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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100430

Dossier : IMM-4867-09

Référence : 2010 CF 483

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

JAKIN GJURAJ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision (la décision) de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 2 septembre 2009. La Commission a statué que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni la qualité de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               Le demandeur est un citoyen albanais âgé de 30 ans qui a demandé l’asile sur le fondement d’une allégation selon laquelle il était la cible d’une vendetta. Le demandeur prétend qu’il a été menacé et agressé par la famille d’une adolescente de 15 ans avec qui il avait eu une relation alors que celle-ci était fiancée à un autre homme.

 

[4]               La Commission a rejeté la demande du demandeur sur le fondement de ses réserves concernant la crédibilité et la vraisemblance. La Commission n’a pas trouvé que le demandeur était franc, et elle a noté qu’il y avait des contradictions entre les récits que le demandeur avait faits lors de différentes entrevues, que le demandeur n’était pas au courant de la teneur de ses propres éléments de preuve documentaire, que le récit du demandeur était invraisemblable, et que le demandeur était incapable de produire le moindre élément de preuve corroborant l’existence de l’adolescente avec qui il aurait eu l’aventure. La Commission avait aussi des réserves du fait que le demandeur avait omis de mentionner une vendetta lors de sa première entrevue d’immigration et qu’il avait avoué vouloir travailler au Canada.

 

II.         Questions en litige et norme de contrôle

 

[5]               Le demandeur a soulevé plusieurs questions, qui peuvent être résumées comme suit :

(a)        La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions quant à la vraisemblance fondées sur des hypothèses et sans éléments de preuve à l’appui et en concluant que des affirmations étaient fausses sur le seul fondement de l’absence d’autre documentation?

(b)        La Commission a-t-elle mal apprécié les éléments de preuve dont elle disposait et tiré des conclusions non justifiées à partir des éléments de preuve que lui avait présentés le demandeur?

 

[6]               Les questions soulevées dans la présente affaire se rapportent à des conclusions de fait tirées par la Commission, et elles seront examinées selon la norme de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339). La Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions de la Commission qui ont trait à des questions de crédibilité et à l’appréciation de la preuve (voir Camara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 362; [2008] A.C.F. n442, au paragraphe 12).

 

III.       Analyse

 

A.        La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions quant à la vraisemblance fondées sur des hypothèses et sans éléments de preuve à l’appui et en concluant que des affirmations étaient fausses sur le seul fondement de l’absence d’autre documentation?

 

[7]               La Commission a conclu qu’il était invraisemblable qu’il ait fallu plus de cinq mois avant que la vendetta soit déclarée après que le père de l’adolescente eut menacé de tuer le demandeur. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que ce délai était invraisemblable et que la conclusion a été tirée sans que la Commission n’invoque de connaissances spécialisées et sans éléments de preuve à l’appui. Le demandeur invoque la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776; 208 F.T.R. 267 pour soutenir que la Commission ne devrait pas appliquer des paradigmes canadiens ni spéculer sur ce à quoi l’on pourrait raisonnablement s’attendre dans un autre pays ou une autre culture.

 

[8]               Le défendeur soutient que la Commission peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur l’invraisemblance, le bon sens et la rationalité, et elle peut rejeter des éléments de preuve s’ils ne sont pas compatibles avec les probabilités qui touchent l’affaire dans son ensemble.

 

[9]               La Commission peut apprécier le récit d’un demandeur, et la manière dont il a été exposé et vérifié à l’audience, avec comme arrière-plan d’autres éléments de preuve et sa propre compréhension du comportement humain (voir Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n805; 88 A.C.W.S. (3d) 1062)). Bien que la Commission doive se montrer prudente lorsqu’elle rend une décision fondée sur un manque de vraisemblance parce que les demandeurs d’asile sont issus de cultures diverses, la Commission a compétence pour rendre des décisions relatives à la vraisemblance d’une conduite humaine. Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé dans Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315; [1993] A.C.F. n732 (C.A.F.), pour peu que les inférences tirées par le tribunal ne soient pas déraisonnables au point de justifier l’intervention de la Cour, ses conclusions ne sont pas sujettes à un contrôle judiciaire.

 

[10]           En l’espèce, le demandeur avait affirmé dans son témoignage que le père de l’adolescente éprouvait de la haine envers le demandeur, qu’il allait le tuer, et que le demandeur avait dû fuir le pays. Il était loisible à la Commission de conclure que la prétention selon laquelle le père avait attendu cinq mois après l’événement déclencheur pour traduire sa haine par des actes était invraisemblable.

 

[11]           Le demandeur soutient aussi que la Commission a commis une erreur en accordant peu de poids à des documents émanant d’une ONG. La Commission a estimé que les documents n’étaient pas fiables parce que des dates importantes différentes avaient été employées dans le témoignage du demandeur et dans les documents, et parce que le demandeur n’avait jamais vu certains des documents.

 

[12]           La Commission a le droit d’apprécier et de pondérer les éléments de preuve qui lui sont présentés, et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau les éléments de preuve et de substituer son opinion à celle de la Commission si la décision est défendable au regard des faits et du droit. Le demandeur n’a pas démontré que la décision manquait de justification, de transparence et d’intelligibilité, et par conséquent, la décision de la Commission au sujet des documents était raisonnable.

 

B.         La Commission a-t-elle mal apprécié les éléments de preuve dont elle disposait et tiré des conclusions non justifiées à partir des éléments de preuve que lui avait présentés le demandeur?

 

[13]           Le demandeur soutient que la Commission a mal apprécié les éléments de preuve et n’a pas admis ses explications quant aux contradictions dans les éléments de preuve. La Commission a tiré des conclusions défavorables fondées sur le fait que le demandeur ne s’était pas adressé à la police une deuxième fois, sur le fait qu’il n’avait pas une connaissance personnelle des efforts déployés pour mettre fin à la vendetta ni des documents s’y rapportant, et sur les raisons qu’il a données pour expliquer pourquoi il avait dit à un agent d’immigration qu’il était venu au Canada pour travailler et pourquoi certaines parties de son témoignage contredisaient les élément de preuve.

 

[14]           En l’espèce, il était loisible à la Commission de rendre la décision qu’elle a rendue. La Commission a examiné tous les éléments de preuve et elle n’a pas trouvé le demandeur crédible. Bien que le demandeur puisse proposer des explications aux contradictions, la Commission n’est pas tenue de les admettre. Étant donné la conclusion de la Commission sur la question de la crédibilité, il lui était loisible d’accorder peu de poids aux éléments de preuve documentaire (voir Waheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 329; [2003] A.C.F. no 466).

 

[15]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier, et aucune question semblable ne s’est posée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La présente demande est rejetée;

2.         Il n’y aura aucune adjudication des dépens.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4867-09

 

INTITULÉ :                                                   GJURAJ c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 22 AVRIL 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 30 AVRIL 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clifford Luyt

 

POUR LE DEMANDEUR

David Knapp

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anton Brunga

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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