Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

Federal Court

 

Date :  20100420

Dossier :  IMM-4906-09

Référence :  2010 CF 413

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2010

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

ALEXANDER VILLANUEVA PINON

MAYRA PAULETTE JIMENEZ CERVANTES

MELANIE JOHALY VILLANUEVA JIMENEZ

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la loi) à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) datée le 9 septembre 2009, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

 

 

Contexte factuel

[2]               Le demandeur principal, Alexander Villanueva Pinon, sa conjointe, madame Mayra Paulette Jimenez Cervantes et leur fille mineure, Mélanie Johaly Villanueva, sont tous citoyens du Mexique.

 

[3]               Le demandeur principal allègue s’être rendu à une fête avec les membres de sa famille, dont Gabriel Cervantes, le cousin de sa conjointe, le 1er septembre 2007. Des jeunes hommes présents à la fête l’ont insulté et l’ont frappé sans raison. Les jeunes hommes auraient menacé de mort le demandeur et ses amis.

 

[4]               Une semaine plus tard, Gabriel Cervantes fut poignardé à 16 reprises par les mêmes jeunes hommes qui les avaient menacés lors de la fête du 1er septembre 2007. Gabriel Cervantes a dit au demandeur que ses attaquants avaient aussi proféré des menaces contre le demandeur.

 

[5]               Le demandeur et les membres de sa famille ont porté plainte, mais sans résultat puisqu’il est allégué que des membres de la famille des agresseurs travaillaient pour la police judiciaire.

 

[6]               Craignant pour sa vie, le demandeur a quitté son pays le 10 septembre 2007 et il est arrivé au Canada le même jour. Suite à son arrivée au Canada, le demandeur a appris que les mêmes individus avaient fait feu sur Gabriel Cervantes le 2 novembre 2007.

 

[7]               La conjointe du demandeur dit également avoir été menacée par les mêmes hommes qui cherchaient à savoir où se trouvait son conjoint. Craignant pour sa sécurité, elle est arrivée au Canada avec sa fille mineure le 29 juillet 2008. Toutes les deux ont demandé l’asile au début du mois d’août 2008.

 

Décision contestée

[8]               Le tribunal a conclu que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau d’établir selon la prépondérance des probabilités qu’ils seraient exposés à un risque de torture, à une menace à leur vie ou de traitements ou peines cruels et inusités s’ils retournaient au Mexique. Le tribunal a aussi conclu qu’il existe une possibilité de refuge interne pour les demandeurs au Mexique dans l’État de Sonora. Les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer que leur renvoi vers le Mexique les exposerait à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque d’être soumis à la torture.

 

Questions en litige

[9]               Cette demande présente les questions suivantes :

1.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles?

2.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant qu’il y avait une possibilité de refuge interne (PRI) pour les demandeurs dans l’État de Sonora?

 

Norme de contrôle

[10]           L'évaluation de la crédibilité et l'appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui doit apprécier l'allégation d'une crainte subjective d'un demandeur d'asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1ère inst.), 83 A.C.W.S. (3d) 264 au paragraphe 14). Depuis Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable dans pareilles circonstances semblables est la décision raisonnable.

 

[11]           Tel qu’articulé dans Dunsmuir, la norme de contrôle applicable aux questions de protection de l'État est la décision raisonnable (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 193, 137 A.C.W.S. (3d) 392 aux paragraphes 9 à 11 et Gorria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 284, 310 F.T.R. 150 au paragraphe 14)

 

1.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles?

 

[12]           La Cour rappelle que le fardeau de la preuve incombe aux demandeurs. Ces derniers doivent présenter tous les éléments de preuve disponibles et qu’ils jugent nécessaires aux fins d’établir leur revendication à l’audience (Zheng c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 1244, 213 F.T.R. 39; Hazell c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 1323, 158 A.C.W.S. (3d) 807).

 

[13]           Il est également de jurisprudence constante que le tribunal a compétence afin d’apprécier la preuve soumise par les demandeurs et de relever des invraisemblances (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.) [1993] A.C.F. no. 732, 160 N.R. 315;             He c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), (1994), 49 A.C.W.S. (3d) 562; [1994] A.C.F. no 1107 (C.A.F.) (QL); Shahamati c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.) (QL)).  

 

[14]           En l’espèce, plusieurs éléments minant la crédibilité des demandeurs ont été soulevés par le Tribunal.

 

[15]           Premièrement, le demandeur a reçu des soins médicaux à l’hôpital Margarita Salinas suite à la bataille lors de la fête du 1er septembre 2007. Il a reçu une attestation médicale qui est restée au Mexique et qui n’a pas été présentée au soutien de sa demande. Le tribunal a jugé que le certificat médical était un élément important à présenter au soutien de sa demande d’asile puisque les blessures alléguées ont été subies le jour qui marque le début de ses problèmes au Mexique. Le tribunal a conclu que le certificat médical aurait pu facilement être obtenu puisqu’il se trouve chez le demandeur au Mexique. Le demandeur a manqué de diligence en ne tentant pas de se procurer un document important qui aurait pu corroborer son témoignage. En vertu de la Règle 7 Règles de la Section de protection des réfugiés, SORS/2002-228, le demandeur devait transmettre les documents pour établir cet élément central qui se situe au cœur de sa demande.

 

[16]           Il est clair, à la lecture de l’article 7 des Règles de la Section de protection des réfugiés, qu’une obligation repose sur le demandeur d’asile de transmettre les documents et les autres éléments appuyant la demande d’asile. Alors que la version française indique que « Le demandeur transmet […] »  la version anglaise est encore plus éloquente quant à l’obligation faite au demandeur : « The claimant must provide […] ». 

[17]           Deuxièment, le demandeur a répondu que les menaces proférées à nouveau contre lui suite à l’attaque sur Gabriel Cervantes lui avaient fait craindre pour sa sécurité advenant un retour au Mexique. Le demandeur a toutefois omis de mentionner cette importante information en réponse à la question 31 de son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Le tribunal a noté que si des menaces de mort avaient réellement été prononcées à son encontre lors de l’événement allégué du 2 novembre 2007, que le demandeur aurait pensé à les inscrire dans son FPR. La jurisprudence reconnaît que tous les éléments importants de la revendication d’un demandeur doivent être mentionnés dans son FRP et les omissions sont déterminantes lorsqu’il s’agit d’événements centraux et importants du récit comme c’est le cas en l’espèce (Ovais c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), (2000), 100 A.C.W.S. (3d) 1045, [2000] A.C.F. no 1702 (QL); Arunasalam c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 1070, 108 A.C.W.S. (3d) 518).

 

[18]           Troisièmement, en réponse à savoir comment Gabriel Cervantes aurait été poignardé à 16 reprises - notamment au dos et à l’abdomen - sans subir de blessures majeures, le demandeur a expliqué qu’il ne savait pas avec quoi Gabriel Cervantes avait été poignardé et qu’il ne savait plus s’il s’agissait de coupures ou d’autres blessures. Malgré les nombreuses questions du tribunal à ce sujet (notes sténographiques aux pp. 199-200), la Cour constate que les réponses du demandeur sont néanmoins demeurées floues et imprécises. 

 

[19]           Finalement, la conjointe du demandeur a aussi témoigné et elle a mentionné avoir été victime de menaces à plusieurs reprises suite au départ de son conjoint. Elle a allégué avoir déménagé chez ses parents qui habitent à quelques rues de son domicile, pour être en sécurité. Le tribunal a conclu qu’il ne s’agissait pas du comportement d’une personne qui devait vivre cachée pour assurer sa sécurité et celle de sa fille mineure. Selon la Cour, le tribunal pouvait raisonnablement considérer le comportement de la demanderesse, qui n’avait pas pris de mesures sérieuses pour se protéger, dans l’appréciation du bien-fondé de sa crainte (Mardones c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), (1997), 72 A.C.W.S. (3d) 907; [1997] A.C.F. no 351 (QL)). Le tribunal a donc raisonnablement conclu à l’absence de crainte subjective de la demanderesse en raison de son comportement incompatible avec celui d’une personne qui craint pour sa sécurité.

 

[20]           La preuve au dossier démontre qu’en appréciant la crédibilité des demandeurs, le tribunal a tenu compte de leurs explications au sujet des invraisemblances et des incohérences soulevées mais il ne les a pas considérées satisfaisantes.

 

[21]           Après avoir analysé et considéré la preuve documentaire, ainsi que les représentations écrites et orales des parties et la jurisprudence soumise, la Cour est d'avis que la conclusion du tribunal fait partie de la gamme de solutions acceptables eu égard à la preuve. Le tribunal est le mieux placé pour évaluer les explications fournies par les demandeurs au sujet de contradictions et invraisemblances apparentes. Il n'appartient pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de fait tirées par le tribunal au sujet de la crédibilité des demandeurs (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325 au paragraphe 36; Mavi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1 (QL)).

 

[22]           Compte tenu de tout ce qui précède, la Cour conclut que le tribunal n’a pas erré en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles.

 

2.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant qu’il y avait une possibilité de refuge interne (PRI) pour les demandeurs dans l’État de Sonora?

 

[23]           Le fardeau de démontrer qu’ils ne peuvent bénéficier d’aucune possibilité de refuge interne dans une autre partie du Mexique repose sur les demandeurs. Il revenait donc aux demandeurs de démontrer qu’ils risquaient sérieusement d’être persécutés sur tout le territoire mexicain et qu’il était objectivement déraisonnable pour leur part de se prévaloir d’une possibilité de refuge interne (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [1994] 1 C.F. 589, 163 N.R. 232; Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1992] 1 C.F. 706, 140 N.R. 138 (C.A.F.)). Dans ce contexte, lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est raisonnable, la barre est placé très haute (voir Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 au paragraphe 14). 

 

[24]           Plus précisément, pour reprendre les termes du juge Létourneau dans cet arrêt:

« ...Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions… »

 

[25]           Dans la cause qui nous occupe, la décision du tribunal est basée sur le témoignage des demandeurs ainsi que la preuve documentaire au dossier. Le tribunal a tenu compte de la situation personnelle des demandeurs et la possibilité raisonnable qu’ils se relocalisent dans l’État de Sonora. Au surplus, les demandeurs n’ont pas présenté de preuve crédible à l’appui qu’ils ne pourraient pas vivre dans l’État de Sonora. Au contraire, la preuve démontre que Gabriel Cervantes, qui est visé par les mêmes hommes que le demandeur, vit dans cet État depuis novembre 2007.

 

[26]           Les demandeurs ne se sont donc pas acquittés de leur fardeau de démontrer que le tribunal a commis une erreur dans l'établissement d’un refuge interne. La Cour considère cette décision raisonnable et elle est conforme à la jurisprudence.

 

[27]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La présente demande ne soulève aucune question importante de portée générale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4906-09

 

INTITULÉ :                                       Alexander Villanueva Pinon et al c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 avril 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Manuel Antonio Centurion

 

POUR LES DEMANDEURS

Christine Bernard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Maître Centurion

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.