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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100419

Dossier : IMM-3125-09

Référence : 2010 CF 420

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2010

En présence de monsieur le juge Mainville

 

ENTRE :

SERGE BRAZARD TANIS

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

Introduction

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire en application des articles 72 et suivants de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), déposée par Serge Brazard Tanis à l'égard d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le tribunal), portant le numéro TA7‑15505 et rendue le 5 mai 2009.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera refusée pour les motifs énoncés ci‑dessous.

Le contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen d'Haïti âgé de 60 ans qui a quitté Haïti en mai 1992 pour se rendre par bateau aux îles Vierges américaines afin d'y faire une demande d'asile auprès des autorités américaines. Il a ensuite quitté ces îles pour le continent nord‑américain pour y travailler, notamment à Denver, au Colorado.

 

[4]               Le demandeur soutient avoir travaillé en Haïti dans l'industrie de la construction et avoir été associé à un groupe communautaire proche du mouvement Lavalas, sans toutefois y adhérer. Après le départ du président Aristide en 1991, plusieurs opposants au mouvement Lavalas ont rendu la vie difficile aux membres de ce mouvement. Le demandeur soutient qu'en 1992, on l'a informé que des anti‑Lavalas le recherchaient. Après l'avoir appris, il se serait caché. Par la suite, son frère aurait été arrêté, un de ses collègues aurait été assassiné et sa maison aurait été incendiée. Il dit que, comme plusieurs dissidents du nouveau régime, il a pris la fuite par la mer en mai 1992 pour se rendre aux îles Vierges américaines afin d'y demander l'asile.

 

[5]               Après que les autorités américaines lui ont refusé l'asile en 2006 au motif d'absence de crédibilité, elles lui ont ordonné de quitter le pays. L'appelant a donc décidé de se rendre au Canada le 24 décembre 2007 afin d'y faire une nouvelle demande d'asile auprès des autorités canadiennes.

 

[6]               Le demandeur dit aussi maintenant qu'il serait menacé à titre de membre de la diaspora haïtienne s'il retournait en Haïti. Il soutient qu'à titre de membre de la diaspora haïtienne, il serait perçu comme riche et qu'il serait donc susceptible d'être visé par des tentatives d'extorsion s'il retournait en Haïti. Le demandeur affirme que sa nièce, à qui il envoyait de l'argent, fut assassinée en Haïti en 2006.

 

La décision du tribunal

[7]               Le tribunal n'a pas reconnu au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention vu que la persécution qu'il disait craindre en Haïti découlait d'événements liés au gouvernement Aristide survenus 15 ans auparavant et vu que la situation politique menaçante dont il se plaignait avait depuis considérablement changé en Haïti.

 

[8]               Le tribunal a conclu que le demandeur craignait plutôt de retourner en Haïti aujourd'hui parce qu'il serait perçu comme étant riche et risquerait d'être victime d'enlèvements. Après avoir tenu compte des décisions Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 31, et Cius c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1, le tribunal était d'avis que le préjudice redouté par le demandeur d'asile ne fait pas partie des cinq motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention . De plus, le tribunal a estimé que le demandeur d'asile ne serait pas personnellement exposé au risque d'être soumis à la torture, à une menace à sa vie ni au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

La position du demandeur

[9]               Le demandeur soutient que le tribunal n'a pas compris les décisions Prophète et Cius, lesquelles exigent une analyse des circonstances de chaque cas particulier afin d'établir si une menace sérieuse vise un demandeur d'asile; cette analyse n'a pas été effectuée dans son cas.

 

[10]           Le demandeur soutient que le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve présentée au sujet de sa nièce assassinée en Haïti. Il soutient de plus que ses activités politiques antérieures en Haïti le rendaient plus susceptible de subir des menaces s'il y retournait.

 

[11]           Le demandeur ajoute que dans l'affaire Cius, aucune preuve documentaire n'avait été présentée au tribunal au sujet des risques particuliers auxquels font face les Haïtiens qui retournent au pays. Le demandeur est d'avis qu'en l'espèce, la preuve documentaire établit maintenant que ceux‑ci font bien face à un risque plus élevé.

 

La position du ministre

[12]           Le ministre soutient que puisque la persécution qu'invoque le demandeur serait survenue il y a près de 15 ans, et vu les changements politiques importants survenus en Haïti depuis, il était raisonnable pour le tribunal de conclure que la crainte de persécution du demandeur fondée sur ces événements antérieurs n'était plus fondée aujourd'hui.

 

[13]           Le ministre soutient également que le demandeur avait admis durant son témoignage devant le tribunal que le risque de criminalité auquel il ferait face s'il retournait en Haïti était un risque généralisé. De plus, puisque les activités politiques du demandeur en Haïti étaient mineures et datent de plus de 15 ans, le demandeur ne peut raisonnablement prétendre aujourd'hui qu'il ferait l'objet d'un risque accru en raison de ces vieilles activités. Finalement, le décès de la nièce du demandeur peut certainement étayer la preuve de l'état de la criminalité en Haïti, mais cela ne démontre pas que le demandeur fait lui‑même face à un risque particulier qui diffère de celui auquel fait face l'ensemble de la population haïtienne.

 

[14]           Quant à la prétention du demandeur que la décision Cius ne s'applique pas dans son cas vu l'absence de preuve documentaire concernant les risques particuliers auxquels font face les Haïtiens qui retournent au pays, le ministre est d'avis qu'un argument similaire fut rejeté par le juge Mosley dans la décision récente Saint‑Hilaire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 178.

 

La norme de contrôle

[15]           Ce dossier ne soulève que des questions de fait et de crédibilité. En l'occurrence, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable selon les principes établis par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au par. 53, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, au par. 46.

 

[16]           Je note que les décisions récentes de notre Cour concernant la norme applicable à l'analyse en vertu de l'article 97 de la Loi confirment également que cette analyse est soumise à la norme de la décision raisonnable : Acosta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 213; Michaud c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 886; Innocent c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1019, aux par. 36 et 37; Marcelin Gabriel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1170, au par. 10; Saint‑Hilaire c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 178, au par. 12.

 

Analyse

[17]           La conclusion du tribunal voulant que le demandeur ne pouvait raisonnablement avoir de crainte à l'égard d'anciens militaires haïtiens en raison d'événements qui se sont produits il y a plus de quinze ans est raisonnable, vu les nombreux changements politiques survenus en Haïti depuis. D'ailleurs, le demandeur ne conteste pas principalement cette conclusion du tribunal, mais plutôt celle qui porte sur le risque auquel il ferait face à titre de membre de la diaspora haïtienne.

 

[18]           À cet égard, le tribunal reconnaît qu'il existe un quasi effondrement de la société civile en Haïti et, en grande partie, une absence systématique de primauté du droit, ainsi qu'un bilan médiocre en matière de droits de la personne et une épidémie d'enlèvements. Néanmoins, dans ce contexte, le tribunal a bien formulé la question dont il était saisi, qui consistait à déterminer si le renvoi du demandeur en Haïti l'exposerait personnellement à un risque auquel la population d'Haïti en général n'est pas exposée. Il s'agit là de la question appropriée à poser dans les circonstances du présent dossier vu les décisions Prophète, précitées, que j'ai longuement analysées dans ma décision Innocent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1019 (Innocent).

[19]           Dans l'affaire Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, un homme d'affaires haïtien réclamait le statut de personne à protéger au motif que les gens fortunés ou perçus comme tels en Haïti sont plus à risque de violence criminalisée que l'ensemble de la population d'Haïti, et ce, bien que la violence criminalisée soit généralisée en Haïti. Madame la juge Tremblay‑Lamer a refusé de reconnaître le statut de personne à protéger dans un tel cas pour les motifs qui suivent :

[18]      La difficulté qui se présente lors de l'analyse d'un risque personnalisé dans des cas de violations généralisées des droits de la personne, de guerre civile et d'États défaillants est la détermination de la ligne de séparation entre un risque qui est « personnalisé » et un risque qui est « général ». Dans ces situations, la Cour peut se trouver en présence d'un demandeur auquel on s'en est pris dans le passé, et auquel on pourra s'en prendre à l'avenir, mais dont la situation qui comporte un risque est similaire à celle d'une partie d'une population plus large. Ainsi, la Cour est en présence d'un individu qui peut être exposé à un risque personnalisé, mais un risque partagé avec de nombreux autres individus.

 

[19]      Récemment, le terme « généralement » [ausous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi] a été interprété d'une manière qui peut inclure des parties de la population en général, de même que tous les résidents ou citoyens d'un pays donné : Osorio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1459, [2005] A.C.F. no 1792 (QL). Dans cette affaire, le demandeur affirmait que si lui et son jeune fils né au Canada étaient renvoyés en Colombie ce renvoi constituerait un traitement ou une peine cruels et inusités en raison du stress psychologique qu'il subirait à titre de parent qui s'inquiète du bien‑être de son enfant dans ce pays. Aux paragraphes 24 et 26, la juge Snider a déclaré ce qui suit :

 

[24]      Il me semble que c'est le bon sens qui doit déterminer la signification du sous‑alinéa 97(1)b)(ii). [...]

 

[26]      De plus, je ne vois rien dans le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) qui oblige la Commission à interpréter le mot « généralement » comme s'appliquant à tous les citoyens. Le mot « généralement » est communément utilisé dans le sens de « courant » ou « répandu ». Le législateur a délibérément choisi d'utiliser le mot « généralement » dans le sous‑alinéa 97(1)b)(ii), laissant à la Commission le soin de décider si un groupe en particulier correspond à la définition. Si sa conclusion est raisonnable, comme c'est le cas ici, je ne vois pas le besoin d'intervenir. [Non souligné dans l'original.]

 

[...]

 

[23]      Compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour, je suis d'avis que le demandeur n'est pas personnellement exposé à un risque auquel ne sont pas exposés généralement les autres individus qui sont à Haïti ou qui viennent d'Haïti. Le risque d'être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens. Bien qu'un nombre précis d'individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence.

 

 

[20]           Dans l'affaire Prophète, madame la juge Tremblay‑Lamer avait invité la Cour d'appel fédérale à se prononcer sur la question suivante :

Dans les cas où la population d'un pays est exposée à un risque généralisé d'être victime d'actes criminels, la restriction prévue à l'alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR s'applique‑t‑elle à un sous‑groupe de personnes exposées à un risque nettement plus élevé d'être victimes de tels actes criminels?

 

 

[21]           Or, dans sa décision du 4 février 2009 dans Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 31, la Cour d'appel fédérale a refusé de traiter de ce sujet, en notant que la question certifiée avait une portée trop large. La Cour a néanmoins noté que madame la juge Tremblay‑Lamer disposait d'éléments de preuve lui permettant de conclure comme elle l'a fait :

[7]        Pour décider si un demandeur d'asile a qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi, il faut procéder à un examen personnalisé en se fondant sur les preuves présentées par le demandeur d'asile « dans le contexte des risques actuels ou prospectifs » auxquels il serait exposé (Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CAF 99, au paragraphe 15) (en italique dans l'original). Dans sa rédaction actuelle, la question certifiée a une portée trop large.

 

[8]        Compte tenu du régime fédéral global dans lequel s'inscrit l'article 97, répondre à la question certifiée dans un vide factuel aurait pour effet, selon les circonstances de chaque espèce, de restreindre ou d'élargir indûment la portée du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi.

 

[9]        Pour ces motifs, nous refusons de répondre à la question certifiée.

 

[10]      Dans le cas qui nous occupe (Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331), le juge de première instance disposait d'éléments de preuve qui lui permettaient de conclure que :

 

[23]      ... le demandeur n'est pas personnellement exposé à un risque auquel ne sont pas exposés généralement les autres individus qui sont à Haïti ou qui viennent d'Haïti. Le risque d'être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens. Bien qu'un nombre précis d'individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence.

 

 

[22]           Ainsi, comme je le signalais dans Innocent, pour traiter une demande de statut de personne à protéger en vertu du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi, il faut procéder à un examen personnalisé dans le contexte des risques existants et prospectifs auxquels le demandeur est exposé. Cet examen repose sur les faits particuliers de chaque cas.

 

[23]           L'analyse requise comprend non seulement celle du risque personnalisé auquel la personne en cause est exposée, mais également une analyse distincte du risque auquel d'autres personnes originaires du pays en cause sont exposées. Ces analyses sont faites avec l'objectif de déterminer dans chaque cas particulier, à la lumière de la preuve disponible, si le risque personnalisé auquel le demandeur est exposé existe « en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas ».

 

[24]           J'étais également d'avis dans Innocent qu'une analyse textuelle du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi et une approche pragmatique et fonctionnelle à l'application de ce sous‑alinéa révèlent que l'analyse du risque auquel d'autres personnes originaires du pays en cause sont exposées ne doit pas nécessairement se limiter à l'analyse du risque auquel toute la population est exposée, mais peut également comprendre l'analyse du risque auquel une partie seulement de la population est exposée, dans la mesure où les circonstances propres à chaque cas justifient cette approche à la lumière des objectifs de la Loi et de son article 97.

 

[25]           Ces diverses analyses sont essentiellement factuelles et doivent être menées au cas par cas. Dans la mesure où ces analyses et les conclusions qui en sont tirées sont raisonnables, la Cour n'interviendra pas en révision judiciaire d'une décision faite à cet égard par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

 

[26]           Dans ce cas‑ci, le tribunal a conclu que le demandeur ferait sans doute face à un risque de criminalité s'il retournait en Haïti, mais qu'il s'agit là d'un risque auquel l'ensemble de la population haïtienne est exposée. Le tribunal, en s'appuyant sur la décision Cius, a rejeté la prétention du demandeur voulant que les membres de la diaspora haïtienne soient perçus comme plus riches que le reste de la population, ce qui les rendrait plus attrayants aux malfaiteurs, et donc plus à risque. Dans Cius, le juge Beaudry avait conclu que les rapatriés haïtiens ne sont pas exposés à des risques de violence de façon particulière, mais étaient plutôt exposés à un risque généralisé de criminalité en Haïti.

 

[27]           Le demandeur soutient que l'analyse du tribunal dans son cas est déficiente puisque le tribunal se serait trompé en s'appuyant uniquement sur Cius sans tenir compte de la nouvelle preuve qui démontre que les membres de la diaspora haïtienne sont effectivement exposés à un risque plus grand de criminalité. Le demandeur s'appuie sur le cartable national de documentation concernant Haïti que pouvait consulter le tribunal qui a traité son dossier, et plus particulièrement le document 14.1 du cartable, qui porte le long titre de « HTI102610.F 15 octobre 2007. Information selon laquelle les Haïtiens ayant vécu à l'étranger (par exemple aux États‑Unis ou au Canada) pendant une longue période (plusieurs années) courent des risques s'ils rentrent au pays; type de risques qu'ils pourraient craindre; information selon laquelle le retour de ces gens peut représenter une menace pour les membres de leur famille et si tel est le cas, information sur le type de menace ainsi que sur leurs auteurs ».

 

[28]           Or, ce long titre cache un très court document qui n'appuie pas les prétentions du demandeur. Je reproduis dans sa quasi‑totalité le document en question, qui se passe de commentaires [non souligné dans l'original] :

Le bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Ottawa a répondu par lettre à une demande d'information de la Direction des recherches au sujet de la situation des Haïtiens qui retournent au pays après avoir vécu plusieurs années à l'étranger (24 sept. 2007). Le représentant au Canada du HCR indique que l'information à sa disposition est limitée, mais il ignore si ces Haïtiens courent des risques simplement pour le fait d'avoir vécu à l'étranger (Nations Unies 24 sept. 2007).

 

Par ailleurs, le représentant du HCR soutient que certaines catégories de personnes ayant vécu à l'étranger risquent davantage de subir des menaces ou d'être victimes de violations des droits de la personne, mais il ne prétend pas les présenter toutes (ibid.). Ainsi, les criminels expulsés vers Haïti risquent d'être victimes de violations des droits de la personne à cause des conditions de détention et d'autres atteintes à leurs droits telle la détention arbitraire ou prolongée (ibid.). De plus, des histoires d'Haïtiens ayant vécu longtemps à l'étranger, qui sont les cibles d'enlèvements une fois rentrés au pays parce qu'ils semblent disposer de moyens économiques plus importants, sont souvent relatées par les médias haïtiens et les organisations non‑gouvernementales (Nations Unies 24 sept. 2007). Enfin, certaines personnes peuvent être davantage visées à leur retour au pays, en raison de leur participation à des activités politiques ou autres (ibid.). Les risques courus lorsqu'une personne retourne en Haïti dépendent de son rôle politique ou de son passé, et ne « sont pas reliés per se au statut de la personne comme Haïtien ayant vécu à l'étranger » (ibid.).

 

Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches le 27 septembre 2007, un spécialiste de la justice et des droits humains de l'Unité d'appui au programme de la coopération canadienne à Haïti a déclaré que la diaspora dans son ensemble ne peut être considérée comme un « groupe à risque » et que chaque cas doit être considéré dans « son contexte » et individuellement. Il a ajouté cependant que des éléments caractéristiques des membres de la diaspora [langue et attitudes différentes en public] font d'eux « un groupe à part », plus « repérable » et « plus ciblé par les kidnappeurs » (UAPC 27 sept. 2007).

 

Cet aspect est abordé dans un article du Boston Globe, selon lequel les personnes expulsées vers Haïti par les États‑Unis ont des liens limités avec le pays et parlent moins bien le créole, ce qui rend leur adaptation difficile, mais qui surtout « rend les déportés plus facilement identifiables » (11 mars 2007).

 

Dans une communication écrite en date du 18 septembre 2007 avec la Direction des recherches, un analyste de l'International Crisis Group (ICG) indique qu'il n'a pas étudié cette question en détails et qu'il ne connaît pas de cas précis d'Haïtiens qui ont courus des risques une fois rentrés au pays après avoir passé plusieurs années à l'étranger. Il indique cependant avoir entendu des rumeurs et des histoires à ce sujet (ICG 18 sept. 2004). Il ajoute que « [l]es Haïtiens qui reviennent au pays, en particulier à Port‑au‑Prince » courent des risques et que « ce[s] risque[s] [sont] probablement bien moindre[s] en dehors des zones urbaines » (ibid.).

 

Aucune information selon laquelle le retour de ces gens peut représenter une menace pour les membres de leur famille n'a pu être trouvée par la Direction des recherches parmi les sources consultées.

 

[29]           Je ne vois aucune erreur dans le fait que le tribunal se soit appuyé sur les décisions Prophète et Cius afin de conclure que le risque de criminalité auquel ferait face le demandeur à titre de membre de la diaspora haïtienne est un risque généralisé. Le document précité du cartable national de documentation concernant Haïti ne change en rien cette conclusion, et je ne vois pas, à la lecture de ce document, en quoi le tribunal aurait erré à cet égard.

 

[30]           Je note également que la situation du demandeur est similaire à celle traitée par le juge Mosley dans Saint‑Hilaire c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 178.

 

[31]           Le demandeur soutient aussi que, dans son cas, il peut établir l'existence d'un risque personnalisé vu l'assassinat de sa nièce et ses activités politiques antérieures. Cependant, le tribunal n'a pas retenu les activités politiques antérieures du demandeur comme facteur de risque particularisé vu la période de quinze ans qui s'est écoulée depuis. Cette conclusion est raisonnable, puisqu'elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, la prétention du demandeur que le décès de sa nièce soit attribuable à un assassinat démontre tout au plus l'état de la criminalité généralisée qui sévit en Haïti et non un risque particularisé pour le demandeur s'il y retournait.

 

[32]           En conclusion, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[33]           Les parties n'ont soulevé aucune question à certifier aux fins de l'alinéa 74d) de la Loi et aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3125-09

 

 

INTITULÉ :                                                   SERGE BRAZARD TANIS c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 23 mars 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          le juge Mainville

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 19 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philip Varickanickal

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Tamrat Gebeyehu

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joel Etienne

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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