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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100421

Dossier : IMM-3879-09

Référence : 2010 CF 433

Toronto (Ontario), le 21 avril 2010

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

Entre :

CESAR GONZALO VALLENILLA

MARCE ALEJANDRA VALLENILLA COCK

demandeurs

 

et

 

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

défendeur

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par Cesar Gonzalo Vallenilla (le père) et Marce Alejandra Vallenilla Cock (la fille; les deux appelés ci‑après les demandeurs) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), datée du 8 juillet 2009, selon laquelle les demandeurs n’étaient ni des réfugiés ni des personnes à protéger.

 

[2]               Les demandeurs sont des citoyens du Venezuela. Ils ont fui le Venezuela en 2002 accompagnés Soledad Cock Seballos (ci‑après la mère), une citoyenne de la Colombie; il s’agit de l’épouse de M. Vallenilla et de la mère de Mme Vallenilla Cock. Ils sont entrés au Canada à la suite du rejet d’une demande d’asile aux États-Unis. La mère a obtenu le statut de réfugiée au Canada dans la même décision dont le père et la fille sollicitent maintenant le contrôle judiciaire.

 

[3]               La mère est issue d’une famille politiquement active en Colombie depuis longtemps. De nombreux membres de sa famille ont été la cible de violence politique impliquant les Forces armées révolutionnaires de Colombie et d’autres groupes rebelles dans ce pays et certains ont été tués.

 

[4]               En décembre 2001, le neveu de la mère, un citoyen des États-Unis, a été enlevé par un groupe appelé l’ELN alors qu’il voyageait de la Colombie vers le Venezuela. Les kidnappeurs ont obtenu son journal et ses numéros de personnes-ressources et, lorsqu’ils se sont rendu compte que sa famille était active en politique, ils ont commencé à harceler la mère en lui faisant des appels de menaces. En raison de la violence de l’ELN en Colombie et de l’absence de protection de l’État dans ce pays, le tribunal a conclu que la mère avait une crainte fondée d’être persécutée dans ce pays du fait des opinions politiques qu’on lui imputait.

 

[5]               Le père et la fille ont prétendu qu’ils avaient une crainte fondée d’être persécutés au Venezuela. Le père était un homme d’affaires qui fournissait des meubles aux opposants du président Hugo Chavez. Il a déclaré qu’il participait régulièrement à des marches d’opposition et qu’il a refusé à une occasion de se porter candidat à un poste de maire parce que, pour occuper ce poste, il fallait être pro-Chavez.

 

[6]               En 2002, il a été la cible de vandalisme et de harcèlement soit‑disant à caractère politique. Ainsi, sa camionnette a été vandalisée, et le mot « oligarca », employé pour désigner des opposants au régime, a été peinturé sur le mur de son bureau. La famille a alors commencé à recevoir des appels de menaces. La voiture de la famille a été frappée à l’arrière et, plus tard cette nuit-là, une personne a téléphoné pour demander si la famille avait vu [traduction] « à quel point ils étaient près ».

 

[7]               En juillet 2002, une personne en motocyclette a frappé la fille alors qu’elle participait à une manifestation anti-Chavez.

 

[8]               Même si le tribunal a accepté que les accidents dont avaient été victimes le père et la fille s’étaient produits, il n’était pas convaincu que la preuve établissait qu’il s’agissait d’accidents à caractère politique. De plus, les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de démontrer qu’ils ne pouvaient pas se prévaloir de la protection de l’État.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent que le tribunal a commis une erreur en concluant qu’ils ne pouvaient pas être ciblés parce que leur participation politique n’avait pas une grande visibilité. Je suis d’accord. Le tribunal a reconnu que le père aidait le mouvement d’opposition. Il a également reconnu que des vandales avaient écrit un slogan politique dans son bureau et que la police avait refusé d’agir lorsqu’il s’en était plaint. Le tribunal n’a toutefois pas mentionné ces faits dans son analyse et a conclu que la preuve ne démontrait pas que le père était ciblé pour des raisons politiques. Il est difficile de savoir pour quelles autres raisons on aurait pu vouloir vandaliser son bureau ou quels éléments de preuve auraient pu convaincre le tribunal. Par conséquent, les motifs du tribunal ne sont pas transparents ni intelligibles, et sa conclusion est donc déraisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47).

 

[10]           Les demandeurs soutiennent également que le tribunal a mal interprété les éléments de preuve en concluant que la fille observait simplement une manifestation lorsqu’elle a été frappée ou que la fille a été ciblée par l’ELN. Encore ici, je suis d’accord avec les demandeurs que cela était contraire à la preuve qui révèle que l’accident s’est produit alors qu’elle manifestait et qu’elle a été frappée à dessein par un motocycliste et ciblée par un partisan de Chavez et non par l’ELN.

 

[11]           En fait, les motifs du tribunal ne permettent pas du tout de faire une distinction entre les deux risques distincts allégués par les demandeurs, qui ont déclaré être ciblés à la fois par les partisans du gouvernement et par l’ELN. Il s’agit d’une lacune importante de son analyse, et cela donne à penser que le Tribunal n’a pas examiné avec soin les éléments de preuve dont il était saisi.

 

[12]           De plus, en ce qui a trait à la menace que l’ELN constituait pour les demandeurs, je constate le silence du tribunal dans son analyse à propos de l’appel téléphonique qu’aurait reçu le père après l’accident de la circulation et lors duquel on lui aurait demandé s’il avait vu [traduction] « à quel point ils étaient près ». Le tribunal a expressément reconnu que l’accident a eu lieu, mais a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un accident [traduction] « à caractère politique ». L’appel téléphonique allégué semble au moins appuyer l’interprétation des faits donnés par les demandeurs. À mon avis, l’omission du tribunal de faire des remarques à ce sujet fait en sorte que sa décision est ni transparente ni suffisamment motivée.

 

[13]           Je suis également d’accord avec les demandeurs pour dire que le tribunal semble avoir négligé des éléments de preuve importants qui contredisent ses conclusions sur la question de la protection de l’État et qu’il a donc commis une erreur susceptible de contrôle (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), 83 A.C.W.S. (3d) 264). Il a cité de longs passages du rapport du Département d’État sur le Venezuela à l’appui de ses conclusions selon lesquelles le Venezuela est un pays démocratique en mesure de protéger ses citoyens, mais il a omis de mentionner d’autres passages plus pertinents. Le rapport du Département d’État déclare que la [traduction] « [p]olitisation de la magistrature et le harcèlement exercé par les autorités […] auprès des opposants politiques ont continué à définir la situation des droits de la personne » dans ce pays. Il a également expressément mentionné les troubles violents lors des marches et des manifestations d’opposition – lesquels troubles avaient été causés par les partisans du gouvernement et les forces de sécurité – au cours desquelles des centaines de personnes ont été blessées.

 

[14]           Comme l’a déclaré le juge John Evans au paragraphe 17 de la décision Cepeda-Gutierrez, précitée, « quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait ». Une telle inférence est justifiée en l’espèce.

 

[15]           En effet, dans une affaire récente dans laquelle, comme en l’espèce, la preuve contradictoire négligée par le décideur se trouvait dans le même document sur lequel il s’est fondé pour étayer sa conclusion, le juge James Russell a conclu qu’« [u]ne analyse de la preuve dont disposait la Commission révèle le caractère extrêmement sélectif de la Commission dans le choix de la preuve sur laquelle elle s’est fondée pour étayer ses conclusions, lesquelles pourraient bien être contredites par la preuve dans son ensemble ». (Prekaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1047, 85 Imm. L.R. (3d) 124, paragraphe 26; voir aussi Sinnasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 67, 68 Imm. L.R. (3d) 246, paragraphe 33). 

 

[16]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire de la décision sera accueillie, la décision du tribunal sera annulée et l’affaire sera renvoyée à tribunal différemment constitué pour nouvel examen.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire de la décision est accueillie, la décision du tribunal est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3879-09

 

Intitulé :                                       CESAR GONZALO VALLENILLA

                                                            MARCE ALEJANDRA VALLENILLA COCK c.

                                                            Le ministre de la citoyenneté

                                                            et de l’immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 avril 2010

 

Motifs du jugement :            la juge TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 avril 2010

 

 

Comparutions :

 

Maureen Silkoff

 

Pour les demandeurs

Margherita Braccio

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maureen Silkoff

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

Myles Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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