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Federal Court

 

Cour fédérale


 

Date : 20100419

Dossier : IMM‑4571‑09

Référence : 2010 CF 422

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

SONAL HEMRAJ TRIVEDI

HEMRAJ BALWANTRAY TRIVEDI

ASHISH HEMRAJ TRIVEDI

ADITYA HEMRAJ TRIVEDI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIF DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant le rejet par un conseiller en immigration de la demande présentée par la demanderesse principale en vue d’obtenir le réexamen d’une décision négative à l’égard de sa demande de résidence permanente.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

[3]               Les demandeurs sont des citoyens indiens. La demanderesse principale a demandé la résidence permanente en qualité de travailleuse qualifiée en octobre 2004. Elle a demandé d’être évaluée dans deux catégories professionnelles : technologues et techniciens/techniciennes en biologie (Classification nationale des professions (CNP) : 2221), et techniciens/techniciennes et spécialistes de l’aménagement paysager et de l’horticulture (CNP : 2225).

 

[4]               À l’appui de sa demande, la demanderesse principale a fourni notamment deux documents d’une page préparés par deux de ses employeurs précédents qui décrivaient brièvement les fonctions qu’elle accomplissait lorsqu’elle travaillait pour eux.

 

[5]               Le 12 novembre 2008, la demanderesse principale a déposé une lettre de deux pages émanant de son employeur actuel, une lettre d’une société au Canada qui offrait de l’employer en qualité de technologue en horticulture, et d’autres documents.

 

[6]               Le 14 novembre 2008, la demanderesse principale a reçu une lettre dans laquelle il lui était demandé de fournir une quantité importante de renseignements dans les 90 jours. Le deuxième paragraphe de cette lettre énonçait : [traduction] « Les critères de sélection sont clairement définis et votre admissibilité à titre de travailleuse qualifiée sera évaluée en fonction des éléments de preuve que vous aurez présentés ».

 

[7]               À la première page de la lettre, immédiatement sous l’intitulé Preuve d’expérience, il était écrit :

[traduction]

IMPORTANT : Pour déterminer si vous répondez aux exigences minimales pour la continuation du traitement de votre demande, les documents et les renseignements que vous fournissez doivent démontrer que vous possédez au moins un an d’expérience de travail continu et rémunéré à temps plein, ou l’équivalent dans un emploi continu à temps partiel, dans une ou plusieurs des professions appartenant au genre de compétence O en gestion ou aux niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions (voir http://www23.hrdc‑drhc.gc.ca/2002/e/generic/materix.pdf. Aux termes du paragraphe 75(3) du Règlement de la LIPR, si vous ne répondez pas à cette exigence minimale, il sera mis fin à l’examen de la demande. [Non souligné dans la dernière phrase.]

 

[8]               Quelques paragraphes plus loin, la lettre énonçait :

[traduction]

À notre bureau, nous refusons souvent les demandes parce que les demandeurs ne fournissent pas suffisamment d’information pour démontrer leur admissibilité. Il vous est donc demandé de fournir une description complète, détaillée et précise de vos fonctions. Le traitement de votre demande n’exige pas une entrevue personnelle et nous ne vous convoquerons pas à une entrevue pour obtenir des renseignements supplémentaires dans le but de savoir si vous répondez aux critères établis pour les travailleurs qualifiés. Il vous appartient de fournir des documents suffisants pour démontrer que vous respectez les conditions. [Non souligné dans l’original.]

 

[9]               Vers la fin de la lettre, la demanderesse principale était informée de ce qui suit : [traduction] « Nous ne vous demanderons pas de fournir des renseignements supplémentaires à l’appui de votre demande. Vous devez donc présenter à ce moment‑ci des renseignements et des documents complets et détaillés. »

 

[10]           En décembre 2008, la demanderesse principale a répondu en envoyant des renseignements supplémentaires. Elle n’a toutefois fourni aucun autre renseignement concernant son emploi précédent.

 

[11]           Le 21 mai 2009, P. Purcell, deuxième secrétaire (Immigration) (l’agent des visas), a envoyé une lettre à la demanderesse principale qui, entre autres, (i) exposait les exigences du paragraphe 75(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), et (ii) expliquait pourquoi l’agent des visas n’était pas convaincu que la demanderesse principale avait satisfait à ces exigences. Une annexe à la lettre reproduisait le texte des paragraphes 11(1) et 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), ainsi que de l’article 75 et du paragraphe 80(7) du Règlement.

 

[12]           Bref, cette lettre donnait les motifs pour lesquels l’agent des visas avait conclu que la demanderesse principale n’avait pas démontré qu’elle avait exécuté en nombre suffisant les principales fonctions de la CNP 2221 ou CNP 2225 pendant au moins un an au cours des 10 années précédant la date de sa demande, comme l’exige le paragraphe 75(2) du Règlement.

 

[13]           Le 26 juin 2009, la Section de l’immigration du Haut‑commissariat canadien à New Delhi a reçu une lettre de la demanderesse principale. Entre autres choses, la demanderesse principale (i) admettait dans cette lettre que ses [traduction] « lettres d’emploi n’étaient pas très descriptives », (ii) fournissait une quantité importante de renseignements supplémentaires et (iii) demandait que sa demande soit examinée à nouveau sur le fond. Elle annexait également à cette lettre des lettres beaucoup plus détaillées provenant de ses employeurs mentionnés ci‑dessus.

 

[14]           Les renseignements supplémentaires fournis par la demanderesse principale étaient suffisamment nombreux pour avoir été susceptibles d’influencer l’issue de sa demande de résidence permanente.

 

II.         Décision attaquée

 

[15]           Le 15 juillet 2009, un conseiller non identifié du Haut‑commissariat du Canada à New Delhi a répondu à la demanderesse principale dans une brève lettre d’une page. Dans cette lettre, la demanderesse principale était informée de ce qui suit : (i) sa demande avait déjà été examinée sur le fond et rejetée, (ii) elle avait reçu une décision contenant les motifs du refus dans la lettre mentionnée ci‑dessus, datée du 21 mai 2009, [traduction] « ce qui mettait un terme à votre demande », et (iii) l’information qu’elle avait transmise dans sa dernière lettre lui était renvoyée [traduction] « sans avoir été examinée ». La lettre concluait en invitant la demanderesse principale à consulter le site Web d’Immigration Canada pour trouver des renseignements sur la façon de présenter une nouvelle demande.

 

[16]           Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de ne pas rouvrir le dossier pour nouvel examen. (Le contrôle judiciaire ne vise pas la décision de l’agent des visas qui a été communiquée à la demanderesse principale dans la lettre datée du 21 mai 2009.)

 

III.       Questions en litige

1.      Le conseiller a‑t‑il commis une erreur en omettant de rouvrir le dossier pour nouvel examen ou est‑ce que le principe du functus officio s’applique?

 

2.      Le conseiller a‑t‑il commis une erreur en n’accordant pas à la demanderesse principale la possibilité de dissiper les doutes qu’il entretenait peut-être?

 

3.      Le conseiller a‑t‑il procédé à une évaluation appropriée des éléments substantiels du dossier?

 

IV.       Norme de contrôle

[17]           Dans la mesure où la première et la troisième questions en litige concernent l’exercice par le conseiller de son pouvoir discrétionnaire, ces questions font l’objet d’un contrôle selon la norme du caractère raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 53). Par contre, la question reliée au principe du functus officio et celle de l’équité procédurale soulevée par la deuxième question font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 79 et 87, et Khosa, précité, au paragraphe 43).

 

[18]           Dans Khosa, précité, au paragraphe 59, la norme de la raisonnabilité a été exposée comme suit par le juge Ian Binnie :

 

Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriées à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, la transparence et l’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

V.        Analyse

A.     Le conseiller a‑t‑il commis une erreur en omettant de rouvrir le dossier pour nouvel examen?

 

[19]           Les demandeurs soutiennent que (i) le conseiller a le pouvoir de rouvrir le dossier après qu’une décision initiale a été prise à l’égard d’une demande de résidence permanente, et (ii) l’omission de l’avoir fait en l’espèce constitue une erreur susceptible de contrôle de la part du conseiller.

 

[20]           Le défendeur soutient que le principe du functus officio s’applique, parce que l’agent des visas a rendu une décision définitive qui a été communiquée à la demanderesse principale dans la lettre datée du 21 mai 2009, ce qui mettait un terme à l’examen de la demande de résidence permanente.

 

[21]           Le défendeur soutient également que la lettre datée du 15 juillet 2009 [traduction] « n’était qu’une lettre envoyée en réponse par courtoisie », même si (i) les observations écrites du défendeur font parfois référence à la lettre du conseiller datée du 15 juillet 2009 en parlant de « décision », et (ii) le défendeur admet que [traduction] « la demande de nouvel examen » présentée par la demanderesse principale a été étudiée.

 

[22]           L’avocat des demandeurs a donné comme exemple un dossier dont son cabinet s’est occupé et dans lequel le Haut‑commissariat canadien à New Delhi a examiné à nouveau une demande de résidence permanente après que celle‑ci eut été initialement refusée. Le défendeur admet avoir connaissance d’au moins quelques affaires dans lesquelles la décision négative de l’agent des visas à l’égard d’une demande de résidence permanente a été rouverte dans des cas exceptionnels.

 

[23]           Les demandeurs notent que, dans Kurukkal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 695, 81 Imm. L.R. (3d) 263, ma collègue, la juge Anne Mactavish, a examiné de façon approfondie la jurisprudence relative au principe du functus officio et a conclu que ce principe ne s’appliquait pas dans le contexte des décisions CH.

 

[24]           Dans Kurukkal, précitée, la seule raison fournie pour refuser la demande CH présentée par le demandeur était son défaut de produire une copie du certificat de décès de sa femme, « un élément de preuve extrêmement important » (paragraphe 21). À la différence des faits de l’espèce, la production de cette information ne dépendait pas du demandeur, parce que celui‑ci avait bien demandé le certificat à l’autorité compétente, mais ne l’avait pas encore reçu.

 

[25]           La juge Mactavish a finalement décidé que « le besoin de souplesse et de réponse à l’évolution d’une situation et à de nouveaux renseignements dans le processus d’appréciation des raisons d’ordre humanitaire l’emporte sur l’avantage d’avoir un processus décisionnel comportant un caractère définitif et certain » (paragraphe 74). Elle a toutefois également fait observer que, pour empêcher les auteurs de demande CH de retarder les décisions définitives en présentant constamment des renseignements supplémentaires, les agents d’immigration saisis de ces demandes seraient « tenus d’examiner si les éléments de preuve en question sont véritablement ‘nouveaux’ ou s’ils auraient pu être obtenus auparavant en exerçant une diligence raisonnable » (paragraphe 73).

 

[26]           Compte tenu des incertitudes du droit sur ce point, la juge Mactavish a certifié la question de savoir si l’habilité du décideur de rouvrir ou de réexaminer la demande en raison d’autres éléments de preuve fournis par un demandeur est limitée par le principe du functus officio.

 

[27]           La décision prononcée dans l’affaire Kurukkal, précitée, sur la question du principe du functus officio a été appliquée par courtoisie judiciaire dans Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 6, Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283, au paragraphe 40, et Abbas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (4 mars 2010), IMM‑2657‑09 (C.F.).

 

[28]           J’ai l’intention d’appliquer ces décisions. Je conclus, par conséquent, que le conseiller n’était pas dessaisi de la demande (functus officio) après que l’agent des visas eut envoyé la lettre datée du 21 mai 2009 dans laquelle il informait la demanderesse principale que sa demande avait été refusée.

 

[29]           J’en arrive maintenant à la question de savoir si le conseiller a commis une erreur en omettant de rouvrir le dossier des demandeurs pour nouvel examen après avoir reçu des renseignements nouveaux et importants de la demanderesse principale le 26 juin 2009.

 

[30]           Il n’existe pas une obligation générale d’examiner à nouveau une demande de résidence permanente après réception de nouveaux renseignements, et il n’y a pas d’obligation générale de fournir des motifs détaillés justifiant la décision de ne pas le faire (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 et 37). Par conséquent, le fait que le conseiller ait omis de rouvrir le dossier des demandeurs ou de fournir des motifs détaillés justifiant cette décision ne constitue pas en soi une erreur susceptible de contrôle. Il s’agit de savoir s’il était déraisonnable que le conseiller (i) décide de ne pas rouvrir le dossier des demandeurs après avoir reçu des renseignements supplémentaires importants en juin 2009 et (ii) ne fournisse pas des motifs plus détaillés justifiant cette décision, c’est‑à‑dire des motifs plus détaillés expliquant pourquoi il avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rouvrir le dossier.

 

[31]           En l’espèce, la demanderesse principale a été clairement informée, dans la lettre datée du 14 novembre 2008, du fait qu’il lui incombait de fournir des documents suffisants pour démontrer qu’elle répondait aux exigences des CNP : 2221 et CNP : 2224. Cette lettre expliquait clairement, entre autres, que sa demande [traduction] « serait refusée », et qu’il serait mis fin à son examen, si [la demanderesse] ne satisfaisait pas à cette exigence minimale. La lettre précisait ensuite : [traduction] « Vous devez décrire clairement les fonctions que vous avez exercées dans toutes les professions pour lesquelles vous voulez être évaluée. » En outre, la lettre attirait son attention sur l’importance des directives fournies sous l’intitulé « Preuve d’expérience » en faisant précéder cette partie de la lettre du mot « IMPORTANT ».

 

[32]           En résumé, la demanderesse principale a été informée en termes non équivoques qu’elle était tenue de bien présenter son dossier, qu’elle avait toute possibilité de le faire; elle a donc été avertie de façon équitable et raisonnable des conséquences qu’aurait l’omission de le faire.

 

[33]           À la différence du certificat de décès que le demandeur dans Kurukkal, précitée, n’avait pas été en mesure d’obtenir à temps de la part des autorités sri lankaises, les renseignements que la demanderesse principale a fournis en juin 2009 auraient pu être fournis plus tôt si la demanderesse principale avait fait preuve de diligence raisonnable.

 

[34]           Compte tenu de ce qui précède, je ne peux conclure qu’il était déraisonnable pour le conseiller ou pour l’agent des visas de ne pas avoir rouvert le dossier pour nouvel examen, même si les renseignements fournis par la demanderesse principale en juin 2009 étaient susceptibles de modifier l’issue de sa demande.

 

[35]           En outre, compte tenu de l’avertissement clair contenu dans la lettre du 14 novembre 2008 au sujet des conséquences de l’omission de fournir des renseignements suffisants à l’appui de sa demande, je ne peux conclure qu’il était déraisonnable que le conseiller omette de fournir des motifs plus détaillés justifiant sa décision de ne pas rouvrir le dossier pour nouvel examen. L’explication laconique qu’il a fournie au sujet du refus d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rouvrir le dossier n’était pas déraisonnable dans les circonstances.

 

[36]           À la lumière des termes utilisés dans la lettre du 14 novembre 2008 et de l’importance qui était attribuée à certaines de ses parties, la demanderesse principale ne pouvait raisonnablement s’attendre à recevoir des motifs plus détaillés ou à avoir une autre possibilité de fournir des renseignements supplémentaires. L’ensemble du dossier expliquait clairement à la demanderesse principale les raisons pour lesquelles son dossier n’avait pas été rouvert et sa capacité de solliciter le contrôle judiciaire de la décision du conseiller devant la Cour n’a pas été compromise (R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, au paragraphe 33, Za’rour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1281, 321 F.T.R. 120, au paragraphe 20).

 

[37]           La décision du conseiller faisait certainement partie [traduction] « des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit » en l’espèce. (Dunsmuir, précité.)

 

[38]           Dans l’intérêt de l’efficacité administrative, il n’est pas déraisonnable que le système d’examen des demandes de résidence permanente soit conçu de façon à inciter les demandeurs à exercer une diligence raisonnable pour préparer et présenter leurs demandes, pourvu que les conséquences de l’omission de le faire soient clairement énoncées au préalable. En l’espèce, ces conséquences étaient très clairement exposées dans la lettre datée du 14 novembre 2008.

 

B.   Le conseiller a‑t‑il commis une erreur en omettant d’accorder à la demanderesse principale la possibilité de dissiper les doutes qu’il entretenait peut-être?

 

[39]           Le contenu de l’obligation d’équité dont bénéficient les demandeurs de visa se situe à l’extrémité inférieure du registre (Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297, au par. 41 (C.A.), Kahn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2002] 2 CF 413, aux paragraphes 30 à 32, Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55, 23 Imm. L.R. (3d) 161, au paragraphe 10).

 

[40]           En l’espèce, l’obligation d’équité envers les demandeurs a été respectée parce que la demanderesse principale (i) a eu la possibilité de présenter à l’agent des visas les éléments de preuve se rapportant à son dossier, (ii) a été avertie en termes clairs et non équivoques des conséquences qu’entraînerait l’omission de fournir suffisamment d’éléments de preuve dès le départ pour appuyer son dossier et (iii) ces éléments ont été intégralement et équitablement examinés par l’agent des visas. La demanderesse principale a également obtenu des motifs détaillés expliquant les raisons pour lesquelles sa demande a été refusée et a reçu du conseiller une brève explication des motifs pour lesquels il avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rouvrir son dossier.

 

[41]           La lettre datée du 14 novembre 2008 indiquait très clairement à la demanderesse principale ce qui suit : (i) il lui appartenait de « bien présenter son dossier », (ii) elle devait communiquer des renseignements et documents complets et détaillés à ce moment‑là, (iii) elle n’aurait pas besoin de fournir d’autres renseignements et (iv) les demandes sont souvent refusées parce que les demandeurs ne fournissent pas suffisamment d’éléments de preuve établissant leur admissibilité. Compte tenu des termes exprès utilisés dans cette lettre, la demanderesse principale ne pouvait s’attendre, de façon réaliste, à avoir la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires ou à pouvoir dissiper les doutes que le conseiller ou l’agent des visas auraient pu avoir en se fondant uniquement sur les renseignements qu’elle avait fournis.

 

[42]           L’agent des visas n’est nullement tenu de clarifier une demande incomplète (Sharma, précitée, au paragraphe 8). L’imposition d’une telle obligation équivaudrait à exiger de l’agent des visas qu’il donne un préavis avant de rendre une décision défavorable, une obligation qui a été expressément rejetée (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 940 (QL), Sharma, précitée).

 

[43]           Les décisions citées par les demandeurs peuvent toutes être distinguées de la présente affaire, parce qu’elles concernent des situations dans lesquelles (i) les éléments de preuve présentés par le demandeur ont été jugées insuffisants pour justifier la conclusion tirée par l’agent des visas (Gandhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1054, 31 Imm. L.R. (3d) 64), (ii) le demandeur n’a pas eu la possibilité de dissiper les doutes suscités durant l’entrevue qu’a eue l’agent des visas avec le demandeur (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 12 Imm. L.R. (3d) 20 (C.F.P.I.)) ou qui découlaient de renseignements obtenus de façon indépendante par l’agent des visas (Huyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 904; Zaffar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 680, 21 Imm. L.R. (3d) 316), (iii) des déductions négatives ont été tirées des résultats d’un test déraisonnable que le demandeur avait été tenu de passer sans préavis au cours de l’entrevue (Ayub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 860, 23 Imm. L.R. (3d) 76), (iv) l’agent des visas a rejeté des documents sans procéder à d’autres vérifications (Huyen, précitée; Gandhi, précitée) ou (v) l’agent des visas a omis d’examiner si le demandeur pouvait se qualifier sur une base subsidiaire mentionnée dans le CNP approprié (Israfil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 6 Imm. L.R. (3d) 90 (C.F.P.I.)).

 

[44]           En conclusion, j’estime que ni le conseiller ni l’agent des visas n’a commis d’erreur en omettant d’accorder à la demanderesse principale la possibilité de dissiper les doutes qu’ils entretenaient peut-être, par exemple au sujet des qualifications de la demanderesse principale pour les catégories professionnelles CNP : 2221 et CNP : 2225.

 

C.  Le conseiller a‑t‑il procédé à une évaluation appropriée des éléments substantiels du dossier?

 

[45]           Les demandeurs soutiennent que le conseiller et/ou l’agent des visas ont commis une erreur dans l’évaluation des éléments substantiels de la demande de la demanderesse principale, parce que celle‑ci répondait aux critères à satisfaire pour obtenir une évaluation positive en matière d’immigration.

 

[46]           Étant donné que la présente demande concerne la décision du conseiller, datée du 15 juillet 2009, et non la décision de l’agent des visas datée du 21 mai 2009, il n’est pas nécessaire que j’examine l’allégation selon laquelle l’agent des visas n’a pas procédé à une évaluation appropriée des éléments substantiels de la demande de la demanderesse principale. Cependant, après avoir examiné cette évaluation dans le cadre de l’examen des documents se rapportant à la présente demande, je suis convaincu que l’évaluation à laquelle a procédé l’agent des visas n’était pas déraisonnable. L’agent des visas a évalué la demande de la demanderesse principale en se fondant sur les exigences concernant les professions pour lesquelles elle demandait d’être évaluée, à savoir, CNP : 2221 et CNP : 2225. Après avoir examiné les documents présentés par la demanderesse principale avant d’avoir reçu la décision de l’agent des visas, il était loisible à l’agent des visas (et, par la suite, au conseiller) de conclure que les diverses exigences exposées au paragraphe 75(2) du Règlement n’étaient pas satisfaites, pour les motifs expliqués dans la décision de l’agent des visas.

 

[47]           À l’audience, le conseil des demandeurs a reconnu que les demandeurs n’auraient pas pu légitimement s’attendre à se voir accorder la possibilité de présenter d’autres observations après avoir répondu à la lettre datée du 14 novembre 2008.

 

[48]           Quoi qu’il en soit, l’omission du conseiller de fournir une évaluation « appropriée » des éléments substantiels du dossier après avoir reçu les nouveaux renseignements qui ont été présentés après la décision de l’agent des visas du 21 mai 2009 n’était pas déraisonnable pour les mêmes motifs analysés dans la partie V.A ci‑dessus, à savoir que l’omission du conseiller de rouvrir le dossier pour nouvel examen n’était pas déraisonnable.

 

VI.       Conclusion

[49]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

                                                                                              « Paul S. Crampton »

 

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4571‑09

 

INTITULÉ :                                       SONAL HEMRAJ TRIVEDI ET AL. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                    Le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 19 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Benjamin Kranc

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Catherine Vasilaros

                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kranc Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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