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Date : 20100503

Dossier : IMM-4645-09

Référence : 2010 CF 487

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

UDINE PAULA WARNER

 

demanderesse

 

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Udine Paula Warner est une victime de son passé. Elle n’a connu que violence et sévices sexuels dans sa vie familiale. Elle a grandi à Saint‑Vincent où son père battait constamment sa mère. Bien qu’elle n’ait été qu’une enfant, elle se souvient que sa mère a porté plainte à la police, mais en vain.

 

[2]               Elle s’est mariée à Saint‑Vincent et s’est retrouvée dans la même situation. Elle a porté plainte à la police qui lui a dit ne rien pouvoir faire pour elle.

 

[3]               Elle a fui à Trinité‑et‑Tobago, dont elle a également la citoyenneté, et elle a de nouveau vécu le même scénario. Elle n’a alors pas porté plainte à la police.

 

[4]               Elle est toutefois venue au Canada et a demandé l’asile. Par la suite, elle s’est de nouveau retrouvée dans une désastreuse relation violente. Encore une fois, elle n’a pas porté plainte à la police, contrairement à l’hôpital où elle a été soignée. Des accusations criminelles ont été portées.

 

[5]               Le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu qu’elle était un témoin crédible et une ictime de violence familiale à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines, à Trinité‑et‑Tobago et au Canada. Toutefois, après avoir effectué une analyse relative à la protection de l’État, il a conclu qu’il existait une protection étatique suffisante pour elle tant à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines qu’à Trinité‑et‑Tobago, et il a donc rejeté sa demande. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[6]               Le ministre n’a rien ménagé pour souligner qu’il n’était pas contesté que Mme Warner a eu, et a toujours, la conviction subjective, mais sincère, qu’elle ne pouvait, ni ne pourra, se prévaloir de la protection de l’État dans l’un ou l’autre des pays. Toutefois, la question est, objectivement, celle de savoir si la décision du commissaire était raisonnable.

 

[7]               L’analyse relative à la protection étatique à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines s’appuyait sur le modèle usé que la Cour a vu à répétition. L’analyse va comme suit : Saint‑Vincent est une démocratie. Il incombe à la demanderesse de réfuter la présomption selon laquelle un État est présumé capable de protéger ses citoyens. Plus l’État est démocratique et plus le fardeau de la preuve s’alourdit. Quelques décisions ont été mentionnées dans lesquelles des demandes de contrôle judiciaire fondées sur ce type d’analyse ont été rejetées. Toutefois, aucune allusion n’a été faite à de nombreuses décisions où la Commission a tiré une décision contraire, p. ex. dans Alexander c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1305. J’estime que le temps est venu où il ne suffit plus de simplement dire que Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines est une démocratie. C’est une démocratie dans laquelle la violence familiale sévit.

 

[8]               Le fardeau de la preuve qui incombe à un demandeur d’asile a été judicieusement décrit par le juge O’Reilly dans Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 320, [2008] 1 R.C.F. 3, au paragraphe 13 :

Il incombe aux demandeurs d’asile de démontrer qu’ils sont visés par la définition de réfugié. Pour ce faire, ils doivent démontrer qu’ils craignent réellement, et « avec raison », d’être persécutés. Les demandeurs d’asile, pour établir qu’ils craignent avec raison d’être persécutés, doivent démontrer qu’il existe une « possibilité raisonnable », une « possibilité sérieuse » ou « plus qu’une simple possibilité » qu’ils seront persécutés s’ils sont renvoyés dans le pays dont ils ont la nationalité (Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.)). (À l’inverse, une personne qui prétend être en danger de subir de la torture, d’être tuée ou d’être exposée à un traitement cruel et inusité doit établir selon la prépondérance des probabilités que sa demande d’asile est fondée : Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 239 (C.A.F.).) À l’égard de faits particuliers sous-jacents, le demandeur d’asile supporte un fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités (Adjei, précité, à la page 682).

 

[9]               Il a souligné que l’expression « preuve claire et convaincante », qui provient de la décision du juge La Forest parlant au nom de la Cour suprême du Canada dans le cas d’espèce Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 20 Imm. L.R. (2d) 85, décrit la nature de la preuve requise, et non le fardeau de la preuve.

 

[10]           Bien que la décision du juge O’Reilly ait été infirmée par la Cour d’appel fédérale, 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, 69 Imm. L.R. (3d) 309, le juge Létourneau a convenu, au paragraphe 26 de cette décision, que le juge La Forest, dans Ward, faisait allusion à la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption, et non à une norme de preuve plus rigoureuse :

En fait, notre collègue le juge Sexton s’est exprimé de manière assez semblable au paragraphe 57 de l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, où il a écrit que « le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile » (non souligné dans l’original). Je pense que notre collègue, comme le juge La Forest dans l’arrêt Ward, voulait parler de la qualité de la preuve qu’il faut produire pour convaincre le juge des faits de l’insuffisance de la protection de l’État. Autrement dit, il est plus difficile de réfuter la présomption dans certains cas que dans d’autres. Mais cela ne modifie en rien la norme de preuve. Je souscris donc entièrement à la conclusion du juge de première instance selon laquelle le juge La Forest parlait dans Ward de la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption et non d’une norme de preuve plus rigoureuse.

 

[11]           Une demande d’asile fait suite à une série de faits particuliers, et doit être examinée dans pareil contexte. Dans l’arrêt Ward, le demandeur d’asile cherchait à se protéger contre une organisation terroriste paramilitaire. Mme Warner cherche à se réfugier contre un membre de sa propre famille. Son passé fait en sorte qu’il lui est, subjectivement, difficile de sortir du cercle de violence et d’abus. Les expériences qu’elle a vécues au Canada témoignent de ce fait.

 

[12]           Toutefois, il n’est pas nécessaire en l’espèce de statuer de façon définitive sur le caractère raisonnable de l’analyse effectuée par la SPR relativement à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines parce qu’à mon avis l’analyse distincte effectuée relativement à l’existence de la protection de l’État à Trinité‑et‑Tobago se situait à l’intérieur des issues raisonnables acceptables telles que la Cour suprême les a énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47.

 

[13]           Étant donné que Mme Warner ne s’est pas réclamée de la protection de l’État à Trinité‑et‑Tobago, il lui incombe d’établir, objectivement, que tout effort aurait été vain. Le commissaire a tenu compte des contradictions relevées dans plusieurs sources parmi les éléments de preuve documentaires, a fait remarquer que la violence à l’endroit des femmes est un grave problème à Trinité‑et‑Tobago, mais, pour des motifs qu’il a clairement énoncés, il était d’avis que la protection de l’État était suffisante. En effet, il semble y avoir une meilleure structure en place à Trinité‑et‑Tobago comparativement à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines, car on trouve des refuges pour femmes, des services d’écoute téléphonique et des centres de crise.

 

[14]           Cette affaire est assez semblable à celle de Lynch c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 374, un autre cas de violence familiale de Trinité‑et‑Tobago. Ce que le juge Phelan a dit dans cette décision, au paragraphe 10, s’applique également à l’affaire dont je suis saisi :

La Commission a tenu compte de la preuve objective relative à la protection de l’État et à la situation personnelle de la demanderesse pour déterminer si elle pouvait raisonnablement obtenir cette protection. Les motifs de la Commission étaient suffisants et la demanderesse était en mesure de comprendre le raisonnement adopté par la Commission pour en arriver à ses conclusions. La demanderesse s’oppose en fait aux conclusions de la Commission et non à la suffisance des motifs.

 

 

[15]           Il est possible qu’il existe des motifs d’ordre humanitaire qui pourraient convaincre le ministre de permettre à Mme Warner de rester au Canada. Cependant, je ne suis pas appelé à trancher cette question, et je dois donc rejeter la demande.

 

 

ORDONNANCE

            POUR LES MOTIFS DONNÉS,

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4645-09

 

INTITULÉ :                                                   Warner c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 29 AVRIL 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DE L’ORDONNANCE :                   LE MAI 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Preevanda K. Sapru

 

POUR LA DEMANDERESSE

Suran Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Preevanda K. Sapru

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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