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Date : 20100305

Dossier : T‑370‑08

Référence : 2010 CF 230

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2010

En présence de Monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

SANOFI‑AVENTIS CANADA INC.

demanderesse

et

 

RATIOPHARM INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

 

SANOFI‑AVENTIS

défenderesse/titulaire du brevet

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

(Version publique)

I.          APERÇU

[1]               Il s’agit d’une demande en vertu du par. 55.2(4) de la Loi sur les brevets et de l’art. 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93‑133). Sanofi‑Aventis Canada Inc. (Sanofi‑Aventis) sollicite, à l’encontre de Ratiopharm Inc. (Ratiopharm) et du ministre de la Santé, une ordonnance interdisant la délivrance d’un avis de conformité (AC) à Ratiopharm pour sa version générique de comprimés d’irbesartan à administration orale présentée sous la forme de comprimés d’environ 75 mg, 150 mg et 300 mg.

 

[2]               Deux brevets pouvaient être en litige : le brevet canadien no 2,057,913 (le brevet 913) et le brevet canadien no 2,177,772 (le brevet 772 ). Ratiopharm avait toutefois accepté qu’un AC ne soit pas délivré avant l’expiration du brevet 913, soit le 20 mars 2011.

 

[3]               Le brevet 772 revendique des compositions pharmaceutiques renfermant de l’irbesartan (le principe actif) seul ou en association avec un diurétique, de préférence sous la forme de comprimés contenant une quantité relativement élevée du principe actif. Une des caractéristiques essentielles du brevet est le fait que la composition pharmaceutique contient une quantité de diluant de 1 à 70 % environ.

 

[4]               Les comprimés de Ratiopharm contiendront une grande quantité d’irbesartan (environ 63 %) et l’excipient de Ratiopharm [nom supprimé pour raisons de confidentialité], qui peut (mais pas nécessairement) jouer le rôle d’un diluant. L’excipient de Ratiopharm peut également faire fonction de liant et de délitant.

 

[5]               Comme c’est souvent le cas dans les instances relatives à un AC, les parties ont soulevé presque toutes les allégations et tous les moyens de défense imaginables. Cette façon de soulever autant d’arguments « dans l’espoir qu’il en restera qui tiendront debout » n’aide ni la Cour ni la cause. Les positions en deviennent contradictoires, se recoupent et créent de la confusion. Par conséquent, la Cour a ramené le litige à ses éléments essentiels, suffisants pour trancher les questions fondamentales de la validité et de la contrefaçon.

 

[6]               Les questions fondamentales de la présente instance relative à un AC sont de savoir si les revendications en litige du brevet 772 sont invalides en raison de sa portée et de son utilité non prouvée, et si le médicament de Ratiopharm contrefera le brevet 772. La contrefaçon dépend de la question de savoir si l’excipient de Ratiopharm est un diluant.

 

[7]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la Cour conclut que les revendications sont invalides et, subsidiairement, que le médicament proposé de Ratiopharm ne contrefera pas le brevet 772.

 

II.         CONTEXTE FACTUEL

[8]               L’irbesartan n’est pas un médicament nouveau. Il appartient à une famille de médicaments appelés les antagonistes du récepteur de l’angiotensine II. C’est un principe actif qui s’est révélé particulièrement utile dans le traitement des troubles cardiovasculaires, notamment l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. L’angiotensine II est une substance chimique libérée par le corps qui cause une constriction des vaisseaux sanguins. Les antagonistes de l’A‑II sont utilisés pour abaisser l’hypertension en dilatant les vaisseaux sanguins. Cette famille comprend plusieurs types de médicaments, dont l’irbesartan.

 

[9]               Les doses d’irbesartan administrées peuvent contenir une grande quantité du principe actif; ce médicament est puissant et a une longue durée d’action. Il comporte certaines caractéristiques qui compliquent sa transformation en comprimés. Plus particulièrement, il est « floconneux »; autrement dit, sa masse volumique en vrac est relativement faible, il est donc difficile de l’insérer dans des comprimés qui peuvent être facilement avalés. L’irbesartan est en outre collant, d’où la difficulté de le produire en série. Sa solubilité aqueuse est également faible, de sorte que seule une quantité limitée d’excipients peut être ajoutée pour faciliter sa désintégration et son humidification en vue d’obtenir une libération rapide et complète du médicament.

 

[10]           La demande afférente au brevet 772 a été déposée le 30 mai 1996, la date de priorité étant le 7 juin 1995. Il a été délivré le 10 avril 2007 et expirera le 30 mai 2016. Il s’agit d’un brevet de formulation qui se rapporte à la façon dont les comprimés d’irbesartan sont fabriqués et le pourcentage d’excipients et de principes actifs qui permettront la dissolution et la libération rapides requises du médicament.

 

[11]           Dans la présente instance relative à un AC, ce sont essentiellement les revendications 1, 2, 22, 33, 34 et 35 du brevet qui sont en litige quant à la validité et à la contrefaçon, mais la revendication 36 n’est contestée qu’en ce qui a trait à la validité. La majorité des revendications s’appuient sur la revendication 1; c’est donc la cible principale du présent litige.

 

[12]           Les revendications en litige s’énoncent comme suit :

[traduction]

1.                  Une composition pharmaceutique qui comprend, selon le poids : a) de 20 à 70 % environ d’irbesartan ou d’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, b) de 1 à 70 % environ de diluant, c) de 2 à 20 % environ de liant; d) de 1 à 10 % environ de délitant, e) de 0,1 à 5 % environ d’antiadhérent et f) de 0,2 à 5 % environ de lubrifiant et, au choix, g) de 0,2 à 6 % environ de surfactant et/ou h) jusqu’à environ 2 % d’agent colorant, où le comprimé formé de ladite composition a une vitesse de dissolution telle qu’environ 80 % ou plus de l’irbesartan ou d’un de ses sels contenus dans le comprimé se dissout en l’espace de 30 minutes.

 

2.                  La composition pharmaceutique de la revendication 1, le comprimé formé de ladite composition ayant une vitesse de dissolution telle qu’environ 85 % ou plus de l’irbesartan ou d’un de ses sels contenus dans le comprimé se dissout en l’espace de 30 minutes.

 

22.              Un comprimé formé de la composition de la revendication 1.

 

33.              Un comprimé de la revendication 22, dont le poids total se situe entre 50 et 600 mg environ.

 

34.              Un comprimé formé à partir de la composition de la revendication 1 et issu du mélange d’une composition extragranulaire de l’antiadhérent avec des granules comprenant de l’irbesartan ou l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables.

 

35.              Le comprimé de la revendication 34, qui renferme comme antiadhérent du dioxyde de silicone.

 

36.              Une composition pharmaceutique qui comprend, selon le poids : a) de 20 à 70 % environ d’irbesartan ou d’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, et b) de 2 à 33 % environ d’hydrochlorothiazide et dans laquelle le poids total en % d’irbesartan ou d’un de ses sels et de l’hydrochlorothiazide ne dépasse pas environ 85 %, ladite composition ne renfermant pas de povidone ni de poloxamère.

 

(Non souligné dans l’original)

 

[13]           Bien que l’avis d’allégation énumère 82 pièces d’art antérieur, trois de ces références sont pertinentes, car c’est sur elles que s’appuie la contestation en ce qui concerne l’antériorité et l’évidence. Il s’agit du brevet 913, de la demande de brevet canadien no 2,050,769 (la demande 769) et de la publication internationale no WO 94/09778 (la demande 778).

 

[14]           Le brevet 913 décrit une préparation d’antagonistes du récepteur de l’angiotensine II, qui contient entre autres de l’irbesartan pour traiter des troubles cardiovasculaires. Le brevet montre comment le médicament peut être administré de façon efficace et envisage l’utilisation d’autres principes actifs. Il évoque donc la possibilité d’utiliser l’irbesartan sous forme de comprimés renfermant divers excipients pour traiter des troubles vasculaires.

 

[15]           Le brevet 769 a été publié le 3 mars 1992 et traite de l’utilisation de « composés azacycliques » qui sont des principes actifs de médicaments antihypertenseurs. La demande 769 indique que des formes orales peuvent être fabriquées en combinant l’ingrédient actif avec des véhicules solides, notamment des agents de remplissage, des liants, des délitants, etc.

 

[16]           La demande 778, qui a été publiée le 11 mai 1994, concerne les formulations contenant des antagonistes de l’angiotensine II à une dose efficace et des diurétiques à une dose légèrement inférieure à leur dose minimale efficace. La structure de l’irbesartan figure dans la liste des antagonistes de l’A‑II.

 

[17]           Sanofi‑Aventis s’est appuyée largement sur le témoignage de M. Louis Cartilier, titulaire d’un doctorat en sciences pharmaceutiques et professeur titulaire à l’Université de Montréal. Son témoignage a servi à l’interprétation des revendications et fonde la majorité des arguments de Sanofi‑Aventis sur la validité et la contrefaçon. La difficulté que pose le témoignage de M. Cartilier est que ce dernier a été jugé comme un témoin peu convaincant dans nombre d’affaires soumises à la Cour. Il a été critiqué pour la qualité de sa recherche et ce problème a semblé persister en l’espèce. La Cour a abordé son témoignage avec une grande prudence.

 

[18]           L’autre témoin de Sanofi‑Aventis était M. Omar Sprockel, scientifique chevronné principal au département de recherche et développement en biopharmaceutique de Bristol Myers Squibb. Il a témoigné au sujet de l’élaboration de la formulation commerciale de l’irbesartan. Il était l’un des rares témoins à être au courant de la préparation de l’irbesartan et il a été en mesure de parler du processus d’élaboration du produit ainsi que des défis à relever à cet égard.

 

[19]           Ratiopharm s’est appuyée tout particulièrement sur le témoignage d’expert de M. Ping Lee, titulaire d’un doctorat en chimie physique et professeur de la Chaire GlaxoSmithKline de pharmacie et d’administration de médicaments à l’Université de Toronto. Son témoignage a porté sur la contrefaçon et sur la validité. Il a acquis de l’expérience tant en milieu universitaire qu’au sein de l’industrie. Son témoignage a été clair et convaincant et, bien qu’il ne soit pas sorti tout à fait indemne des contre‑interrogatoires, il a résisté de façon générale au test de la pertinence et de la probité.

 

[20]           L’autre témoin de Ratiopharm était M. Peter Rue, professeur invité à l’Université d’Aston au Royaume‑Uni. Il travaillait aussi comme consultant en pharmacie. Pour les besoins de l’AC en cause, il a préparé des formulations de comprimés pour vérifier les allégations de Ratiopharm concernant l’antériorité et le caractère inopérant. Il a demandé à une tierce partie, Quay Pharma, de fabriquer les comprimés et il a interprété par la suite les résultats. Il y avait des écarts inexpliqués entre son affidavit et les résultats des tests fournis par Quay Pharma.

 

[21]           Trois autres témoins de Quay Pharma ont comparu comme témoins des faits et bien que leur témoignage ait pu être pertinent, il n’est pas déterminant en l’espèce.

 

[22]           Après avoir examiné la preuve en détail, la Cour conclut que la preuve de Ratiopharm  était en général plus solide et donc plus convaincante.

 

[23]           Bien que les parties aient décrit la personne versée dans l’art de manière légèrement différente, il n’y a aucune distinction importante entre leurs définitions. La personne versée dans l’art détient un grade universitaire en pharmacie, en chimie ou dans un domaine connexe et elle a de l’expérience en matière de conception de formulations et d’évaluation des formes posologiques. Si la personne en question détient un grade universitaire plus élevé, il n’est pas nécessaire que l’expérience requise soit de longue date.

 

III.       LES QUESTIONS EN LITIGE

[24]           Voici les questions qui se posent dans la présente instance :

a)         Quelle est l’interprétation appropriée des revendications?

b)         Le brevet 772 est‑il valide ou Ratiopharm a‑t‑elle prouvé l’invalidité pour cause d’antériorité, d’évidence, d’ambigüité des revendications, de portée des revendications plus large que l’invention, de caractère inopérant/inutilité, de prédiction valable, d’insuffisance de la divulgation et de double brevet ou une combinaison de ces causes?

c)         Le médicament proposé de Ratiopharm contrefait‑il le brevet de Sanofi‑Aventis – plus particulièrement le comprimé de Ratiopharm contient‑il un diluant?

 

IV.       ANALYSE

A.        Questions préliminaires

            1)         Le fardeau de la preuve

[25]           Sanofi‑Aventis soutient que le fardeau de la preuve en ce qui a trait à la validité (contrairement à la contrefaçon) est inversé et que la charge revient à Ratiopharm parce que seule Ratiopharm connaît les motifs pour lesquels elle prétend que le brevet est invalide.

 

[26]           Il ne s’agit pas d’une interprétation appropriée du droit existant. Tout au plus, comme l’a dit le juge Nadon dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, la seconde personne (Ratiopharm en l’espèce) a pour seule charge de mettre « en jeu » la question en litige et de présenter des éléments de preuve à l’appui.

 

[27]           Le juge Hughes a énoncé ainsi les diverses étapes de preuve dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11, au paragraphe 32 :

À mon avis, la décision de chacune des deux formations de la Cour d’appel fédérale n’est pas substantiellement divergente. Le juge Mosley de la Cour a concilié ces deux décisions dans les motifs qu’il a énoncés dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [2007] A.C.F. no  971, 2007 CF 971 (aux paragraphes 44 à 51). Certains éléments, formulés comme suit, sont requis lorsque sont soulevées des questions de validité d’un brevet :

 

1.         La seconde personne peut, dans son avis d’allégation, soulever un ou plusieurs motifs pour faire valoir l’invalidité.

 

2.         La première personne peut, dans son avis de demande déposé auprès de la Cour, lier contestation à l’égard d’un ou de plusieurs de ces motifs.

 

3.         La seconde personne peut produire une preuve pendant l’instance devant la Cour pour étayer les motifs à l’égard desquels a été liée contestation.

 

4.         La première personne peut, à ses risques, se fier simplement sur la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P‑4] ou, si elle est plus prudente, présenter sa propre preuve quant aux motifs d’invalidité mis en cause.

 

5.         La Cour apprécie la preuve. Si la première personne se fie uniquement sur la présomption, la Cour va malgré cela apprécier la solidité de la preuve produite par la seconde personne. Si cette preuve n’est pas concluante ni pertinente, la présomption prévaudra. Si les deux parties produisent une preuve, la Cour appréciera la preuve et tranchera la question selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités.

 

6.         Si la preuve de l’une et l’autre partie s’équivaut à l’étape 5 (ce qui est rare), le requérant (la première personne) n’aura pas réussi à démontrer l’absence de fondement de l’allégation d’invalidité et n’aura pas droit à la délivrance de l’ordonnance d’interdiction sollicitée.

 

[28]           Il incombait donc à Sanofi‑Aventis de démontrer que les allégations de Ratiopharm n’étaient pas fondées. Il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour mettre en jeu la question de la validité.

 

2)         Le caractère suffisant de l’avis d’allégation

[29]           Sanofi‑Aventis a plaidé que l’avis d’allégation de Ratiopharm était insuffisant, surtout en ce qui concerne la question de la contrefaçon, parce que Ratiopharm a décrit l’un de ses excipients, […], comme un liant, non comme un diluant, puis a fait alors valoir que celui‑ci était les deux : premièrement un délitant et deuxièmement un liant.

 

[30]           Considéré dans son ensemble, l’avis d’allégation de Ratiopharm a satisfait au critère essentiel applicable, à savoir fournir à Sanofi‑Aventis suffisamment d’information pour qu’elle sache ce qu’elle avait à réfuter (Merck Frost Canada Inc. c. Canada (2000), 8 C.P.R. (4th) 87, conf. 12 C.P.R. (4th) 447 (C.A.F.)).

 

[31]           Le point fondamental est que Ratiopharm a affirmé ne pas avoir contrefait le brevet parce que son excipient n’était pas un diluant et que l’absence d’un diluant dans la formulation permettait d’éviter la contrefaçon. La question de savoir quel autre rôle peut jouer l’excipient de Ratiopharm ne constitue qu’une sous‑catégorie de la prémisse de base selon laquelle l’excipient en cause n’agit pas comme diluant dans les comprimés de Ratiopharm.

 

[32]           Sanofi‑Aventis connaissait ce point et y a répondu. Sanofi‑Aventis n’a subi aucun préjudice. Les deux parties savaient que l’excipient de Ratiopharm avait des utilisations multiples et qu’il était un délitant et un liant en même temps. Par conséquent, l’avis d’allégation n’était pas déficient.

 

B.         L’interprétation des revendications

[33]           La validité des revendications 1, 2, 22, 33, 34, 35 et 36 est en litige dans la présente affaire. Comme il a déjà été mentionné, la revendication 1 constitue l’élément clé dont dépendent les autres revendications.

 

[34]           Le tribunal doit d’abord interpréter le brevet du point de vue de la personne fictive versée dans l’art, destinataire du brevet. Le brevet doit recevoir une interprétation téléologique (Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 SCC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024).

 

[35]           Dans une certaine mesure, la question est de savoir quelle est la promesse contenue dans le brevet 772. Le marché social par lequel le breveté obtient un monopole sur l’invention comprend la promesse que l’invention revendiquée est nouvelle, qu’elle fonctionne et qu’une personne versée dans l’art peut comprendre en quoi elle consiste.

 

[36]           La revendication 1 est rédigée comme suit :

Une composition pharmaceutique qui comprend, en poids : a) de 20 à 70 % environ d’irbesartan ou d’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, b) de 1 à 70 % environ de diluant, c) de 2 à 20 % environ de liant; d) de 1 à 10 % environ de délitant, e) de 0,1 à 5 % environ d’antiadhérent et f) de 0,2 à 5 % environ de lubrifiant et, au choix, g) de 0,2 à  6 % environ de surfactant et/ou h) jusqu’à environ 2 % d’agent colorant, où le comprimé formé de ladite composition a une vitesse de dissolution telle qu’environ 80 % ou plus de l’irbesartan ou d’un de ses sels contenus dans le comprimé se dissout en l’espace de 30 minutes.

 

[37]           Une des principales questions contentieuses est de savoir si la vitesse de dissolution de 80 % ou plus en 30 minutes est une promesse de performance ou une limitation de la formulation – que ce n’est que lorsque la formulation atteint cette vitesse de dissolution qu’elle est visée par la revendication. Cette polémique est finalement inutile parce que le brevet est invalide, quelle que soit l’interprétation.

 

[38]           Les parties conviennent que les excipients énumérés dans le brevet (autres que les deux excipients facultatifs) sont tous des éléments essentiels. Elles ne s’accordent pas cependant sur 1) la signification d’« environ », 2) sur la signification de « de préférence » pour caractériser les excipients ni 3) sur la signification de « où » pour l’interprétation de la vitesse de dissolution dans la revendication 1.

 

[39]           Le terme « environ » n’est pas défini dans le mémoire descriptif, comme c’est souvent le cas pour les brevets qui promettent une performance. En l’absence d’une indication quelconque sur l’intervalle désigné par le terme « environ » dans le brevet, la preuve d’expert qui permettrait de régler ce point est contradictoire quant à l’ampleur dudit intervalle.

 

[40]           Sanofi‑Aventis soutient qu’il s’agissait de [traduction] « 10 % au maximum » et bien que Ratiopharm ne soit pas d’accord, M. Lee a reconnu que le seuil de 10 % était la norme dans la Pharmacopée américaine et il s’est servi de la règle de 10 % à la fois dans certains de ses brevets et dans son affidavit.

 

[41]           Selon la meilleure preuve, il est probable qu’une personne versée dans l’art consulte de tels textes. La Cour reconnaît que le terme « environ » signifie « 10 % au maximum ».

 

[42]           Dans le brevet en cause, le problème ne tient pas à la limite de 10 % pour la composition, mais plutôt au grand intervalle de variation revendiqué pour chaque ingrédient – de 20 à 70 % pour l’irbesartan; de 2 à 20 % pour le liant; de 1 à 70 % pour le diluant; de 1 à 10 % pour le délitant, etc.

 

[43]           Pour ce qui est du terme « de préférence », il n’est pas employé dans la revendication 1 pour décrire les excipients. L’argument de Ratiopharm sur ce point paraît viser le manque de clarté du brevet, soit le problème évoqué au paragraphe précédent. C’est une question de validité et non d’interprétation.

 

[44]           La véritable question est de savoir si un ingrédient devrait être classifié, notamment lorsqu’il peut jouer plusieurs rôles, en fonction de son rôle principal dans la formulation. Cet argument est pertinent en ce qui a trait à l’excipient de Ratiopharm, qui est un ingrédient à rôles multiples.

 

[45]           Considérant la règle de l’interprétation téléologique qui vise à établir le véritable enseignement du brevet, il convient d’attribuer à l’ingrédient/excipient son rôle principal dans le brevet.

 

[46]           Quant à la signification du mot « où » dans le brevet en cause, sa place dans la revendication, à la fin après les ingrédients énumérés, donne une certaine indication de sa signification. Le libellé est « […] où un comprimé formé de ladite composition a une vitesse de dissolution telle […] ».

 

[47]           Le brevet promet plus qu’une formulation d’irbesartan établie en fonction de ses caractéristiques physiques. De l’avis de la Cour, cette formulation laisse augurer que le comprimé formé à partir du mélange d’ingrédients aura la vitesse de dissolution indiquée.

 

[48]           Cette interprétation concorde avec l’accent mis sur la vitesse de dissolution – elle fait partie de ce que revendique la titulaire du brevet. Sanofi‑Aventis et M. Cartilier ont déclaré à maintes reprises que la façon de formuler l’irbesartan en vue de produire un comprimé à libération immédiate était une idée nouvelle et originale. M. Cartilier a soutenu que l’art antérieur décourageait une telle formulation. Ainsi, selon sa propre preuve, Sanoti‑Aventis indique que le brevet promet que si l’on suit la formulation des composants, on obtiendra la vitesse de dissolution recherchée.

 

[49]           Tel qu’il est dit précédemment, même si selon l’interprétation correcte des revendications la vitesse de dissolution constituait une limitation, l’argument de Sanofi‑Aventis ignore d’autres aspects d’une contestation de la validité. L’interprétation de Sanofi‑Aventis reviendrait à prétendre que si quelqu’un était assez chanceux pour trouver, parmi les vastes intervalles de variation revendiqués, la composition précise qui donne la vitesse de dissolution recherchée, cette personne aura contrefait le brevet – Sanofi‑Aventis revendique le résultat et non le procédé.

 

[50]           Après avoir tranché les questions relatives à l’interprétation des revendications, l’étape suivante consiste à aborder les questions relatives à l’invalidité.

 

C.        La validité

[51]           Comme il a été dit précédemment, cette tentative de créer des compartiments étanches lorsque les arguments et la preuve se chevauchent en bonne partie porte à croire que la meilleure approche est celle fondée sur « l’uniformité du droit » que le juge Harrington adopte dans la décision Purdue Pharma c. Pharmascience Inc., 2009 CF 726.

 

[52]           Les arguments fondamentaux portent sur la question de savoir si l’invention en cause est une nouvelle invention relative à l’irbesartan et, dans l’affirmative, s’il est divulgué à son égard suffisamment de détails et de paramètres pour qu’elle soit valide.

 

[53]           S’agissant de l’antériorité et du double brevet, le critère énoncé dans l’arrêt Beloit Canada Ltd. et al c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, veut qu’au moins un seul document renferme des instructions d’une telle clarté qu’une personne versée dans l’art « arrivera infailliblement à l’invention revendiquée ». Ce critère a été perfectionné dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, où l’on a précisé que l’absence d’inventivité ne fait pas partie de l’examen relatif à l’antériorité.

 

[54]           Je ne suis pas convaincu que le document d’art antérieur invoqué satisfasse à ce critère sauf en ce qui concerne la revendication 36 (qui sera analysée plus loin). Plus particulièrement, les revendications du brevet 913 ne sont pas identiques. Le brevet 772 est « distinct » sur le plan de la brevetabilité – l’avantage particulier est la capacité de produire l’irbesartan sous forme de comprimés qui se dissolvent rapidement.

 

[55]           Par contre, l’évidence est un problème important pour le brevet 772. Le critère applicable est énoncé dans l’arrêt Beloit, précité, à la page 294 :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment ou l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

[56]           Dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, précité, le juge Rothstein a perfectionné ou reformulé quelque peu le critère pour qu’il incorpore la notion d’« essai allant de soi ».

66  Pour conclure qu’une invention résulte d’un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention.  La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas.

 

67  Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.).  La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté.  Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

       [traduction]

Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

 

(1)               a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2)        Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3)        Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4)        Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?  [Je souligne.]

 

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

 

            i.          Dans quels cas la notion d’« essai allant de soi » est‑elle pertinente?

 

68  Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué.  Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation.  Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables.

 

            ii.          « Essai allant de soi » : éléments à considérer

 

69  Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence.  Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

 

1.         Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?  Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2.         Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention?  Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3.         L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

70  Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important.  Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’antériorité.  Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

 

[57]           Le problème principal du brevet 772 tient au fait que c’est un brevet « allant de soi ». Pour les motifs qui suivent, il semble que le brevet exige des essais successifs avant qu’on puisse obtenir une vitesse de dissolution de 85 %.

 

[58]           M. Sprockel a déclaré que ce n’est qu’après de longs tests qu’on a abouti à la formulation dans le brevet 772. Les experts de Ratiopharm ont affirmé qu’il était courant d’effectuer de tels tests et que la démarche serait réactive. La preuve finale indique cependant que Sanofi‑Aventis n’a jamais obtenu 70 % de principes actifs dans un de ses tests. Elle a réussi au mieux à obtenir 50 %. Bien que la formulation – si large soit‑elle – puisse aller de soi, le fait de ne pas avoir obtenu 70 % soulève les questions d’utilité et de prédiction valable.

 

[59]           Bien qu’il n’existe aucune gamme d’excipients constante et acceptable dans les brevets de formulation, la plupart des affaires soumises à notre Cour précisent les matériels composant un comprimé. La jurisprudence reconnaît l’existence d’une gamme dans la mesure où ce qui constitue une quantité « efficace » reste clair et précis.

 

[60]           Il est clairement établi en droit qu’une revendication de brevet ne doit pas être plus large que l’invention qui est faite ni l’invention divulguée (Pfizer Canada, précité, au paragraphe 115). L’étendue importante des gammes présentes dans ce brevet est manifeste. Étant donné le nombre d’excipients et les tranches de pourcentages, le nombre de permutations et de combinaisons qui en découlent est extrêmement élevé.

 

[61]           Vu l’interprétation des revendications donnée par la Cour, selon laquelle le brevet comprend une promesse, la situation est analogue à une recette qui promet un résultat. Toutefois, comme nous l’avons vu et comme nous le verrons encore plus loin, Sanofi‑Aventis n’a pas été en mesure de remplir la promesse du brevet.

 

[62]           Même en acceptant l’interprétation des revendications donnée par Sanofi‑Aventis selon laquelle la vitesse de dissolution constitue une limitation, comme nous l’avons vu au paragraphe 49, Sanofi‑Aventis revendique le résultat des efforts fructueux d’autrui.

 

[63]           Dans l’arrêt Free World Trust, précité, le juge Binnie a dit ce qui suit :

L’ingéniosité propre à ces brevets ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir.  La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité.

 

C’est ce qu’a fait essentiellement Sanofi‑Aventis par sa propre interprétation.

 

[64]           Sanofi‑Aventis s’appuie sur la décision de notre Cour, Purdue Pharma, précitée, à titre d’exemple d’un cas où un profil de dissolution a été jugé acceptable parce qu’inventif à l’intérieur d’une gamme acceptable.

 

[65]           Toutefois, l’affaire Purdue Pharma se distingue de l’espèce parce que le rendement de la dissolution n’était pas le résultat souhaité mais un moyen de l’obtenir. Dans cette affaire‑là, les diverses vitesses de dissolution liées au profil ont mené à la création d’une matrice et ont permis la mise au point d’un comprimé à libération contrôlée sur une période de 12 heures. L’élément inventif était la libération contrôlée au sein d’une combinaison d’excipients.

 

[66]           La demanderesse a commencé par prétendre que le profil de dissolution constituait « l’essence du brevet » (la promesse), puis qu’il en constituait un élément essentiel. La Cour a déjà conclu que le profil de dissolution constitue la promesse.

 

[67]           Un problème fondamental découle de la promesse, à savoir qu’il n’est pas évident pour une personne versée dans l’art quel élément produira le résultat promis et dans quelles proportions. Les experts s’entendent sur la nécessité d’effectuer un grand nombre de tests pour pouvoir trouver la formulation correcte. Cela confirme la portée excessive du brevet pour accomplir la promesse.

 

[68]           La position de la demanderesse selon laquelle le brevet 772 s’apparente à un brevet de sélection et qu’elle peut donc choisir tout simplement parmi ce qui avait déjà été revendiqué, ne peut être maintenue. Pour remplir les critères relatifs à un brevet de sélection, les éléments connus sélectionnés d’un autre brevet doivent être « nouveaux » et le composé doit posséder « une propriété particulière imprévue » (Sanofi‑Synthelabo, précité).

 

[69]           Par conséquent, un brevet de sélection identifie un composé et son utilisation au lieu de fournir une formulation pour des composés déjà connus. Comme il est indiqué dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (C.A.F.), 2006 CAF 214, l’idée originale consiste à identifier les caractéristiques particulières d’un composé donné appartenant à un groupe plus étendu de composés et à décrire une nouvelle utilisation de ce composé.

 

[70]           Le brevet 772 n’a pas pour objet d’isoler un composé particulier et de décrire une nouvelle utilisation de celui‑ci.

 

[71]           La portée du brevet 772 ne va pas seulement au‑delà de la portée de la divulgation, elle empêche la demanderesse d’en établir l’utilité ou la prédiction valable. La demanderesse n’était pas en mesure de démontrer avoir obtenu une proportion de 70 % de principe actif (irbesartan) dans l’un quelconque de ses tests, mais elle revendique dans le brevet une proportion de 70 % (ou 77 % si le terme « environ » signifie 10 %).

 

[72]           Tout ce que Sanofi‑Aventis a pu obtenir était une proportion de 50 % d’irbesartan, comme il a été divulgué dans les exemples. Puisqu’elle n’a pas réussi à établir une utilité réelle, la demanderesse doit démontrer que l’irbesartan peut être valablement prédit dans des proportions plus élevées, de 70 à 77 %.

 

[73]           Comme dans l’exemple de la « machine volante plus lourde que l’air » donné par le juge Binnie dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Limited, [2002] 4 R.C.S. 153, la divulgation du brevet doit préciser comment la machine arriverait à voler ou prédire valablement sa capacité de voler. Or le brevet 772 ne précise pas le mode de fonctionnement de la formulation et Sanofi‑Aventis n’a pas été non plus en mesure d’arriver à faire « voler » la concentration plus élevée d’irbesartan qui est revendiquée.

 

[74]           Compte tenu de ces lacunes et des propres tests de Ratiopharm menant à une proportion de 64 % seulement, la prédiction valable ne peut être établie.

 

[75]           La prédiction valable exige plus qu’une approche « tous azimuts » qui utilise les connaissances existantes dans l’espoir d’obtenir le résultat souhaité par un heureux hasard.

 

[76]           Le brevet 772 ne divulgue aucun fondement factuel ou raisonnement valable qui permettrait de conduire aux concentrations plus élevées d’irbesartan.

 

[77]           Sanofi‑Aventis a revendiqué trop par la concentration de 70 % et a fourni trop peu d’instructions pour montrer comment arriver au résultat revendiqué.

 

[78]           L’arrêt American Home Products c. Novartis Pharmaceuticals, [2001] R.P.C. 8 (C.A. Angl.), décrit au paragraphe 40 la différence entre réaliser l’invention décrite dans un brevet et vérifier comment fonctionne cette invention :

[traduction] Il existe une différence entre, d’une part, un mémoire descriptif qui exige que la personne versée dans l’art fasse preuve de compétence et d’application pour réaliser l’invention et, d’autre part, un mémoire descriptif qui demande à la personne versée dans l’art de faire des dépenses et des efforts pour tenter de vérifier si un produit donné possède les propriétés requises. Dans le premier cas, la personne versée dans l’art cherche à réaliser l’invention alors que dans le second, elle doit aller plus loin et effectuer des recherches pour vérifier comment doit être réalisée l’invention. Dans le second cas, on peut penser que le mémoire descriptif est insuffisant.

 

[79]           Même dans le cas de l’approche plus souple des « essais successifs » et de la notion d’« essai allant de soi » confirmée dans Sanofi‑Synthelabo, précité, un brevet ne peut pas exiger une expérimentation excessive ou la réalisation d’essais prolongés et difficiles pour parvenir à la promesse du brevet.

 

[80]           De plus, le brevet 772 ne divulgue pas suffisamment d’éléments pour accomplir sa promesse. La preuve d’expert de Ratiopharm à cet égard est convaincante et étayée par la propre incapacité de Sanofi‑Aventis d’obtenir les concentrations d’irbesartan revendiquées dans le brevet. Essentiellement, le témoignage de M. Lee porte que la portée des gammes revendiquées dans le brevet est si large qu’une personne versée dans l’art saurait que certaines compositions ne correspondraient pas au profil revendiqué. La vitesse de dissolution dépend de plusieurs facteurs et pourtant il n’y a aucune indication quant à la façon d’obtenir la dissolution souhaitée.

 

[81]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut que l’allégation d’invalidité en ce qui concerne les revendications 1, 2, 22, 33, 34 et 35 est justifiée. La revendication 36 appelle des considérations distinctes.

 

1)         Revendication 36

[82]           La revendication 36 met en garde contre l’ajout de deux excipients particuliers lorsque la composition renferme de l’hydrochlorothiazide (HCTZ) et de l’irbesartan.

 

[83]           Comme le confirme le témoignage de M. Lee, la seule différence entre les enseignements tirés de la demande 778, du brevet 913, des pièces d’art antérieur (en particulier la monographie du produit Hydro‑Diuril (HCTZ) et l’article de Desai) et l’idée originale de la revendication 36 est la divulgation explicite dans le brevet 772 que l’absence des excipients povidone et poloxamère réduit la dégradation de l’HCTZ.

 

[84]           Il n’en reste pas moins que ce résultat aurait été inévitablement obtenu par les formulations revendiquées dans la demande 778 parce que la povidone et le poloxamère y sont absents.

 

[85]           L’idée originale de la revendication 36 aurait été évidente pour la personne versée dans l’art car, du point de vue scientifique, commercial et réglementaire, un certain degré de stabilité dans les formulations est requis. Il existe clairement un motif pour trouver des formulations stables.

 

[86]           Comme le souligne M. Lee, des formulations d’HCTZ ne contenant pas de povidone ni de poloxamère étaient vendues sur le marché avant le 7 juin 1995 sous le nom commercial Hydro Diuril. Cette formulation commerciale aurait constitué le point de départ pour la fabrication des produits combinés d’HCTZ. La povidone et le poloxamère n’auraient été ajoutés que comme autres excipients possibles si la formulation d’Hydro Diuril avait présenté certains problèmes.

 

[87]           Sanofi‑Aventis a brandi un « épouvantail », les pièces d’art antérieur n’ayant jamais indiqué que la povidone et le poloxamère devraient être utilisés avec l’HCTZ. Or il n’y a rien d’original à trouver une solution à un problème qui n’a jamais existé ou une solution qui a déjà été décrite dans l’art antérieur (SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2002 CAF 216).

 

[88]           La revendication 36 est invalide car l’allégation d’évidence de Ratiopharm est justifiée, ou, subsidiairement, parce que la revendication était antériorisée.

 

D.        Contrefaçon

[89]           Compte tenu de la décision de la Cour concernant la validité, il peut ne pas être strictement nécessaire de traiter de la contrefaçon. Par souci d’exhaustivité, la Cour se penchera cependant sur cette question.

 

[90]           La question fondamentale que pose cet aspect du litige consiste à savoir si l’excipient de Ratiopharm dans le comprimé de Ratiopharm joue le rôle d’un diluant. Si tel est le cas, et c’est ce qu’affirme Sanofi‑Aventis, la formulation de Ratiopharm contreferait le brevet 772. Un diluant est essentiellement un agent de remplissage qui est utilisé pour créer la masse nécessaire en vue d’obtenir un comprimé de la taille désirée.

 

[91]           Selon M. Cartilier, l’excipient de Ratiopharm dans le comprimé de Ratiopharm était un diluant, alors que M. Lee arrive à la conclusion contraire. Comme nous l’avons indiqué précédemment, la Cour privilégie en général le témoignage de M. Lee plutôt que celui de M. Cartillier.

 

[92]           Comme l’indique M. Lee, une personne versée dans l’art saurait qu’un excipient peut exercer plus d’une fonction, mais le brevet indique qu’un excipient doit être classé dans une seule catégorie de fonction. En plus de jouer le rôle d’un diluant (agent de remplissage), un excipient peut également être un liant qui facilite la granulation et un agent délitant qui facilite la dégradation des comprimés dans l’organisme.

 

[93]           M. Cartilier établit quatre facteurs qui doivent être examinés lorsqu’on veut déterminer le rôle principal d’un excipient : la nature et la fonction, le pourcentage dans la formulation, l’usage dans la formulation et le contexte. Il fait par la suite abstraction en grande partie de ces facteurs lorsqu’il traite de l’excipient de Ratiopharm, il élabore une théorie de l’usage progressif de l’excipient de Ratiopharm comme diluant et n’effectue aucun test sur les comprimés de Ratiopharm pour déterminer si l’excipient de Ratiopharm a été utilisé comme diluant.

 

[94]           M. Lee a comparé la nature des diluants et des liants et la fonction qu’ils doivent exercer avec l’excipient de Ratiopharm dans la composition. Il a examiné comment l’excipient de Ratiopharm est intégré dans le comprimé, comment il aide à lier un matériel « floconneux » comme l’irbesartan tout en offrant des propriétés de délitement (particulièrement la solubilité) et comment tout cela est conforme aux publications techniques.

 

[95]           Les diluants ne constituent pas un ingrédient nécessaire dans les comprimés. Leur principale fonction consiste à rendre un comprimé plus gros qu’il ne le serait autrement. Les données montrent que si la dose du principe actif est importante, seule une quantité faible, voire nulle, de diluant est requise.

 

[96]           Malgré le large intervalle de variation en pourcentage du diluant revendiqué dans le brevet, les inventeurs indiquent dans le mémoire descriptif que le diluant utilisé devrait se situer à la limite de poids inférieure. Il est également dit dans le brevet que les compositions renfermeront une masse minimale d’excipients. Toutes ces indications montrent que s’il y a une quantité suffisante de principe actif, un diluant peut ne pas être requis.

 

[97]           Le comprimé de Ratiopharm contient de 63,3 à 64 % d’irbesartan, ce qui est relativement important comparativement à la teneur en principes actifs dans d’autres brevets et dépasse la quantité qu’a réussi à obtenir Sanofi‑Aventis. En plus de contenir de plus grandes quantités du principe actif, les comprimés de Ratiopharm sont d’une masse inférieure à celle des comprimés de Sanofi‑Aventis (118,25 mg c. 150 mg; 235,35 mg c. 300 mg; 468,46 mg c. 600 mg).

 

[98]           Dans les exemples du brevet 772, la quantité en poids de diluant variait entre 19,4 % et 35,5 %. L’utilisation par Ratiopharm de son excipient à une quantité se situant dans l’intervalle intermédiaire de 20 % ne semblerait pas ajouter de la masse à un comprimé, vu qu’il est à prévoir que la quantité de tout diluant dans le comprimé serait beaucoup plus faible étant donné que la masse du comprimé est inférieure et qu’il y a plus de principe actif.

 

[99]           L’excipient de Ratiopharm est constamment cité pour ses propriétés de liaison – caractéristique importante lorsqu’on a affaire à un matériau floconneux – et il est abondamment utilisé comme délitant.

 

[100]       D’après M. Lee, il n’est pas étonnant que, dans le comprimé de Ratiopharm, l’excipient de Ratiopharm soit présent en quantité assez élevée, dans les limites acceptables pour un liant, parce que le comprimé de Ratiopharm renferme une plus grande quantité de la substance floconneuse (irbesartan) que le comprimé de Sanofi‑Aventis.

 

[101]       Cette preuve a été étayée par plusieurs tests indiquant qu’une quantité de l’ordre de 20 % de l’excipient de Ratiopharm utilisé comme liant ou délitant est acceptable. Cela corrobore également les données tirées de l’art antérieur. Enfin, les proportions de liant d’environ 25 % sont acceptables selon le Handbook of Pharmaceutical Excipients et se situent dans le même intervalle de variation que le pourcentage total des liants (excipient de Ratiopharm et l’autre liant, le povidone) dans le comprimé de Ratiopharm.

 

[102]       L’autre preuve sur laquelle s’appuie Sanofi‑Aventis, soit le brevet américain 068 et le brevet européen 108, se distingue du brevet 772 et de la formulation proposée par Ratiopharm et n’affaiblit pas la preuve que l’excipient de Ratiopharm n’est pas utilisé comme diluant.

 

[103]       Vu qu’un liant est nécessaire pour fabriquer l’irbesartan et qu’il importe que ce type de médicament se désintègre rapidement, il est difficile de voir comment l’excipient de Ratiopharm aurait joué le rôle « principal » de diluant dans un comprimé qui n’exige pas de masse supplémentaire. Sanofi‑Aventis a été incapable, selon la prépondérance de la preuve, d’établir que l’excipient de Ratiopharm dans les comprimés de Ratiopharm joue ce rôle principal de diluant.

 

[104]       La Cour estime donc que, dans le cadre d’une instance relative à un AC, la formulation proposée par Ratiopharm ne contrevient pas au brevet 772.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande d’ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Ratiopharm Inc. pour sa version générique de comprimés d’irbesartan à administration orale présentée sous la forme de comprimés de 75 mg, 150 mg et 300 mg., avant l’expiration des brevets canadiens nos 2,057,913 et 2,177,772, est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse Ratiopharm Inc.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑370‑08

 

INTITULÉ :                                                   SANOFI‑AVENTIS CANADA INC.

 

                                                                        et

 

                                                                        RATIOPHARM INC. et

                                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

                                                                        et

 

                                                                        SANOFI‑AVENTIS

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 19, 20 et 21 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT

(Version publique):                                        Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 5 mars 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

James E. Mills

Chantal Saunders

 

POUR LA DEMANDERESSE

Douglas Deeth

Nicholas Wong

POUR LA DÉFENDERESSE

RATIOPHARM INC.

 

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON, s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

DEETH WILLIAMS WALL, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

RATIOPHARM INC.

 

 

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