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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100430

Dossier : IMM-3844-09

Référence : 2010 CF 482

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

TEWODROS GEBRE-HIWET

HARUYA TEWODROS GEBRE-HIWET

SAMRAWIT-KORAL TEWODROS GEBRA-HIWET

BANCHIAMLAK GEBRE-HIWET

ROBEL GEBRE-HIWET

SENAY TEWODROS GEBRE-HIWOT

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs, des citoyens israéliens de descendance éthiopienne/érythréenne, n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Elle a estimé que les demandeurs n’étaient pas menacés en raison de leur opposition au service militaire et que la discrimination alléguée n’équivalait pas à de la persécution. L’omission des demandeurs de se réclamer de la protection de l’État a de plus miné leur allégation.

 

[2]               Les questions fondamentales du présent contrôle judiciaire sont le service militaire obligatoire comme motif pour demander l’asile ou la protection et l’examen des effets cumulatifs de la discrimination.

 

II.         FAITS

[3]               Deux des cinq demandeurs sont mineurs. Ils forment une famille qui a déménagé de l’Éthiopie vers Israël en 1995. Bien que le père et la mère soient de confession chrétienne, la famille a pu profiter de la politique d’Israël favorisant le rétablissement des juifs éthiopiens, car que la grand-mère maternelle était juive. Les membres de la famille ont quitté l’Éthiopie parce qu’ils croyaient que, comme « fellagha » (terme désignant les juifs éthiopiens), ils étaient maltraités même s’ils vivaient comme des chrétiens.

 

[4]               La plainte des demandeurs relative à leur traitement en Israël avait pour objet (a) la discrimination du fait de leur race et de leur religion et (b) leur opposition au service militaire.

 

[5]               Les demandeurs ont souligné un certain nombre d’incidents de discrimination allant des mauvais traitements dans le réseau de transport en commun, le licenciement, les mauvais traitements de la part des parents et d’autres personnes lorsqu’il était enseignant, le vandalisme perpétré sur une voiture et l’utilisation d’épithètes insultantes à leur endroit. Il semble que les incidents n’aient jamais été signalés aux autorités.

 

[6]               L’opposition au service militaire est soulevée relativement au fils aîné et à la fille. Le fils a fait son service obligatoire de trois ans, mais il s’opposait aux opérations dans la bande de Gaza et a allégué que les Éthiopiens étaient maltraités du fait qu’on leur imposait les tâches les plus ingrates ou les plus dangereuses. La fille s’opposait au service militaire de façon générale et estimait que les Éthiopiens étaient maltraités.

 

[7]               La famille est venue au Canada en 2007 avec des visas de visiteur. Trois des filles des demandeurs sont restées en Israël et habitent dans le même secteur où la famille a vécu. Une des filles travaille, une autre étudie dans un collège grâce au programme de scolarité gratuite d’Israël et une autre fait partie de l’armée.

 

[8]               La Commission a exprimé d’importantes réserves relativement à la crédibilité des demandeurs, aux contradictions internes relevées dans leurs récits, à leurs trous de mémoire, aux embellissements de leur histoire et à leur omission de signaler des incidents et de se réclamer de la protection de l’État.

 

[9]               La Commission a examiné à fond et a évalué chaque incident de discrimination et, dans la mesure où l’allégation avait un quelconque fondement crédible, elle les a habituellement considérés comme des incidents mineurs. Tout compte fait, la Commission a conclu que les incidents cumulatifs ne constituaient pas de la persécution.

 

[10]           La seule crainte crédible et constante qui était fondée tenait aux problèmes que les demandeurs avaient avec la communauté juive d’Éthiopie en raison de leur héritage chrétien. Leur omission de signaler les incidents qui sont survenus ou d’entreprendre des démarches pour se réinstaller a miné leur allégation. La Commission a conclu que les demandeurs n’ont produit aucune preuve objective établissant que la protection de l’État n’était pas assurée par Israël à des citoyens comme les demandeurs, et aucun d’entre eux ne l’a demandée.

 

[11]           S’agissant de la question du service militaire, ni le fils aîné ni la fille n’ont pris des mesures à l’égard de la discrimination alléguée et ils ne se sont pas non plus prévalus des solutions de rechange au service militaire.

 

[12]           Enfin, la Commission a examiné la politique d’Israël à l’égard de la discrimination et de l’intégration. Elle a souligné tant les efforts du gouvernement pour faciliter l’intégration des juifs éthiopiens que les problèmes posés par pareille intégration. Elle a conclu que, compte tenu des généreux programmes de prise en charge visant ces nouvelles communautés, Israël pouvait difficilement être perçu comme un État autorisant la discrimination.

 

III.       ANALYSE

[13]           Dans l’arrêt Lebedev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 728, le juge de Montigny a statué que la norme de contrôle à appliquer pour établir si la désertion entraîne de la persécution est une question de droit pour laquelle la norme applicable est celle de la décision correcte. J’adopte sa conclusion. L’omission de tenir compte des effets cumulatifs de la discrimination est également une question de droit; toutefois, la question de savoir si les événements eux-mêmes constituent de la persécution est une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Talman c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. n41, 93 F.T.R. 266).

 

[14]           La conclusion selon laquelle il était possible de se réclamer de la protection de l’État, dans les affaires comme celles de l’espèce, est assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171).

 

[15]           Dans la plupart des cas, une conclusion selon laquelle il était possible de se réclamer de la protection de l’État aurait scellé l’issue de l’allégation de discrimination ou de persécution. Toutefois, les demandeurs soutiennent que l’analyse de cette question est erronée. Je conviens avec eux que l’omission d’évaluer correctement l’objet de la protection peut entacher une conclusion selon laquelle il était possible de se réclamer de la protection de l’État. La protection de l’État doit être liée à une évaluation appropriée du type de risque ou de préjudice contre lequel la personne doit être protégée.

 

[16]           La conclusion relative aux effets cumulatifs prête plutôt à confusion. Bien que la Commission reconnaisse le critère, les demandeurs laissent entendre qu’elle n’a évalué que cumulativement ces événements qui constituaient de la persécution en eux-mêmes. Si tel était le cas, ce serait une erreur de droit.

 

[17]           Cependant, il n’est pas nécessaire d’évaluer les effets cumulatifs lorsque l’analyse relative à la protection de l’État conclut qu’il était possible de se réclamer de la protection de l’État pour les types d’événements qui ont été allégués comme étant de la persécution. Lorsque chacun des événements dont on dit qu’ils constituent cumulativement de la persécution permet en soi de bénéficier de la protection de l’État, il n’est pas pertinent qu’une erreur ait été commise dans l’évaluation cumulative; la protection de l’État existe à l’égard d’éléments pour lesquels une protection est nécessaire.

 

[18]           Par conséquent, même si les demandeurs avaient raison quant à l’évaluation des effets cumulatifs – ce qui demeure incertain – la conclusion selon laquelle il était possible de se réclamer de la protection de l’État ne s’en trouverait pas entachée. En l’espèce, l’analyse relative à la protection de l’État était approfondie et raisonnable.

 

[19]           S’agissant de la question de l’opposition au service militaire, la norme juridique est que la conscription est permissible comme loi d’application générale et qu’elle ne constitue pas de la persécution. Le fils n’était pas un objecteur de conscience à toutes les guerres et il n’a pas démontré non plus qu’il serait obligé de commettre des crimes contre l’humanité. La fille n’a fait aucune démarche pour se réclamer des autres possibilités de service offertes aux véritables objecteurs de conscience. La conclusion selon laquelle il n’existe aucune discrimination pour ce qui est du service militaire était également raisonnable.

 

[20]           Le présent contrôle judiciaire doit donc être rejeté. Aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-3844-09

 

INTITULÉ :                                                  TEWODROS GEBRE-HIWET

                                                                       HARUYA TEWODROS GEBRE-HIWET

                                                                       SAMRAWIT-KORAL TEWODROS GEBRA-HIWET

                                                                       BANCHIAMLAK GEBRE-HIWET

                                                                       ROBEL GEBRE-HIWET

                                                                       SENAY TEWODROS GEBRE-HIWOT

 

                                                                       et

 

                                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          LE 4 MARS 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 30 AVRIL 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alison Engel-Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHEAL CRANE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto, Ontario

POUR LE DÉFENDEUR

 

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