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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20100428

Dossier : IMM-4492-09

Référence : 2010 CF 465

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2010

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

NINO KEDELASHVILI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, une citoyenne de la Géorgie, demande l’asile au Canada sur le fondement de sa crainte de son ancien employeur. Elle soutient qu’en raison de son opposition à une nomination au sein du ministère gouvernemental pour lequel elle travaillait, sa sœur a été arrêtée et accusée de corruption et qu’elle-même a été rétrogradée et agressée par des collègues.

 

[2]               Dans une décision rendue le 20 août 2009, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a établi que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié ni de personne à protéger. La demanderesse demande l’annulation de cette décision au motif que la Commission aurait commis trois erreurs susceptibles de contrôle judiciaire :

 

1.                  Eu égard à l’omission pour la Commission de s’être prononcée sur la crédibilité de la demanderesse, il était déraisonnable qu’elle en arrive à la conclusion que celle-ci ne subirait pas de préjudices plus graves que ceux auxquels est exposée la population en général;

 

2.                  La Commission n’a pas appliqué le critère d’évaluation qui convenait pour rendre une décision en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27, lorsqu’elle a conclu que : « selon la prépondérance des probabilités, […] la demandeure d’asile ne serait pas exposée au risque d’être soumise à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle devait retourner dans son pays »;

 

3.                  Compte tenu de ses propres éléments de preuve à l’égard de la corruption au sein de l’appareil judiciaire de la Géorgie, il était déraisonnable que la Commission se fonde sur la participation de la demanderesse au processus judiciaire concernant la déclaration de culpabilité de sa sœur pour conclure qu’elle pouvait se réclamer de la protection de son gouvernement.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Tout d’abord je constate que la décision de la Commission est extrêmement laconique. La cause de la demanderesse est traitée intégralement dans une énumération comportant sept points. Bien que l’essentiel de la demande y soit résumé correctement, il m’est d’avis que la Commission a omis, dans son analyse, de motiver sa décision. Comme le souligne le juge Binnie dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47 :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel […]

 

[5]               La Commission semble affirmer qu’elle n’ajoutait pas foi au témoignage de la demanderesse lorsqu’elle écrit : « Elle n’a jamais signalé l’agression, ni fourni l’identité de ses présumés agresseurs à la police. Cela suscite des doutes sur la crédibilité de la description de la présumée agression. » [Non souligné dans l’original.] Plusieurs des conclusions de la Commission semblent dériver de cet énoncé vague à l’égard de la crédibilité. Il m’apparaît, par exemple (bien que ce ne soit pas tout à fait clair), que la Commission s’appuie sur cette affirmation pour conclure que « [s]i elle devait retourner en Géorgie aujourd’hui, la demandeure d’asile ne subirait pas de préjudices plus importants que les préjudices que subiraient généralement d’autres personnes dans le pays. »

 

[6]               Là où le bât blesse, c’est que la Commission n’a jamais clairement affirmé qu’elle ne donnait pas créance à la totalité ou à une partie du récit de la demanderesse. Selon une jurisprudence bien établie, la Commission est tenue de justifier, en termes clairs et explicites, les doutes qu’elle entretient à l’égard de la crédibilité d’un demandeur (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236, 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.)).

 

[7]               La Commission ayant omis de formuler une conclusion claire quant à la crédibilité, sa décision ne satisfait pas au critère de raisonnabilité. La décision n’est pas motivée et manque de transparence et d’intelligibilité. Il convient, sur ce seul fondement, d’accueillir la demande.

 

[8]               La demanderesse soutient également que la Commission a mal appliqué le critère d’analyse relié à l’article 97. Dans son dernier point, la Commission affirme que : « selon la prépondérance des probabilités, […] la demandeure d’asile ne serait pas exposée au risque d’être soumise à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle devait retourner dans son pays. »

 

[9]               Aux termes de l’article 97 de la LIPR, a qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi, exposée soit à une menace à sa vie, soit au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Le défendeur soutient que le défaut d’employer les mots « risque » et « menace » [en fait, le défaut d’employer le mot anglais « risk » dans la version originale des motifs] ne constitue pas une erreur de fond. S’il m’était possible de me référer à d’autres passages de la décision pour m’assurer que la Commission comprenait bien son mandat à l’égard de l’article 97, j’aurais peut-être pu conclure qu’il s’agissait en l’occurrence d’une omission accidentelle ou d’une erreur d’écriture. En l’espèce, il n’est fait aucune autre mention de l’application de l’article 97 dans la décision. En conséquence, j’en conclus que la Commission a commis une erreur.

 

[10]           En troisième lieu, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État et a omis de tenir compte de ses propres documents décrivant la corruption au sein du gouvernement et de l’appareil judiciaire. Une fois de plus, le libellé de la décision n’est d’aucun secours pour son interprétation. Le point qui traite de la protection de l’État est ainsi rédigé :

Avant de demander la protection internationale, le demandeur d’asile doit solliciter cette protection auprès de son propre gouvernement ou fournir la preuve qu’il ne peut l’obtenir. La demandeure d’asile n’a fait ni l’un ni l’autre, et elle a utilisé l’appareil judiciaire de la Géorgie pour interjeter appel du jugement de culpabilité prononcé contre sa sœur, en application de ses lois.

 

[11]           Ces deux phrases – auxquelles se résume l’analyse de la protection de l’État – donnent à penser que la Commission établit un lien entre la participation de la demanderesse à une affaire judiciaire de la Géorgie dans le cadre du procès de sa sœur et sa capacité de se réclamer de la protection de l’État. Cela me paraît déroutant. La Commission ne traite manifestement pas des craintes de la demanderesse à l’égard de la corruption (décrite par la preuve documentaire de la Commission) au sein des autorités gouvernementales.

 

[12]           En conclusion, la décision de la Commission n’est pas suffisamment motivée et le processus décisionnel manque de transparence et d’intelligibilité. En conséquence, la décision sera annulée.

 

[13]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé qu’une question soit certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu’il statue sur elle.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4492-09

 

INTITULÉ :                                       NINO KEDELASHVILI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 AVRIL 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 AVRIL 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LA DEMANDERESSE

Tessa Kroeker

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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