]               J’ai d’abord ordonné que la déclaration ne soit pas acceptée et que le droit de dépôt de 150 $ lui soit retourné, au motif que la réclamation était hors du ressort de la Cour, laquelle n’avait pas de compétence générale en matière criminelle et qu’elle n’avait certainement pas compétence à l’égard des juges ou des fonctionnaires des autres tribunaux. J’ai toutefois ajouté que, si M. Mazhero estimait toujours que la Cour fédérale avait compétence, il pouvait présenter une requête, sans en aviser les défendeurs, demandant à la Cour d’accepter le dépôt de la déclaration. Le dossier de requête devait exposer les motifs pour lesquels il pensait que la Cour fédérale avait compétence.

 

[5]               Il a ensuite déposé la requête, bien qu’il n’ait pas exposé les motifs pour lesquels la Cour avait compétence.

 

[6]               J’ai ensuite ordonné que le dépôt de la déclaration soit accepté et, de mon propre chef, le 25 novembre 2004, j’ai ordonné que l’action soit rejetée, puisque la déclaration ne révélait aucune cause d’action valable aux yeux de la Cour, qu’elle était scandaleuse, frivole et vexatoire, et qu’elle constituait autrement un abus de procédure à l’égard de la Cour. Cette décision a pour référence Mazhero c. Richard, 2004 CF 1659. L’appel interjeté par M. Mazhero à l’encontre de cette décision a été rejeté en mai 2006 par la Cour d’appel fédérale pour défaut de poursuivre.

 

[7]               Un certain nombre de faits non pertinents se sont produits, dont une plainte que M. Mazhero a présenté contre moi et d’autres juges de la Cour au Conseil canadien de la magistrature.

 

[8]               Le recours habituel ouvert à ceux qui ne sont pas satisfaits d’une décision rendue en première instance est d’interjeter appel, ce que M. Mazhero a fait. Toutefois, les articles 397 et suivants des Règles des cours fédérales (les Règles) permettent à la cour de première instance, dans certaines circonstances, de réexaminer, d’annuler ou de modifier l’ordonnance initiale. Maintenant, M. Mazhero a présenté une requête, en vertu de l’article 399 des Règles, en vue d’obtenir une ordonnance annulant ma décision du 25 novembre 2004, au motif que [traduction] « les juges défendeurs Browne et Richard ont, en 2004, solidairement commis une fraude au détriment de la Cour fédérale et du demandeur ».

 

[9]               L’alinéa 399(2)b) prévoit que la Cour « peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants : […] l’ordonnance a été obtenue par fraude ».

 

[10]           Dans son affidavit à l’appui, il expose une liste de griefs contre les deux juges en question, lesquels s’inspirent des allégations de la déclaration initiale. Il prétend également que mon ordonnance initiale était irrémédiablement viciée, parce que j’avais soulevé de mon propre chef la question de la compétence de la Cour, sans aviser les défendeurs. Comme ils n’avaient pas comparu à l’égard de la requête, il s’ensuit que les défendeurs n’étaient pas en mesure de commettre une fraude au détriment de la Cour, et la requête en annulation devrait être rejetée pour ce seul motif.

 

[11]           M. Mazhero ne semble pas accepter le fait que la compétence de la Cour soit limitée par l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Pour les motifs exprimés dans mon ordonnance de 2004, la Cour n’a tout simplement pas compétence à l’égard de la cause d’action alléguée dans la déclaration, peu importe à quel point les défendeurs peuvent avoir agi de manière frauduleuse, selon M. Mazhero.

 

[12]           Depuis la délivrance de cette ordonnance, dans la décision Crowe c. Canada (Juge en chef), 2007 FC 1209, 319 F.T.R. 203, J’ai à nouveau soulevé, de mon propre chef, la question de la compétence de la Cour à l’égard d’une action introduite à l’encontre de divers juges de la Cour suprême du Canada, de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Cour supérieure de justice. J’ai rejeté l’action pour absence de compétence.

 

[13]           La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel visant cette ordonnance, dans un arrêt qui a pour référence 2008 CAF 298, 393 N.R. 50. Au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Pelletier a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 16 et 17 :

[16]           La difficulté à laquelle est confronté M. Crowe est que la Cour fédérale est un tribunal d’origine législative et qu’elle n’a donc que la compétence qui lui est conférée par la loi. Ce n’est pas un tribunal qui possède une compétence générale inhérente comme les cours supérieures provinciales :

 

46  Comme tribunal d’origine législative, la Cour fédérale du Canada ne peut exercer que les compétences qui lui sont attribuées par la loi et, compte tenu du principe de la compétence générale inhérente des cours supérieures provinciales, le Parlement doit, pour attribuer compétence à la Cour fédérale, exprimer explicitement cette intention […]

[Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, au paragraphe 46.]

 

[17]           Dans l’arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, la Cour suprême du Canada a énoncé, à la page 766, les conditions à respecter pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale :

 

L’étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières années. Dans l’arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et dans l’arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, on a établi les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions sont les suivantes :

 

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

 

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

 

3. La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

[14]           Les juges défendeurs J. Edward Richard et Beverly Browne ont été poursuivis devant la Cour de manière vexatoire et, cette fois‑ci, ils ont retenu les services d’avocats. Il n’est donc que juste et approprié que la requête soit rejetée, avec dépens taxés sur la base procureur‑client.

 

[15]           M. Mazhero est contrarié par le fait que la défenderesse Lucille Bertrand n’ait pas comparu ni déposé d’observations. Elle n’est pas tenue de le faire. Toutefois, aucuns dépens ne lui seront adjugés.


ORDONNANCE

             LA COUR ORDONNE que :

1.      la requête visant à annuler l’ordonnance de la Cour rendue le 25 novembre 2004 soit rejetée, avec dépens en faveur de l’honorable J. Edward Richard et l’honorable Beverly Browne, taxés sur la base procureur‑client.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2106-04

 

INTITULÉ :                                       MAZHERO c. L’HONORABLE J. EDWARD RICHARD et autres

 

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS LA COMPARUTION PERSONNELLE DES PARTIES, CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 11 MARS 2010

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Francis Mazhero

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Ronald D. Lunau

Catherine Beaudoin

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

(L’HON. J. EDWARD RICHARD ET L’HON. BEVERLY BROWNE)

Aucune comparution

POUR LES DÉFENDEURS

(LUCILLE BERTRAND, MME UNETELLE ET M. UNTEL)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Francis Mazhero

Chesterfield Inlet (Nunavut)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Gowling, Lafleur, Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

(L’HON. J. EDWARD RICHARD ET L’HON. BEVERLY BROWNE)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.