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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100415

Dossier : IMM-4428-09

Référence : 2010 CF 410

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

CATHERINE RESTREPO MEJIA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision (la décision) datée du 14 août 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande est rejetée.

 

I.          Le contexte

 

[3]               La demanderesse, âgée de 23 ans, est citoyenne de la Colombie. Elle est arrivée au Canada le 2 mars 2007 munie d’un visa de visiteur, et elle a demandé l’asile le 27 août 2007, disant craindre d’être persécutée par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC).

 

[4]               En 2007, la demanderesse était étudiante en communications en Colombie. Elle était censée se rendre au Panama, en compagnie d’autres étudiants, pour travailler dans le cadre d’un projet scolaire. Selon elle, un  membre du groupe - « Sergio » - a décidé de ne pas y aller parce que des membres des FARC l’avaient mis en garde contre le fait de participer au projet. Pendant son séjour à Panama, la demanderesse a appris de sa mère la disparition de Sergio. À son retour, sa mère lui a dit qu’elle avait reçu un appel téléphonique de menaces des FARC, qui avaient posé des questions sur elle. La demanderesse a déménagé chez un oncle. En février, elle a obtenu un visa pour rendre visite à des membres de sa famille au Canada. Elle ajoute que, pendant sa visite, sa mère a reçu des FARC un second appel téléphonique de menaces.

 

[5]               La Commission n’a pas été convaincue que, selon la prépondérance des probabilités, la crainte de la demandeure d’asile avait un fondement objectif et que, si celle-ci retournait en Colombie, elle ne courrait pas un risque raisonnable de préjudice ou de persécution. La Commission n’a pas conclu que le récit de la demanderesse était crédible quant au bien-fondé de sa crainte, et elle a conclu qu’il était difficile de croire que les FARC étaient à sa poursuite ou qu’elle les intéresserait encore si elle rentrait au pays. La Commission a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve documentaire que les FARC avaient pris la demanderesse pour cible. Elle a expressément indiqué que même si l’absence de preuves documentaires n’était pas fatale en soi, elle tirait de ce fait une inférence défavorable. La Commission a combiné cette inférence défavorable au témoignage de la demanderesse et a conclu que celle-ci n’était pas visée par les FARC.

 

II.                 Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

 

[6]               Il est possible de résumer comme suit les questions que soulève la demanderesse :

a)         La Commission a-t-elle mal saisi la nature du critère ou du fardeau qu’impose la définition d’un réfugié au sens de la Convention?

 

b)         La Commission a-t-elle fondé ses conclusions sur des hypothèses ou des conjectures et a-t-elle tiré une conclusion défavorable qui ne reposait sur aucune preuve?

 

c)         La Commission a-t-elle omis d’exercer sa compétence en vue d’examiner la demande de protection de la demanderesse conformément au paragraphe 97(1) de la LIPR?

 

[7]               À l’audience, l’avocat de la demanderesse a produit, sur consentement, un affidavit tardif visant à déplacer le fondement de la demande de sa cliente vers le fait qu’elle était une étudiante universitaire plutôt que vers celui d’être expressément prise pour cible par les FARC. Toutefois cela ne changeait pas grand-chose à la dynamique de l’affaire car, à l’audience relative à sa demande d’asile, la demanderesse ne s’était pas lancée dans cette voie.

 

[8]               Les questions a) et b) seront appréciées en fonction de la norme de la raisonnabilité (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339). La Cour se doit de faire preuve d’une déférence élevée à l’égard des décisions que rend la Commission à propos des questions de crédibilité et d’appréciation de la preuve (voir Camara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 362; [2008] A.C.F. no 442, au paragraphe 12).

 

[9]               La question c) est un point de droit, qui sera évalué selon la norme de la décision correcte (Plancher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1283; [2007] A.C.F. no 1654).

 

III.       Analyse

 

A.        La Commission a-t-elle mal saisi la nature du critère ou du fardeau qu’impose la définition d’un réfugié au sens de la Convention?

 

[10]           La demanderesse fait valoir qu’en ce qui concerne l’établissement du bien-fondé de sa demande, la Commission lui a imposé un fardeau trop lourd car aucune des allégations n’était dénuée en soi de crédibilité, mais elle a conclu que ces allégations manquaient de corroboration, de preuves ou d’une « preuve définitive » (voir Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680; 57 D.L.R. (4th) 153 (C.A.F.). Si on lui avait demandé de fournir une preuve documentaire ou indépendante, soutient la demanderesse, elle aurait alors pu traiter de cette question.

 

[11]           Le défendeur fait valoir qu’il incombe à la demanderesse d’introduire en preuve tous les documents qui peuvent être essentiels pour établir le bien-fondé de sa demande, invoquant à cet égard Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 578; 48 A.C.W.S. (3d) 1427.

 

[12]           En l’espèce, la réserve exprimée par la Commission à l’égard du manque de preuves documentaires n’était qu’un aspect parmi d’autres de la conclusion générale qu’elle a tirée au sujet de la crédibilité. Elle a conclu que la demande de la demanderesse manquait de crédibilité et que celle-ci avait fait un témoignage généralisé et exagéré, et elle a souligné aussi qu’il n’y avait, à l’appui du récit, aucune preuve documentaire. Comme il est indiqué aux paragraphes 8 à 12 de la décision, il était raisonnable pour la Commission, au vu de la preuve produite par la demandeure d’asile, de conclure que sa crainte n’était pas fondée. Il revenait à celle-ci d’introduire en preuve tous les documents nécessaires pour établir le bien-fondé de sa demande, et un manque de documents pertinents peut être un facteur qu’il est valable d’examiner en vue d’apprécier la crédibilité.

 

[13]           Je souligne également que quand un demandeur jure que certaines allégations sont vraies, ce fait amène à présumer que ces allégations sont véridiques à moins qu’il y ait des motifs valables d’en douter (voir Permaul c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1983] A.C.F. no 1082; 53 N.R. 323 (C.A.F.)). Au vu du dossier, la Commission a fait état de motifs valables, tels que les généralisations et les exagérations de la demanderesse, pour douter de la véracité de sa demande.

 

B.         La Commission a-t-elle fondé ses conclusions sur des hypothèses ou des conjectures et a-t-elle tiré une conclusion défavorable qui ne reposait sur aucune preuve?

 

[14]           La demanderesse soutient que la Commission a fait une supposition déraisonnable en concluant que les agents de persécution auraient pu être un groupe ou des individus autres que les FARC et que la Commission n’avait aucune raison valable de douter de sa preuve. Elle soutient également que les propos de la Commission quant à la façon dont les FARC agissent « habituellement » n’étaient pas fondés sur la preuve et qu’ils ont eu sur elle une influence défavorable. Invoquant Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776; 208 F.T.R. 267, la demanderesse soutient que ce n’est que dans les cas les plus évidents qu’il y a lieu de tirer des conclusions d’invraisemblance.

 

[15]           Le défendeur estime qu’il ne faudrait accorder aucun poids à l’argument de la demanderesse.

 

[16]           Toute faiblesse susceptible d’avoir été causée par les propos de la Commission ne fait pas en sorte que la décision, dans son ensemble, est déraisonnable (voir Ogiriki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 420; 2006 CF 342, au paragraphe 13; Miranda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 63 F.T.R. 81; [1993] A.C.F. no 437). Il est manifeste que la Commission a fondé sa décision sur la totalité de la preuve, et non sur ce seul point.

 

[17]           La Commission a conclu que les faits avancés par la demanderesse débordaient le cadre de ce à quoi l’on pouvait raisonnablement s’attendre, et que celle-ci n’avait pas fourni de preuves documentaires à l’appui de sa demande. La Commission est un tribunal spécialisé qui est capable de déterminer le poids à attribuer à divers éléments de preuve. La Cour a signalé que la « présomption » selon laquelle le témoignage sous serment d’un demandeur est véridique peut toujours être réfutée et, dans les circonstances appropriées, elle peut l’être par l’absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver (voir Adu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 114; 53 A.C.W.S. (3d) 158 (C.A.F.)). Le rôle de la Cour ne consiste pas à soupeser de nouveau la preuve, mais à déterminer si la décision est raisonnable et, dans le cas présent, celle de la Commission l’était.

 

C.        Le tribunal a-t-il omis d’exercer sa compétence en vue d’examiner la demande de protection de la demanderesse conformément au paragraphe 97(1) de la LIPR?

 

[18]           La demanderesse allègue que la Commission, en faisant référence au paragraphe 97(1) dans les premier et dernier paragraphes de ses motifs, ne s’est pas acquittée de sa responsabilité de procéder à une analyse distincte au sujet du paragraphe 97(1).

 

[19]           Aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR, la Commission doit évaluer si un demandeur d’asile a besoin d’être protégé à cause d’un risque de mort, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[20]           Une conclusion défavorable quant à la crédibilité, tirée en rapport avec l’article 96, écarte souvent le besoin de prendre en considération l’article 97 (voir Emamgongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 208; [2010] A.C.F. no 244; Plancher, précitée). Dans Plancher, le juge Michel Beaudry a énoncé le principe en ces termes :

17        En l’espèce, la Commission a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible et que, par conséquent, les demanderesses n’étaient pas exposées à une grave menace à leur vie ni au risque de traitements ou peines cruels et inusités ni à un grave risque d’être soumises à la torture si elles devaient retourner en Haïti. Lorsque la Commission conclut qu’un demandeur n’est pas crédible, elle n’est pas tenue d’effectuer une analyse distincte. Cela est confirmé dans la décision Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 2112 (QL), 2005 CF 1710, au paragraphe 16 :

 

En ce qui concerne l’absence d’analyse distincte relativement au paragraphe 97(1), la Commission était parfaitement justifiée de ne pas se livrer à cet exercice à partir du moment où elle concluait que la demanderesse n’était pas crédible. Si la Commission a raison sur ce point, il est clair que la demanderesse ne pouvait être considérée comme une personne à protéger. C’est d’ailleurs ce qu’a conclu cette Cour à de nombreuses reprises : Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1540; 2003 CF 1211 (QL); Soleimanian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 2013; 2004 CF 1660 (QL); Brovina c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2004] A.C.F. no 771, 2004 CF 635 (QL).

 

[21]           Je suis convaincu qu’il était raisonnablement loisible à la Commission d’arriver aux conclusions qu’elle a tirées à propos de la crédibilité de la demanderesse principale, relativement aux faits qu’elle a vécus, et à ceux que son époux a vécus à Colombo. En l’espèce, les conclusions relatives à la crédibilité tranchent de façon définitive la question de savoir si l’appréciation de la Commission à l’égard du fait que la demanderesse serait une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) peut se justifier. Même si le lien n’a pas été expressément mentionné dans les motifs, je suis convaincu que ce lien est implicite dans le raisonnement exposé (voir Kulendrarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 79; 245 F.T.R. 145, au paragraphe 12).

 

[22]           Dans la présente affaire, la demanderesse a fondé sa demande sur sa crainte des FARC, et non pas sur son identité en tant qu’étudiante poursuivant des intérêts journalistiques et communautaires. On ne peut reprocher à la Commission de ne pas avoir traité de questions que la demanderesse n’a pas fait valoir (Emamgongo, précitée).

 

[23]           J’ai déjà conclu que la décision était raisonnable et, en l’espèce, les conclusions relatives à la crédibilité règlent la question de savoir si l’appréciation que la Commission a faite de la demande de la demanderesse dans le cadre du paragraphe 97(1) peut se justifier. Il aurait été souhaitable que la Commission donne une explication plus détaillée sur sa conclusion relative à la « qualité de personne à protéger » en rapport avec la demanderesse principale, mais je suis convaincu que l’absence de cette explication ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

 

[24]           Aucune question à certifier n’a été proposée, et il ne s’en est posée aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.         la présente demande est rejetée;

2.         aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4428-09

 

INTITULÉ :                                       MEJIA c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 LE 7 AVRIL 2010

 

DATE DE L’AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 15 AVRIL 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Brodzky

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nicole Rahaman

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Brodzky

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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