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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date :  20100416

Dossier :  IMM-5038-09

Référence :  2010 CF 419

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2010

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

ESMAT ELYASI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264, la Cour a jugé que, lorsqu’il rend une décision, un organisme administratif est présumé avoir pris en compte tous les documents qui lui ont été soumis. Cette présomption peut être réfutée si l’organisme « n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion et autorisaient une conclusion différente de celle de l’organisme » (au paragraphe 15).

 

[2]               Dans la décision Canagasuriam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 175 F.T.R. 285, 92 A.C.W.S. (3d) 118, la Cour examinait la décision d’un agent des visas qui avait refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur avait été reconnu comme réfugié par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Les motifs de l’agent, y compris ses notes consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI), ne montraient pas que l’agent avait pris en compte cette preuve contraire. La Cour a donc annulé sa décision (voir les paragraphes 1, 4 et 11).

 

II.  La procédure judiciaire

[3]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision du 25 juin 2009 rendue par une agente des visas postée à Damas, en Syrie, qui a refusé au demandeur un visa de résident permanent comme membre de la catégorie des personnes à l’étranger bénéficiant d’une protection humanitaire et comme membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention à l’étranger.

 

III.  Le contexte

[4]               Le demandeur, M. Esmat Elyasi, est originaire d’Afghanistan. Il est un Hazara, un membre d’une minorité ethnique de ce pays. Il s’est installé en Syrie après avoir quitté l’Afghanistan pour se rendre dans l’État frontalier voisin, l’Iran. Il a été reconnu comme réfugié par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR). Le demandeur n’a aucun des droits reconnus aux citoyens en Syrie ou en Iran. En 2006, le Diocèse catholique romain de Calgary avait obtenu l’autorisation de parrainer le demandeur comme réfugié au sens de la Convention à l’étranger ou comme personne à l’étranger protégée pour des raisons humanitaires.

 

IV.  La décision contestée

[5]               L’agente a rejeté la demande de visa du demandeur au motif qu’il n’y avait aucune raison impérieuse pour qu’il bénéficie de l’asile au Canada.

 

[6]               Les notes consignées dans le STIDI montrent que l’agente n’a pas été persuadée que le demandeur avait des raisons de craindre les Talibans puisqu’il est originaire de Kaboul et que Kaboul est un endroit où des Afghans retournent en toute sécurité.

 

V.  Les questions en litige

[7]               1) L’agente a-t-elle suffisamment motivé sa décision?

2) L’agente a-t-elle commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte de toute la preuve?

 

VI.  La norme de contrôle

[8]               Les questions se rapportant à la validité des motifs exposés par un décideur administratif intéressent l’obligation d’équité de l’organisme. Ces questions sont généralement contrôlées d’après la norme de la décision correcte. Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada décrivait la norme de la décision correcte comme une norme qui n’appelle aucune retenue judiciaire et qui autorise la juridiction de contrôle à substituer sa propre conclusion à celle du décideur (arrêt Dunsmuir, paragraphe 50).

[9]               Le demandeur soulève la question de savoir si l’agente a commis une erreur de fait en rendant sa décision sans tenir compte de la totalité de la preuve. Les questions de fait sont contrôlées d’après la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a jugé que la norme de la décision raisonnable est une norme qui appelle une retenue judiciaire et qui « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (arrêt Dunsmuir, paragraphe 47).

 

VII.  Les dispositions légales applicables

[10]           L’article 96 de la LIPR prévoit ce qui suit 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[11]           L’article 145 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) prévoit ce qui suit :

Qualité

 

 

145. Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

Member of Convention refugees abroad class

 

145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

 

[12]           L’article 11 de la LIPR prévoit ce qui suit :

Visa et documents

 

 

11.      (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi

Application before entering Canada

 

11.      (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

VIII.  Les positions des Parties

            La position du demandeur

[13]           Selon le demandeur, l’agente a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte du statut de réfugié qui lui a été accordé par le HCNUR. Invoquant la décision El Bahisi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 72 F.T.R. 117, 45 A.C.W.S. (3d) 946, et la décision Canagasuriam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 84, 92 A.C.W.S. (3d) 500, il affirme que les documents des Nations Unies relatifs aux réfugiés constituent des preuves pertinentes et matérielles qui doivent être prises en compte lorsqu’il s’agit de savoir si un demandeur d’asile répond à la définition d’un réfugié au sens de la Convention.

 

[14]           Le demandeur affirme aussi que l’agente n’a pas bien motivé sa décision. Il relève que la lettre type de refus se limite à citer les dispositions légales applicables et à dire qu’il n’a avancé aucune raison impérieuse pour laquelle le Canada devrait lui accorder l’asile.

 

La position du défendeur

[15]           Selon le défendeur, le demandeur est malvenu à faire valoir que les motifs exposés par l’agente étaient déficients, puisqu’il incombe à un demandeur d’asile de requérir des motifs complémentaires lorsque la lettre de décision est selon lui insuffisante. Le défendeur invoque la décision Gaoat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 440, 157 A.C.W.S. (3d) 622, où la Cour a jugé que, si un demandeur ne sollicite pas de motifs complémentaires, alors il est empêché de prétendre, dans une procédure de contrôle judiciaire, que les motifs produits étaient déficients.

 

[16]           Le défendeur soutient également que ce que veut le demandeur en réalité, c’est que la Cour apprécie à nouveau la preuve que l’agente avait devant elle. Selon le défendeur, l’agente n’a pas laissé de côté, mal interprété ni mal compris les documents qui lui ont été soumis. Il fait valoir que l’agente n’avait pas l’obligation d’arriver à la même conclusion que le HCNUR. Elle devait plutôt se limiter à évaluer la demande d’asile d’après la législation canadienne.

 

IX.  Analyse

[17]           La Cour prend note de la décision Gaoat, précitée. Se fondant sur quelques précédents, le juge Yvon Pinard a estimé que, lorsqu’un demandeur d’asile ne sollicite pas de motifs supplémentaires, il est empêché de prétendre, dans un contrôle judiciaire, que les motifs produits étaient déficients (décision Gaoat, paragraphe 13).

 

[18]           La Cour relève que le dossier du demandeur ne contient que la lettre de refus, à l’exclusion des notes consignées dans le STIDI. Dans la décision Gaoat, le juge Pinard a rappelé que c’est la lettre ainsi que les notes du STIDI qui constituent les motifs d’une décision (paragraphe 12).

 

[19]           Cela dit, c’est la décision intégrale qui est ici soumise à la Cour, et le demandeur allègue un deuxième motif de contrôle, à savoir le fait que l’agente a rendu une décision sans tenir compte de l’ensemble de la preuve.

 

[20]           Dans l’espèce Cepeda-Gutierrez, précitée, la Cour avait jugé qu’un organisme administratif qui rend une décision est présumé avoir tenu compte de l’ensemble des pièces produites. Cette présomption peut être réfutée si l’organisme « n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion et autorisaient une conclusion différente de celle de l’organisme » (Cepeda-Gutierrez, paragraphe 15).

[21]           Dans l’espèce Canagasuriam, précitée, la Cour examinait la décision d’un agent des visas qui avait refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur avait été reconnu comme réfugié par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Les motifs de l’agent, y compris ses notes consignées dans le STIDI, ne montraient pas que l’agent avait pris en compte cette preuve contraire. La Cour a donc annulé sa décision ((Canagasuriam, paragraphes 1, 4 et 11).

 

[22]           En l’espèce, les notes du STIDI se rapportant à la décision de l’agente ne font pas état du fait que le HCNUR a reconnu au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention. Se fondant sur la décision Canagasuriam, précitée, la Cour dit que le statut du demandeur constitue une preuve contraire éminemment pertinente et importante qui aurait dû être prise en compte par l’agente.

 

X.  Conclusion

[23]           La décision de l’agente est déraisonnable parce qu’elle ne renferme pas une bonne analyse de la demande d'asile.

 

[24]           L’agente a erré en affirmant que [traduction] « durant l’entrevue, vous n’avez pas été en mesure de donner une raison impérieuse de ne pas retourner en Afghanistan », mais sans apporter la preuve qu’elle avait analysé la totalité de la demande d'asile. Au vu de la preuve soumise à l’agente, il est évident que la demande d'asile dont il s’agit est complexe et présente plusieurs facettes, et elle mérite donc une analyse plus approfondie, en particulier pour ce qui concerne la discrimination dont sont victimes les Hazaras, compte tenu de la situation instable qui règne en Afghanistan.

[25]           Le Guide du HCNUR des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (Genève, janvier 1992) (le Guide du HCNUR) donne les indications suivantes pour l’examen des motifs d’une demande d’asile :

66. Pour être considérée comme réfugié, une personne doit démontrer qu'elle craint avec raison d'être persécutée pour l'un des motifs énumérés ci-dessus. Peu importe que ce soit pour un seul ou pour plusieurs de ces motifs. Souvent, la personne qui demande la reconnaissance du statut de réfugié peut n'avoir pas, elle-même, véritablement conscience des motifs pour lesquels elle craint d'être persécutée. Elle n'est cependant pas tenue d'analyser son cas au point de pouvoir identifier ces motifs de façon très précise.

 

67. C'est à l'examinateur qu'il appartient, lorsqu'il cherche à établir les faits de la cause, de déterminer le ou les motifs pour lesquels l'intéressé craint d'être victime de persécutions et de décider s'il satisfait à cet égard aux conditions énoncées dans la définition de la Convention de 1951. Il est évident que souvent les motifs de persécution se recouvriront partiellement. Généralement, plusieurs éléments seront présents chez une même personne. Par exemple, il s'agira d'un opposant politique qui appartient en outre à un groupe religieux ou national ou à un groupe présentant à la fois ces deux caractères, et le fait qu'il cumule plusieurs motifs possibles peut présenter un intérêt pour l'évaluation du bien-fondé de ses craintes. [Non souligné dans l'original.]

 

[26]           En l’espèce, l’exposé circonstancié du demandeur évoque la discrimination dont il a été victime tout au long de sa vie en tant que membre de l’ethnie Hazara, en Afghanistan, et le demandeur écrit qu’il serait immédiatement et facilement identifiable comme Hazara s’il était renvoyé dans ce pays (Dossier du demandeur, pages 75 et 76). Le Guide du HCNUR donne d’autres indications aux agents lorsqu’ils évaluent des demandes d’asile fondées sur une persécution cumulative :

53. En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l'objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s'ajouter dans certains cas d'autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d'insécurité dans le pays d'origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d'esprit qui permet raisonnablement de dire qu'il craint d'être persécuté pour des « motifs cumulés ». Il va sans dire qu'il n'est pas possible d'énoncer une règle générale quant aux « motifs cumulés » pouvant fonder une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Toutes les circonstances du cas considéré doivent nécessairement entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique et ethnologique. [Non souligné dans l'original.]

 

[27]           Il incombe aux agents d’être sensibles à la fragilité de la condition humaine lorsque des « raisons impérieuses », expression définie au paragraphe 108(4) de la LIPR, peuvent justifier une demande d'asile. Le Guide du HCNUR contient ce qui suit :

136. […] Il est fréquemment admis que l'on ne saurait s'attendre qu'une personne qui a été victime – ou dont la famille a été victime – de formes atroces de persécution accepte le rapatriement. Même s'il y a eu un changement de régime dans le pays, cela n'a pas nécessairement entraîné un changement complet dans l'attitude de la population ni, compte tenu de son expérience passée, dans les dispositions d'esprit du réfugié.

 

[…]

 

198. Une personne qui, par expérience, a appris à craindre les autorités de son propre pays peut continuer à éprouver de la défiance à l'égard de toute autre autorité. Elle peut donc craindre de parler librement et d'exposer pleinement et complètement tous les éléments de sa situation.

 

[28]           La Cour suprême du Canada s’est exprimée sur l’utilité du Guide du HCNUR dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 :

Bien qu’il ne lie pas officiellement les États signataires, ce guide a été approuvé par les États membres du comité exécutif du HCNUR, dont le Canada, et les tribunaux des États signataires se sont fondés sur lui.

 

[29]           En l’espèce, d’après l’information portant explicitement sur la minorité Hazara d’Afghanistan, le demandeur correspond au profil d’une personne exposée au risque de persécution, et l’agente avait l’obligation d’examiner toute la preuve intéressant la demande d'asile. Elle ne semble pas avoir considéré la totalité de la preuve et, plus précisément, les éléments clés de cette preuve.

 

[30]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

 

 

 

Observations incidentes

Il importe de préciser que le dossier d’information de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) sur les conditions ayant cours dans le pays montre que le groupe ethnique constitué par les Hazaras a depuis toujours combattu des Talibans ou a toujours été persécuté par les Talibans. (Voir le Cartable national de documentation, Afghanistan – 18 mars 2009, de la CISR). La nouvelle constitution confère aux Hazaras l’égalité des droits, mais il y a un écart important entre la théorie et la réalité sur le terrain. Il est reconnu que les Hazaras sont considérés par les Pachtounes non seulement comme l’ennemi traditionnel des Talibans, mais également comme des réprouvés. Il importe de noter que les forces alliées en Afghanistan recourent souvent aux Hazaras pour leur connaissance du pays, leur connaissance de la langue et leur loyauté farouche envers des valeurs autres que celles auxquelles s’opposent les forces alliées. (Sans vouloir appesantir sur la question, mais simplement pour mentionner que, dans les ouvrages littéraires les plus connus, par exemple The Kite Runner, de Khaled Hosseini, la minorité Hazara est vue comme un groupe ethnique qui se distingue de la société pachtoune) :

[traduction]

HAZARAS

 

20.16   Le Minority Rights Group International faisait aussi observer que :

 

« Les Hazaras parlent un dialecte de Dari (dialecte persan) appelé hazaragi, et la grande majorité d’entre eux suivent la fois chiite (les douze Imams). Beaucoup d’entre eux sont également des adeptes de la secte des Ismaélites, alors qu’un petit nombre sont des Musulmans sunnites. À l’intérieur de la culture afghane, les Hazaras sont célèbres pour leur musique et leur poésie, ainsi que pour les  proverbes d’où provient leur poésie… On dit que les Hazaras ont des familles nucléaires, le mari étant considéré comme le chef de la famille, à moins qu’il ne soit décédé, auquel cas c’est la femme qui devient le chef. Dans ce dernier cas, la femme la plus âgée des mariages polygames succède au mari décédé jusqu’à ce que l’aîné des fils atteigne la maturité. Au niveau national, les Hazaras sont en général plus progressistes en ce qui concerne les droits des femmes à l’éducation et aux activités publiques. Les femmes hazaras éduquées, en particulier celles qui sont revenues de leur exil en Iran, sont aussi actives que les hommes dans le domaine civil et le domaine politique. Les familles hazaras tiennent à éduquer leurs filles. Les fonctionnaires des Nations Unies à Bamiyan, à 20 milles à l’est, ont dit que, depuis l’effondrement de la domination des Talibans à la fin de 2001, les organismes d’aide ont tant bien que mal construit des écoles et sont parvenus à attirer des enseignantes qualifiées pour répondre à la demande ». [76a]

 

20.17   Le Minority Rights Group International relevait aussi que :

 

« Les Hazaras sont l’une des minorités ethniques nationales reconnues dans la nouvelle constitution afghane et détiennent maintenant un droit intégral à la nationalité afghane. Leur principal parti politique, le Hizb-e Wahdat, n’a obtenu qu’un seul siège au Cabinet. Les Hazaras sont préoccupés par le pouvoir grandissant des chefs de guerre, qui, croient-ils, constituent une menace directe pour leur collectivité. Par ailleurs, étant donné la répression subie par les Hazaras aux mains des Moudjahidine, le pouvoir de l’Alliance du Nord (le commandement moudjahidine d’il y a 10 ans) dans la nouvelle direction est source d’inquiétude ». [76a]

 

D’un point de vue historique récent, étant donné que la situation en Afghanistan change constamment, il est reconnu que la trousse d’information du 18 mai 2007 de la CISR contenait la perspective suivante, qui, semble-t-il, ne devrait pas être ignorée :

[traduction]

20.20   Un exposé du Minority Rights Group (MRG) daté de novembre 2003 mentionnait que les Hazaras ont toujours été marginalisés dans la société afghane. Le MRG signalait ce qui suit :

 

« On croit que les Hazaras descendent des tribus mongoles qui autrefois ont dévasté l’Afghanistan, et l’on dit qu’ils ont été laissés en garnison dans le pays par Genghis Khan. Les Hazaras ont souvent dû affronter une discrimination économique considérable – ils étaient forcés d’accepter des tâches subalternes – et se sont trouvés également évincés d’une bonne partie de leurs terres traditionnelles par les Pachtounes nomades. À partir de la fin du XIXe siècle, les chefs pachtounes qui se sont succédé ont appliqué résolument des politiques de colonisation foncière, en particulier dans les régions du nord et du centre, récompensant leurs partisans, souvent au détriment des Hazaras. Cette politique a été en partie abandonnée durant l’occupation soviétique, mais elle est réapparue sous le régime des Talibans ». [76] (p6)

 

20.21   Le 29 juillet 2004, le Pakistan Tribune décrivait la position des Hazaras à Bamiyan :

 

[traduction] « Armés d’une nouvelle constitution qui garantit l’égalité des droits aux groupes minoritaires, les Hazaras sont engagés dans une intense campagne afin de s’emparer d’une partie du pouvoir et de s’extraire du bas de la société afghane. Les Hazaras ont tout intérêt à ce que les Talibans ne reviennent pas au pouvoir. Lorsque le mouvement islamique extrémiste contrôlait l’Afghanistan durant les années 90, ses combattants ont tué des centaines – et d’après certaines estimations, des milliers – de Hazaras, dans le dessein de briser toute résistance à la domination des Talibans ». [30a]

 

20.22   Dans un rapport daté du 21 septembre 2004, l’expert indépendant de la Commission des droits de l’homme en Afghanistan, nommé par les Nations Unies, s’est exprimé sur un cas de violations des droits de l’homme, que le HCNUR avait vérifié et porté à son attention. Il s’agissait d’environ 200 familles hazaras (environ 1 000 personnes) qui avaient été déplacées de la province de Daikundi par des commandants locaux au cours des dix années antérieures et qui vivent aujourd’hui à Kaboul. L’expert indépendant écrivait ce qui suit :

 

[traduction] « Certains membres de la communauté sont arrivés au cours des 12 derniers mois, après avoir fui des persécutions fondées sur l’appartenance ethnique, notamment expropriation de terres et de biens, assassinats, arrestations arbitraires et une diversité de graves intimidations, tout cela perpétré par des chefs de guerre et des commandants locaux qui contrôlent les districts de Daikundi, et qui sont directement rattachés à un important parti politique dont le chef occupe une importante charge au sein du gouvernement ». [39k] (paragraphe 72)

 

20.24     Le Rapport de 2005 du Département d’État des États-Unis (USSD 2005), publié le 8 mars 2006, relevait que [traduction] « l’appartenance religieuse des Hazaras à la foi chiite a toujours été un facteur important de la répression qu’ils subissent, et une discrimination sociale a toujours été exercée contre les Hazaras ». [2a] (section 2c) Le Rapport USSD 2005 précisait aussi que : [traduction] « Les Hazaras de souche ont empêché certains nomades kuchis de retourner vers leurs pâturages traditionnels des hautes terres centrales, en partie en raison d’allégations selon lesquelles les Kuchis étaient favorables aux Talibans et donc complices des massacres commis contre les Hazaras dans les années 90. Les Hazaras ont également eu de la difficulté à retourner au pays. En décembre 2004, un chef local originaire du district de Karukh, dans la province d’Herat, a bloqué le retour d’environ 200 réfugiés hazaras depuis l’Iran ». [2a] (section 2d)

 

20.25     Le 21 juillet 2005, l’Agence France-Presse (AFP) signalait que :

 

[traduction]

« Des combattants suspectés de soutenir les Talibans ont attaqué lundi un village de l’ethnie hazara, situé dans la province d’Uruzgan, au centre-sud, tuant 10 villageois, a dit à l’AFP le gouverneur de la province, Jan Mohammad Khan. Le lendemain, des hommes de l’ethnie hazara, originaires du district de Kejran dans la province d’Uruzgan — imputant l’agression au village voisin dominé par les Pachtounes — ont lancé un raid au cours duquel quatre personnes ont été tuées, a dit le gouverneur […]

 

« Le gouverneur a dit que les tensions entre les deux tribus ont cessé après que des sages des deux villages eurent ouvert une enquête et constaté que l’agression de lundi avait été menée par des combattants talibans ». [40u]

 

La situation instable qui règne en Afghanistan requiert de se demander s’il s’est produit « un changement de circonstances », expression à laquelle le juge Marc Nadon a donné une description juridique dans la décision Mahmoud c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n° 1442 (QL), 69 F.T.R. 100 :

[25]      J'ai conclu que la commission avait commis une erreur de droit en n'appliquant pas le critère approprié dans l'examen du changement de la situation au pays. J'ai également conclu que la commission, en constatant que les changements de circonstances étaient de nature durable, avait tiré une conclusion qu'elle ne pouvait certainement pas tirer d'après la preuve dont elle disposait. Autrement dit, cette conclusion a été tirée sans tenir compte des documents dont elle disposait.

 

[26]      En concluant ainsi, j'ai adopté, comme le critère approprié du changement de la situation au pays, celui proposé par James Hathaway dans The Law of Refugee Status, Butterworths, Toronto 1991, aux pages 200-203. Hathaway tient les propos suivants:

 

[TRADUCTION] Tout d'abord, le changement doit être d'une importance politique substantielle, c'est-à-dire que la structure du pouvoir dans laquelle la persécution était réputée être une possibilité réelle n'existe plus. L'effondrement du régime persécuteur, assorti de la tenue d'élections vraiment libres et démocratiques, de la prise du pouvoir par un gouvernement respectueux des droits de l'homme et de la garantie d'un traitement équitable réservé aux ennemis du régime prédécesseur par voie d'animiste ou autrement, est l'indicateur approprié d'un changement de circonstances significatif. Par contraste, il serait prématuré de parler de perte de statut de réfugié simplement parce qu'un calme relatif a été restauré dans un pays toujours gouverné par une structure politique tyrannique. De même, le simple fait qu'un gouvernement local ou régional démocratique et sûr a été établi ne suffit pas dans la mesure où le gouvernement national constitue toujours un risque pour le réfugié.

 

En deuxième lieu, il doit y avoir lieu de croire que le changement politique substantiel est vraiment efficace. Car, comme il a été noté dans une opinion dissidente dans l'affaire Ruiz Angel Jesus Gonzales, « [...] souvent, une longue distance sépare l'engagement de l'accomplissement [...] », on ne devrait pas présumer qu'un changement officiel sera nécessairement d'une efficacité immédiate:

 

[...] il y a eu des élections libres [en Uruguay] le 1er mars 1985 qui mettaient fin à 12 années de gouvernement militaire. Selon [le U.S. Country Reports], le rétablissement de la démocratie est complet. Je peux me permettre de douter que, dans une période d'un an ou de deux ans, il soit possible de se remettre complètement des abus d'une dictature militaire. De bonnes intentions peuvent avoir existé, bien entendu, mais je refuse de croire qu'il n'y a pas eu de contretemps fortuits.

 

Le changement politique officiel doit se réaliser dans les faits, et donner lieu à une capacité et à une volonté véritables de protéger le réfugié. La perte de statut de réfugié n'est pas justifiée lorsque, par exemple, le pouvoir exécutif de facto demeure aux mains des anciens oppresseurs:

 

Le fait qu'il y ait eu des élections « régulières » au Pérou en 1980-1981, qui ont envoyé des membres de divers partis et de diverses factions au parlement, ne prouve pas que le requérant ne craint pas avec raison de retourner dans son pays, qui est toujours, en ce qui concerne le pouvoir exécutif, une dictature militaire qui ne tolère aucune opposition. C’est simplement un autre cas de bouteille neuve, vieux vin.

 

On ne peut dire non plus qu'il y a vraiment eu un changement de circonstances fondamental lorsque la police ou les établissements militaires n'ont pas encore pleinement respecté les préceptes de la démocratie et les droits de l'homme:

 

Il a été allégué que le requérant n'avait plus à craindre de retourner dans son pays natal puisqu'il y avait eu changement de gouvernement depuis son départ. Le requérant a toutefois produit la preuve que bien qu'il y ait eu changement de gouvernement, des membres de la police et des forces armées péruviennes violent toujours les droits de l'homme et ne semblent pas encore contrôlés par le nouveau gouvernement.

 

Autrement dit, le droit des réfugiés à la protection ne devrait pas être compromis simplement parce qu'il y a progression vers le respect réel des droits de l'homme, même lorsque le regard international sur cette transition est possible. Deux jugements rendus au milieu de l'année 1989 par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, concernant la Pologne et Sri Lanka respectivement, démontrent une préoccupation appropriée de voir la preuve de l'impact réel d'une transition officielle de pouvoir:

 

[...] Solidarité calcule que le Parti communiste a la haute main sur environ 900 000 nominations [...] la nomenklatoura projette sa propre ombre. Autrement dit, le changement de gouvernement ne change pas [nécessairement] grand-chose. Le tribunal estime que la crainte par le demandeur que les changements en Pologne soient encore trop incertains est étayée par la preuve documentaire.

 

Bien qu'il soit allégué que la confrontation militaire entre l'Indian Peacekeeping Force et les Tigres libérateurs a diminué en importance ces derniers mois, les groupes militants tamouls se disputent encore intensément le contrôle du territoire et de la population. Nous sommes d'accord avec les points soulevés par l'avocat, savoir que le processus de normalisation n'a pas encore atteint la stabilité et la paix politiques pour Sri Lanka.

 

En troisième lieu, on doit prouver que le changement de circonstances est durable. Le retrait du statut de réfugié n'est pas une décision à prendre à la légère sur la base des changements transitoires dans le paysage politique, mais on devrait la réserver à des cas où il y a lieu de croire qu'il est probable que la transformation positive de la structure du pouvoir durera. Cette condition correspond à la nature prospective de la définition de réfugié, et évite l'interruption de la protection dans les cas où la sécurité peut être seulement une aberration momentanée.

 

[27]      Bien que l'auteur discute du changement de la situation au pays dans le contexte de la perte du statut de réfugié, la nature des circonstances changeantes d'un pays doit néanmoins être examinée dans le contexte d'une demande d'obtention du statut de réfugié au sens de la Convention (Voir M.E.I. c. Obstoj, n° du greffe A-1109-91, 11 mai 1992 (C.A.F.) et M.E.I. v. Paszkowska (1991) 13 Imm. L.R. (2d) 262 (C.A.F.).

 

[28]      Deux arrêts de la Cour d'appel fédérale étayent la position que j'ai suivie quant au changement de la situation au pays en adoptant l'essence du critère d'Hathaway. Les deux arrêts ont été rendus par le juge Marceau de la Cour. Dans l'affaire Cuadra c. Le solliciteur général du Canada (A-179-92, 20 juillet 1993), le juge Marceau se penchait sur le changement de conditions survenu au Nicaragua. Le requérant était un ancien Contra qui demandait le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada. La Commission a rejeté la revendication du requérant principalement en raison d'un changement de circonstances au Nicaragua et plus particulièrement du fait de l'élection de Mme Chamaro. Bien que le frère de l'ancien président sandiniste du Nicaragua, Daniel Ortega, soit demeuré le chef de l'armée, mais la Commission a conclu que le régime tyrannique sandiniste n'était pas resté en place. Bien que la Commission ait reconnu que le requérant avait été brutalisé par l'armée où les sandinistes continuaient de jouer un rôle important, la commission a estimé que le gouvernement Chamaro avait pris des « mesures concrètes » pour diminuer l'influence des sandinistes. En conséquence, la Commission, a décidé que la revendication du requérant ne reposait pas sur un fondement objectif. À la page 3 de sa décision, après avoir statué que la décision de la Commission ne pouvait être confirmée, le juge Marceau se prononce en ces termes :

 

Là encore, une analyse plus détaillée des preuves contradictoires au sujet d'un changement dans les circonstances était nécessaire pour satisfaire à la condition que le changement soit suffisamment réel et effectif pour faire de la crainte authentique de l'appelant une crainte déraisonnable et, partant, non fondée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5038-09

 

INTITULÉ :                                       ESMAT ELYASI

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 AVRIL 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 AVRIL 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean Munn

 

POUR LE DEMANDEUR

Camille Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron & Partners LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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