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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20100423

Dossier : IMM-4559-09

Référence : 2010 CF 414

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2010

En présence de Monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA PROTECTION CIVILE

ET DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

demandeurs

et

 

BRUCE TIRER

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 27 août 2009, par laquelle la Commission a fait droit à l’appel formé par le défendeur contre la décision d’un agent des visas de refuser la demande de résidence permanente déposée par son épouse, Frida Cibrinovsky.

Les faits

[2]               Le défendeur, Bruce Tirer, un citoyen canadien âgé de 52 ans, est un spécialiste des systèmes informatiques travaillant à son propre compte. Son épouse, Frida Cibrinovsky, est une Israélienne âgée de 62 ans qui vit en Israël.

 

[3]               Le défendeur et Mme Cibrinovsky se sont mariés le 14 mai 2005. C’est le premier mariage du défendeur. L’épouse du défendeur est divorcée et enseigne la musique en Israël. Sa fille vit au Canada et son fils vit en Israël. Le défendeur a parrainé la demande de résidence permanente au Canada déposée par son épouse.

 

[4]               L’agent des visas a interrogé l’épouse du défendeur à Tel Aviv le 2 janvier 2007. Il a abordé plusieurs sujets au cours de l’entretien, notamment le peu de temps que le couple avait passé ensemble avant leur mariage, le fait que le défendeur ne s’était jamais enquis du statut de la demande de son épouse, le fait que l’épouse du défendeur n’était pas au courant de détails importants concernant son mari – par exemple s’il avait déménagé, et quand, son adresse actuelle, la date de leur mariage et les noms de ses amis qui avaient assisté au mariage. L’agent a trouvé aussi que la preuve d’une relation constante était déficiente et que les formulaires de demande contenaient des divergences.

 

[5]               Le 7 février 2007, l’agent des visas a conclu que Mme Cibrinovsky était une personne visée par l’article 4 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) et que le mariage n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi. Mme Cibrinovsky ne remplissait donc pas les conditions requises pour qu’elle immigre au Canada en tant que personne appartenant à la catégorie de la famille. Sa demande de résidence permanente a été refusée. Les motifs de la décision de l’agent des visas étaient exposés dans les notes d’entretien consignées au STIDI.

 

[6]               Le défendeur a fait appel de la décision à la Commission conformément au paragraphe 63(1) de la Loi. Le 27 août 2009, la Commission a conclu que le mariage était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi. La Commission a donc fait droit à l’appel.

 

La décision contestée

[7]               La Commission a fait droit à l’appel essentiellement pour les motifs exposés dans les paragraphes 9, 12 et 13 de sa décision. Elle a reconnu qu’il y avait des divergences entre le témoignage de l’appelant et les réponses données par Mme Cibrinovsky lors de l’entrevue de 2007, mais a estimé que l’aptitude de l’appelant à expliquer le contenu des notes d’entrevue était à juste titre restreinte parce que Mme Cibrinovsky se trouvait en Israël. En outre, puisque les deux conjoints s’étaient entendus pour faire un mariage simple, la Commission a estimé que le fait que Mme Cibrinovsky ne savait pas combien de personnes avaient assisté au mariage ne constituait pas une divergence de taille. Finalement, puisque le couple communiquait par des moyens électroniques ne nécessitant pas les numéros de téléphone, la Commission a estimé que, si Mme Cibrinovsky ne connaissait pas le numéro de téléphone de l’appelant, cela était compréhensible.

 

Les questions en litige

[8]               Cette demande soulève les questions suivantes :

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le mariage était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi? La Commission a-t-elle négligé d’évaluer la crédibilité des conjoints ou a-t-elle tiré des conclusions de fait qui étaient abusives ou arbitraires?

 

La disposition applicable

[9]               L’article 4 du Règlement dispose qu’un étranger n’est pas considéré comme étant l’époux d’une personne si le mariage n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 

La norme de contrôle

[10]           La question de savoir si un mariage est authentique est une question mixte de droit et de fait car elle requiert de faire coïncider les circonstances de l’affaire aux exigences du Règlement. Par conséquent, la norme de contrôle qu’il faut appliquer est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Khanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 335, 166 A.C.W.S. (3d) 362; Nadon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 59, 158 A.C.W.S. (3d) 470).

 

[11]           C’est au tribunal administratif qu’il appartient d’évaluer la crédibilité des témoins et d’apprécier la valeur des preuves produites. La Cour n’interviendra que si la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée d’une manière abusive ou arbitraire, ou si elle a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont elle disposait (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.)). La norme de contrôle qui est applicable aux questions de crédibilité est celle de la décision raisonnable.

 

Analyse

[12]           Le texte de l’article 4 du Règlement requiert qu’un mariage soit authentique et qu’il n’ait pas été contracté en vue de l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi. La Cour a jugé qu’un tribunal administratif doit se prononcer sur les preuves et les renseignements dont il dispose et expliquer pourquoi il les a rejetés, surtout s’ils sont à l’origine des conclusions de la Commission (Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 63 F.T.R. 312, 40 A.C.W.S. (3d) 657). Selon les demandeurs, la Commission a rejeté sans raison les preuves qui contredisaient le témoignage du défendeur, et les motifs exposés par la Commission pour rejeter lesdites preuves ne sont pas appuyés par les pièces que la Commission avait devant elle.

 

[13]           D’entrée de jeu, la Cour relève que l’agent des visas avait décelé d’importantes contradictions et des problèmes de crédibilité dans les réponses essentielles données par              Mme Cibrinovsky lorsqu’elle s’était entretenue avec l’agent à l’ambassade du Canada. Ces failles avaient été la raison principale du refus de la demande de visa par l’agent et avaient par la suite constitué le principal moyen invoqué dans la procédure d’appel. Elles avaient été portées à la connaissance de la Commission.

 

[14]           Plus précisément, le dossier montrait que Mme Cibrinovsky savait peu de choses, et même rien, sur les détails importants de la vie de son conjoint, sur les détails entourant leur mariage et, plus particulièrement, sur la date de leur mariage. L’agent des visas avait trouvé que la constance de leur relation n’était pas suffisamment établie. Il avait aussi trouvé que le défendeur avait manifesté fort peu d’intérêt pour la demande de son épouse et pour son installation future au Canada.

 

[15]           Le défendeur affirme que l’audience tenue devant la Commission est une procédure de novo et que toute lacune de la demande initiale de parrainage peut être corrigée par lui-même ou par son épouse. Il dit que la Commission a considéré les lacunes des réponses de Mme Cibrinovsky dans le contexte du témoignage tout entier fourni par lui. Il ajoute que la Commission a reconnu que le fait que son épouse n’avait pas témoigné ne permettait pas de mettre en doute leur relation. La nature des motifs et doutes exprimés par l’agent des visas était telle que le défendeur pouvait donner des précisions sur les points soulevés. Selon le défendeur, les demandeurs se focalisent sur des points que la Commission a qualifiés de mineurs et, vu la totalité de la preuve, la décision de la Commission est raisonnable.

[16]           En dépit de l’argument habile du défendeur, la Cour est en désaccord avec lui.

 

[17]           La Commission a soulevé la question des divergences, mais la Cour estime qu’elle n’en a pas fait une analyse suffisante. Les notes d’entrevue consignées par l’agent des visas évoquent d’ailleurs en détail les faibles connaissances qu’a Mme Cibrinovsky de sa liaison avec le défendeur, mais la Commission n’a pris en compte, dans sa décision, que ce que le défendeur savait de la relation. Elle aurait dû également considérer la connaissance que Mme Cibrinovsky avait de la relation. Elle a donc passé sous silence d’importantes lacunes dans les réponses de Mme Cibrinovsky, par exemple concernant le nombre de personnes qui avaient assisté au mariage. La Commission s’est plutôt fondée uniquement sur les affirmations et certitudes du défendeur, sans vérifier la connaissance que pouvait en avoir Mme Cibrinovsky. Elle a manifestement laissé de côté certaines des preuves essentielles qu’elle avait devant elle et elle a donc commis une erreur susceptible de révision.

 

[18]           La crédibilité de Mme Cibrinovsky a été mise en doute après son entretien avec l’agent des visas, mais elle n’a pas témoigné devant la Commission. Dans ses motifs, la Commission relève que Mme Cibrinovsky n’a pas témoigné et que le débat qui aurait permis de dissiper les incohérences et contradictions avait donc été quelque peu restreint. Les motifs exposés par la Commission sur cet aspect sont exposés au paragraphe 9 de sa décision :

[Traduction]

Le demandeur [le défendeur-M. Trier] a témoigné à l’audience. La demanderesse [Mme Cibrinovsky] n’a pas témoigné. Au cours de l’audience, des discussions ont porté sur le contenu de la transcription de l’entrevue avec la demanderesse à l’ambassade du Canada en Israël, en 2001. Le tribunal est d’avis que les discussions portant sur le contenu de ces notes sont limitées par le fait que la demanderesse n’a pas témoigné. Par conséquent, la capacité de l’appelant d’expliquer le contenu des notes de l’entrevue est évidemment restreinte. L’appelant a déclaré que la demanderesse et lui s’étaient rencontrés au cours d’une fête au Canada en octobre 2001. La demanderesse rendait visite à sa famille et à des amis. L’appelant et la demanderesse se sont bien entendus et ont passé du temps ensemble pendant le reste du séjour de la demanderesse au Canada. L’appelant a déclaré qu’il est resté en contact avec la demanderesse, par téléphone et Internet (appels gratuits en ligne, par l’intermédiaire de Skype et de SlipStream).

 

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

 

[19]           Il est vrai que le défendeur a témoigné devant la Commission, mais il se trouve que la Commission a plus largement passé sous silence la preuve contradictoire, se limitant à accepter tel quel le témoignage du défendeur. La Commission n’a pas confronté ses conclusions avec les faits pertinents et avec la preuve objective pertinente (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Heera, [1994] F.C.L. No. 1594 (QL).

 

[20]           Dans ces conditions, la Cour est d’avis que la Commission a commis une erreur parce qu’elle a évalué l’authenticité du mariage en se fondant uniquement sur la version des événements du défendeur ou sur les intentions du défendeur, et parce qu’elle n’a tenu aucun compte des intentions et du témoignage contradictoire de Mme Cibrinovsky.

 

[21]           Par conséquent, la Cour est d’avis que les conclusions de la Commission sont déraisonnables parce qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve contradictoire et n’a pas évalué la question de la crédibilité. Il s’agit là d’une erreur susceptible de révision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nyari, 2002 CFPI 979, 117 A.C.W.S. (3d) 607; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Champagne, 2008 CF 221, 164 A.C.W.S. (3d) 857).

 

[22]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a aucune question à certifier.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2. L’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission, pour nouvelle décision;

3. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4559-09

 

INTITULÉ :                                       Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al c. Bruce Tirer

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 avril 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Evan Liosis

 

POUR LES DEMANDEURS

Mitchell Goldberg

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DEMANDEURS

Bureau de Me Mitchell Goldberg

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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