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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100430

Dossier : T-9-09

Référence : 2010 CF 478

 

 

ENTRE :

PAPIERS SCOTT LIMITÉE

demanderesse

et

 

GEORGIA-PACIFIC CONSUMER PRODUCTS LP

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               La société Papiers Scott Limitée (Papiers Scott, ou la demanderesse) fait appel, en application de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-1 (la Loi), de la décision d’un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce (l’agente d’audience), portant la date du 3 novembre 2008. Tenant compte de la procédure d’opposition introduite par Georgia-Pacific Consumer Products LP (Georgia-Pacific, ou la défenderesse), l’agente d’audience a refusé la demande de Papiers Scott visant l’enregistrement du dessin de marque de commerce qu’elle se proposait d’appliquer sur ses papiers hygiéniques.

 

[2]               Papiers Scott a changé son nom en Produits Kruger Limitée, et la demande d’enregistrement de la marque est donc actuellement faite au nom de Produits Kruger Limitée.

 

[3]               La demanderesse sollicite une ordonnance :

            1.         annulant la décision de l’agente d’audience;

2.         rejetant l’opposition de la défenderesse à la demande d’enregistrement de la marque;

            3.         ordonnant au registraire de faire droit à la demande d’enregistrement de la marque;

            4.         accordant à la demanderesse ses dépens dans la présente instance;

5.         accordant tel autre redressement que son avocat pourra requérir et que la Cour pourra juger à propos.

 

Les faits

 

[4]               Papiers Scott a déposé le 18 décembre 2001 une demande d’enregistrement du motif floral Daisy Flower (Square) en invoquant un emploi prévu au Canada en liaison avec des « produits d’hygiène en papier, à savoir les papiers de toilette » (la demande d’enregistrement de la marque). La marque est illustrée par le dessin ci-après.

 

Daisy Flower (Square) Pattern Design

 

[5]               Le 22 mars 2004, la défenderesse s’est opposée à la demande de Papiers Scott en invoquant trois moyens :

            1.           Le moyen fondé sur l’article 12 : à la date de la décision de la Commission en novembre 2008, la marque n’est pas enregistrable selon l’alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu’elle crée de la confusion avec le dessin pour papier peint de la marque de la défenderesse illustré ci-après (la marque de la défenderesse), dessin que la défenderesse a enregistré pour ses papiers de toilette :

 

 

            2.           Le moyen fondé sur l’article 16 : la demanderesse n’est pas la personne fondée à l’enregistrement de la marque selon le paragraphe 16(3) de la Loi parce que, à la date du dépôt de la demande, la marque créait de la confusion avec la marque enregistrée de la défenderesse, qui avait été auparavant considérablement employée et annoncée au Canada.

 

            3.           Le moyen fondé sur l’absence de caractère distinctif : à la date de l’opposition, c’est-à-dire le 22 mars 2004, la marque n’est pas distinctive parce qu’elle ne permet pas de distinguer, et ne distingue pas, les marchandises de la demanderesse des marchandises de la défenderesse. Au contraire, la marque est conçue pour créer une confusion et pour tirer avantage de la notoriété dont jouit la marque de la défenderesse.

 

La décision de l’agente d’audience

 

[6]               Comme chacun des moyens invoqués repose sur la probabilité d’une confusion entre les marques des parties, l’agente d’audience a confronté les faits avec les cinq facteurs énumérés dans le paragraphe 6(5) de la Loi, ainsi formulé :

6.(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

6.(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

[7]               Outre les facteurs énumérés dans le paragraphe 6(5), l’agente d’audience a pris en compte les autres circonstances, tout particulièrement la situation du marché et l’emploi de marques semblables par des tiers.

 

[8]               L’application des facteurs du paragraphe 6(5) aux marques devait se faire par rapport aux diverses dates critiques correspondant à chaque moyen d’opposition.

 

[9]               L’agente d’audience a rejeté le moyen fondé sur l’article 12, compte tenu surtout de la solidité de la preuve qu’avait recueillie la demanderesse en avril 2006 sur la situation du marché. Elle a conclu que, malgré la ressemblance entre les marques, la preuve relative à la situation du marché [traduction] « montre que les marques de caractère général comme celles-ci sont très courantes dans l’industrie, et la différence entre les deux marques suffit donc à rendre la confusion improbable ». Elle a aussi relevé que certains des échantillons du marché présentaient davantage de similitudes que la marque de la demanderesse avec la marque de la défenderesse.

 

[10]           Pour produire la preuve requise par le moyen fondé sur l’article 16, la défenderesse devait prouver l’« emploi » de sa marque au sens de l’article 4 de la Loi ou autrement, au Canada, avant le 18 décembre 2001, ainsi que le non-abandon de sa marque au 21 janvier 2004. L’agente d’audience a constaté que la marque de la défenderesse n’apparaissait pas sur l’emballage au moment de l’achat, et selon elle le fait que les consommateurs voyaient la marque après l’achat dans un tel contexte ne pouvait constituer un « emploi » de la marque selon le paragraphe 4(1). Elle a donc rejeté ce moyen d’opposition.

 

[11]           S’agissant du moyen fondé sur l’absence de caractère distinctif, l’agente d’audience a d’abord fait le point sur la charge de la preuve. Bien qu’il appartienne juridiquement à la demanderesse de montrer que sa marque permet de distinguer, ou distingue effectivement, ses marchandises de celles de la défenderesse partout au Canada, la défenderesse avait l’obligation de prouver que la marque de la demanderesse n’était pas distinctive. La défenderesse n’a pas à prouver que sa marque est notoirement connue au Canada ou qu’elle l’est devenue par les moyens indiqués dans l’article 5, mais sa réputation au Canada doit être appréciable, importante ou suffisante.

 

[12]           L’agente d’audience a admis que, bien que la défenderesse n’ait pu établir l’« emploi » de sa marque selon l’article 4, la présentation de sa marque sur ses marchandises avait pu conduire à l’acquisition d’une réputation au Canada, même si la marque n’était vue qu’après l’achat. Au 22 mars 2004, la date pertinente de ce moyen d’opposition, les ventes du produit de la défenderesse se chiffraient à 72 millions $. De l’avis de l’agente d’audience, on pouvait donc dire que la défenderesse avait apporté la preuve requise.

 

[13]           Selon l’agente d’audience, la demanderesse n’avait pas prouvé que, à la date critique, sa marque avait acquis une réputation ou qu’il était courant pour d’autres fabricants d’employer des dessins-marques semblables. En l’absence d’une preuve suffisante de la situation du marché (ce qui, s’agissant du premier moyen d’opposition, faisait pencher en faveur de la demanderesse la question de la confusion), la prépondérance de la preuve concernant le moyen fondé sur l’absence de caractère distinctif favorisait la défenderesse. Autrement dit, affirmait l’agente d’audience, dans un univers où nul autre que les deux parties n’utilise une marque semblable, la marque de la demanderesse n’est pas assez différente de celle de la défenderesse pour être distinctive.

 

[14]           L’agente d’audience a donc admis le dernier moyen d’opposition et a refusé la demande conformément à l’alinéa 38(2)d) de la Loi.

 

[15]           Faisant appel de la décision en application de l’article 56 de la Loi, la demanderesse présente une preuve nouvelle sur la situation du marché au 22 mars 2004.

 

Les questions en litige

 

[16]           Selon moi, les points à décider sont les suivants :

            1.         La preuve nouvelle présentée par la demanderesse est-elle recevable?

            2.         Quelle norme de contrôle faut-il appliquer?

            3.         La marque de la demanderesse est-elle ou non distinctive?

                        a.         La défenderesse a-t-elle réussi à prouver que sa marque jouit au Canada, en tant que marque, d’une réputation telle que la marque de la demanderesse s’en trouve privée de caractère distinctif?

                        b.         Dans l’affirmative, la marque de la demanderesse était-elle privée de caractère distinctif parce qu’elle ne permet pas de distinguer, et ne distingue pas, les marchandises de la demanderesse de celles de la défenderesse?


Les observations écrites de la demanderesse

 

La preuve nouvelle est déterminante et requiert un nouveau procès

 

[17]           Examinant, dans le cadre du premier moyen, la preuve relative à la situation du marché, l’agente d’audience écrivait à juste titre que, lorsque deux marques sont semblables, elles peuvent néanmoins présenter des différences de nature à empêcher une confusion s’il existe sur le marché un emploi appréciable de marques semblables par des tiers. Papiers Scott a établi devant l’agente d’audience que des dessins semblables étaient employés en avril 2006 et, par l’affidavit de Al Rogers, a maintenant confirmé devant la Cour qu’il en était ainsi en mars 2004, et la Cour devrait revoir depuis le début la conclusion de fait.

 

[18]           Papiers Scott a établi que, tout comme c’était le cas en avril 2006, les mêmes dessins en relief présentant cette caractéristique générale étaient couramment employés en mars 2004. Ces dessins ont toujours coexisté en bonne intelligence. Il n’y avait aucun risque de confusion avec la marque de la demanderesse en mars 2004, non plus qu’en avril 2006, ainsi que l’a constaté l’agente.

 

L’agente d’audience a commis une erreur en disant que la marque de la défenderesse jouit d’une réputation appréciable au Canada en tant que marque

 

[19]           La défenderesse devait apporter la preuve que son dessin en relief jouit au Canada d’une réputation qui est appréciable ou importante. L’agente d’audience a estimé que son dessin « avait pu » jouir « d’une certaine » réputation en tant que marque. Ces présomptions ne sont pas fondées et sont fautives.

 

[20]           La demanderesse dit que le dessin en relief de la défenderesse n’est jamais, dans aucun contexte, présenté aux consommateurs en tant que marque de commerce. Il s’agit simplement d’une décoration. La marque présentée aux consommateurs est KIRKLAND SIGNATURE de Costco. Il n’est pas établi que les Canadiens ont vu en fait le dessin de Georgia-Pacific. Il n’a pas non plus été établi que ce dessin est reconnu comme une indication de provenance de la marque. Il n’est en aucune façon présenté comme marque. Même si le dessin est présent dans les foyers canadiens, rien ne permettait pour autant de supposer que les Canadiens s’en souvenaient comme d’une marque. L’existence d’une notoriété dont jouirait la marque n’a pas été prouvée. La jurisprudence oblige l’opposant à une marque de prouver que sa marque jouit d’une réputation en tant que marque.

 

[21]           En résumé, l’agente d’audience a commis une erreur en présumant, sans plus, qu’il y a constat de la marque postérieurement à l’achat ou que ce constat a nécessairement pour effet que le dessin en relief de la défenderesse a fini par acquérir une certaine notoriété comme marque. La demanderesse dit que le simple fait de vendre le produit avec la décoration qui y figure ne confère pas une réputation à la marque, d’autant que le dessin n’est pas visible à l’achat ou dans les annonces publicitaires, qu’il n’est pas présenté comme marque et qu’il n’existe aucun témoignage venant de consommateurs canadiens. Même si l’agente d’audience pouvait conclure comme elle l’a fait, elle a seulement dit que la marque de Georgia-Pacific jouissait d’une certaine réputation. L’obligation de Georgia-Pacific de prouver que sa marque jouissait d’une réputation appréciable ou importante n’était pas pour autant remplie.

 

Les observations écrites de la défenderesse

 

La norme de contrôle et l’irrecevabilité de la preuve nouvelle

 

[22]           Selon la défenderesse, la demanderesse n’a produit aucune preuve nouvelle susceptible de modifier la conclusion de l’agente d’audience selon laquelle la défenderesse avait apporté la preuve requise. La Cour doit donc de faire preuve de retenue envers la conclusion de l’agente d’audience.

 

[23]           S’agissant de la preuve nouvelle de la demanderesse sur la situation du marché, la défenderesse dit en premier lieu qu’elle n’est pas notablement différente de la preuve soumise à l’agente d’audience. C’est donc encore la norme de la décision raisonnable qui s’applique.

 

[24]           Même si la preuve nouvelle est notablement différente, la défenderesse dit qu’il s’agit pour l’essentiel d’une preuve par ouï-dire, par conséquent irrecevable, et qu’elle est peu concluante pour ce qui concerne la date critique. Le sous-alinéa 30(10)a)(ii) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5, rend irrecevable la preuve nouvelle consistant en photographies produites en prévision d’un litige. La preuve restante, bien qu’elle se réfère à des événements survenus en 2004, ne permet pas de dire s’ils se sont produits avant ou après la date critique. Finalement, la preuve concerne des renseignements trouvés sur certains sites Web, mais elle ne dit pas qui administre les sites en question ni en quoi lesdits renseignements sont nécessaires et dignes de foi. Au mieux, la preuve nouvelle permet d’affirmer que trois produits présentaient des dessins semblables. Aucune preuve nouvelle n’a été soumise, qui atteste que d’autres fabricants emploient des dessins semblables selon l’article 4. La demanderesse n’a nullement prouvé son affirmation selon laquelle les ventes, par d’autres sociétés, de papiers de toilette semblables dépassent 100 000 000 $. Eu égard aux lacunes susdites de la preuve nouvelle, et à l’insuffisance de faits avérés, cette preuve nouvelle n’aurait pas conduit l’agente d’audience à décider autrement.

 

La conclusion de l’agente d’audience concernant le moyen fondé sur l’absence de caractère distinctif était juste

 

[25]           Selon la défenderesse, c’est la demanderesse qui a l’obligation d’établir que sa marque permet de distinguer, ou distingue effectivement, ses marchandises de celles d’autres fabricants. La preuve que doit produire l’opposant n’oblige pas celui-ci à établir l’emploi de sa marque au sens de l’article 4. En disant que la défenderesse avait produit la preuve requise, l’agente d’audience se fondait sur des ventes confirmées de plus de 72 000 000 $ entre 2000 et 2004, et sur le fait que, à coup sûr, les acheteurs ouvriront l’emballage et verront les motifs en relief. C’était là une conclusion raisonnable.

 

[26]           S’agissant du fardeau qui repose sur la demanderesse, et compte tenu de la preuve soumise à l’agente d’audience, ainsi que de la preuve nouvelle, la conclusion selon laquelle la marque n’avait pas acquis une réputation était, et est encore, la seule conclusion raisonnable. Celle selon laquelle il n’était pas établi qu’il était courant pour d’autres fabricants d’employer des dessins semblables demeure raisonnable. La preuve nouvelle est de portée restreinte et ne suffit pas à montrer que de telles marques étaient couramment employées, ou employées au sens de l’article 4.

 

[27]           Même si la Cour conclue que l’affaire devrait être instruite à nouveau, la défenderesse soutient que la demande d’enregistrement déposée par la demanderesse devrait quand même être rejetée. L’approche structurée qui préside à l’interprétation d’une loi permet d’affirmer que les dessins en relief dont parle la preuve nouvelle n’étaient pas employés au sens de l’article 4 de la Loi.

 

[28]           Au mieux, la preuve nouvelle montre que deux produits présentant des dessins semblables existaient au Canada: le produit COTTONELLE/CASHMERE de la demanderesse, et le produit MAJESTA de Irving. L’examen de cette preuve montre que ce n’est pas celle qui faisait défaut selon l’agente d’audience, c’est-à-dire une preuve montrant qu’il était courant à la date critique, pour d’autres fabricants, d’employer des dessins semblables en liaison avec du papier de toilette.

 

Analyse et décision

 

Introduction

 

[29]           Il importe, pour statuer sur le présent appel, de savoir ce qu’était le marché des papiers de toilette au Canada au 22 mars 2004. Selon l’agente d’audience, la demanderesse n’avait pas établi que sa marque était suffisamment distincte. Elle a conclu ainsi notamment parce que la preuve ne montrait pas que des dessins semblables étaient couramment observés à cette date sur les produits d’autres fabricants. Cette preuve aurait pu établir que, malgré un niveau élevé de ressemblance entre la marque de la demanderesse et celle de la défenderesse, la marque de la demanderesse présentait quand même un caractère distinctif suffisant.

 

[30]           En appel, la demanderesse avance maintenant une preuve nouvelle tendant à montrer l’emploi courant, et la coexistence, en mars 2004, de dessins semblables sur les papiers de toilette. La défenderesse n’a pas contredit cette preuve en produisant une contre-preuve, mais elle affirme que la preuve nouvelle de la demanderesse est principalement une preuve par ouï-dire, donc une preuve irrecevable.

 

[31]           Question n° 1

      La preuve nouvelle de la demanderesse est-elle recevable?

            La preuve nouvelle de la demanderesse est l’affidavit d’Al Rogers. Il y est question d’une affaire litigieuse antérieure pour laquelle nous avions organisé des achats de papier hygiénique, mais on ne sait trop ce qu’il faut entendre par le pronom personnel « nous ». L’affidavit ne dit pas non plus qui a pris les photographies d’échantillons de papiers de toilette.

 

[32]           La demanderesse n’a invoqué aucune exception à la règle du ouï-dire qui serait applicable à l’affidavit d’Al Rogers. La Loi sur la preuve au Canada, en son article 30, prévoit explicitement que les pièces commerciales établies dans le cours ordinaire des affaires constituent des preuves recevables, sauf que les pièces établies en prévision d’un litige ne le sont pas (sous‑alinéa 30(10)a)(ii)). Puisque les photographies apparaissant sur les pièces 1, 2, 3 et 12 avaient, du propre aveu de M. Rogers, été prises aux fins d’un litige, elles ne sont pas recevables.

 

[33]           S’agissant du témoignage de M. Rogers relatif à la part de marché du papier hygiénique de marque ROYALE durant l’exercice clos le 6 septembre 2003, l’unique source donnée pour ce renseignement était le site Web ACN MarketTrack. Aucune indication concernant le site ACN MarketTrack n’apparaît, et la demanderesse ne dit pas non plus pourquoi ce renseignement serait digne de foi. Il s’agit donc d’une preuve par ouï-dire qui est irrecevable.

 

[34]           La preuve principale de M. Rogers est sa connaissance personnelle des ventes, en 2004, de produits d’autres fabricants. Il écrit par exemple : [traduction] « je puis dire avec assurance que le papier de toilette MAJESTA qui arbore le dessin Majesta Flower était vendu en des quantités considérables tant avant 2004 que par la suite sur le marché canadien ». C’est là une affirmation hardie. Une page Web est également annexée, qui donnerait à penser que le papier de marque MAJESTA était vendu. La page Web ne constitue pas une garantie de la véracité de son contenu, mais je suis d’avis de ne pas exclure la preuve ainsi produite car, pour l’essentiel, elle se fonde sur une connaissance directe. C’est plutôt l’appréciation de la preuve de M. Rogers qui présente des faiblesses.

 

[35]           L’auteur d’un affidavit peut témoigner de faits dont il a une connaissance personnelle (voir l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106). La Cour a admis que le poste occupé par l’auteur d’un affidavit peut à l’évidence lui permettre d’avoir une connaissance personnelle des faits dont il témoigne, sans être nécessairement un témoin direct de tel ou tel événement (voir la décision Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1987] A.C.F. n° 26, 13 C.P.R. (3d) 289). Il y a une similitude entre ce précédent et la présente espèce, dans laquelle le poste antérieur de M. Rogers, en tant que directeur de l’assurance de la qualité chez la demanderesse, lui permet clairement d’avoir une connaissance personnelle du marché des papiers de toilette.

 

[36]           Je tire également une conclusion défavorable de la décision de la défenderesse de ne pas contre-interroger M. Rogers. La défenderesse pointe aujourd’hui les lacunes et les imprécisions de son témoignage, mais elle ne les lui a jamais signalées. L’affidavit de M. Rogers a pour objet de soumettre à la Cour une preuve montrant que, s’agissant de motifs floraux en relief, la situation du marché des papiers de toilette n’avait pas radicalement changé entre mars 2004 et avril 2006, date à laquelle l’agente d’audience a conclu que plusieurs dessins floraux de ce genre coexistaient pacifiquement. Bien que difficile à prouver, ce n’est pas une position hardie ou excessive. C’est une position raisonnable. La défenderesse n’a pas récusé le témoignage de M. Rogers, et sa propre position s’en trouve affaiblie.

 

[37]           La défenderesse récuse aussi la preuve de M. Rogers au motif qu’elle n’est pas matérielle. Selon elle, dans l’affidavit de M. Rogers, tout fait qui se réfère simplement à l’année 2004 sans faire état de données enregistrées à la date critique du 22 mars 2004 est totalement hors de propos. Il m’est impossible de souscrire à cette idée. Si de tels faits évoqués dans l’affidavit rendent plus probable l’existence d’un certain état des choses le 22 mars 2004, alors ils sont pertinents. Étant donné la difficulté d’obtenir de telles données antérieures dignes de foi concernant le marché, il est concevable que des données postérieures à la date critique elle-même ne soient pas faciles à obtenir.

 

[38]           Dans cet appel, qui concerne une marque de commerce, une question se pose, qui oblige le juge des faits à analyser la situation du marché avant et après la date critique et à dire si des dessins semblables à la marque étaient couramment employés. En ce sens, la preuve postérieure à la date critique, ou la preuve de données sur les ventes au cours d’une période comprenant la date critique, ne peut être que circonstancielle. Dans la quête de la vérité, une preuve circonstancielle est préférable à une absence de preuve. En fin de compte, c’est au juge des faits qu’il appartient d’apprécier cette preuve.

 

[39]           Hormis la preuve expressément exclue, j’accepterais le reste de la preuve.

 

[40]           Question n° 2

            Quelle norme de contrôle faut-il appliquer?

            Nature d’un appel formé en vertu de l’article 56

            Les paragraphes 56(1) et (5) prévoient ce qui suit :

56.(1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

 

[. . .]

 

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

 

56.(1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

 

 

[. . .]

 

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 

 

 

[41]           Le texte de l’article 56 parle d’un appel et envisage la présentation d’une preuve nouvelle; ce sont là des termes peu courants dans la plupart des demandes de contrôle judiciaire. Or, l’appel ne constitue pas une reprise du procès, parce que, bien qu’une preuve nouvelle puisse être présentée, le dossier soumis au registraire fait partie de la preuve soumise à la Cour. Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence qu’un appel formé en vertu de l’article 56 constitue le contrôle judiciaire d’une décision administrative, et il faut donc déterminer la norme de contrôle à appliquer (voir l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.), pages 193 à 196, et la décision NPS Pharmaceuticals, Inc. c. Biofarma, 2009 CF 172, 72 C.P.R. (4th) 391, paragraphes 37 à 46).

 

[42]           Cependant, la présentation d’une preuve nouvelle dans cet appel doit être conciliée avec la procédure ordinaire d’établissement de la norme de contrôle, qui a été précisée dans un arrêt récent de la Cour suprême, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, [2008] A.C.S. n° 9 (QL).

 

[43]           Monsieur le juge Rothstein s’est exprimé sur cet aspect dans l’arrêt Brasseries Molson, précité, aux pages 193 à 196, pour conclure ainsi :

[51]     Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald's Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

 

 

[44]           C’est l’approche que j’adopterais. La première étape consiste à évaluer la décision du registraire et à considérer si la preuve nouvelle aurait pu avoir un effet sur cette décision. Dans la négative, la décision sera revue d’après la norme fusionnée de la décision raisonnable. Si la preuve nouvelle aurait pu avoir un effet sur la décision du registraire, le juge doit alors arriver à sa propre conclusion sur la justesse de la décision.

 

[45]           Dans un jugement de la Cour fédérale postérieur à l’arrêt Dunsmuir, à savoir NPS Pharmaceuticals, Inc., précité, Monsieur le juge Lemieux a confirmé cette approche au moment de préciser la norme de contrôle à appliquer :

[44]     En vertu de l’article 56 de la Loi, lorsque des éléments de preuve additionnels ont été produits devant la Cour, celle-ci doit évaluer l’importance de ces nouveaux affidavits, soit leur incidence possible sur la décision du registraire ou, comme l’a dit récemment mon collègue le juge Harrington dans l’arrêt Scotch Whisky Association c. Glenore Distillers International Ltd., 2008 CF 425, au paragraphe 14 : « …[L]a Cour doit décider si les éléments additionnels auraient eu une incidence sur la décision [du registraire]. »

 

[…]

 

[46]     La conclusion portant que les nouveaux éléments de preuve n’ont pas eu d’incidence sur la décision du registraire entraîne l’application de la norme déférente de la raisonnabilité.

 

 

[46]           La preuve est nouvelle au sens où elle tend à combler précisément une insuffisance constatée dans la preuve par l’agente d’audience à propos de la situation du marché – à savoir la preuve se rapportant à la date critique du 22 mars 2004. Dans ses observations finales sur cette question, l’agente d’audience s’exprimait ainsi sur l’importance possible de cette preuve :

Comme je l’ai mentionné à l’égard du motif fondé sur l’alinéa 12(1)d), les marques des parties se ressemblent et en l’absence de preuve pertinente à l’égard du marché (ce qui a fait jouer la question de la confusion en faveur de la Requérante quant au motif fondé sur l’alinéa12(1)d)), la prépondérance des probabilités quant au motif fondé sur le caractère distinctif joue en faveur de l’Opposante.

 

 

[47]           Il revient à la Cour de dire si la demanderesse a en fait réussi à produire une preuve pertinente relative à la situation du marché. À mon avis, la réponse est affirmative.

 

[48]           Dans la décision Vivat Holdings Ltd. c. Levi Strauss & Co., 2005 CF 707, 41 C.P.R. (4th) 8, au paragraphe 27, la Cour a jugé que, pour avoir une incidence sur la norme de contrôle, la preuve nouvelle doit être suffisamment importante.

 

[49]           À mon avis, il n’est pas indispensable à ce stade de supposer que la preuve nouvelle aurait conduit l’agente d’audience à changer d’avis. Il suffit qu’elle ait pu influer sur sa décision. Je souscris aux propos de Madame la juge Layden-Stevenson, dans la décision Vivat Holdings Ltd., précitée, pour qui une preuve qui simplement complète ou répète la preuve existante ne dépassera pas le seuil requis.

 

[50]           L’information qui figure dans l’affidavit de M. Rogers, et que la défenderesse n’a pas contredite, n’aurait pas pu être tout bonnement laissée de côté par l’agente et aurait contraint celle-ci à faire un minimum d’analyse. Si cette information avait été soumise à l’agente d’audience, il ne lui aurait pas été loisible de conclure, ainsi qu’elle l’a fait, que [traduction] « il n’existe aucune preuve intéressant la date critique du 22 mars 2004 ». À tout le moins, cette information aurait pu influer sur sa décision.

 

[51]           Il appartient donc à la Cour d’arriver à sa propre conclusion sur la question qui fut pour la défenderesse l’unique moyen d’opposition couronné de succès : à la date critique, la marque de la demanderesse était-elle distinctive?

 

[52]           La défenderesse soutient que la Cour devrait néanmoins faire preuve de retenue envers la conclusion de l’agente d’audience selon laquelle elle avait produit la preuve requise, et cela parce que cette question était examinée par l’agente d’audience dans une autre section de son analyse et qu’aucune preuve nouvelle n’avait été produite par l’une ou l’autre des parties pour contredire cette conclusion. Autrement dit, la demanderesse voudrait que la Cour applique une autre norme pour évaluer cet aspect de la décision de l’agente d’audience.

 

[53]           C’est là une proposition qui ne manque pas d’intérêt, mais je ne peux ignorer que le fardeau de la preuve qui repose sur l’opposant à une marque de commerce est, selon les mots de Monsieur le juge Noel :

[…] une innovation jurisprudentielle [qui] ne devrait pas éclipser l’idée plus générale, à savoir la question du caractère distinctif selon la définition figurant dans la Loi.

 

(voir Bojangles' International, LLC c. Bojangles Café Ltd., 2006 CF 657, 48 C.P.R. (4th) 427, au paragraphe 22). Je suis donc d’avis qu’il serait fautif de scinder la question en ses parties composantes pour leur appliquer différentes normes de contrôle.

 

[54]           Question n° 3

            La marque de la demanderesse est-elle ou non distinctive?

                        a.         La défenderesse a-t-elle réussi à prouver que sa marque jouit au Canada, en tant que marque, d’une réputation telle que la marque de la demanderesse s’en trouve privée de caractère distinctif?

                        b.         Dans l’affirmative, la marque de la demanderesse était-elle privée de caractère distinctif parce qu’elle ne permet pas de distinguer, et ne distingue pas, les marchandises de la demanderesse des marchandises de la défenderesse?

            Le moyen d’opposition de la défenderesse fondé sur le caractère distinctif procédait de l’alinéa 38(2)d) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

 

38. [. . .]

 

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

 

[. . .]

 

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

 

38. [. . .]

 

(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

 

[. . .]

 

(d) that the trade-mark is not distinctive.

 

 

[55]           Le mot « distinctive » est défini à l’article 2 de la Loi :

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

 

“distinctive”, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

 

 

 

[56]           Ainsi que les parties en conviennent, la date pertinente à retenir pour trancher la question du caractère distinctif est la date du dépôt de l’opposition, c’est-à-dire le 22 mars 2004.

 

[57]           Lorsque le caractère distinctif d’une marque est récusé par un opposant, la demanderesse a l’obligation légale d’établir que sa marque permet de distinguer, ou distingue effectivement, ses marchandises des marchandises de l’opposant, partout au Canada. Cependant, l’opposant doit d’abord prouver que sa propre marque était connue jusqu’à un certain point au Canada et qu’elle y jouissait d’une réputation appréciable, importante ou suffisante (voir la décision Bojangles' International, précitée, aux paragraphes 25 à 34).

 

[58]           L’agente d’audience a conclu que la défenderesse avait produit cette preuve et qu’elle n’avait donc pas à prouver l’emploi de sa marque aux termes de l’article 4 de la Loi.

 

[59]           Le paragraphe 4(1) de la Loi porte sur l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises. Il est ainsi rédigé :

4.(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

4.(1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

 

[60]           Les marques qui ne sont pas vues par l’acheteur ou ne sont pas portées à sa connaissance au moment critique de la vente ne sont pas réputées être des marques employées au sens du paragraphe 4(1). Les deux marques en question entreraient dans cette catégorie parce qu’elles ne sont pas en général vues par l’acheteur au point d’achat.

 

[61]           Comme le fait observer la demanderesse, la marque que voient les acheteurs du papier de toilette de la défenderesse est la marque KIRKLAND SIGNATURE de Costco.

 

[62]           Cela ne serait pas fatal pour la capacité de la défenderesse de produire la preuve requise pour autant qu’elle puisse montrer que sa marque a acquis une certaine réputation au Canada.

 

[63]           Le mot « réputation », tel qu’il apparaît dans la décision Bojangles’ International, précitée, au paragraphe 34, n’est pas anodin. Il évoque davantage qu’une simple connaissance. Je reconnais que la preuve à produire ne requiert pas que la marque soit employée au sens du paragraphe 4(1) de la Loi, mais elle requiert que la marque de l’opposant soit connue en tant qu’indication de provenance, et non simplement connue. Ce principe sous-tend l’article 4 de la Loi.

 

[64]           En faisant valoir que la conclusion de l’agente d’audience est erronée, la demanderesse pointe les passages suivants de sa décision :

Même s’il n’est pas clair si la marque de l’Opposante est portée à l’attention des acheteurs au moment de l’achat, ces derniers ouvriront inévitablement l’emballage et verront la marque imprimée en relief. Cette visibilité ultérieure fait nécessairement en sorte que la marque de l’Opposante est devenue connue dans une certaine mesure […]

 

[…]

 

[…]Il semble juste d’admettre que la présence de la marque de l’Opposante sur ses marchandises aurait pu faire en sorte que cette marque acquière une notoriété au Canada, même si elle devient peut-être visible après l’achat, au moment où l’acheteur ouvre l’emballage.

 

[…]

 

[…] je conclus que la preuve présentée par [l’Opposante] au sujet de la vente du papier hygiénique portant la marque de l’Opposante est suffisante en soi pour permettre à l’Opposante de s’acquitter du fardeau de preuve initial […]

 

[65]           À mon avis, l’opinion exprimée par l’agente d’audience constituait de sa part une présomption qu’elle n’a pas pleinement expliquée ni justifiée par des motifs suffisants.

 

[66]           L’unique preuve avancée par la défenderesse selon laquelle sa marque avait acquis une réputation suffisante au Canada concernait la quantité de papier hygiénique vendue au Canada portant la marque. L’agente d’audience semble alors avoir présumé que, puisque « [les acheteurs] ouvriront inévitablement l’emballage et verront la marque imprimée en relief. Cette visibilité ultérieure fait nécessairement en sorte que la marque de l’Opposante est devenue connue dans une certaine mesure».

 

[67]           Il m’est impossible de faire d’emblée un tel lien. Je pourrais admettre l’idée selon laquelle de nombreux Canadiens ont un jour vu la marque de la défenderesse, mais il m’est impossible de présumer, sans autre preuve, que les Canadiens conservent un souvenir du motif floral ou constatent qu’il s’agit d’une marque qui de quelque façon indique la provenance. Je ne puis présumer non plus que le fait pour le consommateur canadien de voir le dessin est de quelque façon rattaché à la réputation de la défenderesse.

 

[68]           Dans certains contextes, il sera parfois suffisant de produire la preuve des ventes au Canada d’un produit contenant ou portant la marque. Tel n’est pas le cas ici.

 

[69]           Dans la décision British Petroleum Co. Ltd. c. Bombardier Ltd., [1971] A.C.F. n° 1014, 4 C.P.R. (2d) 204, la Cour avait accueilli un appel formé contre la décision du registraire de refuser une demande d’enregistrement. Dans cette affaire-là, l’emploi par l’opposante du mot SKI-DOO n’était pas l’emploi d’une marque de commerce, et il n’avait pas été établi que l’opposante jouissait d’une réputation dans le monde en tant que marque de commerce. La simple vente du produit portant le mot ne suffisait pas à présumer que les consommateurs voyaient dans ce mot une marque.

 

[70]           Dans le contexte particulier d’un motif en relief appliqué sur du papier de toilette, sans doute aurait-on pu dire que les Canadiens connaissaient tant soit peu la marque, mais il aurait fallu une preuve additionnelle montrant que certains d’entre eux voyaient la marque comme une indication de provenance et donc que le dessin jouissait d’une certaine réputation. Sans une telle preuve, il semble plus vraisemblable que, dans la mesure où les Canadiens connaissaient la marque de la défenderesse, ils la voyaient comme une simple décoration sur un papier de toilette de marque maison distribué par Costco.

 

[71]           En résumé, il est impossible juridiquement pour la défenderesse de produire la preuve requise parce que selon moi il n’est pas établi que la marque de la défenderesse jouissait d’une quelconque réputation.

 

[72]           Puisque la défenderesse n’a pas produit la preuve requise attestant la réputation de sa marque, son troisième moyen d’opposition, le seul à subsister, est rejeté.

 

[73]           Vu ma conclusion ci-dessus, il ne m’est pas nécessaire d’examiner le point de savoir si la marque de la demanderesse était distinctive.

 

[74]           Durant l’instruction de la présente affaire, la défenderesse a dit que l’affidavit de M. Rogers aurait pu être soumis à l’agente d’audience et que la demanderesse devrait donc être condamnée aux dépens à ce titre. Ce point n’a pas été abordé d’une manière détaillée devant moi. Je donnerai donc aux parties une semaine à compter de la date des présents motifs pour présenter les observations qu’elles pourraient juger opportunes à propos de cette seule question des dépens. Chacune des parties aura trois jours après cette période d’une semaine pour répondre aux observations de l’autre partie.

 

[75]           L’appel de la demanderesse est accueilli, la décision de l’agente d’audience se rapportant au troisième moyen d’opposition de la défenderesse est annulée, et le troisième moyen d’opposition de la défenderesse est rejeté.

 

[76]           Il est ordonné au registraire de faire droit à la demande d’enregistrement de la marque de la demanderesse.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice
ANNEXE

 

Les dispositions légales applicables

 

Les dispositions légales applicables sont reproduites dans cette section.

 

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-1

 

 

12.(1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

[. . .]

 

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

 

12.(1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

 

 

 

[. . .]

 

(d) confusing with a registered trade-mark;

 

 

 

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. E-10

 

30.(1) Lorsqu’une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce.

 

(2) Lorsqu’une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires ne contient pas de renseignements sur une chose dont on peut raisonnablement s’attendre à trouver la survenance ou l’existence consignées dans cette pièce, le tribunal peut, sur production de la pièce, admettre celle-ci aux fins d’établir ce défaut de renseignements et peut en conclure qu’une telle chose ne s’est pas produite ou n’a pas existé.

 

(3) Lorsqu’il n’est pas possible ou raisonnablement commode de produire une pièce décrite au paragraphe (1) ou (2), une copie de la pièce accompagnée d’un premier document indiquant les raisons pour lesquelles il n’est pas possible ou raisonnablement commode de produire la pièce et d’un deuxième document préparé par la personne qui a établi la copie indiquant d’où elle provient et attestant son authenticité, est admissible en preuve, en vertu du présent article, de la même manière que s’il s’agissait de l’original de cette pièce pourvu que les documents satisfassent aux conditions suivantes : que leur auteur les ait préparés soit sous forme d’affidavit reçu par une personne autorisée, soit sous forme de certificat ou de déclaration comportant une attestation selon laquelle ce certificat ou cette déclaration a été établi en conformité avec les lois d’un État étranger, que le certificat ou l’attestation prenne ou non la forme d’un affidavit reçu par un fonctionnaire de l’État étranger.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(4) Lorsque la production d’une pièce ou d’une copie d’une pièce décrite au paragraphe (1) ou (2) ne révélerait pas au tribunal les renseignements contenus dans la pièce, du fait qu’ils ont été consignés sous une forme qui nécessite des explications, une transcription des explications de la pièce ou copie, préparée par une personne qualifiée pour donner les explications, accompagnée d’un document de cette personne indiquant ses qualités pour les donner et attestant l’exactitude des explications est admissible en preuve, en vertu du présent article, de la même manière que s’il s’agissait de l’original de cette pièce. Le document prend la forme soit d’un affidavit reçu par une personne autorisée, soit d’un certificat ou d’une déclaration comportant une attestation selon laquelle ce certificat ou cette déclaration a été établi en conformité avec les lois d’un État étranger, que le certificat ou l’attestation prenne ou non la forme d’un affidavit reçu par un fonctionnaire de l’État étranger.

 

 

 

 

 

 

(5) Lorsque seul un fragment d’une pièce est produit en vertu du présent article par une partie, le tribunal peut examiner tout autre fragment de la pièce et ordonner que, avec le fragment de la pièce ainsi produit précédemment, l’ensemble ou tout fragment de cet autre fragment de la pièce soit produit par cette partie en tant que pièce produite par elle.

 

(6) Aux fins de déterminer si l’une des dispositions du présent article s’applique, ou aux fins de déterminer la valeur probante, le cas échéant, qui doit être accordée aux renseignements contenus dans une pièce admise en preuve en vertu du présent article, le tribunal peut, sur production d’une pièce, examiner celle-ci, admettre toute preuve à son sujet fournie de vive voix ou par affidavit, y compris la preuve des circonstances dans lesquelles les renseignements contenus dans la pièce ont été écrits, consignés, conservés ou reproduits et tirer toute conclusion raisonnable de la forme ou du contenu de la pièce.

[. . .]

 

(12) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.


« affaires » Tout commerce ou métier ou toute affaire, profession, industrie ou entreprise de quelque nature que ce soit exploités ou exercés au Canada ou à l’étranger, soit en vue d’un profit, soit à d’autres fins, y compris toute activité exercée ou opération effectuée, au Canada ou à l’étranger, par un gouvernement, par un ministère, une direction, un conseil, une commission ou un organisme d’un gouvernement, par un tribunal ou par un autre organisme ou une autre autorité exerçant une fonction gouvernementale.


« copie » Relativement à une pièce, est assimilée à une copie une épreuve, agrandie ou non, tirée d’une pellicule photographique représentant cette pièce, et « pellicule photographique » s’entend notamment d’une plaque photographique, d’une pellicule microphotographique et d’un cliché au photostat.


« pièce » Sont assimilés à une pièce l’ensemble ou tout fragment d’un livre, d’un document, d’un écrit, d’une fiche, d’une carte, d’un ruban ou d’une autre chose sur ou dans lesquels des renseignements sont écrits, enregistrés, conservés ou reproduits, et, sauf pour l’application des paragraphes (3) et (4), toute copie ou transcription admise en preuve en vertu du présent article en conformité avec le paragraphe (3) ou (4).


« procédure judiciaire » Toute procédure ou enquête, en matière civile ou pénale, dans laquelle une preuve est ou peut être faite, y compris l’arbitrage.


« tribunal » Le tribunal, le juge, l’arbitre ou la personne devant qui une procédure judiciaire est exercée ou intentée.

 

 

30.(1) Where oral evidence in respect of a matter would be admissible in a legal proceeding, a record made in the usual and ordinary course of business that contains information in respect of that matter is admissible in evidence under this section in the legal proceeding on production of the record.

 

(2) Where a record made in the usual and ordinary course of business does not contain information in respect of a matter the occurrence or existence of which might reasonably be expected to be recorded in that record, the court may on production of the record admit the record for the purpose of establishing that fact and may draw the inference that the matter did not occur or exist.

 

 

(3) Where it is not possible or reasonably practicable to produce any record described in subsection (1) or (2), a copy of the record accompanied by two documents, one that is made by a person who states why it is not possible or reasonably practicable to produce the record and one that sets out the source from which the copy was made, that attests to the copy’s authenticity and that is made by the person who made the copy, is admissible in evidence under this section in the same manner as if it were the original of the record if each document is

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) an affidavit of each of those persons sworn before a commissioner or other person authorized to take affidavits; or

 

(b) a certificate or other statement pertaining to the record in which the person attests that the certificate or statement is made in conformity with the laws of a foreign state, whether or not the certificate or statement is in the form of an affidavit attested to before an official of the foreign state.

 

(4) Where production of any record or of a copy of any record described in subsection (1) or (2) would not convey to the court the information contained in the record by reason of its having been kept in a form that requires explanation, a transcript of the explanation of the record or copy prepared by a person qualified to make the explanation is admissible in evidence under this section in the same manner as if it were the original of the record if it is accompanied by a document that sets out the person’s qualifications to make the explanation, attests to the accuracy of the explanation, and is

 

(a) an affidavit of that person sworn before a commissioner or other person authorized to take affidavits; or

 

(b) a certificate or other statement pertaining to the record in which the person attests that the certificate or statement is made in conformity with the laws of a foreign state, whether or not the certificate or statement is in the form of an affidavit attested to before an official of the foreign state.

 

(5) Where part only of a record is produced under this section by any party, the court may examine any other part of the record and direct that, together with the part of the record previously so produced, the whole or any part of the other part thereof be produced by that party as the record produced by him.

 

 

(6) For the purpose of determining whether any provision of this section applies, or for the purpose of determining the probative value, if any, to be given to information contained in any record admitted in evidence under this section, the court may, on production of any record, examine the record, admit any evidence in respect thereof given orally or by affidavit including evidence as to the circumstances in which the information contained in the record was written, recorded, stored or reproduced, and draw any reasonable inference from the form or content of the record.

 

[. . .]

 

(12) In this section,



“business” means any business, profession, trade, calling, manufacture or undertaking of any kind carried on in Canada or elsewhere whether for profit or otherwise, including any activity or operation carried on or performed in Canada or elsewhere by any government, by any department, branch, board, commission or agency of any government, by any court or other tribunal or by any other body or authority performing a function of government;



 

 

 

“copy”, in relation to any record, includes a print, whether enlarged or not, from a photographic film of the record, and “photographic film” includes a photographic plate, microphotographic film or photostatic negative;



 

 

“court” means the court, judge, arbitrator or person before whom a legal proceeding is held or taken;

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

“legal proceeding” means any civil or criminal proceeding or inquiry in which evidence is or may be given, and includes an arbitration;


“record” includes the whole or any part of any book, document, paper, card, tape or other thing on or in which information is written, recorded, stored or reproduced, and, except for the purposes of subsections (3) and (4), any copy or transcript admitted in evidence under this section pursuant to subsection (3) or (4).

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-9-09

 

INTITULÉ :                                       PAPIERS SCOTT LIMITÉE

 

                                                            - et -

 

                                                            GEORGIA-PACIFIC CONSUMER PRODUCTS LP

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 avril 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin Sartorio

 

POUR LA DEMANDERESSE

Andrea Rush

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Heenan Blaikie LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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