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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20100422

Dossier : T-1082-09

Référence : 2010 CF 435

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

NEDZA ENTERPRISES LTD.

demanderesse

et

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision rendue par le directeur adjoint du bureau des services fiscaux de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) de Surrey, datée du 5 juin 2009, laquelle a refusé à la demanderesse contribuable l’allègement de la pénalité qui lui a été imposée en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, pour défaut réitéré de produire à temps sa déclaration.

 

[2]               Le directeur adjoint a conclu que les circonstances exceptionnelles sur lesquelles s'appuyait la contribuable personne morale ne s'appliquaient qu'à l'un de ses quatre administrateurs et, comme elle comptait d'autres administrateurs, la contribuable n'avait aucune raison de produire sa déclaration de revenus en retard.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

 

Le contexte

[4]               Nedza Enterprises Ltd. (Nedza) possédait et exploitait un motel et restaurant à Prince Rupert, en Colombie-Britannique. Les quatre administrateurs détenaient chacun un quart des actions dans la société. Il s'agit de Roy et Joyce Wong, d’Irene Mar, la sœur de Roy, et de son mari, Ray Mar. 

 

[5]               Roy et Joyce exploitaient le motel, tandis que Ray et Irene participaient peu aux activités courantes. Lorsque Roy a été atteint d'une maladie cardiaque chronique, sa participation aux activités d'exploitation a grandement diminué. Ainsi, Joyce a eu la responsabilité de Nedza, de même que celle de deux autres petites entreprises du couple. 

 

[6]               L'exercice financier de Nedza prend fin le 31 mai. Les déclarations de revenus des sociétés doivent être produites dans les six mois suivant la fin de leur exercice financier. Nezda était donc tenue de produire ses déclarations de revenus au plus tard le 30 novembre de chaque année.

 

[7]               En juin 2006, Nedza a vendu le motel et le restaurant pour la somme de 1 259 999 $. Le produit de cette vente était inclus dans la déclaration de revenus de Nedza pour l'exercice financier se terminant le 31 mai 2007, qui devait être produite au plus tard le 30 novembre 2007.

 

[8]               Le 9 septembre 2007, Joyce a appris que sa sœur habitant à Singapour avait été arrêtée par la police pour un comportement causé par une maladie mentale dont elle était atteinte. Joyce et Roy se sont rendus à Singapour le 10 septembre 2007 et ont ramené la sœur de Joyce au Canada le 27 septembre 2007. 

 

[9]               Le 30 novembre 2007, Nedza n'avait pas produit sa déclaration de revenus de 2007. Le 18 avril 2008, l'ARC a transmis une demande de production de la déclaration de revenus, suivie, le 3 juin 2008, d'une mise en demeure de produire la déclaration de revenus. 

 

[10]           Le 9 juillet 2008, Nedza a présenté une demande de prorogation de délai de 60 jours pour produire la déclaration, qui a été acceptée. Le 25 septembre 2008, une autre demande de prorogation a été sollicitée, et accordée. Nedza avait jusqu'au 15 novembre 2008 pour produire sa déclaration de revenus de 2007, ce qu'elle a fait le 14 novembre 2008.

 

[11]           Le ministre a établi une cotisation à l’égard de Nedza, lui imposant une pénalité pour production en retard ainsi qu'une pénalité de 68 576,32 $ pour défaut réitéré de production en vertu du paragraphe 162(2) de la Loi. C'est cette dernière pénalité pour défaut réitéré de production qui est en cause en l'espèce.

 

[12]           Dans une lettre datée du 28 janvier 2009, Nedza a demandé à l'ARC, en vertu des dispositions d'allègement pour les contribuables, d'annuler la pénalité pour défaut réitéré de production ou d’y renoncer. Dans ses observations, Nedza a déclaré que [traduction] « Joyce et Roy Wong n'étaient pas en mesure de s'acquitter de leurs obligations fiscales en raison d'une série de circonstances exceptionnelles indépendantes de leur volonté. » Ces circonstances peuvent être résumées comme suit :

a)        Roy souffre d'une maladie cardiaque et Joyce a donc assumé la gestion de l'ensemble de leurs entreprises et affaires personnelles;

b)       la sœur de Joyce a été arrêtée à Singapour le 9 septembre 2007 et Joyce et Roy ont immédiatement pris l'avion et volé à son secours, la ramenant au Canada le 27 septembre 2007;

c)        Roy, Joyce et sa sœur ont eu un accident de voiture le 6 janvier 2008;

d)       Joyce et sa sœur sont retournées à Singapour le 6 mai 2008 et Joyce est revenue au Canada le 22 mai 2008;

e)        en raison du stress causé par ces événements, Joyce a mis [traduction] « plusieurs mois pour récupérer les documents requis et réunir les dossiers nécessaires à la préparation des productions exigées ».

 

[13]           La réponse de l'ARC, datée du 17 mars 2009, est rédigée en partie comme suit :

                        [traduction]

Bien que nous comprenions Mme Wong concernant les malheureux événements qu'elle a dû subir, il incombe à tous les administrateurs d'une société de s'acquitter des diverses obligations juridiques, financières et fiscales. Les documents présentés ne montrent pas comment les difficultés de Mme Wong ont empêché les autres administrateurs de s'acquitter des obligations fiscales de la société. De plus, l'examen de nos dossiers révèle que la société n'en est pas à son premier retard de production des déclarations T2. Toutes les déclarations de revenus pour les années d'imposition 1995 à 2007 ont été produites avec un retard allant de trois à 27 mois. Ces antécédents ne sont pas un indicateur de diligence raisonnable à l'égard de la gestion des affaires fiscales de la société.

 

Compte tenu des renseignements qui précèdent, la situation de la société n'est pas admissible à l'annulation de la pénalité pour défaut réitéré de production et la pénalité ne sera pas annulée.

 

[14]           Dans une lettre datée du 23 mars 2009, la demanderesse a demandé un [traduction] « deuxième examen » de la décision du 17 mars 2009. Les arguments supplémentaires invoqués peuvent être résumés comme suit :

a)        Bien que la société compte quatre administrateurs, Roy et Joyce se sont toujours occupés des affaires financières de Nedza et ont toujours signé les états financiers et les déclarations de revenus de la société.

b)       L'ARC a accordé la prorogation du délai de production qui avait été demandée et, par conséquent, [traduction] « il semble contradictoire d’accorder une prorogation et qu’ensuite des pénalités soient imposées ».

c)        Bien que Nedza ait auparavant produit en regard des déclarations de revenus, elle a toujours payé les pénalités et les intérêts qui s'y rapportaient.

 

[15]           Ces arguments ont été rejetés dans une lettre datée du 5 juin 2009. C’est cette décision qui fait l'objet du présent contrôle. Cette décision déclare, en partie, ce qui suit :

                        [traduction]

La responsabilité de la production des déclarations de revenus incombe aux administrateurs et aux représentants de la société. Il y avait trois autres administrateurs qui auraient pu prendre les mesures applicables pour s'assurer que la société s'acquitte de ses obligations. Si les déclarations de revenus ne pouvaient être produites à temps, la société aurait dû présenter des déclarations de revenus estimatives avant la date d'échéance. Ces déclarations auraient pu être rajustées à une date ultérieure, une fois les renseignements nécessaires accessibles. Une estimation des impôts aurait pu être établie.

 

Le ministère a accordé la prorogation du délai de production de la déclaration de revenus pour éviter la mise en branle de mesures d'application de la loi au cours de cette période. Veuillez prendre note qu'une prorogation du délai de production ne suspend pas l’imposition de pénalités.

 

Après avoir examiné avec soin les faits de l'affaire, ainsi que vos observations se rapportant aux dispositions légales applicables, nous concluons que la décision rendue au premier palier était appropriée. Votre demande d'allègement suivant les dispositions d'équité de la Loi de l'impôt sur le revenu est par conséquent rejetée.

 

[16]           Lors de l'audience, la demanderesse a sollicité la permission de déposer un affidavit de la part de son comptable. La défenderesse y a consenti, sous réserve de la correction de certaines dates, et j'ai déclaré qu'il était accepté sous réserve de ces corrections.

 

[17]           Cette nouvelle preuve, dont les éléments étaient accessibles à la défenderesse, fait l'historique de la production des déclarations de la demanderesse au cours des trois années précédant l'année d'imposition 2007. Pour chacune de ces années, la contribuable a produit sa déclaration en retard. Des impôts étaient exigibles uniquement pour l'année d'imposition 2004, puisque la demanderesse a affiché une perte pour les deux années suivantes. Les impôts payables pour l'année d'imposition 2004 s'élevaient à 5 185 $ et une pénalité pour production en retard s'élevant à 118,56 $ lui a été imposée.

 

Les questions en litige

[18]           Les questions en litige, présentées dans le mémoire des parties et leurs plaidoiries, sont les suivantes :

1.         Le ministre a-t-il entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?

2.         Le ministre a-t-il manqué à l'obligation d'équité en exerçant son pouvoir discrétionnaire?

3.         L'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre était-il déraisonnable?

 

Analyse

1.         Le ministre a-t-il entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?

[19]           La demanderesse soutient que le ministre [traduction] « a appliqué les lignes directrices de manière servile […] de manière trop stricte alors qu'elles ne sont que de simples exemples » et il a donc entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Les paragraphes 23, 24 et 32 de la circulaire d’information IC07‑1 « Dispositions d’allègement des contribuables » fournissent des indications à ceux qui sont tenus de se prononcer sur la question de savoir s'il y a lieu d'annuler l'imposition de pénalités et d’intérêts ou d’y renoncer. La demanderesse prétend que le ministre [traduction] « a fait abstraction » du paragraphe 24 qui prévoit ce qui suit : « Le ministre peut également accorder un allègement même si la situation du contribuable ne se trouve pas parmi les situations mentionnées au paragraphe 23. »

 

[20]           Plus précisément, la demanderesse fait valoir que le ministre aurait dû tenir compte du montant des pénalités imposées à la lumière de l'importance des cotisations antérieures de la demanderesse et de son attente raisonnable qu’aucune pénalité pour défaut réitéré de production ne serait imposée puisqu'aucune ne l'avait été dans le passé.

 

[21]           Il pouvait s'agir de facteurs valables dont le ministre pouvait tenir compte. Toutefois, ils n'ont pas été présentés au ministre dans les observations de la demanderesse. Le ministre n'est pas tenu d'imaginer de manière indépendante toutes les observations possibles qu'un contribuable peut être en mesure de présenter. Ce que doit faire le ministre est d'examiner les observations qui lui ont été présentées et c'est ce qu'a fait le ministre en l'espèce.

 

2.         Le ministre a-t-il manqué à l'obligation d'équité en exerçant son pouvoir discrétionnaire?

[22]           La demanderesse fait valoir que le ministre a manqué à l'obligation d'équité en lui accordant une prorogation de délai pour produire sa déclaration de revenus, mais qu’il lui a ensuite imposé des pénalités pour production en retard en omettant d’aviser la demanderesse que tous les administrateurs étaient responsables de la production des déclarations de revenus et en présumant que les autres administrateurs étaient en mesure d'assumer cette responsabilité.

 

[23]           Cet argument est sans fondement. 

 

[24]           Des attentes légitimes ne créent pas de droits substantiels (Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada, [1991] 2 R.C.S. 525). Même si la demanderesse a pu croire que la prorogation du délai de production signifiait que des pénalités pour production en retard ne lui seraient pas imposées, et encore moins une pénalité pour défaut réitéré de produire à temps sa déclaration, rien dans la prorogation de délai accordée ne donnait à penser qu'une pénalité pour production en retard ne serait pas imposée. Quoi qu'il en soit, au moment où la prorogation de délai a été accordée, la demanderesse accusait déjà un retard de plus de sept mois à l'égard de la production de sa déclaration de revenus. La prorogation de délai ne constituait pas une renonciation de l'ARC à son pouvoir discrétionnaire d'imposer, dans la cotisation de la contribuable, des pénalités pour production en retard ou pour défaut réitéré de production à temps de ses déclarations. La prorogation de délai avait pour effet de protéger la demanderesse d'une déclaration culpabilité par procédure sommaire pour non-production et des pénalités qui accompagnent une telle déclaration de culpabilité (voir le paragraphe 238(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu).

 

[25]           Lorsque des entreprises sont constituées en société et que des personnes acceptent de devenir administrateurs de ces entreprises, elles acceptent à la fois les avantages et les inconvénients qui accompagnent cette constitution en société. Selon une de ces obligations, les administrateurs partagent à part égale la responsabilité de répondre aux exigences de production des déclarations de revenus de la société. Nedza aurait pu être structurée de telle manière que les investisseurs passifs ne soient pas administrateurs, mais ce n'était pas le cas. L'ARC n'était pas tenue d’expliquer les notions de base du droit des affaires à la demanderesse ou à ses administrateurs. Il appartenait aux administrateurs de comprendre leurs propres obligations et celles de la société qu’ils avaient la responsabilité de diriger. Le ministre n'a pas manqué à l'obligation d'équité en adoptant la position selon laquelle n’importe lequel des trois autres administrateurs de Nedza pouvait s’acquitter de l’obligation de production des déclarations de revenus. La défenderesse n'a reçu aucune autre information selon laquelle ils n'étaient pas en mesure d'assumer cette responsabilité que la déclaration selon laquelle ils ne l'avaient pas assumée dans le passé.

 

3.         L'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre était-il déraisonnable?

[26]           La demanderesse soutient que le ministre a commis une erreur en considérant que Nedza aurait pu produire une déclaration de revenus estimative plutôt qu'une déclaration exacte certifiée. La demanderesse fait de plus valoir que le ministre a commis une erreur parce qu'il a [traduction] « présumé que les autres administrateurs n'avaient pas été mis à l'écart en s'appuyant sur la prorogation de délai accordée » et qu'il a adopté une position incohérente en appliquant des pénalités après avoir accordé une prorogation.

 

[27]           La déclaration du ministre selon laquelle la demanderesse avait omis de produire une déclaration de revenus estimative et non certifiée soulève un doute, car il ne semble y avoir aucune disposition légale concernant une telle procédure. Néanmoins, même si cette déclaration était erronée, je ne serais pas convaincu qu'elle rend l'ensemble de la décision déraisonnable. Ce facteur faisait partie de plusieurs facteurs sur lesquels s'est appuyé le décideur. L'absence, dans les circonstances exceptionnelles invoquées par la contribuable, d'une justification expliquant pourquoi les autres administrateurs ne devaient pas être tenus de s'acquitter de leurs fonctions et de leurs responsabilités envers Nedza en qualité d'administrateurs, était au cœur du raisonnement du décideur. À mon avis, cette conclusion était raisonnable et déterminante en ce qui a trait à la demande d'allègement. 

 

[28]           À mon avis, le ministre a tenu compte de toutes les observations de la demanderesse et a raisonnablement conclu qu’elles ne justifiaient pas que les autres administrateurs aient omis de jouer leur rôle à titre d'administrateurs de Nedza. En tirant cette conclusion, le ministre n'a pas entravé son pouvoir discrétionnaire et s’est acquitté de l'obligation d'équité. Pour ces motifs, la présente demande sera rejetée.

 

[29]           La défenderesse a droit à ses dépens. La défenderesse peut faire taxer ses dépens conformément à l’article 407 des Règles des Cours fédérales ou, subsidiairement, elle peut choisir un montant de dépens que je juge raisonnable, lequel s'élève à 2 000 $.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée, avec dépens conformes aux motifs de jugement.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1082-09

 

Intitulé :                                       NEDZA ENTERPRISES LTD. c. ARC

 

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 18 avril 2010

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 avril 2010

 

 

 

Comparutions :

 

Neil W. Nichols

Chancery Chambers Law Corporation

 

Pour la demanderesse

Susan Wong

 

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Neil W. Nichols

Chancery Chambers Law Corporation

Surrey (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

Carl Januszczak

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

 

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