Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Federal Court

 

 

Cour fédérale


Date : 20100426

Dossier : T-1140-09

Référence : 2010 CF 449

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2010

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

Entre :

le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

demandeur

 

 

et

 

HUILING NIE

défenderesse

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) interjette appel, en application du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi), de la décision du juge de la citoyenneté d’approuver la demande de citoyenneté présentée le 1er octobre 2008 par Mme Huiling Nie.

 

[2]               Mme Huiling Nie est arrivée au Canada depuis la Chine en 2000 munie d’un visa d’étudiante. Elle a obtenu la résidence permanente en 2005 et, la même année, a quitté le Canada pour occuper un posté lié à ses études postdoctorales à l’Université Harvard aux États-Unis. Son mari et ses enfants sont demeurés au Canada pendant deux ans pendant que la défenderesse étudiait et travaillait aux États-Unis.

 

[3]               En 2008, la défenderesse a présenté une demande de citoyenneté affirmant qu’elle avait l’intention de revenir travailler au Canada. Elle avait été physiquement présente au Canada pendant 346 jours au cours des quatre années précédant sa demande de citoyenneté. Le juge de la citoyenneté a conclu que la défenderesse avait répondu aux exigences de résidence selon le critère établi dans la décision Re Koo [1992] A.C.F. no 1107 (la décision Koo).

 

[4]               Le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a commis en erreur en tenant compte de facteurs non pertinents et en tirant une conclusion déraisonnable selon laquelle la défenderesse répondait aux exigences de résidence aux fins de la demande de citoyenneté.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai l’appel et rejetterai la demande de citoyenneté de la défenderesse.

 

La Décision faisant l’objet de l’appel

[6]               Le juge a écrit ce qui suit : [traduction] « J’approuve. Voir le rapport Koo sur lequel je m’appuie, mais la décision du juge Thurlow dans l’affaire Re Papadogiorgakis s’appliquerait cependant tout autant. »

 

[7]               Dans les motifs de la décision concernant la résidence, le juge de la citoyenneté a estimé que l’absence de la défenderesse du Canada était temporaire en ce qu’elle était au Canada depuis 2000 et qu’elle postulait pour des emplois au Canada. La défenderesse a impressionné le juge de la citoyenneté. Il a conclu que la défenderesse était fidèle au Canada et vraisemblablement un atout pour les milieux scientifique et universitaire canadiens. Il a conclu que son contrat à Harvard, renouvelé tous les ans, visait à passer le temps jusqu’à ce [traduction] « [qu’]elle trouve au Canada un poste répondant à son instruction et à ses talents ». Il a ajouté ce qui suit :

[traduction]

« La demanderesse est aussi fidèle à notre pays que toutes les personnes que j’ai rencontrées. Elle a consacré tous ses efforts à être au Canada chaque fois que cela était possible et à vivre et à travailler ici dans l’avenir. J’approuve grandement. Elle est à l’étranger uniquement en raison des possibilités d’études. Elle a atteint un niveau très avancé dans son domaine (postdoctorat) et [illisible] et serait un atout important pour le Canada et les milieux scientifique et universitaire du pays. »

 

 

[8]               Dans le cadre de l’examen des questions énoncées dans la décision Koo, le juge de la citoyenneté a écrit ce qui suit :

[traduction]

La personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté? –  « Assurément. Pendant plus de cinq ans, à l’exception de seulement quelques brefs séjours pour des conférences et d’un seul mois en Chine pour voir sa famille, immédiatement avant d’aller à l’Université Harvard. »

 

Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) de la demanderesse? – « Son mari et ses deux enfants vivent maintenant aux États‑Unis où la demanderesse étudie (postdoctorat à Harvard), mais ils étaient ici auparavant et reviendront ici dans le futur. »

 

La forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite? – « Elle revient toujours à la maison sans exception. Ses amis sont ici et elle aime le Canada et préfère de loin la culture et les valeurs de notre pays à celles de tout autre. »

 

Quelle est l’étendue des absences physiques? (Nombre de jours à l’extérieur du Canada par opposition au nombre de jours où elle est présente au Canada) – « 346 jours ici et 869 jours à l’étranger ».

 

 

Dispositions légales et JURISPRUDENCE

[9]               La Loi est rédigée comme suit :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) en fait la demande;

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

 

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

14(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d’appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

 

a) de l’approbation de la demande;

 

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

 

[Non souligné dans l’original.]

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

14 (5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.

 

(emphasis added)

 

[10]           L’alinéa 5(1)c) exige que le demandeur de citoyenneté ait établi sa résidence au Canada pendant trois des quatre années précédant le dépôt de la demande, ce qui représente au moins 1 095 jours sur un total de 1 461 jours.

 

LES Questions en litige

[11]           Le ministre prétend que le juge de la citoyenneté a commis les erreurs suivantes :

1.         le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en accordant la citoyenneté à la défenderesse en fonction de facteurs qui ne sont pas pertinents pour l’application du critère énoncé dans la décision Koo;

 

2.         le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en fournissant des motifs insuffisants;

 

3.         le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte d’éléments de preuve;

 

4.         la conclusion tirée par le juge de la citoyenneté selon laquelle la défenderesse satisfaisait aux exigences de résidence est déraisonnable, car il ressort clairement de la preuve qu’elle ne respectait pas ce critère.

 

 

[12]           À mon avis, la question est de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur lorsqu’il a appliqué le critère énoncé dans la décision Koo.

 

ANALYSE

[13]           Dans la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 A.C.F. no 208 (Papadogiorgakis), le juge Thurlow avait interprété la notion de résidence comme comprenant le cas de personnes demandant la citoyenneté qui ont un lieu de résidence au Canada qui est utilisé dans une mesure suffisante pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente même si elles sont absentes. L’affaire Papadogiorgakis concernait un étudiant qui avait centralisé son mode de vie au Canada avant de quitter pour des études universitaires aux États-Unis. L’étudiant a laissé le reste de ses possessions au Canada, revenait fréquemment et, plus important encore, est revenu ici à la fin de ses études. Le juge Thurlow a conclu que l’étudiant avait été absent temporairement aux fins de poursuivre ses études.

 

[14]           Dans la décision Koo, la juge Barbara Reed a étendu la notion de résidence au-delà d’un compte rigide de jours. Elle a conclu que dans certains cas, les personnes demandant la citoyenneté établissaient une résidence par leur degré d’attachement au Canada même si elles pouvaient ne pas avoir été présentes pendant le nombre minimum de jours. Elle a conclu que le critère relatif à la résidence comprenait la question de savoir si le demandeur de citoyenneté avait centralisé son existence au Canada. La juge Reed a énoncé un ensemble de questions pour aider à déterminer si un demandeur qui ne compte pas le nombre de jours peut quand même satisfaire à l’exigence de résidence. Elle a déclaré ce qui suit :

[…] le critère est celui de savoir si l’on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement ». Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d’existence? Il y a plusieurs questions que l’on peut poser pour rendre une telle décision :

 

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

 

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

 

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?

 

4) quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

 

5) l’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

 

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

 

[15]           Ces questions ont été adaptées en un questionnaire qu’utilisent les juges de la citoyenneté lorsqu’ils appliquent le critère énoncé dans la décision Koo comme cela a été le cas en l’espèce.

 

[16]           La juge Reed a fait une mise en garde contre l’utilisation de cette approche flexible à l’égard de la résidence pour favoriser des demandeurs envers lesquels le juge pourrait manifester de la sympathie. Elle a insisté sur une interprétation uniforme de la Loi pour que tous les demandeurs de citoyenneté soient évalués selon les mêmes critères objectifs.

 

[17]           En l’espèce, le juge de la citoyenneté a conclu que la défenderesse satisfaisait aux exigences du critère énoncé dans la décision Koo en s’appuyant sur des critères subjectifs et non pertinents et des hypothèses qui reflètent l’impression favorable qu’il avait d’elle. Toutefois, des facteurs pertinents et objectifs qui ressortent de la preuve minent la demande de la défenderesse.

 

[18]           Le juge de la citoyenneté omet de traiter deux questions essentielles. Premièrement, la défenderesse a-t-elle centralisé son mode de vie au Canada avant de quitter pour les États-Unis? Deuxièmement, la qualité de ses attaches avec le Canada était-elle plus importante que celles qui existent avec tout autre pays?

[19]           La défenderesse a fréquenté l’université au Canada en vertu d’un visa d’étudiante; elle a vécu avec sa famille, loué une propriété et payé des impôts au Canada de 2000 à 2004 avant de partir pour les États-Unis en 2005. En soi, ce ne sont pas des indicateurs solides d’un mode d’existence permanent et centralisé au Canada. Plusieurs étudiants s’établissent de façon temporaire dans le lieu où ils poursuivent leurs études. La défenderesse a passé la majorité de la période pertinente de quatre ans aux États-Unis, soit de 2004 à 2008, pour poursuivre des travaux de postdoctorat à Harvard sur une base contractuelle. La défenderesse s’est fait offrir un poste dans une université canadienne, mais elle l’a refusé. Je conclus que sa présence à Harvard était une question de choix personnel plutôt qu’une nécessité. En outre, sa famille a quitté le Canada pour joindre la défenderesse aux États-Unis. Nonobstant le fait que la défenderesse a déclaré qu’elle préférait le Canada et la culture canadienne, il n’est pas possible de dire que la qualité de ses attaches avec ce pays est plus importante que celles avec les États-Unis.

 

[20]           Je comprends les aspirations universitaires de la défenderesse de même que son admiration pour le Canada, mais elles ne constituent pas des critères selon lesquels la citoyenneté est accordée. La citoyenneté est accordée lorsque les résidents permanents satisfont aux exigences de la Loi. En conséquence, j’accueillerai l’appel du ministre interjeté contre la décision du juge de la citoyenneté.

 

[21]           Le ministre soutient que la demande de citoyenneté de la défenderesse n’offre pas de preuve suffisante pour satisfaire à l’exigence de résidence et demande instamment à la Cour de rejeter la demande de la défenderesse plutôt que de la renvoyer pour être entendue à nouveau. Je suis d’accord. Cela n’empêche pas la défenderesse de présenter une nouvelle demande de citoyenneté à l’avenir.

 

CONCLUSION

[22]           L’appel sera accueilli. La décision du juge de la citoyenneté sera annulée et la demande de citoyenneté de la défenderesse sera rejetée.

 

[23]           Aucuns dépens n’est adjugé.


jugement

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La décision du juge de la citoyenneté accordant la citoyenneté est annulée.

2.                  La demande de citoyenneté de la défenderesse est rejetée.

3.                  Aucuns dépens n’est adjugé.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1140-09

 

 

Intitulé :                                       le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

                                                            c. HUILING NIE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 mars 2010

 

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 avril 2010

 

 

Comparutions :

 

Neal Samson

 

Pour le demandeur

S/O

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

S/O

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.