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Federal Court

 

Cour fédérale


Date : 20100415

Dossier : IMM-4283-09

Référence : 2010 CF 415

 

Toronto (Ontario), le 15 avril 2010

En présence de Madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

IDA SIREGAR

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision négative rendue sur la demande de résidence permanente qu’elle avait déposée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en alléguant des motifs d'ordre humanitaire. Elle ne m’a pas convaincue que la décision était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

I. Le contexte

 

[2]               La demanderesse est une Indonésienne âgée de 37 ans qui a été admise comme visiteur au Canada le 10 février 2005. Elle affirme avoir été persuadée de venir au Canada par une personne qui l’a amenée à croire qu’elle serait en mesure de gagner ici assez d’argent pour pouvoir rembourser une dette qu’elle avait contractée en Indonésie.

 

[3]               Une fois au Canada, la demanderesse a commencé une liaison avec un Chinois, puis elle est tombée enceinte. Elle soutient que le père de l’enfant l’a abandonnée lorsqu’il a appris qu’elle était enceinte.

 

[4]               Le 12 avril 2006, la demanderesse a été arrêtée sous l’accusation de se trouver au Canada alors qu’elle n’avait pas de visa valide d’immigrante, et qu’elle y travaillait sans permis. Elle a alors demandé l’asile, affirmant qu’elle avait honte et peur de retourner en Indonésie en tant que mère musulmane célibataire d’un enfant métis. Elle disait aussi qu’elle craignait pour sa vie, car elle devait de l’argent à un passeur qui avait facilité son admission au Canada.

 

[5]               La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, estimant que certains aspects de son témoignage n’étaient pas crédibles. Elle a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse qu’elle serait exposée à la persécution en Indonésie pour l’un des motifs prévus par la Convention relative au statut des réfugiés. Elle a estimé aussi que la demanderesse n’était pas une personne à protéger selon les termes du paragraphe 97(1) de la LIPR. La demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision, mais sa demande a été rejetée.

 

[6]               Elle a alors présenté une demande d'évaluation des risques avant renvoi (la demande d'ERAR), ainsi qu’une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Cette dernière demande était fondée en partie sur le risque auquel, selon elle, elle allait être exposée si elle était contrainte de retourner en Indonésie. C’était le même risque que celui qu’elle avait invoqué dans sa demande d'asile. La demanderesse invoquait aussi son niveau d’établissement au Canada et faisait valoir qu’il serait dans l’intérêt supérieur de sa fille née au Canada qu’elle soit autorisée à rester au Canada.

 

[7]               Ces deux demandes ont ultérieurement été rejetées dans deux décisions rendues par le même agent d'évaluation des risques avant renvoi, et la date du renvoi a été fixée au 2 octobre 2009. La demanderesse a sollicité un sursis d’exécution de la mesure de renvoi. Cependant, par ordonnance datée du 1er octobre 2009, la juge Snider a estimé qu’il n’avait pas été établi qu’elle subirait un préjudice irréparable si elle devait retourner en Indonésie, et sa requête en sursis d’exécution a donc été rejetée. On m’a informé que la demanderesse est retournée en Indonésie peu après.

 

II. Analyse

[8]               L’agent a admis que la demanderesse connaîtrait certaines difficultés à s’établir à nouveau si elle devait retourner en Indonésie. Cependant, il a conclu que ces difficultés ne constituaient pas des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[9]               La demanderesse fait valoir que, pour arriver à cette décision, l’agent a tiré plusieurs conclusions de fait qui n’étaient pas confirmées par la preuve. Ainsi, elle affirme que l’agent a conclu qu’elle bénéficierait d’un soutien familial si elle retournait en Indonésie. Selon la demanderesse, cette conclusion était déraisonnable, étant donné qu’elle vient d’une famille musulmane stricte, qui réagirait très mal lorsqu’elle apprendrait qu’elle avait enfanté hors mariage.

 

[10]           Je dois dire toutefois que l’agent n’a pas tiré une conclusion aussi catégorique, affirmant uniquement que la demanderesse serait « sans doute » en mesure d’obtenir un soutien de ses parents et de sa famille. Pour dire cela, l’agent a pris en compte les conclusions de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui avait refusé de croire que la demanderesse venait d’une famille musulmane stricte. Il convient de noter que la demanderesse n’a produit sur ce point aucune preuve nouvelle dans sa demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

 

[11]           La Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait estimé aussi que la prétendue crainte de la demanderesse à l’égard de sa famille lorsque celle-ci apprendrait qu’elle avait enfanté hors mariage était fondée sur des conjectures. L’agent a reconnu que cette conclusion ne s’imposait pas à lui, mais a décidé néanmoins de lui accorder un poids considérable. C’était une décision que l’agent était libre de prendre, d’autant que la demanderesse n’avait apporté sur ce point aucune preuve additionnelle.

 

[12]           Selon la demanderesse, la conclusion de l’agent selon laquelle elle serait en mesure d’utiliser son expérience professionnelle antérieure pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille en Indonésie était déraisonnable, étant donné que c’est la faillite de son entreprise qui l’avait d’abord poussée à venir au Canada. Cependant, ce que l’agent a dit en réalité, c’est que la demanderesse pouvait compter [traduction] « sur ses talents de restauratrice et/ou sur son expérience professionnelle acquise au Canada pour obtenir un emploi ». La demanderesse avait eu au moins deux emplois au Canada, et elle avait occupé son dernier emploi durant plus de deux ans avant d’être renvoyée du Canada. La conclusion de l’agent n’est donc pas déraisonnable.

 

[13]           S’agissant de l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse, celle-ci, se fondant sur la décision Alie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 925, [2008] A.C.F. n° 1149, soutient qu’il ne suffisait pas à l’agent de considérer les conditions que connaîtrait l’enfant en Indonésie. Il devait aussi tenir compte des avantages dont bénéficierait l’enfant pour le cas où elle resterait au Canada. Il est clair toutefois que l’espèce Alie doit être d’emblée distinguée de la présente espèce.

 

[14]           Dans l’espèce Alie, l’analyse de l’agente avait porté sur les difficultés que la famille d’un enfant né au Canada connaîtrait si elle était renvoyée du Canada, avec ou sans l’enfant. Comme la Cour l’a fait observer, c’était là une erreur car l’agente aurait dû faire porter son analyse sur l’intérêt de l'enfant elle-même, plutôt que sur celui de la famille : voir le paragraphe 9.

 

[15]           Comme le faisait observer la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, 392 N.R. 163, on peut présumer que les agents savent que le fait de vivre au Canada apportera de nombreuses possibilités à un enfant. Citant l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 C.F. 555, la Cour d'appel fédérale écrivait que « l’examen de l’agente repose sur la prémisse – qu’elle n'a pas à exposer dans ses motifs – qu’elle constatera en bout de ligne, en l'absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l'intérêt supérieur de l'enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent » : paragraphe 5 de l’arrêt Hawthorne.

 

[16]           Selon l’arrêt Kisana, la tâche de l’agent consiste à examiner le niveau probable des difficultés que connaîtra l’enfant si le parent est renvoyé, et à mettre en balance ce facteur avec d’autres facteurs. C’est ce que l’agent a fait ici.

 

[17]           Finalement, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur parce que, examinant la question des difficultés, il a passé sous silence le fait qu’elle était une victime de la traite des personnes. Cet argument, qui avait été présenté à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a été catégoriquement récusé par elle, la Commission faisant observer que la demanderesse n’avait jamais été forcée de faire quoi que ce soit qui puisse ressembler à la servitude pour dettes ou au commerce du sexe. L’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire contre cette décision de la Commission a ultérieurement été refusée par la Cour.

 

[18]           Se fondant sur le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, Résolution 25 de l’Assemblée générale, annexe II, documents officiels de l’Assemblée générale des Nations Unies, 55e session, n° suppl. 49, UN Doc. A/RES/55/25 (15 novembre 2000), entré en vigueur le 25 décembre 2003 (le « Protocole de Palerme »), la demanderesse affirme qu’elle a été une victime de la traite des personnes. Cependant, l’examen de cet instrument révèle que la traite des personnes requiert une « exploitation ». Le mot « exploitation » comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes : voir l’article 3 du Protocole.

 

[19]           La demanderesse a pu être trompée par les intermédiaires qui l’ont amenée au Canada illégalement, en lui faisant croire qu’elle pourrait gagner de l’argent dans ce pays (encore que la Commission ait jugé que son témoignage sur ce point « défi[ait] le bon sens »), mais elle n’a jamais été soumise à l’une quelconque des pratiques susmentionnées. De son propre aveu, elle a vécu librement à Toronto durant plusieurs mois après son arrivée au Canada, avant de décider de travailler dans une ferme à Leamington (Ontario), avec son compagnon. C’est la demanderesse elle‑même qui a obtenu cet emploi.

 

[20]           Par conséquent, la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’était pas victime de la traite des personnes était raisonnable.

 

III. Dispositif

 

[21]           Puisque la décision de l’agent ne révèle aucune erreur donnant lieu à réformation, il s’ensuit que la demande est rejetée.

 

[22]           La demanderesse propose que soit certifiée la question suivante :

[traduction]

Un agent appelé à examiner des motifs d'ordre humanitaire est-il tenu de considérer le Protocole de Palerme pour savoir si un demandeur est victime de la traite des personnes?

 

[23]           Puisque je suis arrivée à la conclusion que la demanderesse ne répond pas à la définition d’une victime de la traite des personnes selon ce que prévoit le Protocole de Palerme, il en découle que la réponse à cette question ne disposerait pas d’un appel. Je refuse donc de la certifier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4283-09

 

INTITULÉ :                                       IDA SIREGAR c. 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 AVRIL 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 15 AVRIL 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Loebach

 

POUR LA DEMANDERESSE

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Cabinet de Michael Loebach

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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