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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100428

Dossier : IMM-5170-09

Référence : 2010 CF 464

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2010

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

HORACIO LOPEZ PUERTA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET
DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

 

[1]               Le demandeur, citoyen de la Colombie, a quitté les États-Unis et est arrivé au Canada le 27 juillet 2009, en compagnie de sa famille. Il dit craindre avec raison d’être persécuté et menacé de mort par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Comme il avait présenté, sans succès toutefois, une demande d’asile au Canada en 2003, il n’avait pas droit à ce que sa demande soit renvoyée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR). Il a toutefois été décidé qu’il pouvait présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Sa demande a été présentée avec une lettre d’accompagnement datée du 14 août 2009, et y étaient joints de nombreux affidavits et éléments de preuve documentaires.

 

[2]               Dans une longue décision datée du 7 octobre 2009, un agent d’ERAR a rejeté la demande. Ce dernier a conclu principalement que le demandeur avait fourni une preuve insuffisante pour établir que sa famille ou lui-même avaient été ciblés ou menacés par les FARC. L’agent a toutefois reconnu que les personnes que les FARC prennent pour cible ne bénéficient pas d’une protection de l’État adéquate, mais l’insuffisance des éléments de preuve permettant d’établir que le demandeur était l’une de ces personnes a porté un coup fatal à sa demande de protection. Autrement dit, la simple existence des FARC en Colombie ne dénotait pas que le demandeur s’exposait à un risque.

 

[3]               Le demandeur souhaite faire annuler la décision de l’agent d’ERAR.

 

II.        Les questions en litige

 

[4]               La présente demande soulève les questions suivantes :

 

1.                  L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de reconnaître que la preuve soulevait une « question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur », de sorte qu’il était nécessaire de tenir une audience en application de l’alinéa 113b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement)?

 

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur en appliquant un mauvais critère ou en omettant d’énoncer le critère approprié en vertu de l’article 97 de la LIPR?

 

3.                  L’agent a-t-il commis une erreur en faisant abstraction de la preuve qui lui a été soumise en ou l’interprétant erronément?

 

[5]               Au vu des faits particuliers de l’espèce, je suis convaincue que l’agent a appliqué le bon critère en vertu de l’article 97 de la LIPR et qu’il a tenu dûment compte de la preuve qui lui était soumise. Cependant, je ferai droit à la présente demande de contrôle judiciaire au motif que l’agent a commis une erreur en omettant de tenir une audience car la preuve qui lui était soumise soulevait une question importante au sujet de la crédibilité du demandeur.

 

III.       Le cadre législatif

 

[6]               Comme il a été mentionné, étant donné que le demandeur avait présenté antérieurement, sans succès toutefois, une demande d’asile au Canada (en 2003), l’alinéa 101(1)b) de la LIPR l’empêchait de présenter une demande à la SPR en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR. Sa seule solution de rechange était de demander la protection au ministre, aux termes du paragraphe 112(1) de la LIPR. L’examen de sa demande est appelé « ERAR ».

[7]               L’alinéa 113b) de la LIPR prescrit que, à la suite d’une demande d’ERAR, « une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires ».

 

[8]               Les facteurs réglementaires sont exposés à l’article 167 du Règlement :

 

1)                  l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la LIPR qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

2)                  l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

3)                  la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

IV.       Analyse

 

[9]               Dans la décision, l’agent admet explicitement que [traduction] « les personnes que ciblent les FARC ne bénéficient pas de la protection de l’État ou d’une possibilité de refuge intérieur ». Il s’ensuit qu’un élément central de la décision est l’acceptation du récit de persécution du demandeur aux mains des FARC et que, à supposer que cette preuve soit admise, il serait justifié de faire droit à la demande. Au vu des faits de l’espèce, le demandeur satisfait donc manifestement aux deuxième et troisième facteurs énoncés à l’article 167 du Règlement. Par ailleurs, il m’apparaît évident que les craintes du demandeur sont liées, à tout le moins, à l’article 97. (Je ne me prononce pas sur la question de savoir si ces craintes sont également liées à l’article 96.) En conséquence, la question qu’il me faut trancher consiste à savoir si la preuve soumise à l’agent soulève une « question sérieuse » au sujet de la crédibilité du demandeur.

 

[10]           Même si la question de la norme de contrôle à appliquer à cet aspect de la décision de l’agent suscite peut-être un certain désaccord, je suis d’avis que la décision de l’agent de tenir ou non une audience est un exercice de pouvoir discrétionnaire qui doit être assujetti à la norme de la décision raisonnable.

 

[11]           Pour paraphraser les propos du juge Zinn dans la décision Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, 74 Imm. L.R. (3d) 306, au paragraphe 32, lorsque le fait allégué est essentiel à la demande d’ERAR, il est loisible à l’agent d’exiger du demandeur des preuves corroborantes pour qu’il s’acquitte de sa charge de la preuve. En l’espèce, un élément critique de la preuve du demandeur était le travail qu’accomplissait son épouse auprès d’indigents.

 

[12]           Le principal élément de preuve soumis à l’agent a été l’affidavit sous serment du demandeur. Je fais remarquer tout d’abord que, dans l’affaire Ferguson, un fait important était que le demandeur n’avait pas produit d’affidavit sous serment; toutes les observations avaient été faites par l’avocat. Dans son affidavit sous serment, le demandeur décrit un certain nombre d’incidents dans lesquels des membres des FARC les ont pris pour cible, sa famille et lui. J’admets qu’on aurait pu être plus explicite, mais les incidents sont décrits de manière assez détaillée. Dans sa décision, l’agent d’ERAR énumère un certain nombre de questions de preuve auxquelles le demandeur a fait référence et il juge qu’à l’égard de chacune de ces questions les éléments de preuve sont insuffisants. Au nombre des présumées lacunes que comporte l’affidavit sous serment (de pair avec un certain nombre d’autres documents justificatifs) figurent les suivantes :

 

·                    une preuve insuffisante que l’épouse du demandeur avait été enlevée;

 

·                    une preuve insuffisante que les FARC avaient menacé le demandeur, sa famille ou un chef indigène, ou qu’elles leur avaient extorqué de l’argent;

 

·                    une explication insuffisante de la façon dont son épouse avait reconnu un individu se trouvant dans une automobile comme étant celui qui l’avait accostée le jour précédent;

 

·                    une preuve insuffisante que le travail de l’épouse comme conseillère culturelle la mêlerait à des questions de sécurité.

 

[13]           Les présumées lacunes de l’affidavit, de même que la conclusion de l’agent selon laquelle le fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis dénotait une absence de crainte subjective, semblent avoir guidé sa conclusion générale. Je conclus que l’agent, en réalité, a fondé sa décision sur des questions de crédibilité; pour dire les choses simplement, l’agent n’a pas ajouté foi au récit du demandeur et a rejeté pour cette raison la demande d’ERAR.

[14]           Une revue de la jurisprudence de la Cour n’est pas particulièrement utile car chacune des affaires en question s’articule autour des faits qui lui sont propres. On peut toutefois dire de façon générale que la présente affaire se compare surtout aux décisions qui ont été rendues dans les affaires L.Y.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1167, [2009] A.C.F. no 1470 (QL) et Prieto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 253, [2010] A.C.F. no 307 (QL), et dans lesquelles la Cour a fait droit au contrôle judiciaire relativement à des faits semblables.

 

[15]           Je tiens à préciser que je ne dis pas que la présence d’un affidavit signifie automatiquement qu’une audience est exigée. Chaque affaire dépend des faits qui lui sont propres et des informations qui peuvent être incluses, ou non, dans l’affidavit. La présente décision ne devrait pas non plus inciter les demandeurs à s’attendre à ce qu’une audience soit tenue s’ils sont en mesure d’ajouter des détails et des preuves additionnelles. En général, le demandeur a le fardeau de présenter à l’agent des éléments de preuve suffisants, et une entrevue est une exception à l’examen écrit qui a habituellement lieu. Cependant, il ressort clairement de l’inclusion de la tenue possible d’une audience dans la LIPR et dans le Règlement qu’il y aura des cas où seule une telle mesure permettra d’évaluer la crédibilité. À mon avis, nous sommes en présence de l’un de ces cas.

 


V.        Conclusion

 

[16]           En conclusion, la décision de l’agent de ne pas tenir une audience sur les éléments de preuve qui lui ont été soumis n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[17]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question à certifier, et aucune ne le sera.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission annulée et l’affaire renvoyée pour qu’un tribunal différemment constitué de la Commission rende une nouvelle décision;

 

2.                  aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B

 




COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5170-09

 

INTITULÉ :                                       HORACIO LOPEZ PUERTA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 28 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Davis

 

POUR LE DEMANDEUR

Prathima Prashad

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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