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Date : 20100419

Dossier : T-806-09

Référence : 2010 CF 427

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 19 avril 2010

En présence de Madame la juge Johanne Gauthier

 

ENTRE :

LA VILLE DE SAINT-BRIEUX,

LA M.R. DE LAKE LENORE N° 399,

LE VILLAGE DE LAKE LENORE,

ST. BRIEUX REALTY INC.,

L’ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES

FONCIERS DE LAKEVIEW,

LA FÉDÉRATION DES FEUX DE FORÊT DE LAKE LENORE

et LE PARC RÉGIONAL DE SAINT-BRIEUX

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

et LA MUNICIPALITÉ RURALE

DE THREE LAKES, N° 400

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs voudraient que soit rendue une ordonnance de la nature d’un mandamus obligeant le ministère des Pêches et des Océans (MPO) à faire appliquer une directive émise le 8 mai 2008, conformément au paragraphe 38(6) de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14 (la Loi), contre la Municipalité rurale de Three Lakes, n° 400 (la M.R. de Three Lakes) pour qu’elle stoppe le déversement d’eau du lac Houghton dans le lac Lenore. Subsidiairement, les demandeurs sollicitent une ordonnance semblable prescrivant l’émission et l’application d’une nouvelle directive au même effet.

 

[2]               La présente affaire est inusitée en ce que la substance nocive qui menace le poisson et son habitat dans le lac Lenore est la forte salinité de l’eau des lacs Houghton et Deadmoose.

 

[3]               La situation évoquée dans le rappel des faits est en effet très grave et doit être rectifiée avant qu’un dommage irréparable ne survienne, mais la Cour ne peut pas, pour les motifs qui suivent, accorder l’ordonnance demandée.

 

I. Rappel des faits

[4]               Le bassin du lac Lenore comprend plusieurs lacs individuels qui sont en fait contenus dans un bassin fermé dépourvu d’émissaire naturel. L’eau provenant de plusieurs lacs plus petits s’écoule dans le lac Houghton et le lac Deadmoose. Ces deux lacs sont très salés. En fait, le poisson ne survivrait pas dans le lac Houghton. Quant au lac Lenore, il est fréquenté par le poisson et abrite des populations de grands brochets, de dorés jaunes, de perchaudes et de grands corégones.

 

[5]               Les parties s’accordent pour dire que, si un grand volume d’eau suffisamment salée s’écoule du lac Houghton dans le lac Lenore, il en résultera un préjudice pour le poisson et pour son habitat dans le lac Lenore. Les demandeurs soutiennent aussi, et cela n’est pas contesté, que cela pourrait aussi mettre en péril de nombreux intérêts commerciaux, résidentiels, récréatifs et autres intérêts d’envergure qui gravitent autour du lac Lenore.

 

[6]               La M.R. de Three Lakes, une petite municipalité rurale de la Saskatchewan, administre la route de section 777, qui va du lac Houghton au lac Lenore. Cette route existe depuis fort longtemps, bien avant 1949. En 1987, elle a été désignée principale route de section et a été reconstruite. À cette époque, un ponceau de 18 pouces y fut installé pour faciliter le flux naturel de l’eau sous la route. Il n’est pas établi que l’eau du lac Houghton s’est jamais écoulée de manière importante à travers le ponceau existant de 18 pouces avant le printemps de 2008. Il n’est d’ailleurs pas contesté qu’aucun déversement d’eau des lacs Deadmoose ou Houghton dans le lac Lenore n’a jamais été rapporté. M. Ronald K. Christensen, le spécialiste qui a déposé un affidavit à l’appui du point de vue du des demandeurs, est d’avis que les deux lacs salés ne sont pas des affluents naturels du lac Lenore.

 

[7]               Cependant, les niveaux d’eau du lac Houghton et du lac Deadmoose montent depuis plusieurs années. Au printemps de 2007, les lacs étaient remplis à capacité et les niveaux de hautes eaux ont entraîné des inondations autour des lacs, dans le complexe hydrographique. À cause des niveaux de hautes eaux dans ces deux lacs, certains riverains ont demandé au MPO de prendre des mesures afin de prévenir le déversement d’eau salée dans le lac Lenore. Cependant, le MPO n’a pris aucune mesure, les eaux du lac Houghton n’ayant pas atteint un niveau qui pouvait susciter de réelles inquiétudes à ce sujet.

 

[8]               En 2007, le  niveau des hautes eaux dans la région du lac Lenore a conduit la Saskatchewan Watershed Authority (SWA) à décréter un moratoire[1] pour enrayer le drainage de terres agricoles dans cette région et ainsi minimiser les conséquences pour les propriétaires fonciers en aval.

 

[9]               Au paragraphe 6 de son affidavit, M. Baumann, de la M.R. de Three Lakes, écrit que, le 30 novembre 2007, la M.R. de Three Lakes a reçu de la SWA l’ordre de laisser s’écouler le débit naturel d’eau bloqué par la construction de la route de section 777. On devait s’y prendre en construisant soit un pont, soit un ponceau plus grand.

 

[10]           Dans sa lettre du 30 novembre 2007, la SWA écrit que, si la M.R. de Three Lakes décidait d’installer un ponceau plus grand pour favoriser le débit naturel, elle n’aurait pas besoin d’un permis pour le faire, conformément au paragraphe 11(1) du Drainage Control Regulations, R.R.S., ch. D‑33.1, Reg. 1. La SWA ajoute que, si la municipalité décidait de faire autrement et que les terres de la région devenaient inondées, une plainte pourrait être déposée auprès de la SWA, ce qui entraînerait l’ouverture d’une enquête ainsi que de possibles procédures judiciaires de la part des plaignants. La SWA recommande donc à la municipalité [traduction] « de se conformer à ce qui pourrait devenir le résultat de la procédure de plainte de drainage », en libérant le débit naturel, et elle ajoute que cela limiterait également l’éventuelle responsabilité de la municipalité puisque les conséquences pour les intérêts en amont et en aval seraient ainsi circonscrites. La lettre de la SWA ne fait pas état des conséquences possibles pour le poisson et son habitat dans le lac Lenore pour le cas où l’écoulement d’eau salée du lac Houghton dans le lac Lenore se trouverait accru par suite de l’installation d’un ponceau plus grand.

 

[11]           Le 1er mai 2008, le ministre de l’Environnement de la Saskatchewan a délivré un permis de protection de l’habitat aquatique qui autorisait la M.R. de Three Lakes à installer le deuxième ponceau sous la route de section 777.

 

[12]           Dans une lettre datée du 2 mai 2008, le MPO confirmait que, à condition que les mesures complémentaires d’atténuation y décrites soient intégrées dans la proposition portant sur le nouveau ponceau, cet ouvrage n’était pas susceptible d’entraîner des conséquences pour le poisson ou son habitat. Cependant, à la page 2 de ladite lettre, le MPO écrit ce qui suit :

[traduction]

Nous vous informons que cette lettre d’avis ne concerne que les conséquences pouvant résulter pour le poisson et son habitat durant l’installation du nouveau ponceau. Comme vous le savez, le MPO croit que la forte salinité des lacs Deadmoose et Houghton risque d’être nocive pour le poisson et pour son habitat dans le lac Lenore. Comme vous le savez sans doute, l’article 36 de la Loi sur les pêches, une loi fédérale, interdit le rejet ou l’immersion de substances nocives dans les eaux fréquentées par le poisson, sauf autorisation conférée par règlement. Le paragraphe 36(3) de la Loi sur les pêches prévoit ce qui suit :

 

« Sous réserve du paragraphe (4), il est interdit d’immerger ou de rejeter une substance nocive – ou d’en permettre l’immersion ou le rejet – dans des eaux où vivent des poissons, ou en quelque autre lieu si le risque existe que la substance ou toute autre substance nocive provenant de son immersion ou rejet pénètre dans ces eaux ».

 

Le MPO continue de surveiller la qualité de l’eau qui s’écoule du lac Houghton. Il pourrait donc éventuellement obliger la M.R. à empêcher l’eau de s’écouler du lac Houghton pour le cas où elle serait jugée nocive pour les eaux fréquentées par le poisson, selon ce que prévoit l’article 36 de la Loi sur les pêches.

 

[13]           Comme on le craignait, les niveaux d’eau ont encore monté dans les deux lacs salés, et l’eau a commencé de s’écouler à travers le ponceau de 18 pouces, ce qui a conduit le MPO à prendre des mesures. Le 8 mai 2008, après avoir testé l’eau s’écoulant du lac Houghton et analysé les conséquences qu’elle pourrait avoir sur le poisson et sur son habitat dans le lac Lenore, le directeur du district de la Saskatchewan du MPO a émis, en application du paragraphe 38(6) de la Loi, une directive écrite ordonnant à la M.R. de Three Lakes de [traduction] « prendre tous les moyens raisonnables, dans le respect de la sécurité, pour prévenir l’écoulement de l’eau du lac Houghton dans le lac Lenore », et il ordonnait en particulier à la M.R. de Three Lakes de fermer son ponceau de 18 pouces (la Directive de 2008). La lettre d’accompagnement à laquelle était jointe la Directive de 2008 parle aussi du paragraphe 36(3) de la Loi. La M.R. de Three Lakes s’est immédiatement conformée à cette directive, et il n’y a pas eu d’écoulement d’eau important dans le lac Lenore. La construction du ponceau de quatre pieds fut reportée à l’automne de 2008.

 

[14]           Il est établi que les demandeurs ont rencontré la SWA et la M.R. de Three Lakes entre mars et mai 2008 pour évoquer les problèmes liés à l’installation d’un deuxième ponceau et pour s’y opposer, mais le nouveau ponceau de quatre pieds a été construit en octobre 2008. Il est demeuré fermé jusqu’au printemps de 2009. C’est alors que, après avis signifié au MPO et à la SWA, le nouveau ponceau fut ouvert pour faciliter l’écoulement printanier depuis le lac Houghton[2].

 

[15]           Dans l’intervalle, en novembre 2008, la SWA a rendu un rapport qui fait état des conséquences du drainage des terres agricoles humides et impute ce drainage aux niveaux des hautes eaux des lacs Waldsea, Houghton et Deadmoose.[3] Dans son rapport, la SWA propose quatre solutions pour rectifier la situation :

a.                   accepter le niveau actuel des conséquences[4] (statu quo);

b.                  atténuer les conséquences du drainage;

a.       en fournissant des bermes pour protéger les propriétaires de chalets du lac Waldsea;

b.      en versant un dédommagement aux propriétaires victimes d’inondations autour des lacs Deadmoose et Houghton;

c.                   rétablir les terres humides en leur état naturel;

d.                  rétablir les terres humides à l’aide d’émissaires à débit régularisé.

 

[16]           Des citoyens préoccupés, y compris certains des demandeurs, ont prié le MPO de prendre des mesures en faisant appliquer la Directive de 2008 ou en émettant une nouvelle directive. Cependant, M. Thibadeau, le nouveau surveillant des agents des pêches sur le terrain pour la Direction de la conservation et de la protection du MPO, dans le district de la Saskatchewan, n’a pas été persuadé qu’une directive devrait être émise. Le MPO a donc décidé de ne pas émettre de directive en 2009. En outre, comme on peut le lire dans l’affidavit de M. Howard, puisque le MPO considérait que la Directive de 2008 n’était plus en vigueur, on n’a pas cherché à la faire appliquer.

 

[17]           Le 19 mai 2009, les demandeurs ont signifié un avis de demande dans la présente instance, en vue d’obtenir un bref de mandamus qui forcerait le MPO à ordonner la fermeture des ponceaux se trouvant sur la route de section 777. Ils ont aussi introduit une procédure devant la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan en vue d’obtenir une injonction interlocutoire contre la M.R. de Three Lakes, et un bref de mandamus contre la SWA.

 

[18]           Le 21 mai 2009, la Cour du banc de la Reine a prononcé une injonction mandatoire provisoire (avec le consentement des parties), qui obligeait la M.R. de Three Lakes à fermer ses ponceaux. L’audition au fond de l’injonction interlocutoire et de la demande de mandamus a eu lieu en août 2009.

 

[19]           Dès lors, quand la présente affaire a été instruite en septembre, il n’était pas évident que l’ordonnance sollicitée aurait un effet pratique[5]. On s’est accordé pour dire qu’il vaudrait mieux attendre le jugement de la Cour du banc de la Reine[6] avant que je ne rende ma décision. Ce point a été abordé à nouveau avec les parties en décembre 2009. Il est alors apparu que tous les intéressés étaient encore en train de débattre et étudier la manière de gérer au mieux les eaux de la région.

 

[20]           Finalement, le 22 février 2010, la Cour du banc de la Reine a rejeté la requête en mandamus des demandeurs au motif que la SWA avait toute latitude d’approuver ou de ne pas approuver telle ou telle mesure et que, dans ces conditions, vu cette liberté d’action et vu l’absence d’une obligation légale, la demande de mandamus n’était pas recevable.

 

[21]           S’agissant de l’injonction interlocutoire, la Cour du banc de la Reine concluait que les demandeurs n’avaient pas apporté une preuve à première vue solide et que, vu l’absence d’une preuve portant sur des conséquences inconnues pour des personnes inconnues se trouvant en amont de la barrière[7] souhaitée par les demandeurs, la prépondérance des inconvénients pourrait bien ne pas jouer non plus en leur faveur.

 

[22]           La Cour du banc de la Reine écrivait aussi, au paragraphe 49 :

[traduction] Il est clair que la M.R. de Three Lakes n’a joué aucun rôle concernant la manière dont l’eau de surface se déversait dans le complexe hydrographique, ou le moment de ce déversement. Elle n’est pas à l’origine du déversement d’eau du lac Houghton, et elle n’a pas modifié la topographie de l’aire d’alimentation du lac Lenore. Ce que disent les demandeurs, c’est simplement que les ponceaux installés étaient « illégaux et non autorisés », et que cela entraîne ipso facto, selon eux, la responsabilité objective de la municipalité « pour cause de nuisance et de faute ».

 

 

 

[23]           Finalement, il ressort clairement du jugement de la Cour du banc de la Reine que la SWA a toute autorité sur tous les bassins d’alimentation, débits d’eau, canaux, lacs et rivières et autres plans d’eau de la Saskatchewan. La SWA n’est pas partie à la présente instance.

 

II. Points litigieux

[24]           Dans leurs mémoires[8], les parties ont exposé ainsi la question soumise à la Cour :

 

[25]           La Cour devrait-elle rendre une ordonnance de la nature d’un mandamus pour obliger le MPO à faire appliquer sa Directive du 8 mai ou, subsidiairement, pour obliger le MPO à émettre une nouvelle directive ayant le même effet et à la faire appliquer?

 

[26]           Les demandeurs n’ont pas sollicité de bref de certiorari. Cela dit, au cours de l’audience, il est devenu évident que le MPO avait bel et bien exercé son pouvoir discrétionnaire et pris la décision de ne pas émettre de directive et que cette décision n’avait pas été contestée en tant que telle. Les demandeurs faisaient donc valoir que, à titre subsidiaire et comme l’indiquait leur avis de demande modifié, ils sollicitaient également un jugement déclaratoire disant que le MPO a le pouvoir et le devoir de faire appliquer sa Directive du 8 mai 2008, ou d’émettre et de faire appliquer une nouvelle directive de même nature, en ce qui concerne l’écoulement d’eau de 2009 du lac Houghton dans le lac Lenore. Comme on le verra plus loin, cela pose problème.

 

[27]           M. Howard et M. Thibadeau ont déposé de brefs affidavits, mais il n’existe aucun dossier certifié des renseignements, analyses et données, le cas échéant, pris en compte par le décideur qui a refusé d’émettre une directive en 2009.

 

III. Dispositions législatives applicables

[28]           Les dispositions applicables de la Loi sont les suivantes :

Dépôt de substances nocives prohibé

 

36.(3) Sous réserve du paragraphe (4), il est interdit d’immerger ou de rejeter une substance nociveou d’en permettre l’immersion ou le rejet — dans des eaux où vivent des poissons, ou en quelque autre lieu si le risque existe que la substance ou toute autre substance nocive provenant de son immersion ou rejet pénètre dans ces eaux.

 

Obligation de faire rapport

 

38.(4) En cas de rejet ou d’immersion irréguliers — effectifs, ou fort probables et imminents — d’une substance nocive dans des eaux où vivent des poissons et de dommage — ou de risque réel de dommage — pour le poisson ou son habitat ou pour l’utilisation par l’homme du poisson, les personnes visées aux alinéas a) et b) doivent, conformément aux règlements applicables, en faire rapport à un inspecteur ou à toute autre autorité prévue par les règlements. Les personnes visées se répartissent en deux catégories :

a) celles qui étaient propriétaires de la substance nocive ou avaient toute autorité sur celle-ci;

b) celles qui sont à l’origine du rejet ou de l’immersion, ou y ont contribué.

 

 

 

 

 

 

 

Obligation de prendre des mesures correctrices

 

(5) Les personnes visées aux alinéas (4)a) ou b) prennent, le plus tôt possible dans les circonstances, toutes les mesures nécessaires, compatibles avec la sécurité et la conservation des poissons et de leur habitat, pour empêcher que se produise l’événement mentionné au paragraphe (4) ou pour atténuer ou réparer les dommages qu’il peut occasionner.

 

 

Pouvoir de prendre ou d’ordonner des mesures correctrices

 

(6) Même en l’absence du rapport visé au paragraphe (4), l’inspecteur peut, sous réserve du paragraphe (7) et des règlements, prendre ou faire prendre par les personnes visées au paragraphe (4) les mesures mentionnées au paragraphe (5), lorsqu’il est convaincu, pour des motifs raisonnables, de la réalisation de l’événement mentionné au paragraphe (4) et de l’urgence de ces mesures.

 

Deposit of deleterious substance prohibited

 

36.(3) Subject to subsection (4), no person shall deposit or permit the deposit of a deleterious substance of any type in water frequented by fish or in any place under any conditions where the deleterious substance or any other deleterious substance that results from the deposit of the deleterious substance may enter any such water.

 

Duty to report

 

38.(4) Where, out of the normal course of events, there occurs a deposit of a deleterious substance in water frequented by fish or a serious and imminent danger thereof by reason of any condition, and where any damage or danger to fish habitat or fish or the use by man of fish results or may reasonably be expected to result therefrom, any person who at any material time

 

 

 

 

 

 

(a) owns the deleterious substance or has the charge, management or control thereof, or

(b) causes or contributes to the causation of the deposit or danger thereof, shall, in accordance with any regulations applicable thereto, report such occurrence to an inspector or such other person or authority as is prescribed by the regulations.

 

Duty to take all reasonable measures

 

(5) Every person referred to in paragraph (4)(a) or (b) shall, as soon as possible in the circumstances, take all reasonable measures consistent with safety and with the conservation of fish and fish habitat to prevent any occurrence referred to in subsection (4) or to counteract, mitigate or remedy any adverse effects that result or may reasonably be expected to result therefrom.

 

Power to take or direct remedial measures

 

 

(6) Where an inspector, whether or not a report has been made under subsection (4), is satisfied on reasonable grounds that there is an occurrence referred to in subsection (4) and that immediate action is necessary in order to carry out any reasonable measures referred to in subsection (5), he may, subject to subsection (7) and the regulations, take any such measures or direct that they be taken by any person referred to in paragraph (4)(a) or (b).

 

[Emphasis added.]

 

 

IV. Analyse

[29]           À l’audience, les défendeurs ont confirmé qu’ils ne contestaient pas la qualité pour agir des demandeurs. Ils ont également reconnu que le ministre de l’Environnement et l’inspecteur Bruce Howard n’étaient pas validement désignés comme défendeurs.

 

[30]           La M.R. de Three Lakes était représentée, mais elle n’a formulé que de brèves observations, affirmant d’abord qu’elle se voyait mêlée à une procédure judiciaire sur laquelle elle n’avait aucun contrôle. Elle a nié également avoir rejeté ou immergé, ou avoir autorisé que soient rejetées ou immergées, des substances nocives, en violation du paragraphe 36(3) de la Loi, en installant les ponceaux sous la route de section. Elle a fait valoir qu’elle facilitait tout simplement le débit naturel d’eau du lac Houghton, débit qui se serait produit n’eût été la construction de la route de section 777, et elle se conformait ainsi en tout point à ce que lui avait ordonné la SWA dans sa lettre du 30 novembre 2007. La M.R. de Three Lakes faisait finalement observer que l’ordonnance demandée non seulement ne tiendrait aucun compte de la cause véritable du rejet ou de l’immersion (drainage anormal), mais encore entraînerait une inondation anormale des terres agricoles en amont de la route de section 777.

 

[31]           Cela dit, les parties s’accordent pour dire que le critère que doit appliquer la Cour pour décider de l’opportunité d’émettre un bref de mandamus est celui qui est exposé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), [1994] 1 C.F. 742, [1993] A.C.F. n° 1098 (QL), au paragraphe 45 (C.A.F.), arrêt confirmé : [1994] 3 R.C.S. 1100, 176 N.R. 1, 59 C.P.R. (3d) 82. Le critère est le suivant :

1.      il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

2.      l’obligation doit exister envers le requérant;

3.      il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a.                   le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b.                  il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable censé permettre de donner suite à la demande si celle-ci n’a pas été rejetée sur-le-champ, et (iii) un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

4.      lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

a.                   le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste » ou d’« oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi »;

b.                  un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu » ou « facultatif »;

c.                   le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition à des considérations « non pertinentes »;

d.                  un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

e.                   un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé », c’est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation;

5.      le requérant n’a aucun autre recours;

6.      l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

7.      dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, selon l’équité, rien ne fait obstacle au redressement demandé;

8.      compte tenu de la « prépondérance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

[32]           S’agissant d’abord de la Directive de 2008, la Cour relève qu’elle parle d’analyses spécifiques de valeurs de conductibilité effectuées sur des échantillons d’eau prélevés à proximité de la décharge du lac Houghton, et que la valeur de conductibilité obtenue montrait une augmentation appréciable par rapport à des échantillons prélevés auparavant en des endroits semblables. La directive parle explicitement et exclusivement du ponceau de 18 pouces, étant donné que c’était le seul ouvrage alors en existence. Elle ordonne à la M.R. de Three Lakes de [traduction] « prendre les mesures raisonnables suivantes […] qui ont résulté ou qui pourraient raisonnablement résulter de l’événement susmentionné » (non souligné dans l’original). On peut y lire aussi que l’ouvrage – les mesures y décrites – devra être achevé au plus tard à minuit le 8 mai 2008.

 

[33]           Selon moi, on ne saurait prétendre que cette directive s’applique à un événement qui s’est produit en 2009. Elle n’a pas été interprétée de cette façon par la M.R. de Three Lakes ni par le MPO. Bruce Howard, le gestionnaire qui l’a émise, écrit dans son affidavit que la décision de l’émettre avait été prise sur la foi des renseignements connus à ce moment-là, et uniquement pour préserver temporairement le statu quo dans l’espoir qu’on puisse en arriver, avec les diverses parties prenantes du bassin hydrographique, y compris la SWA, à des solutions plus durables de gestion des eaux et rectifier ainsi la situation résultant de la hausse du niveau d’eau dans les lacs salés.

 

[34]           Le pouvoir d’émettre une telle directive en application du paragraphe 38(6) de la Loi devait être exercé « en cas de rejet ou d’immersion irréguliers – effectifs, ou fort probables et imminents – d’une substance nocive » dans le lac Lenore. Il serait contraire au bon sens de dire que la situation est « irrégulière » si c’en est une qui se produit chaque jour, voire depuis plusieurs années.

 

[35]           Par ailleurs, comme on peut le lire dans l’affidavit de M. Howard, le précoce écoulement printanier, en 2008, a produit une couche superficielle temporaire d’eau à salinité moindre, et ce que dit implicitement la directive elle-même de 2008, c’est que les échantillons prélevés sur la décharge du lac Houghton ne montraient pas tous le niveau de valeurs de conductibilité qui justifierait l’adoption d’une mesure en application du paragraphe 38(6) de la Loi. Il est difficile de voir comment, en l’absence d’analyses complémentaires, un tribunal pourrait être prié de donner effet à une directive susceptible de s’appliquer à toutes les eaux franchissant ce ponceau, qu’elles viennent du lac Houghton ou tout simplement de fortes précipitations locales qui, en principe, ne contiennent pas de sel.

 

[36]           Vu ce qui précède, la Cour ne peut conclure[9] que le MPO a l’obligation de donner effet à la Directive de 2008, laquelle, en tout état de cause, a été dûment observée à l’époque pertinente par la M.R. de Three Lakes.

 

[37]           Finalement, même si je fais ici fausse route, la Cour n’est pas persuadée que le MPO n’a pas le pouvoir de reconsidérer[10] sa position en 2009, comme il se trouve qu’il l’a fait.

 

[38]           Pour ce qui concerne 2009, les demandeurs disent que, vu l’état des choses, puisqu’il n’est pas contesté qu’une importante quantité d’eau fortement salée serait nocive pour le poisson et pour son habitat dans le lac Lenore et qu’une partie au moins du débit sortant des lacs salés provient d’activités « anormales » (drainage), l’inspecteur du MPO a l’obligation légale, de caractère public, d’ordonner la fermeture des deux ponceaux situés sous la route de section 777.

 

[39]           Reconnaissant qu’il leur appartient aussi d’établir que les conditions du paragraphe 38(4) de la Loi sont remplies avant qu’ils ne puissent prétendre qu’il existe une telle obligation d’agir, les demandeurs doutent de l’aptitude de M. Thibadeau à déterminer la cause principale des niveaux de hautes eaux dans le lac salé et à dire que [traduction] « il n’est pas évident que ce débit d’eau constitue un rejet irrégulier » (voir paragraphe 32 du mémoire des demandeurs). Les demandeurs disent qu’ils ont établi, par leurs affidavits, que la décision de ne pas intervenir se fonde sur une [traduction] « appréciation manifestement fautive de la situation ».

 

[40]           Selon les demandeurs, les paragraphes 36(4) et 38(4) de la Loi doivent recevoir une interprétation libérale, si l’on veut pleinement ternie compte de l’intérêt public et de l’objectif de la Loi, et donc, selon eux, le fait de « permettre l’immersion ou le rejet » requiert l’ouverture des ponceaux pour que la substance nocive puisse atteindre le lac Lenore.

 

[41]           Cependant, les demandeurs n’ont pas véritablement considéré le sens de l’expression « rejet ou immersion irréguliers ». Ils n’ont pas non plus expliqué en quoi la municipalité relève des alinéas 38(4)a) et b) de la Loi. Aucun précédent n’a été invoqué sur ces aspects.

 

[42]           Selon l’article 11 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, et comme il est d’usage en common law, le mot « peut », dans le paragraphe 38(6) de la Loi sur les pêches, signifie l’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés. Cependant, la question n’est pas résolue pour autant car, comme on peut le lire dans Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition (Markham : LexisNexis, 2008), page 69, [traduction] « il arrive que la notion d’autorisation et celle d’obligation se chevauchent ». Ainsi, comme l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392, 264 D.L.R. (4th) 385, aux paragraphes 22-23, « le mot “peut” est souvent [de la part du législateur] indicatif de l’existence d’un large pouvoir discrétionnaire. Le piège de l’interprétation littérale doit cependant être évité. Les tribunaux ont d’ailleurs élaboré les règles modernes d’interprétation après avoir pris conscience de la fragilité de la méthode d’interprétation littérale ».

 

[43]           L’économie générale de la Loi concerne la gestion, la surveillance et la protection des ressources halieutiques pour le bénéfice de la population canadienne. Cet objectif peut être atteint grâce à une bonne gestion des ressources halieutiques, mais également grâce à des mesures de protection du poisson et de son habitat contre les substances nocives, et grâce à des mesures de prévention de la pollution. C’est le titre même du chapitre où se trouvent les dispositions dont il est question ici.

 

[44]           Il convient de souligner que la définition de l’expression « substance nocive » est très large. Comme l’ont indiqué les défendeurs, les dispositions de cette section de la Loi concernent principalement la pollution générée par les rejets industriels, agricoles ou domestiques résultant des activités humaines, mais cela ne signifie pas qu’elles ne peuvent jamais s’appliquer à des phénomènes naturels, tel le déversement de sédiments naturels, mais nuisibles, après un glissement de terrain[11]. Évidemment, les cas de ce genre sont sans doute rares, puisque, sans l’intervention humaine, la nature est rarement autodestructrice.

 

[45]           Cependant, une substance naturelle située à un seul endroit et en une quantité précise peut devenir nuisible dans un autre environnement, comme c’est évidemment le cas ici. Il serait surprenant que, lorsque de rares cas de ce genre se produisent, l’intérêt public pour la protection de nos ressources halieutiques puisse tout simplement être mis en échec. Si le législateur s’est exprimé d’une manière générale dans ce texte de loi, c’est pour éviter un tel résultat, car il est impossible de prédire tous les événements susceptibles de se produire. Comme M. Howard, la Cour ne doute pas que la définition soit assez large pour englober les eaux très salées qui ont été déclarées malsaines en mai 2008.

 

[46]           Pareillement, l’expression « rejet ou immersion irréguliers » ne se limite pas nécessairement aux « phénomènes autres que naturels ». Les parties se sont concentrés sur cette seule manière de voir la question, mais il ne faut pas en déduire que, d’après la Cour, le paragraphe 38(4) de la Loi exclut ce qu’il est convenu d’appeler les « phénomènes naturels ».

 

[47]           Par exemple, le Petit Robert[12] définit ainsi l’adjectif « régulier » : « qui est conforme aux règles, ne fait pas exception à la norme; qui n’est pas occasionnel, mais habituel ». On pourrait donc dire que l’adjectif « irrégulier » s’entend d’une chose qui sort de l’ordinaire, qui n’est pas conforme à la norme, ou qui est inusité. Sans doute existe-t-il d’autres définitions de l’adjectif « régulier », que l’on peut rapprocher des adjectifs « normal », ou « naturel », mais l’emploi du mot « irréguliers » dans la version française du paragraphe 38(4) montre que la définition susmentionnée est peut-être la plus adéquate. La question deviendrait donc celle-ci : l’immersion ou le rejet d’eaux fortement salées dans le lac Lenore est-il un événement habituel, ou ordinaire?

 

[48]           Cependant, comme je l’ai dit, il n’a pas été demandé à la Cour d’examiner la décision prise en 2009, et je n’entends pas me prononcer sur le point de savoir si ce qui s’est produit par le passé ou ce qui pourrait se produire dans l’avenir constitue effectivement un événement visé par le paragraphe 38(4) de la Loi.

 

[49]           Revenant à la question qui nous concerne, je relève que, dans ce chapitre de la Loi, après avoir défini des expressions clés comme « substance nocive », « immersion » ou « rejet », « habitat du poisson », etc., le législateur décrit, dans les articles 35 et 36 de la Loi, trois types de comportement proscrits. Nous avons déjà évoqué l’un d’eux – le fait qu’il est interdit d’immerger ou de rejeter une substance nocive ou d’en permettre l’immersion ou le rejet (paragraphe 36(3) de la Loi). Il semblerait que le verbe « permettre » vise « le défaut d’intervention du défendeur ou, en d’autres termes, son défaut d’empêcher un événement qu’il aurait dû prévoir » (R. c. Sault‑Sainte‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, 85 D.L.R. (3d) 161, 21 N.R. 295, page 1329)[13].

 

[50]           Outre ces comportements proscrits, les paragraphes 28(4) et (5) de la Loi prévoient l’obligation de faire rapport sur certains événements irréguliers et l’obligation de prendre des mesures pour les empêcher ou pour réparer les dommages qu’ils peuvent occasionner.

 

[51]           Toutes les autres dispositions de cette section de la Loi prévoient divers moyens d’assurer le respect des principes susmentionnés. Il s’agit notamment de ce qui suit :

1.      le pouvoir de prélever des échantillons et de perquisitionner, notamment le droit d’obtenir des mandats;

2.      le pouvoir de prendre directement des mesures pour prévenir ou réparer un préjudice ou un fait de pollution dans certaines circonstances précises, et de recouvrer les frais réellement entraînés;

3.      le pouvoir d’émettre des directives dans certains cas précis[14].

Même si ces pouvoirs conférés au MPO ne sont pas exercés, toute personne qui contrevient aux articles 35, 36 ou 38 de la Loi peut être poursuivie en vertu de l’article 40, et celles qui ont manqué à leur obligation de prendre des mesures en application du paragraphe 38(5) sont responsables des frais réellement supportés en l’occurrence par Sa Majesté, conformément aux paragraphes 42(1) et (2) de la Loi.

 

[52]           En fait, il ne semble pas que l’on puisse soutenir qu’elle n’a pas pris les mesures indiquées dans le paragraphe 38(5) de la Loi au motif qu’aucune directive ne lui a été communiquée par le MPO, ou que l’on devrait échapper à la responsabilité au motif que, de toute manière, le MPO aurait pu prendre lui-même les mesures nécessaires.

 

[53]           Cela signifie que, par exemple dans le cas présent, la SWA[15], qui semble-t-il a toute autorité sur les eaux du lac Houghton, et la M.R. de Three Lakes, si ces deux instances relèvent des alinéas 38(4)a) et b) de la Loi, pourraient en théorie être poursuivies[16] malgré l’absence d’une directive.

 

[54]           S’agissant maintenant plus précisément de l’article 38 de la Loi, il convient de souligner que, dans les paragraphes 38(4) et (5), le législateur emploie le verbe « devoir », ou plus simplement l’indicatif présent, au lieu du verbe « pouvoir », qui est employé dans le paragraphe 38(6) de la Loi, et que, dans le paragraphe 38(6) de la Loi, le mot « peut » est tempéré par la formule « lorsqu’il [l’inspecteur] est convaincu, pour des motifs raisonnables […] ». Ainsi, non seulement l’inspecteur a-t-il le pouvoir d’apprécier les circonstances, mais encore il lui appartient de décider laquelle des mesures indiquées dans cette disposition il prendra – soit mettre à exécution les mesures raisonnables mentionnées dans le paragraphe 38(5), soit communiquer une directive aux personnes énumérées dans le paragraphe 38(4).

 

[55]           La Cour est d’avis que, considéré dans son contexte, le mot « peut » est employé dans son sens littéral, c’est-à-dire que l’inspecteur est libre de décider s’il exercera les pouvoirs que lui donne le paragraphe 38(4). Il ne s’agit pas d’une liberté absolue car elle se limite très clairement aux cas précis décrits dans le paragraphe 38(4) de la Loi et aux cas où une mesure immédiate est requise.

 

[56]           Ayant conclu que l’obligation dont les demandeurs sollicitent l’exécution est discrétionnaire et qu’elle est assortie d’un pouvoir d’appréciation restreint, la Cour doit dire si le MPO s’est fondé sur des considérations non pertinentes lorsqu’il a décidé de ne pas donner de directive à la M.R. de Three Lakes.

 

[57]           Il est constant en droit qu’un mandamus ne peut servir à forcer l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans un sens donné : Ashley c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2006 CF 459, 290 F.T.R. 106, 47 C.P.R. (4th) 379; Caissie c. Canada (Ministère des Pêches et des Océans), 2001 CFPI 379, 205 F.T.R. 193, 105 A.C.W.S. (3d) 517; Rocky Mountain Ecosystem Coalition c. Canada (Office national de l’énergie) (1999), 174 F.T.R. 17, 90 A.C.W.S. (3d) 412, [1999] A.C.F. n° 1223 (QL); arrêt Apotex, au paragraphe 45(4.d.).

 

[58]           Ici, les défendeurs disent que le MPO a exercé son pouvoir discrétionnaire, mais qu’il ne l’a tout simplement pas exercé comme l’auraient voulu les demandeurs. Les demandeurs ont donc choisi le mauvais recours.

 

[59]           Si l’on considère la preuve et en particulier les affidavits de M. Thibadeau et de M. Howard, il n’apparaît pas que la décision de ne pas émettre une directive était fondée sur des considérations non pertinentes. La mauvaise foi n’est pas non plus attestée ici.

 

[60]           M. Thibadeau a bien tenu compte du rapport de la SWA concernant le drainage artificiel, mais il croit que la cause principale des niveaux de hautes eaux était [traduction] « les fortes précipitations et le ruissellement printanier, et [que] toute l’eau arrivant dans le bassin du lac Lenore provient de sources naturelles » (paragraphe 4 de son affidavit; non souligné dans l’original).

 

[61]           M. Thibadeau écrit qu’il a pris en compte le fait que l’eau du lac Houghton se jetterait dans le lac Lenore [traduction] « si la route de section 777 n’avait pas été construite ou si une brèche y était pratiquée ». Il mentionne aussi que [traduction] « la forte salinité des eaux de lacs tels que le lac Houghton et le lac Deadmoose est un processus naturel et [que] nul n’est responsable du rejet ou de l’immersion de substances salines dans ces eaux […]. [Il] arrive donc à la conclusion que le débit d’eau du lac Houghton ne saurait être considéré comme un rejet irrégulier et que nul n’a rejeté ou immergé une substance nocive dans des eaux fréquentées par le poisson » (paragraphes 6 et 7 de son affidavit).

 

[62]           Comme M. Howard, M. Thibadeau a reconnu que l’afflux d’eau salée pouvait être nocif pour le poisson et pour son habitat. Cependant, il croyait que les conditions de l’application des paragraphes 38(4) et (6) de la Loi n’étaient pas remplies, notamment la condition selon laquelle la M.R. de Three Lakes doit être une personne ayant l’obligation de signaler un rejet ou une immersion en application du paragraphe 38(4) de la Loi.

 

[63]           Il est fort possible que la présente analyse soit fautive ou déraisonnable, mais cela ne pourra être déterminé que dans le cadre d’un contrôle judiciaire de la décision de ne pas émettre une directive, et sur la foi des preuves soumises au décideur. Il ne semble pas que l’avis de M. Christensen, par exemple, figurait dans le dossier.

 

[64]           Les demandeurs ne sauraient passer outre à la définition de la norme de contrôle applicable à une telle question mixte de droit et de fait en sollicitant un mandamus ou le genre de jugement déclaratoire qu’il propose.

 

[65]           La Cour s’abstiendra de substituer sa propre appréciation des faits à celle du décideur. Elle s’abstiendra d’exprimer l’avis qu’il existe des motifs raisonnables autorisant un inspecteur à exercer son pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 38(6) de la Loi.

 

[66]           Même si l’inspecteur avait exprimé l’avis, pour des motifs raisonnables, que les conditions préalables de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire étaient remplies, la Cour ne pourrait pas, par mandamus ou par jugement déclaratoire, dicter la manière dont il devrait exercer ce pouvoir, par exemple en lui disant quelle directive émettre, et à qui, ou en fixant les mesures directes à prendre.

 

[67]           La demande est donc rejetée.

 

[68]           Comme les parties n’ont pas véritablement abordé la question des dépens, la Cour se réserve de statuer sur cet aspect. Les défendeurs devront déposer leurs conclusions écrites (d’au plus huit pages) dans un délai de dix jours après la date du présent jugement. Les demandeurs y répondront (par des conclusions d’au plus huit pages) dans un délai de cinq jour par la suite. Évidemment, si les parties s’accordent pour dire qu’il est inutile d’adjuger des dépens dans la présente affaire, il leur suffira d’en informer la Cour par écrit à l’intérieur du délai prévu pour le dépôt des conclusions des défendeurs.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande est rejetée;

 

2.         La Cour se réserve de statuer sur les dépens.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-806-09

 

INTITULÉ :                                       LA VILLE DE SAINT-BRIEUX, ET AL. c. LE MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 septembre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 19 avril 2010

 

COMPARUTIONS :

 

G. Rangi Jeerakathil

 

POUR LES DEMANDEURS

Michael Brannen

 

POUR LES DÉFENDEURS

(Le ministre des Pêches et des Océans

et le procureur général du Canada)

 

Curtis Onishenko

POUR LA DÉFENDERESSE

(La Municipalité rurale de

Three Lakes, n° 400)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

MacPherson Leslie & Tyermen s.a.r.l.

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DÉFENDEURS

(Le ministre des Pêches et des Océans

et le procureur général du Canada)

McKercher s.a.r.l.

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LA DÉFENDERESSE

(La Municipalité rurale de

Three Lakes, n° 400)

 



[1] On ne sait pas si ce drainage a effectivement cessé et quelles mesures, le cas échéant, sont prises pour faire appliquer ce moratoire.

[2] On ne sait pas si le ponceau de 18 pouces fut lui aussi ouvert au printemps de 2009. Voir l’affidavit d’Allan Baumann, au paragraphe 12, et l’affidavit de Joseph Bourgault, au paragraphe 32.

[3] L’exemplaire du rapport (déposé comme pièce « A » de l’affidavit d’Alan Schemenauer (Dossier des demandeurs, page 85)) est difficile à lire.

[4] Il n’est nulle part mentionné qu’il y a eu déjà des conséquences pour le poisson et son habitat dans le lac Lenore.

[5] Même si le MPO n’était pas partie à la procédure introduite devant la Cour du banc de la Reine, on pourrait prétendre qu’il n’y avait aucun risque imminent de rejet ou immersion d’une substance nocive en violation de la Loi dans la mesure où il existait une injonction, et qu’il existait un autre recours approprié (voir le paragraphe 31 des présents motifs).

[6] Vu l’injonction provisoire et la demande d’injonction interlocutoire, le mandamus n’aurait aucun intérêt pratique si les demandeurs obtenaient gain de cause dans leur demande présentée à la Cour du banc de la Reine.

[7] Au paragraphe 40 de la décision de la Cour du banc de la Reine, la Cour relève que [traduction] « le “droit” ainsi rétabli revient à faire de la route de section un barrage ».

[8] Mémoire des demandeurs, paragraphe 19, Mémoire du MPO et du procureur général, paragraphe 17, et Mémoire de la M.R. de Three Lakes, paragraphe 11.

[9] Vu l’état des choses, il n’est pas nécessaire de se demander si la Cour pourrait délivrer un mandamus si la Directive de 2008 s’appliquait à de nouveaux événements survenant en 2009 ou 2010.

[10] Il convient de mentionner que, dans l’alinéa 38(9)c) de la Loi, le législateur prévoyait que le gouverneur en conseil pouvait, par règlement, « établir le mode de révision, de modification ou d’annulation des mesures prises ou ordonnées au titre du paragraphe (6), et déterminer les circonstances qui peuvent y donner lieu ».

[11] R. c. British Columbia, 2006 BCPC 73, [2006] B.C.J. no 530 (QL).

[12] Le Petit Robert de la langue française 2003, définition du mot « régulier ».

[13] Voir une application plus récente : R. c. Abitibi Consolidated Inc., 190 Nfld. & P.E.I.R. 326, 34 C.E.L.R. (N.S.) 50 (C.P. T.-N.-L.).

[14] Le ministre a aussi le pouvoir d’émettre des directives en vertu des paragraphes 36(6) et 37(2) de la Loi.

[15] La Cour ne peut évidemment tirer aucune conclusion sur ce point puisque la SWA n’est pas partie à l’instance et qu’il n’a pas été présenté de conclusions en son nom.

[16] Il semble que des accusations pourraient être déposées sur la dénonciation d’un simple citoyen (voir l’arrêt Fletcher c. Kingston (City) (2004), 70 O.R. (3d) 577, [2004] O.J. no 1940 (QL), aux paragraphes 2 et 9 (C.A. Ont.).

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