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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100422

Dossier : IMM-4661-09

Référence : 2010 CF 434

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

LI WU SHA et QUAN SHA

demandeurs

 

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Les demandeurs, Li Wu Sha et Quan Sha, sont respectivement père et fils. Ils sollicitent l’annulation d’une décision prise en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 2001, ch. 27, rejetant l’inclusion de Quan Sha à titre d’enfant à charge dans la demande de résidence permanente de son père. Le motif du rejet était la conclusion de l’agent selon laquelle l’école de formation professionnelle que fréquentait Quan Sha ne répondait pas aux exigences du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

 

Le contexte

[3]               Les demandeurs sont citoyens de Chine. En janvier 2008, Li Wu Sha a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Il a inclus Quan à titre d’enfant à charge dans sa demande. À ce moment-là, Quan était âgé de 23 ans et suivait à temps plein un programme d’études supérieures à l’University College London (l’UCL).

 

[4]               En septembre 2008, le bureau des visas a demandé une preuve de l’inscription à temps plein dans une école secondaire depuis septembre 2007. Les demandeurs ont fourni des documents concernant son inscription à l’UCL, y compris une copie du diplôme de maîtrise qu’il a obtenu en juin 2008. Aucun renseignement n’a été présenté à propos de ses études après juin 2008.

 

[5]               Le 15 janvier 2009, le bureau des visas a informé les demandeurs que Quan ne répondait pas à la définition d’« enfant à charge » de l’article 2 du Règlement.

 

[6]               Le 3 mars 2009, le bureau des visas a reçu d’autres renseignements concernant les études de Quan. La lettre confirmait qu’il était inscrit à l’UCL et qu’il avait obtenu son diplôme le 23 juin 2008. Elle révélait qu’il avait alors eu [traduction] « un congé estival très court » et qu’il était retourné à l’UCL le 23 septembre 2008 [traduction] « pour recevoir en personne son diplôme de maîtrise en sciences ». Elle mentionnait de plus que Quan s’était inscrit à la Shanghai Winworld Academy, un collège de formation professionnelle, le 17 octobre 2008, pour suivre des études à temps plein sur la programmation de logiciels informatiques JAVA EE.

 

[7]               Le 15 juin 2009, l’agent des visas a demandé un original du rapport du China Academic Degrees and Graduate Education Development Center (le CADGEDC). Sa lettre mentionne qu’il a besoin d’un [traduction] « original du rapport du CADGEDC pour montrer que l’école que Sha Quan a le plus récemment fréquentée est un établissement d’enseignement postsecondaire ». Le CADGEDC est un organisme qui vérifie les diplômes chinois, bien que les parties aient un certain différend quant à la portée de cet organisme. 

 

[8]               Le 10 juillet 2009, les demandeurs ont répondu qu’ils ne présenteraient pas un rapport du CADGEDC parce qu’il [traduction] « accrédite et authentifie uniquement les certificats de diplômes d’études scolaires et les documents connexes délivrés en Chine » [souligné dans l’original]. Les demandeurs ont de plus mentionné que la Shanghai Winworld Academy, un établissement extrascolaire, était néanmoins accrédité par le ministère de l’Éducation et ont fourni une copie du permis délivré par le ministère à l’école.

 

[9]               Dans une lettre datée du 22 juillet 2009, l’agent a conclu que Quan n’était pas un « enfant à charge » au sens du Règlement. Le bureau a alors informé Li Wu Sha que Quan n’était donc pas admissible à être inclus dans sa demande de résidence permanente. C’est à l’égard de cette décision que les demandeurs sollicitent un contrôle judiciaire.

 

[10]           Les motifs de la conclusion de l’agent se trouvent dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers de l’immigration (les notes du STIDI), qui font partie de la décision. Les notes du STIDI montrent que l’agent a cru à tort que Quan avait terminé ses études à l’UCL en septembre 2007, mais il ne s’agit pas d’une erreur importante dans la décision faisant l’objet du contrôle.

 

[11]           En réponse aux observations concernant l’inscription de Quan à la Shanghai Winworld Academy, l’agent mentionne que la [traduction] « [p]reuve des études est insuffisante. » L’agent a demandé à un subordonné [traduction] « [d’]envoyer une demande accordant 45 jours au demandeur pour présenter un rapport du CADGEDC établissant que la dernière école fréquentée par SHA QUAN est en effet un établissement d’enseignement postsecondaire reconnu ».

 

[12]           En réponse aux observations supplémentaires des demandeurs concernant le rapport du CADGEDC, l’agent mentionne ce qui suit :

[traduction]

la lettre de STEPHEN MENTIONNE TOUT D’ABORD QU’IL N’ACCORDE PAS BEAUCOUP DE poids AU CADGEDC. Il DIT AUSSI que l’établissement que fréquente le fils dU PRINCIPAL INTÉRESSÉ n’est pas inscrit auprès du CADGEDC. Le consultant RÉVÈLE aussi que l’établissement est reconnu par le ministère de l’éducation (SHANGHAI) pour la République populaire de Chine.

 

[13]           L’agent n’a pas accepté cette réponse.

 

La question en litige

[14]           Dans la présente demande, la question est de savoir si l’agent a commis une erreur en concluant que Quan Sha ne répondait pas à la définition d’« enfant à charge » au sens de l’article 2 du Règlement.

 

La question préliminaire

[15]           Les demandeurs soulèvent aussi une question préliminaire concernant la question de savoir si les affidavits que le défendeur a déposés dans le cadre de la présente demande constituaient de nouveaux éléments de preuve et n’auraient donc pas dû être déposés devant la Cour.

 

[16]           Les demandeurs soutiennent que le défendeur tente de produire de nouveaux éléments de preuve dont le décideur n’était pas saisi. Les demandeurs font valoir qu’il ne faudrait accorder aucun poids aux deux affidavits de Felicia Cheng. Il convient de souligner que le demandeur n’a pas soulevé la même objection à l’égard de l’affidavit ultérieur du décideur.

 

[17]           Le défendeur prétend que les renseignements que contiennent ces deux affidavits sont des renseignements contextuels sur les rapports du CADGEDC et non de nouveaux éléments de preuve. Le défendeur invoque la décision Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) et al. (1999), 168 F.T.R. 273 (C.F. 1re inst.), pour soutenir que des renseignements contextuels peuvent être fournis par voie d’affidavit à l’occasion d’un contrôle judiciaire, même si le décideur n’en était pas saisi.

 

[18]           À mon avis, le défendeur à raison. En l’absence de préjudice pour la partie adverse, et le demandeur n’en allègue aucun, la preuve par affidavit qui fournit des renseignements contextuels pertinents quant à une question en litige importante dont la Cour est saisie à l’occasion d’un contrôle judiciaire peut être présentée à la Cour. Une telle preuve par affidavit ne constitue pas une nouvelle preuve non admissible.

 

[19]           En l’espèce, on peut affirmer qu’il est important que la Cour comprenne la portée du rapport du CADGEDC dans le cadre du contrôle de la décision contestée parce que l’agent s’est concentré exclusivement sur le fait que les demandeurs n’avaient pas présenté un tel rapport malgré la demande de l’agent de lui en présenter un. Les deux affidavits de Felicia Cheng déposés à titre de renseignements contextuels sur la portée d’un rapport du CADGEDC sont par conséquent admis.

 

Analyse de la question en litige

[20]           Les demandeurs soutiennent que les motifs de l’agent sont insuffisants parce qu’ils n’expliquent pas pourquoi il a conclu que Quan Sha ne répondait pas à la définition d’« enfant à charge ». Les demandeurs prétendent que le fait que l’agent s’est appuyé sur l’absence de rapport du CADGEDC était déraisonnable parce qu’ils avaient présenté une preuve selon laquelle l’école de Quan Sha était accréditée par le ministère de l’Éducation. Les demandeurs font valoir de plus que l’agent a confondu la définition d’« enfant à charge » avec l’évaluation des diplômes dans le contexte d’une demande dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Les demandeurs soutiennent, en invoquant Yao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 114, que le guide du défendeur, plus précisément les sections 14 et 15 du guide OP2, leur fournissait une attente raisonnable selon laquelle ils auraient l’occasion de répondre à toute réserve de l’agent concernant l’école.

 

[21]           Le défendeur soutient que le fait que l’agent s’est fié sur la réponse du demandeur concernant la demande de rapport du CADGEDC était raisonnable. Le défendeur prétend que la demande de l’agent faite aux demandeurs de présenter un rapport du CADGEDC pour vérifier la qualité de l’école répondait à toute attente légitime. Le défendeur fait valoir que les demandeurs avaient le fardeau de prouver que le fils répondait à la définition du Règlement et qu’ils ne se sont pas acquittés de ce fardeau.

 

[22]           L’article 2 du Règlement définit « enfant à charge » comme suit :

 

 

 

[23]           La disposition applicable est le sous-alinéa 2b)(ii). Puisque Quan Sha avait plus de 22 ans à la période pertinente, il ne pouvait être considéré comme étant un « enfant à charge » de son père que s’il n’avait pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et que s’il y suivait à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle depuis l’âge de 22 ans. Il est clair que l’inscription de Quan Sha à l’UCL répondait à cette exigence jusqu’au milieu de 2008. Cependant, après l’obtention de son diplôme à l’UCL, Quan devait être inscrit dans un autre établissement et y suivre à temps plein des cours pour qu’il continue de respecter cette définition.

 

[24]           Dans la décision Yao, la juge Gauthier a examiné l’obligation d’équité dans des circonstances semblables à celles de l’espèce et a conclu, au paragraphe 24, que l’obligation « est minimale ». Elle a néanmoins conclu qu’il existe au moins une obligation minimale de fournir des motifs expliquant pourquoi l’agent a conclu qu’un demandeur donné n’était pas un « enfant à charge » au sens du Règlement.

 

[25]           À mon avis, lorsque les motifs de l’agent sont pris dans leur ensemble, incluant les notes du STIDI, la raison pour laquelle l’agent a rejeté Quan Sha à titre d’« enfant à charge » est claire. L’agent avait manifestement une réserve quant à la question de savoir si l’école satisfaisait aux exigences décrites dans la définition d’« enfant à charge » prévue au Règlement. Le Règlement exige que les établissements d’enseignement postsecondaire soient « accrédité[s] par les autorités gouvernementales compétentes ». La demande de l’agent concernant un rapport du CADGEDC était liée à cette accréditation.

 

[26]           En conséquence, les motifs sont suffisants, répondent à l’obligation d’équité et ne constituent pas une erreur susceptible de contrôle.

 

[27]           Les demandeurs ont eu l’occasion de répondre aux réserves de l’agent concernant l’école de Quan Sha lorsque l’agent a demandé un rapport du CADGEDC. Si l’agent n’était pas satisfait de la réponse des demandeurs à sa demande, ce qu’il donne à penser dans son affidavit, il n’avait pas l’obligation, dans ces circonstances, de solliciter des éclaircissements supplémentaires de la part des demandeurs. À mon avis, l’agent, en omettant de répondre aux attentes légitimes des demandeurs, n’a pas manqué à l’obligation d’équité, tel que cela a été allégué. 

 

[28]           À mon avis, ce qui constitue un problème est le fait que l’agent s’est appuyé sur l’absence de rapport du CADGEDC. Ni le Règlement ni les lignes directrices du défendeur ne prévoient la manière dont un agent doit se prononcer sur la question de savoir si un établissement d’enseignement postsecondaire est « accrédité par les autorités gouvernementales compétentes ». 

 

[29]           L’agent a déclaré dans son affidavit qu’il avait demandé un rapport du CADGEDC parce qu’il est [traduction] « l’établissement reconnu sur lequel nous nous appuyions en application de l’article 73 du [Règlement] ». L’article 73 du Règlement définit les termes qui s’appliquent uniquement aux dispositions du Règlement concernant les travailleurs qualifiés. La présente demande n’est pas une demande dans la catégorie des travailleurs qualifiés. 

 

[30]           Dans la présente affaire, l’agent a demandé un rapport du CADGEDC [traduction] « pour établir que la dernière école fréquentée par Sha Quan est un établissement d’enseignement secondaire reconnu. » Les demandeurs ont fourni une réponse expliquant pourquoi le rapport ne serait pas présenté et ont présenté un élément de preuve selon lequel l’école de Quan était « accrédité[e] par les autorités gouvernementales compétentes ». Dans ses motifs, l’agent a omis d’expliquer pourquoi cet élément de preuve, la copie du permis de l’école délivrée par le ministère de l’Éducation, a été rejeté. L’agent a déclaré ce qui suit en contre-interrogatoire :

[traduction]

Je ne me suis pas prononcé sur la question de savoir s’il s’agissait d’une école accréditée. Après le refus du demandeur de présenter un rapport du CADGEDC, je n’ai plus tenu compte des titres universitaires, des diplômes.

 

[31]           En contre-interrogatoire, l’agent a déclaré qu’il avait tenu compte du permis de l’école que les demandeurs avaient présenté. Il a toutefois omis d’examiner la question de savoir si cela constituait une preuve suffisante d’accréditation. Il semble l’avoir rejeté du revers de la main puisqu’il ne s’agissait pas du rapport du CADGEDC qui avait été demandé. L’agent semble être arrivé à la conclusion – très vraisemblablement parce qu’il a confondu l’évaluation des diplômes dans le cadre d’une demande dans la catégorie des travailleurs qualifiés avec la définition d’enfants à charge – que l’accréditation de l’école ne pouvait être établie qu’au moyen du rapport du CADGEDC qu’il avait demandé.

 

[32]           L’agent n’a pas analysé la question de savoir si le ministère de l’Éducation représentait les « autorités gouvernementales compétentes » au sens de la définition d’« enfant à charge » prévue au Règlement, et ce, malgré qu’il ait déclaré en contre-interrogatoire qu’il existait [traduction] « partout en Chine divers ordres de gouvernements provinciaux et d’administrations municipales qui accréditent toutes sortes d’écoles ». L’agent n’a justifié ni dans sa lettre ni dans les notes du STIDI, pourquoi il avait rejeté les observations des demandeurs. L’agent déclare qu’après le refus des demandeurs de présenter un rapport du CADGEDC, il n’a pas examiné la question plus à fond. À cet égard, la décision n’est pas suffisamment motivée et est par conséquent déraisonnable. Pour ce motif, j’accueillerai la demande.

 

[33]           Aucune partie n’a proposé de question aux fins de certification. Je conclus que les faits ne soulèvent aucune question respectant le critère en matière de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La présente demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour une décision.

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4661-09

 

INTITULÉ :                                       LI WU SHA ET AL. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vivian Yuen

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Marjan Double

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vivian Yuen

Larlee Rosenberg

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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