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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20100423

Dossier : IMM‑4166‑09

Référence : 2010 CF 446

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

KATE IGBINOBA

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) contre une décision de la Section de la protection des réfugié (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 22 juillet 2009, dans laquelle il a été décidé que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Voici les motifs pour lesquels j’ai conclu qu’aucune erreur susceptible d’être révisée n’avait été commise sur le fond de la demande d’asile, mais que l’équité procédurale n’avait pas été respectée à l’endroit de la demanderesse et que l’affaire devait donc être renvoyée à la SPR pour nouvel examen.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               La demanderesse est une citoyenne du Nigeria âgée de 40 ans, qui a longtemps été maltraitée par son ancien mari. Son père l’a forcée à épouser son mari en 1982, à l’âge de 13 ans, parce qu’il était riche.

 

[4]               Il n’est pas contesté que le mari a agressé physiquement la demanderesse pendant les années 1990, et qu’elle a dû être transportée d’urgence à l’hôpital à au moins une reprise. Il n’est également pas contesté que le mari a amené la demanderesse en Italie et qu’il l’a forcée à se prostituer de 1990 à 1992, puis à nouveau de 1993 à 1997 ou 1999. La SPR n’a toutefois pas cru le témoignage qu’a livré la demanderesse au sujet des événements survenus après 1999.

 

[5]               La demanderesse affirme que son mari et elle sont retournés au Nigeria en 1999. Elle affirme qu’elle s’est enfuie de son mari et qu’elle est demeurée dans les maisons de plusieurs amis pour se cacher de lui. Enfin, en 2002, elle s’est établie à Oloko, au Nigeria, qui était le village de sa mère. À la première séance de l’audience concernant le statut de réfugié, la demanderesse a déclaré qu’elle était demeurée à Oloko jusqu’à ce qu’elle quitte le Nigeria, mais à la deuxième séance, elle a déclaré avoir été forcée de retourner à la maison de son mari de 2003 jusqu’au début de 2005, et à nouveau de la fin de 2005 à 2006.

 

[6]               Au cours des deux séances, la demanderesse a mentionné que son mari l’avait retrouvée à Oloko en 2006 et avait menacé de la tuer si elle ne revenait pas chez lui. La demanderesse a fui le Nigeria en 2007.

 

[7]               La demanderesse affirme s’être rendue à Milan, en Italie, le 12 février 2007, en utilisant son véritable passeport, mais que son agent lui a confisqué son passeport. Elle affirme qu’elle s’est ensuite rendue en taxi à Verone, un voyage de deux heures, une ville où une amie l’a aidée à vendre un bracelet‑montre qu’elle avait volé à son mari. Elle a ensuite volé le passeport de son amie, est retournée à Milan le même jour et elle a utilisé le produit de la vente de la montre pour acheter un billet d’avion pour le Canada. L’itinéraire de voyage correspondant au vol de la demanderesse porte toutefois une date d’achat antérieure. La demanderesse est arrivée au Canada le lendemain, le 13 février 2007.

 

LES PHOTOS ET L’AUDIENCE CONCERNANT LE STATUT DE RÉFUGIÉ

 

[8]               La demanderesse a présenté une demande d’asile au point d’entrée, où elle a été interrogée par un agent d’immigration (l’agent du PDE). Elle affirme dans son affidavit qu’elle a remis à l’agent du PDE plusieurs photographies prises au Nigeria, qui montrent les agressions qu’elle a subies de la part de son mari. Elle affirme que l’agent du PDE a confisqué les photos. Toutefois, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) n’a pas transmis initialement des photographies à la SPR pour qu’elles soient utilisées au cours de l’audience concernant le statut de réfugié de la demanderesse.

 

[9]               Les notes de l’agent du PDE (les notes de PDE) font effectivement référence à des photographies, mais uniquement à des photographies d’un homme. Les notes mentionnent que l’agent a demandé à la demanderesse pourquoi elle avait conservé des photographies de son mari, malgré qu’il la maltraitait. La demanderesse a déclaré à l’audience concernant le statut de réfugié qu’elle n’avait jamais eu de photographie d’un homme avec elle, uniquement des photographies d’elle‑même. Cette divergence n’a pu être résolue à l’audience concernant le statut de réfugié parce que CIC n’a pas produit de photos.

 

[10]           À la conclusion de la deuxième séance de l’audience concernant le statut de réfugié, le commissaire de la SPR a ajourné l’audience pour que CIC produise les photos. Le commissaire a également déclaré qu’une copie des photos serait également envoyée à la demanderesse. Lorsqu’elle les aurait reçues, la demanderesse pourrait décider soit d’assister à une troisième séance pour témoigner au sujet des photos et présenter des observations orales, soit de ne pas y assister et de présenter des observations écrites. Par contre, si CIC ne produisait pas les photos, le commissaire devrait contacter la demanderesse pour parler des nouvelles mesures à prendre.

 

[11]           Dans ses directives données à la demanderesse, le commissaire lui a clairement indiqué qu’il ne souhaitait pas qu’elle assiste à la troisième séance, si les photos n’étaient pas produites. Le commissaire a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Je ne veux pas être obligé de vous faire revenir ici pour rien. Je ne sais pas très bien comment régler ce problème. Je pense que je dois vous donner la possibilité de présenter des preuves au sujet de ces [photos] si vous pensez que votre client devrait en expliquer certains aspects et, de mon côté, j’aurais peut-être des questions à poser à leur sujet; je n’en sais rien.

 

[. . .] Je vais donc demander aujourd’hui, je vais envoyer quelque chose à l’agent de gestion des cas pour lui demander de communiquer avec Citoyenneté et Immigration Canada et de voir si le ministère a quelque chose au dossier au sujet de cette demandeure d’asile, y compris au sujet de ces photographies, et de nous les envoyer immédiatement, et aussi de vous en envoyer une copie. Et ensuite, je crois qu’il faudra attendre de voir ce qui arrive. Et si rien n’arrive, je pourrai demander à l’agent de gestion des cas de vous appeler pour ainsi avoir l’idée de ce que vous voulez faire.

 

[. . .] Ce que je vais essayer de faire, c’est d’éviter de vous faire revenir encore une fois, à moins qu’il n’y ait une bonne raison pour le faire.

 

[. . .] Par contre, nous avons une date si nous devons revenir, soit pour parler des photos ou si vous voulez présenter des observations oralement.

 

[12]           CIC a transmis à la SPR une seule photographie le 20 avril 2009. Elle montrait la demanderesse dans un lit d’hôpital. La demanderesse et son avocate ignoraient ce fait et n’ont jamais reçu de copie de la photographie. Les photographies d’une personne de sexe masculin mentionnées dans les notes de PDE n’ont pas été produites.

 

[13]           Avant la troisième séance, la demanderesse a elle‑même fourni à la SPR plusieurs photographies montrant ses cicatrices. Ces photographies ont été prises au Canada en 2009.

 

[14]           Le jour de la troisième séance, l’avocate de la demanderesse a informé la SPR par télécopie qu’elle n’avait pas reçu les photos. Elle pensait que CIC ne les avait pas produites. Elle a expliqué que, conformément aux directives données par la SPR à la deuxième séance, elle n’assisterait pas à la troisième séance.

[15]           L’avocate a transmis des observations écrites à la SPR le 28 mai 2009 qui faisaient également référence au fait que la demanderesse pensait que CIC n’avait pas produit les photos.

 

LA DÉCISION ATTAQUÉE

 

[16]           Le commissaire a mentionné les photos ainsi que l’omission de la demanderesse d’assister à la troisième séance dans les termes suivants :

[La demanderesse] avait fourni des photographies qui semblaient montrer des cicatrices sur son dos, ses épaules, le haut de son bras gauche, son sein droit et ses fesses. De plus, la photocopie d’une photographie semblant montrer la demandeure d’asile dans un lit d’hôpital a été produite par CIC après la deuxième séance. La demandeure d’asile n’a pas assisté à la troisième séance pour fournir des détails concernant les photographies; sa conseil n’y a pas assisté non plus. Aucune preuve médicale indépendante n’a été produite en ce qui concerne la cause de ces cicatrices. Toutefois, la demandeure d’asile a soutenu de façon constante au point d’entrée, dans son FRP et au cours de son témoignage qu’elle avait été victime de violence physique de la part de son époux.

 

[17]           Il est difficile de savoir l’importance que le commissaire a attachée à l’omission de la demanderesse d’assister à la troisième séance. Il semble qu’il n’ait pas demandé à la demanderesse d’y assister parce qu’il a admis qu’elle avait été physiquement maltraitée par son mari.

 

[18]           Quoi qu’il en soit, le commissaire a admis que la demanderesse avait été physiquement maltraitée et obligée de se prostituer pendant les années 1990. Il n’a toutefois pas cru qu’elle se trouvait au Nigeria ou qu’elle ait été maltraitée par son mari après 1999. Le commissaire a en fait conclu que la demanderesse avait passé beaucoup plus de temps en Italie qu’elle ne l’avait reconnu.

 

[19]           Le commissaire a fondé en partie sa conclusion négative en matière de crédibilité sur les contradictions suivantes que l’on trouve dans les preuves concernant la demanderesse :

a.       les notes de PDE mentionnent que la demanderesse a déclaré au départ qu’elle n’avait pas d’enfants, mais qu’elle a affirmé par la suite qu’elle avait un fils;

b.      les notes de PDE indiquent que la demanderesse a affirmé avoir vécu en Italie pendant 16 ans. Son Formulaire de renseignements personnels (FRP) mentionne qu’elle est demeurée en Italie pendant six ou sept ans;

c.       les notes de PDE mentionnent que la demanderesse a déclaré qu’elle avait été arrêtée pour prostitution en Italie en 1994, mais dans son FRP et dans son témoignage, elle a déclaré qu’elle n’avait jamais été détenue ni emprisonnée;

d.      selon le FRP de la demanderesse, elle aurait quitté l’Italie pour retourner au Nigeria en 1997, mais elle a déclaré qu’elle n’était revenue qu’en 1999;

e.       à la première séance, la demanderesse a laissé entendre qu’elle avait toujours vécu à Oloko après 2002, mais à la deuxième séance, elle a déclaré qu’elle avait vécu dans la maison de son mari pendant deux ans à partir de 2003. Aucun de ces renseignements ne figure dans son FRP;

f.        la demanderesse a déclaré que son agent lui avait pris son passeport en Italie. Les notes de PDE mentionnent toutefois qu’elle s’est débarrassée de son passeport ou l’a détruit.

 

[20]           La demanderesse réfute la plupart de ces contradictions en affirmant que les notes de PDE sont imprécises. En particulier, elle a déclaré à l’agent du PDE qu’elle avait vécu en Italie six et non pas 16 ans. Cependant, la demanderesse n’a pas fourni d’explications pour les contradictions d) et e) qui ne concernaient pas les notes de PDE.

 

[21]           En plus de ces contradictions, le commissaire n’a pas donné foi à la description qu’a faite la demanderesse de sa vie au Nigeria et ni au fait qu’elle avait été maltraitée par son mari après 1999, et ce, pour les raisons suivantes :

a.       l’agenda de la demanderesse contient plus de 30 numéros de téléphone d’Italie et seulement deux du Nigeria;

b.      le récit qu’a fait la demanderesse de son voyage au Canada via l’Italie est invraisemblable. L’itinéraire de voyage pour le vol qu’a pris la demanderesse au Canada, sous le nom figurant dans son passeport italien volé, est daté du 25 janvier 2007. Cela contredit le témoignage de la demanderesse selon lequel elle n’a acquis le passeport ou acheté le billet que le 12 février 2007;

c.       le témoignage de la demanderesse au sujet de ses déplacements au Nigeria et de la violence de son mari après 1999 « semblait improvisé », ces déplacements n’étaient pas mentionnés dans son FRP et ne sont pas confirmés par des preuves documentaires;

d.      la déclaration qu’a faite la demanderesse au point d’entrée, selon laquelle elle avait vécu en Italie pendant 16 ans était compatible avec le fait qu’elle parlait couramment l’italien et avec sa connaissance de l’Italie.

 

[22]           Le commissaire a conclu que la demanderesse n’avait pas « présenté un récit des événements suffisamment crédible et cohérent pour appuyer une demande d’asile. » Le commissaire a donc conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée ni une personne à protéger.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[23]           La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

a.       La SPR a‑t‑elle commis une violation importante de son obligation en matière d’équité procédurale?

b.      La SPR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger?

 

ANALYSE

 

La norme de contrôle

 

[24]           Il est bien établi que la norme de la décision correcte s’applique aux questions touchant l’équité procédurale : Juste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 670 au paragraphe 23; Olson c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 458 au paragraphe 27. Les conclusions de fait et relatives à la crédibilité de la SPR doivent être examinées en fonction de la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 447 aux paragraphes 18 à 20.

 

L’équité procédurale

 

[25]           J’estime que les droits de la demanderesse en matière d’équité procédurale ont été violés. Comme je l’ai déjà souligné, le commissaire avait clairement fait savoir à la demanderesse et à son avocate qu’il préférait qu’elles n’assistent pas à la troisième séance de l’audience concernant le statut de réfugié, si cela n’était pas nécessaire pour parler des photos. Dans le cas contraire, des observations écrites suffiraient. Ignorant que CIC avait produit une photo, la demanderesse et son avocate n’ont pas estimé nécessaire d’assister à la troisième séance, au cours de laquelle la question des photos aurait été abordée. Cette situation a eu essentiellement pour effet de priver la demanderesse de la possibilité de commenter les photos. J’imagine que cette situation était, au départ du moins, tout à fait involontaire et résultait du temps qui s’était écoulé et de la lourde charge de travail de la SPR.

 

[26]           Le jour de la troisième séance, l’avocate de la demanderesse a envoyé à la SPR une télécopie dans laquelle elle expliquait qu’elle n’y assisterait pas, parce qu’elle pensait que les photos n’avaient pas été produites. L’avocate a fourni la même explication dans ses observations écrites datées du 28 mai 2009. Par conséquent, lorsque le commissaire a rendu sa décision le 22 juillet 2009, il devait savoir que la demanderesse n’avait pas eu, sans commettre aucune faute de sa part, la possibilité de parler de la photo produite par CIC.

 

[27]           Dans ces circonstances, il appartenait à la SPR de divulguer l’existence de la photo à la demanderesse et de lui donner la possibilité de présenter des observations. La demanderesse avait le droit d’être entendue : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. En outre, au cours de la deuxième séance, la SPR avait créé une attente légitime selon laquelle la demanderesse pourrait parler des photos si elles étaient produites. Cette attente aurait dû être respectée.

 

[28]           Normalement, la violation de l’équité procédurale a pour effet d’invalider automatiquement la décision. Cependant, dans Yassine c. Canada (Ministre Emploi et Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135, la Cour d’appel fédérale a créé une exception de portée très étroite « lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir » et que « la demande ne pouvait qu’être refusée » (paragraphes 9 et 10). Dans de telles circonstances, il serait inutile de renvoyer l’affaire devant la SPR.

 

[29]           En tenant pour acquis que la SPR a tiré, de façon appropriée, ses conclusions en matière de crédibilité et de vraisemblance, j’estime que l’exception de l’arrêt Yassine s’applique en l’espèce. Compte tenu de ces conclusions, la demande d’asile de la demanderesse n’aurait pu qu’être rejetée. La possibilité de commenter les photos n’aurait rien changé.

 

[30]           D’après l’affidavit de la demanderesse, les photos établissaient que le mari l’avait maltraitée. Cependant, la SPR a admis qu’il y avait eu mauvais traitements. La SPR n’a toutefois pas accepté que les mauvais traitements aient eu lieu après 1999 au Nigeria. La seule photo que CIC ait produite, qui montrait la demanderesse dans un lit d’hôpital, n’établit pas qu’elle ait été maltraitée après 1999 au Nigeria. La photo n’aurait donc pas pu changer les conclusions de la SPR.

 

[31]           Le principal argument qu’avance la demanderesse est que son témoignage et les commentaires au sujet de la photo auraient jeté un doute sur l’exactitude des notes de PDE. Les notes de PDE font référence aux photographies d’un homme, mais la demanderesse a témoigné qu’elle ne possédait pas avec elle de photographies d’hommes. Le défaut de la part de CIC de produire des photographies d’hommes, soutient la demanderesse, montre que son témoignage est plus crédible que les notes de PDE. Étant donné que la SPR s’est appuyée sur les contradictions entre son témoignage et les notes de PDE pour tirer des conclusions négatives en matière de crédibilité, le fait de discréditer les notes de PDE aurait eu un effet important sur la décision.

 

[32]           Le problème que soulève l’argument de la demanderesse est que la SPR avait suffisamment de motifs pour rejeter sa demande d’asile même sans se fonder sur les notes de PDE. Le commissaire a fait observer que le FRP de la demanderesse ne faisait pas mention de ses déplacements au Nigeria ni du fait qu’elle ait été maltraitée par son mari après 1999. Il a jugé que son témoignage sur ce point semblait improvisé et avait beaucoup changé entre la première et la deuxième séance de l’audience concernant le statut de réfugié. Le commissaire a mentionné l’agenda de la demanderesse, l’itinéraire de voyage, le fait qu’elle parlait couramment l’italien et sa connaissance de la culture italienne pour démontrer qu’elle avait vécu en Italie très récemment et plus longtemps qu’elle l’alléguait. Il a conclu que son explication quant à la façon selon laquelle elle était venue au Canada était invraisemblable. Toutes ces conclusions étaient, à mon avis, raisonnables, et ne se fondaient pas sur les contradictions existant entre le témoignage de la demanderesse et les notes de PDE.

 

[33]           Compte tenu de ces conclusions, la demande d’asile de la demanderesse n’aurait pu qu’être rejetée. Renvoyer le dossier à la SPR pour nouvel examen ne serait d’aucune utilité, si la décision ne soulevait pas d’autres questions.

[34]           La Cour estime toutefois que l’omission apparente de la SPR de prendre en considération les observations de l’avocate de la demanderesse fournies le 28 mai 2009 est plus troublante. Les premiers paragraphes des observations mentionnent clairement qu’à la connaissance de la demanderesse, CIC n’a pas produit de photos. Plus loin dans les observations, l’avocate fait encore une fois référence au fait que CIC avait apparemment égaré les photos. Et pourtant, dans la décision, le commissaire ne semble pas tenir compte du fait que la demanderesse n’avait jamais reçu de photos; il a reproché à la demanderesse de ne pas avoir assisté à la troisième séance. Cela laisse planer un doute sûr le soin qu’a pris le commissaire d’examiner les observations de la demanderesse, voire même sur le fait qu’il en a pris connaissance.

 

[35]           À la différence de l’omission de produire des photos, ce déni d’équité procédurale ne déclenche pas l’application de l’exception de l’arrêt Yassine. Il n’est pas possible d’affirmer que, dans ces circonstances, la demande d’asile ne pouvait qu’être rejetée, en raison des conclusions négatives du commissaire sur le plan de la crédibilité. Les observations traitent directement de la question de la crédibilité de la demanderesse et ont pu influencer les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. J’insiste sur le fait que l’exception de l’arrêt Yassine a une portée très étroite et devrait uniquement s’appliquer lorsque la demande est sans espoir. Si les conclusions en matière de crédibilité avaient été tirées de façon appropriée, comme c’était le cas dans l’arrêt Yassine, il aurait peut‑être pu en aller ainsi, mais en l’espèce, ces conclusions ont été apparemment tirées sans tenir compte des observations de la demanderesse. L’affaire doit donc être renvoyée à la SPR pour nouvel examen.

 

 

La décision de la SPR sur le fond

 

[36]           Après avoir conclu à un déni de l’équité procédurale, il n’est pas strictement nécessaire que j’examine les arguments de la demanderesse au sujet du fond de la décision. Je vais néanmoins les examiner brièvement à l’intention du commissaire qui sera chargé d’examiner la demande d’asile de la demanderesse.

 

[37]           La demanderesse allègue que la décision contient plusieurs erreurs. À mon avis, je ne pense pas qu’aucune de ces erreurs ne constitue une erreur susceptible de révision.

 

[38]           Premièrement, la demanderesse soutient que la SPR a interprété à tort les notes de PDE comme si elles disaient qu’elle avait « détruit » son passeport nigérien. En fait, la demanderesse a déclaré à l’agent du PDE qu’elle s’était « débarrassée » de son passeport. Je ne vois pas qu’il existe une différence importante entre « détruire » et « se débarrasser » d’un passeport. Quelle que soit la déclaration exacte qu’a faite la demanderesse, elle a clairement indiqué à l’agent du PDE qu’elle s’était délibérément débarrassée de son passeport. Comme la SPR l’a fait remarquer, de façon tout à fait légitime, cela est incompatible avec son témoignage selon lequel son agent lui avait confisqué son passeport.

 

[39]           Deuxièmement, la demanderesse soutient qu’il était déraisonnable que la SPR se fonde sur les notes de PDE pour tirer ses conclusions de faits et ses conclusions en matière de crédibilité. Je ne peux retenir cet argument. Les notes de PDE font référence à une photographie d’homme qui n’a pu être produite par la suite, mais il y avait des contradictions et des invraisemblances dans le témoignage de la demanderesse qui n’avaient rien à voir avec les notes de PDE. Manifestement, aucune de ces deux sources de preuve n’est parfaite; il était loisible à la SPR de préférer les notes de PDE au témoignage de la demanderesse lorsqu’il y avait contradiction entre les deux.

 

[40]           Troisièmement, la SPR a déclaré dans sa décision que « aucune preuve médicale indépendante n’a été produite en ce qui concerne la cause de ces cicatrices [de la demanderesse] ». La demanderesse soutient que le rapport médical a été préparé par le Dr D.V. Kanhai de la YorkWoods Clinic de Toronto, et que la SPR n’en a pas tenu compte.

 

[41]           À mon avis, le rapport n’a pas été nécessairement mis de côté. Le Dr Kanhai l’a rédigé au Canada en 2009, bien longtemps après que les cicatrices aient été causées et il n’y avait aucun moyen d’en connaître l’origine. Le rapport ne contenait donc aucune preuve indépendante concernant l’origine des cicatrices. De toute façon, la SPR a admis que le mari était à l’origine de ces cicatrices. Le fait que la SPR n’a pas accepté est que les mauvais traitements se soient poursuivis au Nigeria après 1999. Comme le rapport du Dr Kanhai ne mentionne aucunement l’endroit et le moment où les cicatrices ont été causées, l’omission de le prendre en compte n’était pas importante.

 

CONCLUSION

 

[42]           J’ai conclu que les principales violations de l’équité procédurale alléguées par la demanderesse, l’omission de l’informer que CIC avait produit des photos et le défaut de lui donner la possibilité de les commenter n’entraînerait pas l’annulation de la décision. Je conclus toutefois que l’omission apparente de la SPR de tenir compte des observations écrites de la demanderesse constitue un grave déni d’équité procédurale. Il est donc fait droit à la demande de contrôle judiciaire, la décision est annulée et l’affaire renvoyée à une formation de la SPR différemment constituée pour nouvel examen.

 

[43]           Si je n’avais pas conclu à l’existence d’un déni d’équité procédurale, je n’aurais pas conclu à l’existence d’une erreur dans la décision sur le fond qu’a prise la SPR. Néanmoins, en raison du déni d’équité procédurale, l’affaire doit être renvoyée.

 

[44]           La certification d’une question n’a pas été proposée et, à mon avis, aucune question de ce genre ne découle des faits de la présente affaire.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

  1. il est fait droit à la demande et l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen;
  2. aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4166‑09

 

INTITULÉ :                                       KATE IGBINOBA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1er AVRIL 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 23 AVRIL 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stella Iriah Anaele

 

POUR LA DEMANDERESSE

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

SOLICITORS OF RECORD :

 

Stella Iriah Anaele

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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