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Date : 20100414

Dossier : IMM-3503-09

Référence : 2010 CF 405

Montréal (Québec), le14 avril 2010

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

SHAHID, MUHAMMAD AMIN

SAIF, SHAZIA KHALID

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Muhammad Amin Shahid et Shazia Khalid Saif (les demandeurs) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et visant le défaut du ministre de rendre une décision sur leur demande d’établissement, ainsi que d’un recours de la nature d’un bref de mandamus.

 

[2]               L’asile a été accordé à M. Shahid au mois de mai 2001. Par la suite, le 11 juin 2001, il a présenté une demande d’établissement de manière à devenir un résident permanent du Canada. Quoiqu’il ait été avisé, le 5 septembre 2001, qu’il répondait aux critères d’admissibilité et qu’une décision serait rendue dans les dix‑huit mois, aucune décision n’a encore été rendue relativement à sa demande.

[3]               Mme Saif, son épouse, est venue au Canada en novembre 2001 et l’asile lui a été accordé en avril 2002. M. Shaid l’a incluse dans sa demande de résidence permanente.

 

[4]               En 2002, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a reçu une lettre contenant des allégations graves à l’encontre des demandeurs. Cependant, le 23 novembre 2004, il a décidé de ne pas enquêter davantage sur ces allégations.

 

[5]               Le 22 novembre 2005, M. Shahid a été informé que son dossier avait été transféré au bureau de CIC à Montréal pour qu’une décision soit rendue. À sa demande, en 2006, son dossier a été transféré à Calgary, où les requérants avaient déménagé.

 

[6]               Le 11 octobre 2006, le bureau de CIC à Calgary a demandé aux demandeurs des documents supplémentaires ainsi que les résultats de leurs examens médicaux. Les demandeurs ont soumis ces documents peu après. Il semble que certains renseignements manquaient encore, de sorte que les vérifications sur leurs antécédents et sur les questions de sécurité ne pouvaient pas être faites. Ils n’en ont toutefois pas été informés.

 

[7]               En février 2009, l’avocat des demandeurs a écrit au bureau de CIC à Montréal pour demander des renseignements sur l’état de leur dossier. Sa demande a été transmise au bureau de CIC à Calgary.

 

[8]               L’avocat des demandeurs a également demandé leur dossier en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Après l’avoir obtenu, il s’est rendu compte qu’il était possible que les autorités de l’immigration aient été préoccupées, dès 2007, par des renseignements contradictoires apparemment communiqués par les demandeurs et que ceux-ci n’avaient jamais été informés de ces préoccupations. Les demandeurs ont rédigé un document pour répondre à ces préoccupations, que leur avocat a soumis à CIC le 7 avril 2009.

 

[9]               N’ayant reçu aucune réponse de CIC, il a de nouveau écrit au ministère le 20 mai 2009 pour lui demander d’accuser réception de ses lettres et des documents présentés par les demandeurs et l’informer que les demandeurs lui avaient donné le mandat de solliciter un bref de mandamus le 20 juin 2009. CIC n’a pas répondu à cette lettre.

 

[10]           Le 10 juillet 2009, les demandeurs ont déposé la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et ont sollicité une mesure de redressement de la nature d’un bref de mandamus.

 

[11]           Le 17 juillet 2009, CIC a envoyé une lettre à l’avocat des demandeurs pour l’informer que leurs [traduction] « dossiers médicaux étaient devenus périmés et que de nouveaux examens étaient requis ». CIC a également fait savoir qu’il n’avait pas reçu les renseignements mis à jour soumis en avril 2009 et a exigé des demandeurs qu’ils les soumettent de nouveau afin que des vérifications en matière de sécurité puissent être effectuées.

 

[12]           CIC a reçu les renseignements requis en septembre 2009.

 

[13]           Le 8 janvier 2010, le bureau de Calgary de CIC a transmis les renseignements mis à jour pour qu’ils soient traités (y compris les nouvelles vérifications sur les antécédents) de manière urgente. À l’audience, l’avocat du ministre m’a informé que, le 8 avril 2010, toutes les vérifications nécessaires en matière de sécurité avaient été effectuées.

[14]           Les critères auxquels un demandeur doit satisfaire pour que la Cour lui accorde un bref de mandamus sont bien connus. Ils ont été énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, 51 C.P.R. (3d) 339 (confirmé par Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 3 R.C.S. 1100). Les voici :

(1)         Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public.

(2)         L’obligation doit exister envers le requérant.

(3)         Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b) il y a eu

(i) une demande d’exécution de l’obligation;

(ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ;

(iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.

(4)         Le requérant n’a aucun autre recours.

(5)         L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.

(6)         Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé.

(7)         Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

 

[15]           Il n’est pas contesté ni contestable que le ministre a l’obligation de traiter la demande des demandeurs. Le paragraphe 21(2) de la LIPR prévoit, dans sa partie pertinente, que : « devient résident permanent la personne à laquelle la qualité de réfugié […] a été reconnue […] dont l’agent constate qu’elle a présenté sa demande en conformité avec les règlements et qu’elle n’est pas interdite de territoire ». La qualité de réfugié au sens de la Convention a été reconnue aux demandeurs. Sous réserve que leur demande soit jugée conforme aux règlements et qu’ils ne soient pas interdits de territoire, ils ont le droit de devenir des résidents permanents.

 

[16]           De plus, il n’est pas contesté, à ce stade, que les demandeurs ont rempli toutes les conditions préalables à l’exécution par le ministre de son obligation en lui communiquant tous les renseignements nécessaires. Il n’est pas non plus contesté qu’ils ont maintes fois demandé au ministre d’exécuter son obligation.

 

[17]           Par conséquent, la seule question en litige consiste à savoir s’il s’est écoulé suffisamment de temps depuis leur demande et s’il est possible d’inférer que le ministre a refusé d’agir. Apotex, précité, établit clairement qu’il est possible de tirer une telle inférence d’un retard « déraisonnable » dans la prise d’une décision.

 

[18]           Dans Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33, [1998] A.C.F. n1553 (1re inst.), j’ai conclu ce qui suit : 

[T]rois conditions s’imposent à ce qu’un délai soit jugé déraisonnable :

1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2) le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables; et

3) l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

[19]           Je conviens avec les demandeurs que huit ans constituent à première vue un délai beaucoup plus long que celui normalement requis par les vérifications d’antécédents. De plus, bien qu’il soit possible que les demandeurs soient en partie responsables de ce délai si leur demande contenait des renseignements contradictoires, comme le ministre le soutient, ils ont soumis des renseignements mis à jour dès qu’il leur a été demandé de le faire et, en vérité, avant même qu’il ne leur soit demandé. La période de plus de deux ans, entre le début de 2007 et le printemps de 2009, durant laquelle ils n’ont rien su des préoccupations de CIC à l’égard de leur demande n’a pas été expliquée et est déraisonnable. Il a fallu que leur avocat demande leur dossier en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour qu’ils découvrent la raison pour laquelle leur demande n’était pas traitée. Il semble qu’il ait fallu le dépôt de la présente demande de bref de mandamus pour que CIC réponde aux lettres de leur avocat, dont le ministre reconnait qu’il en a reçu deux, une le 17 février 2009, et une autre le 27 mai 2009.

 

[20]           Le manque de célérité de CIC relativement au dossier des demandeurs est choquant et contredit directement l’objet de la LIPR énoncé à l’alinéa 3(1)f), soit « d’atteindre, par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral » (non souligné dans l’original).

 

[21]           De plus, comme je l’ai statué dans Conille, précité, la nécessité de procéder à des vérifications de sécurité et d’antécédents ne justifie pas l’inaction administrative. En l’absence de toute limite légale à la durée de l’enquête, cette exigence peut servir de prétexte commode à un retard indéfini, ce que la Cour n’accepte pas. Dans chaque cas, la Cour doit se demander si les faits sont tels que le retard administratif est raisonnable ou non. En l’espèce, une part importante du retard semble être imputable à la négligence de CIC et est donc déraisonnable.

 

[22]           Comme les demandeurs ne disposent d’aucun recours administratif ni d’aucun autre recours et que le ministre n’a pas démontré l’existence d’un quelconque empêchement, fondé sur l’équité ou la prépondérance des inconvénients, à ce que le bref de mandamus soit accordé en l’espèce, j’accueille la présente demande.

 

[23]           Une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant au défendeur de traiter la demande de résidence permanente au Canada du demandeur conformément au droit et à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est rendue. Le défendeur traitera la demande de résidence permanente au Canada du demandeur et lui communiquera sa décision quant à savoir s’il lui accorde le statut de résident permanent dans les trois (3) mois de la présente ordonnance.


JUGEMENT

Une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant au défendeur de traiter la demande de résidence permanente au Canada du demandeur conformément au droit et à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est rendue. Le défendeur traitera la demande de résidence permanente au Canada du demandeur et lui communiquera sa décision quant à savoir s’il lui accorde le statut de résident permanent dans les trois (3) mois de la présente ordonnance.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3503-09

 

INTITULÉ :                                                   SHAHID, MUHAMMAD AMIN ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 13 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 14 avril 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LES DEMANDEURS

Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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