Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100504

Dossier : IMM-3876-09

Référence : 2010 CF 488

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2010

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

HENRI JEAN-CLAUDE SEYOBOKA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.    Aperçu

 

[1]               En 1996, M. Henri Jean-Claude Seyoboka a quitté le Rwanda pour venir au Canada. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) lui a accordé le statut de réfugié. En 2005, la Commission a annulé le statut de réfugié de M. Seyoboka au motif qu’il avait été membre des Forces armées rwandaises (les FAR) pendant le génocide qui a été commis au Rwanda en avril 1994.

 

[2]               Depuis que la Commission a rendu sa décision en 2005, M. Seyoboka a exercé un certain nombre de recours. Il a présenté à la Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, qui a été rejetée en 2007. Il a demandé à la Cour de revenir sur sa décision, ce qu’elle a également refusé.

 

[3]               M. Seyoboka a aussi demandé à la Commission de rouvrir la procédure d’annulation. La Commission a rejeté sa demande.

 

[4]               M. Seyoboka a alors présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de ne pas rouvrir la procédure d’annulation de son statut de réfugié. En 2009, le juge Yves de Montigny a rejeté cette demande, concluant que la décision de la Commission était raisonnable à la lumière de la preuve dont elle disposait.

 

[5]               M. Seyoboka a présenté à la Commission une seconde demande de réouverture de la procédure d’annulation. La Commission a de nouveau rejeté la demande de M. Seyoboka, soulignant qu’elle n’était pas compétente pour rouvrir la procédure dans le seul but d’entendre de nouveaux éléments de preuve et concluant qu’il n’y avait pas eu violation des principes de justice naturelle.

 

[6]               En l’espèce, M. Seyoboka présente une demande de contrôle judiciaire du second refus de la Commission de rouvrir la procédure d’annulation. Il prétend que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu violation des principes de justice naturelle, qu’elle a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents et qu’elle a rendu des motifs insuffisants. Il me demande d’ordonner que l’affaire soit entendue à nouveau par un tribunal de la Commission différemment constitué.

 

[7]               Je conviens que la Commission a commis une erreur et, par conséquent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.   Analyse

 

a)   Le contexte factuel

 

 

[8]               M. Seyoboka est né au Rwanda en 1966. Il est arrivé au Canada en janvier 1996 et a présenté une demande d’asile fondée sur sa race (il est d’origine mixte hutue et tutsie) et sa nationalité. La Commission a accueilli sa demande dans le courant de la même année. M. Seyoboka n’a pas révélé à la Commission sa participation aux FAR. Il n’en a pas davantage fait mention dans la demande de résidence permanente qu’il a présentée par la suite.

 

[9]               En 1998, deux membres du Tribunal pénal international pour le Rwanda (le TPIR) et un agent de la GRC ont interrogé M. Seyoboka au sujet du colonel Bagosora, qui faisait l’objet d’une enquête pour crimes contre l’humanité commis pendant le génocide au Rwanda. À ce stade, il a mentionné avoir servi dans les FAR. Par la suite, il a modifié sa demande de résidence permanente de manière à ce que les informations concernant sa carrière militaire y apparaissent.

 

[10]           En 2004, M. Seyoboka a fourni aux autorités d’immigration deux documents relatifs à sa présence dans l’armée pendant le génocide. Le premier document faisait état des déclarations d’un témoin anonyme, un certain « DAS », déclarations qui avaient été faites devant le TPIR. Le second document était un acte d’accusation visant Protais Zigiranyrazo. Aux termes de cet acte, le sous‑lieutenant Jean-Claude Seyoboka avait été chargé de mettre en place un barrage où lui et d’autres membres des FAR avaient reçu l’ordre de tuer des Tutsis des environs.

 

[11]           En 2005, le ministre a demandé à la Commission d’annuler le statut de réfugié du demandeur en application de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (les dispositions pertinentes sont reproduites en annexe). En 2006, la Commission a accueilli la demande du ministre. La Commission a rendu deux conclusions principales. Premièrement, elle a souligné le poids de la preuve donnant à penser que M. Seyoboka avait fait partie d’un groupe posté à un barrage où des Tutsis avaient été tués, et qu’il avait assassiné sa voisine, prénommée Francine, parce qu’elle aurait eu refusé d’avoir des relations sexuelles avec lui. Deuxièmement, la Commission a conclu, à la lumière de la carrière militaire du demandeur ainsi que de l’implication des FAR dans le génocide, que M. Seyoboka avait dû être au courant du génocide et qu’il en avait été complice. La Commission a conclu qu’elle n’aurait pas accordé le statut de réfugié à M. Seyoboka en 1996 si elle avait été au fait de son passé militaire. Par conséquent, son statut de réfugié devait être annulé.

 

[12]           Dans la première demande qu’il a présentée en vue de faire rouvrir la procédure d’annulation, M. Seyoboka a affirmé que les autorités canadiennes étaient en possession de déclarations disculpatoires de témoins, susceptibles de l’exonérer du meurtre de son ancienne voisine, et que le ministre avait violé des principes de justice naturelle en omettant de communiquer ces déclarations. La Commission a rejeté les prétentions de M. Seyoboka au motif que ce dernier savait que des témoins avaient déposé avant que la décision de 2006 soit rendue et qu’il n’avait néanmoins pas soulevé la question de la communication des documents, pas plus qu’il n’avait mentionné la possibilité que ces témoignages puissent faire la preuve de son innocence. M. Seyoboka soutient également que le refus de communication qu’on lui avait opposé découlait du fait qu’il n’était pas représenté par un avocat pendant une partie de l’audience. Toutefois, la Commission a conclu qu’il avait bien été représenté par un avocat au début de l’audience, mais que, pour des raisons financières, il avait décidé de se passer d’un avocat pour le reste de l’audience. En outre, il avait été représenté par un avocat lorsqu’il avait présenté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision initiale d’annuler son statut et il n’avait alors pas soulevé la question de la communication. Par conséquent, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas eu violation des principes de justice naturelle.

 

[13]           M. Seyoboka a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de ne pas rouvrir la décision d’annulation. Le juge Yves de Montigny a rejeté cette demande en janvier 2009, concluant qu’il n’existait pas d’obligation de communiquer les documents dont M. Seyoboka se réclamait. Le juge de Montigny a ajouté que même dans le cas où le ministre aurait été contraint à communiquer les documents en cause, la Commission n’aurait pas commis d’erreur en concluant que M. Seyoboka ne pouvait plus soulever la question de la communication étant donné qu’il n’avait pas saisi l’occasion de le faire dès que cette occasion s’était présentée. Pour finir, le juge de Montigny a conclu que M. Seyoboka se serait vu refuser le statut de réfugié même si les éléments de preuve relatifs à son rôle dans le meurtre de son ancienne voisine avaient été rejetés, vu que la question plus grave de sa complicité dans des crimes contre l’humanité à titre de membre des FAR se posait toujours. Le juge de Montigny a conclu que la décision de la Commission était raisonnable considérant que les déclarations disculpatoires ne changeaient rien à ce dernier motif d’annuler le statut de réfugié du demandeur.

 

b)      La décision de la Commission

 

[14]           Dans sa seconde demande visant à faire rouvrir la décision d’annulation, M. Seyoboka s’est appuyé sur des décisions du TPIR, par lesquelles aussi bien le général Kabiligi que Protais Zigiranyrazo avaient été acquittés. Dans la première décision, le TPIR a établi que le témoignage de DAS soulevait des problèmes de crédibilité. Dans la seconde décision, aucune preuve n’avait été présentée relativement aux évènements survenus au barrage où M. Seyoboka aurait été posté. M. Seyoboka a fait valoir que ces décisions montraient que la Commission s’était appuyée sur des éléments de preuve erronés quand elle avait annulé son statut de réfugié, ce qui représentait une violation des principes de justice naturelle.

 

[15]           La Commission a souligné qu’elle ne pouvait rouvrir une audience que s’il y avait eu violation des principes de justice naturelle. Elle a affirmé qu’elle n’était pas compétente pour rouvrir l’audience afin de recevoir de nouveaux éléments de preuve, renvoyant à Longia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 288 (C.A.). Les éléments de preuve sur lesquels M. Seyoboka se fondait n’existaient que depuis décembre 2008 et étaient, par conséquent, des éléments de preuve nouveaux. Ainsi, le tribunal de la Commission qui avait annulé le statut de réfugié de M. Seyoboka n’avait pas omis d’examiner des éléments de preuve pertinents. Il avait dument tenu compte de tous les éléments de preuve qu’il avait devant lui à l’époque.

 

[16]           La Commission a aussi souligné que M. Seyoboka avait été incapable de présenter un compte rendu approprié de son passé militaire ou des endroits où il s’était trouvé pendant les massacres, et ce, même si trois ans s’étaient écoulés après l’audience d’annulation de son statut de réfugié.

 

[17]           La Commission a cité la décision du juge de Montigny dans laquelle il avait conclu que la principale allégation pesant à l’encontre de M. Seyoboka était sa participation aux FAR. Par conséquent, le juge de Montigny avait conclu que même si la Commission avait dû écarter les éléments de preuve relatifs au meurtre de l’ancienne voisine du demandeur, le statut de réfugié de M. Seyoboka aurait quand même dû être annulé. De même, la Commission a conclu que, même si les nouveaux éléments de preuve présentés lors de la seconde demande de réouverture avaient été disponibles à l’époque de l’audience d’annulation, la même conclusion aurait pu être rendue, compte tenu du fait que la décision d’annuler le statut de réfugié du demandeur ne se fondait pas uniquement sur le témoignage de la personne qui a été discréditée, mais qu’elle était plutôt fondée sur des éléments de preuve objectifs montrant que les FAR avaient activement participé au génocide.

 

[18]           Ainsi, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas eu violation des principes de justice naturelle et a rejeté la demande du demandeur de rouvrir l’audience.

 

c)      Les erreurs imputées à la Commission

 

[19]           M. Seyoboka prétend que la Commission a commis une erreur en qualifiant ses éléments de preuve de « nouveaux ». La Commission aurait plutôt dû les voir comme des éléments de preuve contredisant la preuve sur la base de laquelle la décision d’annuler le statut de réfugié du demandeur avait été prise. Dans ce cas, la violation des principes de justice naturelle découle du fait que la décision d’annuler le statut de réfugié se fondait sur des éléments de preuve qui ont par la suite été jugés inexacts. La Cour a reconnu qu’il y avait eu violation des principes de justice naturelle, et qu’il ne s’agissait pas simplement d’un cas d’introduction de nouveaux éléments de preuve : Bouguettaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 C.F. 3.

 

[20]           En outre, M. Seyoboka fait valoir que la Commission a omis d’examiner des éléments de preuve qu’il a présentés. Par exemple, M. Seyoboka a expliqué la raison pour laquelle il avait délibérément tu des informations relatives à sa carrière militaire. Toutefois, dans ses motifs, la Commission a déclaré que M. Seyoboka avait omis de fournir des explications. De plus, M. Seyoboka a expliqué ce qu’il faisait en avril 1994 et les raisons pour lesquelles il était possible qu’il n’ait pas été au courant du génocide. Or, la Commission n’a pas semblé tenir compte de ses explications. M. Seyoboka fait valoir que la Commission soit a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents, soit n’a pas fourni de motifs suffisants pour étayer ses conclusions.

 

III.   Les questions en litige

[21]           À la lumière des observations de M. Seyoboka, j’énoncerais les questions en litige de la manière suivante :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu violation des principes de justice naturelle?

2.         La Commission a-t-elle omis d’examiner des éléments de preuve pertinents?

3.         Les motifs de la Commission étaient-ils suffisants?

 

1.   La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu violation des principes de justice naturelle?

 

[22]           La Commission a conclu que la décision d’annuler le statut du demandeur était fondée sur des éléments de preuve qui existaient à l’époque de la décision et que, par conséquent, il n’y avait pas eu violation des principes de justice naturelle susceptible de donner lieu à une réouverture du dossier. En ce qui a trait aux éléments de preuve sur lesquels M. Seyoboka s’est appuyé dans sa demande de réouverture, la Commission a simplement conclu qu’elle n’était pas compétente pour rouvrir le dossier au motif qu’il existait de nouveaux éléments de preuve.

 

[23]           En lisant les motifs de la Commission, j’ai pu constater qu’ils ne traitaient pas expressément du principal argument avancé par M. Seyoboka : que la preuve provenant des audiences devant le TPIR entrait en conflit avec la preuve sur la base de laquelle la décision d’annuler son statut de réfugié avait été rendue.  M. Seyoboka est d’avis que ce conflit a donné lieu à une violation des principes de justice naturelle du fait que les fondements de la décision d’annulation s’étaient écroulés.

 

[24]           Il y a consensus en ce qui a trait à la conclusion de la Commission selon laquelle elle n’était pas compétente pour rouvrir le dossier sur le seul fondement de l’existence de nouveaux éléments de preuve. Toutefois, cette affirmation générale est sujette à une exception étroite, mais notable, lorsque les nouveaux éléments de preuve démontrent qu’il y a eu violation des principes de justice naturelle (voir la Règle 56 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228.) Par conséquent, il se peut que la présentation par le requérant de nouveaux éléments de preuve ne constitue pas une raison suffisante de rejeter sa demande. Tout dépend de la nature et de l’importance de ces éléments de preuve.

 

[25]           En l’espèce, la Commission s’est appuyée sur l’arrêt Longia, précité, dans lequel le juge Louis Marceau a conclu que de nouveaux faits ne suffisent pas lorsqu’il s’agit de rouvrir le dossier devant la Commission. Toutefois, le juge Marceau examinait alors des éléments de preuve additionnels présentés à l’appui de la demande du statut de réfugié. Il a  noté que « la situation peut changer et que peuvent survenir des événements politiques pouvant porter à croire que des craintes qui n'étaient pas fondées sont devenues raisonnables » (au paragraphe 4). Dans cette affaire, le juge Marceau a conclu que c’était au pouvoir exécutif d’accorder un recours, et non à la Commission.

 

[26]           Les faits de la cause à laquelle M. Seyoboka a renvoyé sont assez différents. Dans la décision Bougettaya, précitée, la Commission avait rejeté la demande du demandeur au motif que la carte de sursis de service militaire, censée lui avoir été délivrée par les autorités algériennes, était fausse. La pièce présentée par le demandeur avait été imprimée sur du papier blanc, alors que la preuve documentaire dont la Commission disposait donnait à penser que les documents authentiques étaient imprimés sur du carton jaune. Après l’audience, le demandeur avait été en mesure d’obtenir la preuve montrant que ces cartes avaient été temporairement imprimées sur du papier blanc. Il avait présenté une demande de réouverture de la procédure auprès de la Commission, faisant valoir qu’on lui avait refusé le statut de réfugié sur la base d’informations erronées. La Commission avait rejeté sa demande, concluant alors (comme elle l’a fait en l’espèce) qu’il n’y avait pas violation des principes de justice naturelle quand la Commission se fiait à la preuve dont elle disposait.

 

[27]           Lors du contrôle judiciaire, le juge François Lemieux a conclu que la Commission avait commis une erreur. En parvenant à cette conclusion, il a souligné que la « Cour doit évaluer la nature et l'importance du vice soulevé par le demandeur pour en arriver à déterminer si le tribunal a, effectivement, commis une erreur révisable justifiant intervention » (au paragraphe 26). Il a alors conclu « sans l'ombre d'un doute » que la Commission s’était appuyée sur des informations inexactes pour rejeter la demande du demandeur sur un point essentiel. Il a conclu que la Commission, dans les circonstances, avait commis une erreur en se concentrant exagérément sur la question des faits nouveaux au lieu de porter son attention sur la notion de violation des principes de justice naturelle (au paragraphe 32). Il a noté que la portée de la notion de violation des principes de justice naturelle était large et « se rattache plutôt à la notion de la justice fondamentale, un principe dont le contenu est variable et dépend des circonstances et peut certainement inclure un vice de preuve » (au paragraphe 33).

 

[28]           En l’espèce, la Commission n’a tout simplement pas examiné la question de savoir si la « nature et l’importance » de la preuve présentée par M. Seyoboka montraient qu’il y avait eu violation des principes de justice naturelle. Je suis d’avis que la Commission a l’obligation minimale d’examiner la question de savoir si la preuve du demandeur va à l’encontre des fondements sur lesquels la décision antérieure a été rendue. Il ne s’agit certainement pas de donner à entendre que la Commission est compétente pour rouvrir une procédure sur le seul fondement de nouveaux éléments de preuve. Ce n’est clairement pas le cas. Toutefois, pour respecter le principe énoncé dans la décision Bougettaya, la Commission doit s’attarder sur la question de savoir si la preuve du demandeur montre que la conclusion défavorable rendue à son égard était probablement erronée.

[29]           En l’espèce, M. Seyoboka a présenté des éléments de preuve montrant que le TPIR avait rejeté des parties importantes du témoignage de DAS au sujet des évènements survenus au barrage, de qui était présent quand ledit barrage avait été mis en place, et de ce qui s’y était passé. En outre, même si M. Seyoboka était nommé dans l’acte d’accusation établi à l’encontre de Protais Zigiranyrazo en ce qui avait trait aux évènements survenus au barrage, le ministère public n’avait produit aucune preuve s’y rapportant. En outre, le TPIR avait entendu le témoignage de DAS au sujet du prétendu viol de l’ancienne voisine du demandeur, Francine, mais il n’en avait rien dit dans son jugement.

 

[30]           À mon avis, la Commission avait l’obligation de confronter ces éléments et la preuve produite lors de la procédure d’annulation, en vue d’établir s’il y avait eu violation des principes de justice naturelle.

[31]           J’insiste sur l’étroitesse de la compétence de la Commission. Une demande de réouverture du dossier pour violation des principes de justice naturelle ne devrait pas, dans les faits, aboutir à une réouverture fondée sur la seule présentation de nouveaux éléments de preuve. La question est de savoir, compte tenu de la nature et de l’importance de la preuve, s’il est probable que la conclusion tirée antérieurement ait été incorrecte. La Commission devrait confronter la preuve du demandeur et la preuve antérieurement présentée et décider s’il y a eu violation probable des principes de justice naturelle. Cette analyse ne devrait pas constituer une réouverture en soi. Elle devrait par contre comprendre un examen véritable de la preuve dans son ensemble.

[32]           La preuve présentée par M. Seyoboka dans le cadre de sa demande de réouverture remet en question des faits importants sur lesquels la Commission s’est appuyée pour annuler son statut de réfugié. La Commission a déclaré qu’elle ne pouvait pas prendre à la légère l’acte d’accusation présenté au TPIR et que l’accusation relative au meurtre de l’ancienne voisine du demandeur devait être prise très au sérieux. Il s’est avéré que l’acte d’accusation ne reposait sur aucune preuve et que l’allégation relative au meurtre de l’ancienne voisine du demandeur était minée par les doutes relatifs au témoignage de DAS. En l’espèce, la Commission avait l’obligation d’examiner la question de savoir si la preuve de M. Seyoboka montrait qu’il y avait eu violation des principes de justice naturelle, violation découlant de l’appui que la Commission avait pris sur des éléments de preuve inexacts. Elle ne l’a pas fait.

[33]           Dans la décision Bougettaya, précitée, le juge Lemieux a paru donner à entendre qu’il appartenait à la Cour d’examiner la question de savoir si une décision de la Commission devait être réouverte. Je pense qu’il parlait uniquement de l’affaire dont il était saisi. Normalement, c’est à la Commission elle-même qu’il revient d’examiner la preuve du demandeur relative à la demande de réouverture et d’établir s’il y a eu violation des principes de justice naturelle. La Cour doit ensuite décider si la Commission a commis une erreur susceptible de révision en parvenant à sa conclusion. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer l’ensemble de la preuve lors d’un contrôle judiciaire.

2.      La Commission a-t-elle omis d’examiner des éléments de preuve pertinents?

[34]           Vu la conclusion que j’ai rendue relativement à la première question en litige, la réponse évidente à la question 2 est « oui ». La Commission a omis de tenir compte des éléments de preuve étayant la demande de M. Seyoboka de rouvrir le dossier, concluant qu’elle n’était pas compétente pour rouvrir le dossier sur la base de nouveaux éléments de preuve. En outre, je remarque que la Commission a déclaré que M. Seyoboka n’avait fourni aucune explication relative à son omission de donner des informations au sujet de son passé militaire ou de ses activités pendant le génocide qui a été commis en avril 1994. En fait, M. Seyoboka avait fourni à la Commission une explication relative à ces deux points lors de l’audience d’annulation ainsi que dans le cadre de sa demande de réouverture. Il était inexact de dire qu’il ne s’était pas expliqué. La question est de savoir si la crédibilité de son explication serait soulevée dans le cas où on ne tiendrait pas compte de l’autre preuve pesant contre lui, comme le TPIR l’a fait. La Commission ne s’est pas penchée sur cette question.

 

3.   Les motifs de la Commission étaient-ils suffisants?

 

[35]           En ce qui a trait aux deux premières questions en litige, on pourrait parler de motifs inadéquats. Il est par conséquent inutile de chercher à établir si, dans leur ensemble, les motifs de la Commission étaient suffisants, étant donné qu’elle a omis d’étudier la question de savoir s’il y avait eu violation des principes de justice naturelle et d’expliquer pourquoi il ne fallait pas accorder de crédit aux explications de M. Seyoboka relatives à sa conduite.

 

IV.  Conclusion

 

[36]           La Commission a omis d’examiner la question de savoir si la preuve présentée par M. Seyoboka montrait qu’il y avait eu violation des principes de justice naturelle. Elle a également omis d’expliquer pourquoi il ne fallait pas accorder de crédit aux explications de M. Seyoboka relatives à sa conduite à la lumière de l’ensemble de la preuve. Qu’il s’agisse de motifs inadéquats, d’une erreur de droit ou d’une conclusion déraisonnable, la décision de la Commission doit être infirmée et une nouvelle audience doit avoir lieu devant un tribunal différemment constitué. Les avocats des parties ont demandé à présenter des observations relativement à la certification d’une question d’importance générale. J’examinerai toute observation présentée dans les dix jours suivant le prononcé du présent jugement.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

2.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué l’entende à nouveau;

3.                  La Cour examinera toute observation relative à une question certifiée présentée dans les dix jours suivant la délivrance des présents motifs.


« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 


Annexe « A »

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27

 

Demande d’annulation

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

Rejet de la demande

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

 

 

Effet de la décision

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

 

 

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228

 

  56. (1) La personne protégée ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir la demande d’annulation ou la demande de constat de perte d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou d’un désistement.

 

  (2) La demande est faite selon la règle 44.

 

 

  (3) La Section accueille la demande sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

 

Vacation of refugee protection

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

 

Rejection of application

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

 

Allowance of application

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

 

Refugee Protection Division Rules, SOR/2002-228

 

  56. (1) The Minister or a protected person may make an application to the Division to reopen an Application to Vacate Refugee Protection or an Application to Cease Refugee Protection that has been decided or abandoned.

 

  (2) The application must be made under rule 44.

 

  (3) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3876-09

 

INTITULÉ :                                       HENRI JEAN-CLAUDE SEYOBOKA

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

Jacqueline Swaisland

POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie Todd

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LORNE WALDMAN

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.