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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100304

Dossier : IMM-2831-09

Référence : 2010 CF 249

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

GILBERTO VALDEZ CASTRO

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite la révision et l’annulation d’une décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu qu’il n’avait pas la qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et le statut de réfugié, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]               La question déterminante était de savoir si le demandeur avait fait des démarches raisonnables pour tenter d’obtenir la protection de l’État avant de demander l’asile au Canada, et si ces démarches avaient réfuté la présomption de protection de l'État. Pour les raisons qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

Contexte

[3]               Gilberto Valdez Castro est un citoyen du Mexique.  Les raisons de sa crainte découlent de sa participation involontaire à une fraude en matière d’immigration.

 

[4]               M. Valdez Castro a été embauché par une entreprise pour recruter de futurs émigrants avec la perspective d’obtenir un visa de travail aux États-Unis. Il devait toucher 1 500 pesos par semaine, plus un montant de 50 pesos par recrue inscrite. En retour, les recrues devaient fournir leur passeport à l’entreprise plus un montant de 650 $ US.

 

[5]               M. Valdez Castro a recruté 129 personnes. Parmi les 129 personnes recrutées, six d’entre elles lui ont soumis à deux occasions différentes leur passeport; les passeports contenaient les mêmes photos, mais des noms différents, ce qui a éveillé des soupçons chez M. Valdez Castro. Il a donc soumis un rapport anonyme à la police concernant les documents suspects.

 

[6]               L’entreprise n’a jamais fourni les visas de travail et a disparu avec l’argent des recrues. M. Valdez Castro affirme que les victimes de l’escroquerie, plus particulièrement les six individus ayant soumis les passeports suspects, sont devenues furieuses et ont commencé à le menacer.

 

[7]               Le 20 novembre 2006, les six hommes se sont présentés à son bureau pour être remboursés et pour récupérer leurs passeports. Ils ont informé M. Valdez Castro qu’ils travaillaient pour Vicente Carillo Fuentes, soit l’une des familles présumément liées au trafic de stupéfiants au Mexique. M. Valdez Castro a été menacé de mort s’il ne leur remettait pas les passeports et l’argent.

 

[8]               Deux jours plus tard, trois des six hommes sont retournés au bureau de M. Valdez Castro pour le menacer avec des pistolets. Ils lui ont lancé des menaces similaires aux précédentes et l’ont avisé qu’ils étaient au courant qu’il avait signalé leurs passeports suspects aux autorités. M. Valdez Castro affirme qu’il a soumis un rapport de cet incident à la police, mais qu’il n’a eu aucun suivi.

 

[9]               Le 30 novembre 2006, les six hommes sont retournés pour récupérer leurs passeports. Les hommes ont menacé de nouveau M. Valdez Castro s’il ne leur redonnait pas l’argent. M. Valdez Castro affirme qu’après cet incident, il a constaté qu’il était suivi et surveillé.

 

[10]           En raison de ses craintes, M. Valdez Castro et sa famille ont déménagé à Culiacan, une plus grande ville, espérant échapper aux six hommes, mais ceux-ci ont réussi à les retrouver. M. Valdez Castro affirme qu’il a encore été suivi à compter d’avril 2007 et que des coups de feu ont été tirés sur sa maison en mai 2007. Il s’est plaint à la police, qui n’a rien fait, et le jour suivant il a déménagé de nouveau dans une nouvelle ville, à Jalisco.

 

[11]           Selon M. Valdez Castro, le 2 mars 2008, à Jalisco, l’un des six hommes aurait tenté de le forcer hors de la route. Il n’a pas signalé cet incident à la police, et a plutôt décidé de s’enfuir au Canada. Il est arrivé au Canada le 19 mars 2008 et a présenté une demande d’asile le 3 avril 2008.

 

[12]           La Commission a commencé en indiquant qu’étant donné que la crainte du demandeur découle d’actes criminels déjà perpétrés ou qui auraient été perpétrés contre lui, sa demande d’asile serait uniquement évaluée en vertu de l’article 97 de la Loi.

 

[13]           La Commission a examiné les allégations de violence du demandeur et a indiqué qu’il était déménagé à différents endroits à l’intérieur du Mexique pour éviter des actes de violence supplémentaires. La Commission a également souligné les démarches faites par le demandeur pour tenter d’obtenir la protection de l’État, ses allégations portant que les autorités n’ont rien fait pour l’aider et le fait qu’il n’a pas signalé tous les incidents à la police. La Commission a conclu que le demandeur :

[…] avait l’expérience nécessaire pour s’adresser aux représentants de divers échelons. Il aurait pu signaler les actes commis par les individus aux autorités locales où les incidents ont eu lieu. […] Il incombe au demandeur d’asile, s’il est d’avis que certains policiers sont corrompus, d’aller voir d’autres membres des forces de sécurité ou d’autres représentants des autorités […]. Il a choisi de ne pas s’adresser aux autorités à Culiacan et Acatlan de Juarez. […] Aucune preuve n’a été soumise montrant que les autorités à Culiacan et à Acatlan de Juarez n’étaient pas capables de l’aider ou n’étaient pas disposées à le faire.

 

[Je souligne.]

 

[14]           La Commission a examiné la structure de la police au Mexique et les recours dont le demandeur disposait s’il jugeait que le manque d’efficacité de l’intervention policière à la suite de ses plaintes était dû à la corruption. La Commission a reconnu que la corruption est un problème continu au Mexique, mais a ensuite statué que le gouvernement mexicain prend des mesures pour régler ce problème. La Commission a également examiné les efforts déployés par le gouvernement mexicain pour régler les problèmes liés au trafic de stupéfiants.

 

[15]           La Commission a conclu que le demandeur pouvait bénéficier d’une protection étatique adéquate, malgré ses quelques failles, et qu’il ne s'est pas déchargé du fardeau de prouver de manière claire et convaincante que l’État ne pouvait le protéger.

 

[16]           La Commission a cité le critère à deux volets relatif à la possibilité de refuge intérieur (PRI) énoncé dans Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.). La Commission a indiqué que la ville de Mexico lui fournirait de meilleures possibilités de protection s’il était poursuivi par ses assaillants et s’il n’était pas satisfait de l’intervention des autorités locales. La Commission a statué que le demandeur pouvait bénéficier d’une protection étatique dans la ville de Mexico et que d’après ses études et ses expériences de travail, il serait raisonnable pour le demandeur de se prévaloir de cette PRI.

 

[17]           Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

Questions en litige

[18]           Le demandeur soulève deux questions :

1.                  La décision de la Commission selon laquelle le demandeur pouvait bénéficier d’une protection étatique adéquate contre les menaces de mort proférées par Vicente Carrillo Fuentes était-elle fondée sur une mauvaise compréhension des faits et sur une lecture sélective de la preuve documentaire?

2.                  La décision de la Commission selon laquelle la ville de Mexico représente une possibilité de refuge intérieur viable était-elle fondée sur une mauvaise compréhension des faits relativement aux mesures prises par le demandeur pour se protéger au Mexique et, en tout état de cause, était-elle autrement déraisonnable?

 

1.  Conclusion relative à la protection de l’État

[19]           Le demandeur allègue que les conclusions de la Commission sont viciées parce que (i) la Commission a erronément conclu que le demandeur n’avait pas fait appel aux autorités à la suite d’un incident, alors qu’il l’avait fait, (ii) la Commission n’a pas tenu compte de la preuve documentaire laissant entendre que les plaintes au sujet de la corruption et de l’inefficacité policière n’aboutiraient à rien et (iii) la Commission n’a pas examiné la preuve documentaire laissant croire que les efforts du gouvernement mexicain dans la lutte contre les cartels de la drogue avaient été largement infructueux.

 

[20]           Le défendeur soutient que le demandeur sollicite indûment l’intervention de la Cour afin qu’elle réévalue la preuve relative à la question de savoir s’il avait réfuté la présomption de protection de l’État. Le défendeur allègue que les cours de révision devraient faire preuve de déférence à l’égard de l’appréciation de la preuve par les tribunaux administratifs spécialisés : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, paragraphes 61, 62 et 66. Le défendeur affirme que la Commission a raisonnablement évalué les moyens de protection qui s’offraient au demandeur ainsi que les mesures prises par le gouvernement mexicain pour lutter contre les cartels de la drogue, et que la Cour ne devrait pas modifier les décisions de la Commission.

 

[21]           Le défendeur soutient également que pour qu’une conclusion de fait soit susceptible de contrôle, elle doit être erronée et avoir été tirée de façon arbitraire ou sans tenir compte de la preuve, et la décision doit être fondée sur cette erreur; le défendeur affirme que ces conditions préalables ne sont pas remplies en l’espèce.

 

[22]           Pour les raisons qui suivent, je suis d’accord avec le défendeur que les deuxième et troisième allégations, énoncées au paragraphe 19 ci-dessus, sont des allégations demandant à la Cour de réévaluer la preuve dont a été saisie la Commission. Tel n’est pas le rôle d’une cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[23]           La Commission a fourni un exposé détaillé des menaces et des actes de violence dont a été victime le demandeur au Mexique ainsi que des circonstances ayant menées à ces menaces et à ces actes de violence. La Commission a également noté le profil des assaillants et leurs liens présumés avec les cartels de la drogue notoires au Mexique. La Commission a examiné les interventions des autorités à la suite des plaintes du demandeur. Elle a également examiné les recours dont le demandeur disposait s’il n’était pas satisfait de l’efficacité de l’intervention policière et les efforts du gouvernement mexicain pour lutter contre les cartels de la drogue.

 

[24]           En somme, rien ne démontre que la Commission n’a pas tenu compte ni examiné la preuve documentaire que le demandeur a présentée ou sur laquelle il s’est fondé. Un autre décideur aurait peut-être tranché différemment compte tenu de cette preuve, mais la décision ne peut être annulée pour les motifs invoqués par le demandeur parce que cette décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c.New Brunswick, 2009 CSC 9, par. 47.

 

[25]           Ce qui est plus préoccupant est que la Commission a en effet commis une erreur en déclarant que le demandeur n’avait déposé aucune plainte à la police à la suite de l’incident des coups de feu qui auraient été tirés sur sa maison. Bien qu’il n’ait pas déposé de plainte à la police après l’incident à Acatlan de Juarez, il a porté plainte après l’incident qui s’est produit à Caliacan. Par conséquent, la Commission a mal compris les faits sur cet aspect de l’affaire. La conclusion de la Commission portant que le demandeur n’avait pas tenté d’obtenir la protection de la police lors de cet incident était erronée et a été tirée sans tenir compte de la preuve.

 

[26]           Toutefois, pour pouvoir annuler la décision pour ce motif, je dois être convaincu que cette conclusion de fait erronée était déterminante à l’égard de la décision prise par la Commission. En l’espèce, j’estime que la conclusion de fait n’était pas déterminante à l’égard de la décision. La Commission, comme je l’ai souligné précédemment, a examiné les manquements de la police relativement aux allégations liées aux membres des cartels de la drogue et a noté que des mécanismes étaient en place pour traiter les plaintes de fonctionnaires corrompus. Cela étant, je ne peux conclure que la décision de la Commission relative à la protection de l’État aurait été différente si elle avait indiqué que le demandeur avait porté plainte à la police à Culiacan et que la police n’était pas intervenue. Bref, je suis d’avis que la Commission n’aurait pas tiré une conclusion différente si elle avait bien compris ce fait. Par conséquent, cette erreur de fait n’est pas susceptible de contrôle.

 

2.  Possibilité de refuge intérieur

[27]           Le demandeur allègue que la conclusion de la Commission est déraisonnable parce qu’elle est fondée sur la conclusion tirée par la Commission en matière de protection de l’État, laquelle, selon lui, est déraisonnable.

 

[28]           Bien que la Commission n’indique pas qu’il est improbable que les assaillants du demandeur le suivent jusqu’à la ville de Mexico, la conclusion déterminante est celle relative à la protection de l’État. Les assaillants du demandeur ont déjà démontré qu’ils étaient capables et qu’ils avaient l’intention de le retracer à divers endroits au Mexique. Toutefois, comme il a été dit précédemment, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État n’est pas déraisonnable. La conclusion, en l’espèce, peut s’appliquer de manière équivalente à la ville de Mexico. Par conséquent, la conclusion de la Commission concernant l’existence d’une PRI dans la ville de Mexico n’est également pas déraisonnable.

 

[29]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification. Selon moi, il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2831-09

 

INTITULÉ :                                       GILBERTO VALDEZ CASTRO c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Zinn

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 mars 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nur Muhammed-Ally

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OTIS & KORMAN

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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