Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100414

Dossier : IMM-4648-09

IMM-4649-09

 

Référence : 2010 CF 400

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

KIRAZ COSGUN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les présents motifs du jugement et jugement portent sur deux demandes de contrôle judiciaire entendues consécutivement le 23 mars 2010.

 

[2]               La première demande a trait à une décision, datée du 7 juillet 2009, rendue par l’agent d’examen des risques avant renvoi, L. Zucarelli, selon laquelle la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), respectivement.

 

[3]               La deuxième demande porte sur une décision, datée du 6 juillet 2009, par laquelle le même agent a refusé la demande de résidence permanente présentée à partir du Canada par la demanderesse pour des motifs d’ordre humanitaire (CH).

 

[4]               Quant à la décision sur l’examen des risques avant renvoi (ERAR), la demanderesse prétend que l’agent a erré en droit (i) en faisant défaut de tenir une audience pour lui offrir l’occasion d’aborder un certain nombre de questions liées à la crédibilité soulevées dans le cadre son examen; (ii) en appliquant un critère inexact en évaluant la disponibilité de la protection de l’État pour les femmes qui sont victimes de violence conjugale en Turquie; et (iii) en écartant des éléments de preuve importants à l’appui de sa demande relativement à l’inefficacité de la protection de l’État.

 

[5]               En ce qui a trait à la décision CH, la demanderesse soutient que l’agent a appliqué le mauvais critère en évaluant la demande CH, malgré l’exactitude du critère qui a été exposé tout au long de la décision. En particulier, la demanderesse prétend que l’agent a (i) simplement invoqué l’essentiel de l’analyse de la décision ERAR et a remplacé le mot « risque » par le mot « difficultés » dans la décision CH; ou (ii) a adopté, dans le cadre de l’examen CH, essentiellement la même analyse que celle qui a été utilisée durant le contrôle judiciaire de la demande ERAR. En outre, la demanderesse réitère son allégation voulant que l’agent ait également erré en faisant défaut de tenir une audience. Elle prétend également que l’agent a erré en écartant les éléments de preuve selon lesquels elle subirait des difficultés en tant que femme si elle était forcée de retourner en Turquie, plus particulièrement en raison de ses problèmes physiques.

 

[6]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que l’agent n’a pas commis les prétendues erreurs et que par conséquent, les deux demandes devraient être rejetées.

 

I.       Les faits

[7]               La demanderesse, Kiraz Cosgun, est citoyenne de la Turquie. Elle et son ancien mari, Kazim Ates, sont arrivés au Canada en tant que visiteurs temporaires en juin 2003. Peu de temps après leur arrivée, ils ont revendiqué le statut de réfugié en raison des opinions politiques imputées de M. Ates et de leur ethnicité kurde. Ils ont également fait valoir que, à titre de musulmans pratiquants, ils seraient incapables de pratiquer librement leur religion et que la demanderesse ne pourrait pas obtenir un emploi ou recevoir des soins médicaux parce qu’elle portait un hidjab. 

 

[8]                En décembre 2004, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté les revendications de la demanderesse et de M. Ates. La demanderesse a voulu solliciter le contrôle judiciaire de cette décision, ce qui lui a été refusé au début de 2005.

 

[9]                En avril 2005, la demanderesse a ensuite déposé une demande de résidence permanente alors qu’elle se trouvait au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, qui se fondait essentiellement sur les mêmes allégations de risque qu’elle avait invoquées dans sa revendication du statut de réfugié.

 

[10]           En juillet 2006, la demanderesse et M. Ates ont déposé une demande conjointe d’examen des risques avant renvoi qui se basait essentiellement sur les mêmes renseignements que ceux qui avaient été soumis à l’appui de leur revendication du statut de réfugié.

 

[11]           Le 28 février 2008, le gestionnaire de la santé multiculturelle du North Hamilton Community Health Centre a envoyé une courte lettre au bureau d’ERAR indiquant que M. Ates était retourné en Turquie en août 2006 et que la demanderesse n’avait pas accompagné son mari car il la maltraitait et qu’elle savait que les lois du Canada la protégeraient. La lettre ajoutait que la demanderesse avait informé le personnel du centre de soins de santé qu’elle avait subi par le passé les menaces de M. Ates, qu’elle décrivait comme son « ex-mari » car elle ne l’avait pas suivi en Turquie.

 

[12]           Jointe à cette lettre se trouvait une traduction d’un échange de courriels entre la demanderesse et M. Ates dans lequel il lui aurait proféré des menaces. 

 

[13]           Le 12 février 2009, la demanderesse a mis à jour sa demande ERAR avec une autre courte lettre d’une page, laquelle, entre autres, indiquait que (i) son ex-mari, M. Ates, était retourné en Turquie en août 2007 et qu’il croyait qu’elle viendrait le rejoindre; (ii) elle avait décidé de ne pas le suivre jusqu’en Turquie en raison des agressions qu’il lui avait fait subir alors que tous deux vivaient ensemble en Turquie; et que (iii) M. Ates l’avait ensuite menacée de mort, et qu’elle croyait qu’il mettrait ses plans à exécution si elle retournait en Turquie. 

 

[14]           Le 30 mars 2009, la demanderesse a eu l’occasion de mettre à jour sa demande CH. Elle a répondu en fournissant d’autres documents en avril 2009. Dans ces documents complémentaires, la demanderesse a indiqué que sa vie serait menacée si elle retournait en Turquie, car elle avait reçu des menaces de mort de M. Ates et qu’elle croyait qu’il mettrait ces menaces à exécution. À cet égard, elle se fonde sur les éléments de preuve qu’elle a présentés à l’appui de sa demande ERAR.

 

II.      La décision ERAR

[15]           L’agent a rejeté la demande ERAR déposée par la demanderesse sous prétexte (i) qu’il existe moins qu’une simple possibilité qu’elle soit persécutée si elle retournait en Turquie; (ii) qu’il n’existe aucun motif sérieux de croire qu’elle serait exposée au risque d’être soumise à la torture; et (iii) qu’il n’existe aucun motif considérable de croire qu’elle serait exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle devait retourner en Turquie.

 

[16]           Dans le cadre de l’évaluation des risques auxquels la demanderesse pourrait être exposée si elle devait retourner en Turquie, l’agent a commencé à faire observer que les risques déterminés dans sa demande ERAR initiale étaient essentiellement les mêmes que ceux que la SPR avait entendus et évalués. L’agent a ensuite fait remarquer que la décision de la SPR est finale quant à la question de la protection de l’État, [traduction] « sous réserve seulement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que la demanderesse serait exposée à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait être envisagé au moment où la SPR a rendu sa décision ».

 

[17]           L’agent a ensuite renvoyé aux « nouveaux » renseignements qui avaient été fournis dans les lettres susmentionnées datées du 28 février 2008 et du 12 février 2009, et dans la traduction de l’échange de courriels qui avait été incluse dans cette dernière lettre.

 

[18]           L’agent ne semble pas en être arrivé à quelque conclusion que ce soit concernant la crédibilité de la demanderesse. L’agent semble avoir jugé que de telles conclusions étaient non nécessaires, au motif que [traduction] « [l]a question déterminante dans la présente évaluation est la disponibilité des mécanismes de protection offerts par l’État ».

 

[19]           Cependant, l’agent a pris « note » des points de fait suivants :

           

                                                               i.      Bien que la demanderesse ait indiqué que M. Ates est retourné en Turquie en août 2006, les dossiers électroniques indiquent qu’il a fait défaut de confirmer son départ auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada avant de quitter (l’agent n’a pas mentionné cette différence entre cette date et la date d’août 2007 qui figure dans la lettre susmentionnée de la demanderesse datée du 12 février 2009);

 

                                                             ii.      L’adresse de courriel de M. Ates est un compte Hotmail à laquelle on peut accéder partout dans le monde, et l’identité de M. Ates n’avait pas été vérifiée par des documents corroborants;

 

                                                            iii.      À la fin de ce courriel, M. Ates indique [traduction] « Maintenant tu peux dire que si je viens [M. Ates] me fera du mal et je ne suis pas en sécurité, c’est ce que tu peux dire à ceux qui sont ici. Si tu reviens, assure‑toi d’aller chez ton père, dans ce cas, rien ne se passera et ce sera ta seule chance »;

 

                                                           iv.      Les éléments de preuve étaient insuffisants pour permettre de déterminer quand la demanderesse et M. Ates ont divorcé;

 

                                                             v.      La demanderesse n’a pas fourni de renseignements quant à savoir quand son mari a commencé à la maltraiter, si ces mauvais traitements se sont produits en Turquie ou au Canada et quelles mesures, le cas échéant, elle a prises à cet égard;

 

                                                           vi.      C’est la demanderesse qui a initié l’échange de courriels susmentionnés.

 

[20]           En ce qui a trait au dernier fait, l’agent a indiqué [traduction] : « Je conclus qu’il serait objectivement non raisonnable que, craignant pour sa sécurité, la demanderesse chercherait à communiquer avec son mari ».

 

[21]           Après avoir discuté des « nouveaux » éléments de preuve et après avoir pris note des faits qui précèdent, l’agent a conclu [traduction] : « Bien qu’il ressorte clairement de l’échange Internet (sic) qu’il y a de la rancune entre la demanderesse et [M. Ates], je ne dispose pas d’une preuve suffisante pour conclure que la demanderesse est exposée en conséquence à un risque de persécution ou de préjudice en Turquie ».

 

[22]           L’agent s’est ensuite penché sur la question déterminante de la disponibilité de mécanismes de protection de l’État.

 

[23]           En l’absence de tout autre élément de preuve par la demanderesse en ce qui a trait à sa crainte de subir des mauvais traitements de la part de M. Ates et de sa crainte d’être persécutée en tant que femme musulmane en Turquie, l’agent a examiné le 2008 US Library of Congress Country Profile on Turkey (profil des pays 2008 de la Librairie du Congrès sur la Turquie), un rapport préparé par le UK Home Office Country obtenu par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en réponse aux demandes de renseignements.

 

[24]             Après avoir résumé et mentionné un grand nombre des renseignements contenus dans ces documents, y compris des renseignements selon lesquels des problèmes à fournir une protection efficace continuent d’exister, l’agent a fait observer que (i) la preuve démontre que la discrimination fondée sur le sexe liée à la protection des victimes de violence n’est pas en litige, et tant les femmes que les hommes bénéficient de l’égalité d’accès à la justice, y compris le droit d’être représenté devant les tribunaux; (ii) les organismes nationaux de défense des droits de la personne ont signalé que des mesures récentes conçues dans le but d’améliorer l’application des lois visant la violence faite aux femmes, y compris la violence conjugale, avaient été partiellement efficaces; et (iii) de nettes améliorations ont été apportées au chapitre des droits de la personne au cours des dernières années.

 

[25]           L’agent a également invoqué un élément de preuve objectif selon lequel la très grande majorité des ressortissants turcs qui ont fait une demande d’asile à l’étranger ne suscitent aucunement l’intérêt du gouvernement turc et ne seraient pas emprisonnés à leur retour. (Cet aspect des observations écrites antérieures de la demanderesse n’a pas été abordé à l’audience devant la Cour.)

 

[26]           À la lumière de la preuve dont il disposait, l’agent a conclu [traduction] : « La protection de l’État, bien qu’elle ne soit pas parfaite, est adéquate ». À cet égard, l’agent a ajouté [traduction] : « La preuve documentaire démontre que la demanderesse dispose de recours, dans le cas où les autorités agissent à l’encontre de leur mandat ». L’agent a également fait observer que [traduction] : « La preuve objective démontre qu’il existe des degrés divers de protection disponibles en Turquie, et la demanderesse aurait accès à ces mesures de protection. Il est raisonnable de croire que si la demanderesse devait demander la protection de l’État, on lui accorderait ».

 

III.     Questions en litige

[27]           La demanderesse prétend que l’agent a erré :

 

                                                               i.      en faisant défaut de tenir une audience pour lui offrir l’occasion d’aborder un certain nombre de questions liées à la crédibilité soulevées dans le cadre de l’examen;

 

                                                             ii.      en appliquant un critère inexact en évaluant la disponibilité de la protection de l’État pour les femmes qui sont victimes de violence conjugale en Turquie;

 

                                                            iii.      en écartant des éléments de preuve importants à l’appui de sa demande relativement à l’inefficacité de la protection de l’État.

 

IV.     Norme de contrôle

[28]           La norme de contrôle judiciaire applicable aux première et troisième questions par la demanderesse est la norme de la raisonnabilité ou du caractère raisonnable. (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au par 53; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au par. 46; Beca c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 566, au par. 9; Karimi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1010, au par. 17.)

 

[29]           Dans l’affaire Khosa, au par. 59, la norme de la raisonnabilité est ainsi exposée par le juge Ian Binnie :

 

La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. [...] Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

 

[30]           La norme de contrôle applicable à la deuxième question soulevée par la demanderesse (le critère approprié pour la protection de l’État) est la norme de la décision correcte. (Khosa, précité, aux par. 43 et 44.)

 

V.      Analyse

A.  L’agent a-t-il erré en faisant défaut de tenir une audience?

 

[31]           L’alinéa 113b) prévoit qu’« une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires ». Les facteurs réglementaires pour déterminer si une audience doit être tenue sont établis à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 :

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

[32]           Étant donné la présence, en anglais, de la conjonction « and » entre les alinéas b) et c) ci‑dessus, il est clair que les facteurs énoncés aux alinéas 167a), b) et c) sont cumulatifs. (Karimi, précité, au par. 18; Bhallu c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1324, au par. 4.) Les parties conviennent que si les trois facteurs énoncés à l’article 167 ont été remplis, un agent ERAR est tenu de tenir une audience et que si l’un des facteurs énoncés aux alinéas b) ou c) n’est pas rempli, une audience ne serait pas obligatoire.

 

[33]           Malheureusement pour la demanderesse, le facteur établi à l’alinéa 167c), n’est pas, à tout le moins, rempli, car le facteur déterminant en l’espèce est l’existence d’une protection de l’État adéquate et, comme nous en discuterons ci-dessous, je suis convaincu que la conclusion de l’agent sur ce point n’était pas déraisonnable. Par conséquent, il n’était pas obligatoire pour l’agent de tenir une audience. (Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, au par. 27; conf. par 2005 CAF 160.)

 

[34]           En outre, pour les besoins de la Cour, je ne crois pas que le facteur énoncé à l’alinéa 167a) a été rempli, car l’agent n’a formulé aucune conclusion quant à la crédibilité. L’agent a simplement conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de produire une preuve suffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle serait exposée à un risque de persécution ou de mauvais traitements si elle était forcée de retourner en Turquie. (Bayavuge c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 65, au par. 43.)

 

[35]           En comparaison avec le type de situation qui a été soulevée dans l’affaire Karimi, précité au par. 19, et l’affaire Haji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 889, aux par. 11 à 16, alors que la crédibilité de la demanderesse était au cœur de la décision, l’agent dans la cause qui nous intéresse ne déclare nulle part dans la décision que des préoccupations avaient été soulevées relativement à la crédibilité de la demanderesse. De plus, contrairement à la revendication de la demanderesse selon laquelle l’agent avait essentiellement soulevé la question de la crédibilité en « prenant note » des points de fait discutés au paragraphe 19 ci‑dessus, je suis convaincu que l’agent n’a pas en substance soulevé de telles préoccupations.

 

[36]           En ce qui concerne le retour de M. Ates en Turquie et de son divorce de la demanderesse, je suis convaincu que l’agent a procédé à l’examen en présumant que ces faits étaient véridiques. La seule question « notée » quant au divorce concerne l’époque où le divorce a eu lieu. Il était tout à fait raisonnable pour l’agent de faire observer que la preuve était insuffisante sur ce point, car cela était pertinent pour le poids à accorder à la revendication de la demanderesse selon laquelle elle aurait subi des mauvais traitements de la part de M. Ates si elle avait été forcée de retourner en Turquie. 

 

[37]           Il en va de même pour les autres faits qui ont été notés par l’agent, soit, (i) le fait que c’est la demanderesse qui avait initié l’échange de courriels susmentionné (lequel, contrairement à ce prétend la demanderesse, ne contenait pas de menaces réelles); (ii) le passage de la fin de cet échange de courriels que l’agent a cité; et (iii) le fait que la demanderesse n’a pas fourni les renseignements quant au moment où son mari a commencé à la maltraiter, si ces mauvais traitements se sont produits en Turquie ou au Canada et quelles mesures, le cas échéant, elle a prises à l’égard de ces mauvais traitements. Bien que la demanderesse n’ait pas en réalité indiqué que ces mauvais traitements avaient eu lieu en Turquie, elle n’a pas fourni d’autre renseignement, des éléments qui étaient directement pertinents au poids à accorder à sa revendication qu’elle était susceptible de subir de mauvais traitements à l’avenir de la part de M. Ates si elle était forcée de retourner en Turquie.

 

[38]           En l’absence d’un type de preuve additionnelle relatif aux mauvais traitements antérieurs et d’autres éléments de preuve en ce qui a trait aux autres questions qui ont été « notées » par l’agent, il était loisible à ce dernier de « passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question [la preuve de mauvais traitements antérieurs présentée] de la crédibilité ». (Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, aux par. 26 et 34.)

 

[39]           Et en l’absence de cette preuve additionnelle, il était raisonnable pour l’agent de conclure que les déclarations vagues de la demanderesse en ce qui avait trait à l’éventualité pour elle de subir les mauvais traitements futurs de la part de son mari si elle était forcée de retourner en Turquie étaient collectivement insuffisantes pour satisfaire au fardeau de preuve de la demanderesse sur cette question. (Selliah, précité; Ferguson, précité, aux par. 32 et 33; Haji, précité, au par. 10; Kaba c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1113, aux par. 24 et 29.)

 

[40]           De plus, étant donné que l’agent a déterminé que la disponibilité de la protection de l’État était la question déterminante, il lui était également loisible de refuser d’élaborer davantage sur cette question.

 

[41]           En dernier ressort, la demanderesse a fait défaut de s’acquitter de son fardeau de preuve sur cette question car elle s’est fondée sur des déclarations vagues et non corroborées relativement aux mauvais traitements antérieurs qu’elle aurait subis de la part de son ex‑mari et de la possibilité d’en subir encore à l’avenir. Ce faisant, elle se met dans une position où il lui sera plus difficile de satisfaire à ce fardeau. Il n’est pas prudent de procéder de cette façon lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, il incombe à la demanderesse de fournir le type de preuve additionnelle ou une corroboration auquel on serait raisonnablement en droit de s’attendre à l’appui d’une demande. (Haji, précité, au par. 10.) 

 

B. L’agent a-t-il appliqué un critère inexact en évaluant la disponibilité de la protection de l’État?

[42]           La demanderesse soutient que l’agent a appliqué le mauvais critère en mettant l’accent sur la nature des efforts déployés par le gouvernement de la Turquie pour renforcer la protection de l’État disponible aux victimes de violence conjugale et de violation des droits de la personne, au lieu d’appliquer la norme de la protection concrète de l’État. Je ne suis pas d’accord.

 

[43]           Je suis convaincu que l’agent a correctement mis l’accent sur la question de savoir si une protection adéquate de l’État devrait être offerte à la demanderesse. L’agent a ensuite conclu explicitement que [traduction] : « La protection de l’État, bien qu’elle ne soit pas parfaite, est adéquate ». À cet égard, l’agent a ajouté : [traduction] « La preuve documentaire démontre que la demanderesse dispose de recours, dans le cas où les autorités agissent à l’encontre de leur mandat ». L’agent a également noté que [traduction] : « La preuve objective démontre qu’il existe des degrés divers de protection disponibles en Turquie, et la demanderesse aurait accès à ces mesures de protection. Il est raisonnable de croire que si la demanderesse devait demander la protection de l’État, on lui accorderait ». Selon ces déclarations, je suis convaincu que l’agent n’a pas simplement exposé le critère exact, mais il l’a en réalité appliqué. Il ne s’est pas simplement appuyé sur la question de savoir si le gouvernement de la Turquie faisait des efforts sérieux pour fournir une protection de l’État aux victimes de violence conjugale et de violation des droits de la personne.

 

[44]             La demanderesse prétend que dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour Suprême a établi que le critère est de savoir si la protection de l’État est efficace. Dans cette cause, la Cour a fait observer que dès qu’une crainte de persécution objective et subjective a été établie, on peut présumer qu’il y aura persécution, et que la crainte sera bien fondée, s’il est déterminé que l’État en question sera incapable « d’apaiser cette crainte au moyen d’une protection efficace ». Sur les faits dans cette affaire, la Cour a conclu que dès qu’il est convenu que la crainte de persécution du demandeur est légitime et que les représentants de l’État ont admis leur « inefficacité », il est approprié de présumer du bien-fondé de la crainte. (Ward, au par. 46.)

 

[45]           La demanderesse s’appuie également sur l’affaire Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171. Dans cette cause, la Cour a fait référence au critère de la protection de l’État de différentes façons, notamment, en posant la question de savoir s’il est prouvé de façon claire et convaincante que la protection de l’État est « insuffisante » (par. 46), « inefficace » (par. 54) ou « inadéquate » (par. 58).

 

[46]           Pour ce qui est des autres autorités citées par la demanderesse, certaines d’entre elles ont caractérisé le critère en fonction de la capacité de l’État à fournir une protection « efficace » (voir, par exemple, Skelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1244, au par. 44; et Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 809, au par. 34), alors que certaines ont caractérisé le critère en fonction de la capacité de l’État à fournir une protection « adéquate » (voir, par exemple, Balogh, précité, au par. 37; Cuffy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 121 F.T.R. 81; Tobar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 174 F.T.R. 80, au par. 30; Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 F.C. 339, aux par. 33 à 35).

 

[47]           En effet, dans ses observations écrites, la demanderesse elle-même semble utiliser les termes « protection de l’État efficace » et « protection de l’État adéquate » de manière interchangeable. Il n’est pas évident, lorsqu’on se penche davantage sur les causes susmentionnées, que les tribunaux ont établi, ou ont eu l’intention d’établir, une distinction, entre ce qui constitue une « protection de l’État efficace » et une « protection de l’État adéquate ». Ces termes semblent avoir été utilisés pour définir essentiellement le même critère.

 

[48]           Le défendeur soutient que le droit est bien établi quant au critère approprié à utiliser relativement à la protection de l’État, et ce critère est de savoir si la protection de l’État est « adéquate ». À l’appui de sa position, le défendeur se fonde sur les affaires Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Carrillo, 2008 CAF 94 et Flores c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 723. 

 

[49]           Dans l’arrêt Carrillo, au par. 30, la Cour a conclu que « le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante ». La Cour n’a pas établi de distinction entre la protection de l’État « adéquate » et la protection de l’État « efficace », bien qu’elle ait rejeté l’opinion selon laquelle la demanderesse pouvait s’acquitter de son fardeau en ne produisant qu’une « preuve digne de foi de l’inaptitude de l’État à la protéger ». (Carrillo, au par. 12.)

 

[50]           Dans l’affaire Flores, au par. 8, mon collègue le juge Richard Mosley a fait observer que l’arrêt Carrillo « a confirmé que le critère applicable n’est pas en soi celui de l’efficacité mais plutôt celui du caractère adéquat ». Citant l’affaire Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), il a davantage exposé cette distinction en déclarant : « il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation ». Il ajoute, au par. 11 : « L’imposition d’un critère d’efficacité à l’égard des autorités des autres pays reviendrait à demander à ceux-ci d’accomplir ce que notre propre pays n’est pas toujours en mesure de faire ».

 

[51]           Cette position a été reprise très peu de temps après dans l’affaire Samuel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 762, au par. 13, où mon collègue, le juge Maurice Lagacé a déclaré :

Quant à la question de savoir si le critère approprié pour évaluer la protection de l’État est celui du caractère adéquat ou du caractère efficace, la Cour estime que le premier critère est le bon. Exiger la pleine efficacité des systèmes policier et judiciaire de pays étrangers serait imposer à d’autres États une norme que nous ne pouvons pas toujours nous-mêmes respecter au Canada. Lorsqu’il y a des éléments de preuve solides démontrant que les systèmes policier et judiciaire d’États démocratiques sont inefficaces au point d’être inadéquats, cela peut permettre de conclure que la protection de l’État n’existe pas. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

[52]           En fonction de l’analyse qui précède des causes citées par les parties, je suis d’accord avec le défendeur que le droit établit maintenant clairement que le critère approprié pour évaluer la protection de l’État est de savoir si le pays est capable et désireux de fournir une protection adéquate. En bref, une personne qui demande à être protégée en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR doit établir, par une preuve claire et convaincante, selon la prépondérance des probabilités, l’incapacité ou l’absence de volonté de l’État de fournir une protection adéquate. Ce fardeau de la preuve demeure le même, peu importe le pays qui fait l’objet de l’évaluation, même si le fardeau de présentation requis pour réfuter la présomption de la protection de l’État adéquate augmentera avec le niveau de démocratie de l’État en question. (Carrillo, précité, aux par. 25 et 26.)

 

[53]           En pratique, alors qu’il n’existe aucune exigence légale de produire une preuve corroborante (Kahn c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 FCT 400, au par. 17), il sera plus difficile de réfuter la présomption de protection de l’État adéquate avec des déclarations vagues et non corroborées, plus particulièrement lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, il incombe à la demanderesse de fournir le type de preuve additionnelle ou une corroboration auquel l’on serait raisonnablement en droit de s’attendre à l’appui d’une demande. (Haji, précité, au par. 10.)

 

[54]           Étant donné que l’agent ERAR aura le droit de donner plus de poids à la preuve documentaire, même si la demanderesse est crédible et digne de confiance (Kahn, précité, au par. 18), un demandeur serait bien avisé de produire une preuve convaincante et récente de sources objectives et respectées, comme les rapports sur les pays du Department of State des États‑Unis et du Home Office du Royaume‑Uni. Ces types de rapports seront davantage crédibles et convaincants que des découpures de journaux ou des articles écrits par des organismes de défense des droits.

 

[55]           Pour faire la preuve d’une protection de l’État inadéquate, « il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation ». (Villafranca, précité, au par. 32). Il faut plutôt établir que l’État est si faible ou corrompu qu’il y a des lacunes importantes dans sa capacité ou sa volonté de fournir une protection de l’État adéquate soit au public en général, soit aux personnes dans une situation semblable à celle du demandeur, en fonction notamment de la race, de la religion, de la nationalité, des opinions politiques, du groupe social, de l’âge ou de l’origine ethnique. Par exemple, si une femme de 70 ans revendique un risque de persécution ou de dommage corporel, il ne lui serait pas particulièrement utile de produire une preuve de protection de l’État inadéquate des hommes ou de jeunes activistes. De plus, il ne lui serait pas suffisant de ne produire qu’une preuve selon laquelle la protection de l’État qui a été accordée aux personnes dans la même situation que la sienne a été quelque peu inefficace. En l’espèce, le défaut de la demanderesse de fournir des renseignements suffisants en ce qui a trait à la capacité de l’État de fournir une protection adéquate au public en général ou aux personnes dans une situation semblable à la sienne lui a été fatal.

 

[56]           Pour établir que la protection de l’État est inadéquate, il doit être démontré que cette protection était de façon appréciable moins adéquate que la protection offerte dans les démocraties bien établies. Par conséquent, il ne suffira pas de produire une preuve du type de lacunes ou d’insuffisances dans la prestation de la protection de l’État qui subsiste au Canada ou dans d’autres pays développés.

 

[57]           En outre, compte tenu de la nature prospective de l’évaluation, il ne serait pas généralement suffisant d’invoquer une preuve de lacunes antérieures dans la capacité ou la volonté du pays en question de fournir une protection de l’État adéquate. En règle générale, il sera plutôt nécessaire d’aller plus loin et de fournir une preuve récente convaincante à partir de sources objectives et fiables, en démontrant que le pays en question continue d’être incapable ou non désireux de fournir une protection de l’État adéquate. Comme nous en discuterons ci‑dessous, la demanderesse a fait défaut de manière significative de s’acquitter de son fardeau de preuve à cet égard.

 

[58]           En conclusion, l’agent dans l’affaire qui nous intéresse a appliqué le critère exact que constitue le caractère adéquat de la protection de l’État.

 

 

C. L’agent a-t-il erré en écartant des éléments de preuve importants relatifs à la protection de l’État?

[59]           La demanderesse soutient que l’agent a écarté des éléments de preuve importants qui appuyaient sa revendication.

 

[60]           À cet égard, elle prétend que l’agent a fait défaut de mentionner en particulier une déclaration d’une publication du Department of State des États‑Unis intitulé 2008 Human Rights Report : Turkey qui indique [traduction] : « La loi interdit la violence faite aux femmes, y compris la violence conjugale, mais le gouvernement ne l’a pas appliquée de façon efficace ». Je suis convaincu que l’agent a saisi l’essence de cette déclaration, car, après avoir fait observer que [traduction] « la violence faite aux femmes, y compris la violence conjugale, est un problème grave et étendu », il a déclaré : « La preuve illustre que, bien que le gouvernement n’ait pas appliqué de façon efficace la loi, le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre ont diffusé des circulaires durant l’année ordonnant aux différents ministères de mieux appliquer les lois ». L’agent a ensuite fait observer que les organismes internes de défense des droits de la personne ont signalé que ces mesures avaient été « partiellement efficaces ».

 

[61]           La demanderesse soutient également que l’agent a fait abstraction de la preuve selon laquelle différents aspects des mécanismes juridiques qui ont été établis étaient inefficaces et que d’autres initiatives, comme l’établissement d’abris, n’ont pas été mises en œuvre. Cependant, je suis d’avis que l’agent n’a pas laissé de côté cette preuve. En effet, la décision de l’agent fait ressortir en particulier un passage du rapport susmentionné 2008 Human Rights Report : Turkey qui publiait un rapport sur l’ouverture d’un certain nombre d’abris par le gouvernement et par les organismes non gouvernementaux. En outre, en faisant remarquer que les mesures qui avaient été adoptées avaient été « partiellement efficaces », l’agent a reconnu implicitement qu’il y avait des lacunes dans les mécanismes juridiques qui avaient été établis pour fournir une protection de l’État, et en avait tenu compte. À mon avis, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de s’abstenir de développer davantage sa pensée dans la décision.

 

[62]           L’avocat de la demanderesse a également soutenu de façon générale dans sa plaidoirie que l’agent a écarté des éléments de preuve importants, dont certains ont été énumérés dans les mêmes documents que ceux qui ont été mentionnés dans la décision, lesquels ne corroboraient pas les conclusions auxquelles arrivait la décision. Cependant, l’agent n’était pas tenu de [traduction] : « détailler chaque élément de preuve fourni et chaque argument soulevé », tant et aussi longtemps que la décision rendue se situe dans les limites de la raisonnabilité. (Rachewiski c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 244, au par. 17.) Ayant examiné le dossier du tribunal certifié, je suis d’avis que la décision rendue par l’agent appartenait bel et bien « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». (Dunsmuir, précité, au par. 47.)

 

VI.     Conclusion à l’égard de la décision ERAR

[63]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

VII.   La décision CH 

[64]            L’agent a refusé d’accueillir la demande de résidence permanente de la demanderesse alors qu’elle se trouvait au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire sous prétexte qu’elle n’avait pas établi qu’elle serait susceptible de subir des difficultés inhabituelles, non méritées ou disproportionnées, si elle était forcée de faire une demande de résidence permanente auprès de la Turquie.

 

[65]           D’entrée de jeu dans la décision CH, l’agent a déclaré que tous les éléments de preuve que la demanderesse avait fournis à l’appui de sa demande CH et de sa demande ERAR ont été considérés. Cependant, l’agent ajoute [traduction] : Il est important de noter que le risque est considéré dans le contexte du degré de difficultés de la demanderesse, et non en fonction des articles 96 et 97 de la LIPR ».

 

[66]           La décision CH a ensuite abordé la question des risques soulevés par la demanderesse et a discuté de la protection de l’État qui serait disponible en Turquie à l’égard de ces risques. Cette partie de la décision, intitulée « Risque de retourner en Turquie », est grandement similaire à la partie correspondante de la décision ERAR. En effet, certains paragraphes sont identiques. Cependant, d’autres renseignements ont été supprimés et le libellé d’autres paragraphes (plus particulièrement au début et à la fin de cette partie) a été adapté pour mettre l’accent sur les difficultés plutôt que sur la persécution et les risques énoncés à l’article 97 de la LIPR.

 

[67]           Sous la rubrique « Établissement », la décision consacre ensuite plusieurs paragraphes à une discussion du niveau d’établissement et d’intégration au Canada. À la fin de cette partie de la décision, l’agent a discuté des lettres d’appui que des amis et des membres de la communauté avaient présentées.

 

[68]           La partie suivante de la décision aborde, sous la rubrique « Retour au pays de nationalité », différentes questions supplémentaires liées à l’évaluation par l’agent de la demande CH, y compris la faisabilité du retour de la demanderesse en Turquie, le fait qu’elle a un fils de 23 ans à cet endroit, ses intérêts véritables, et le réseau de soutien familial dont elle dispose en Turquie, y compris son père et ses deux frères. Cette partie de la décision concluait avec la déclaration suivante [traduction] : Je ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants pour conclure que la demanderesse serait incapable de s’établir de nouveau en Turquie, ou que ce rétablissement entraînerait des difficultés inhabituelles, non méritées ou disproportionnées ».

 

[69]           Enfin, la partie finale de la décision expose, pendant trois paragraphes passablement détaillés, l’objectif du processus CH, le critère approprié devant être appliqué dans l’examen des demandes CH (notamment, si un demandeur est susceptible de subir des difficultés inhabituelles, non méritées ou disproportionnées), et pourquoi l’agent a conclu que la demanderesse n’a pas rempli ce critère.

 

VIII.  Questions en litige 

[70]            La demanderesse soutient que l’agent a appliqué le mauvais critère en évaluant la demande CH, malgré l’exactitude du critère qui a été exposé tout au long de la décision. En particulier, elle soutient que l’agent a (i) simplement invoqué l’essentiel de l’analyse de la décision ERAR et a remplacé le mot « risque » par le mot « difficultés » dans la décision CH; ou (ii) a adopté, dans le cadre de l’examen CH, essentiellement la même analyse que celle qui a été utilisée durant le contrôle judiciaire de la demande ERAR.

 

[71]           En outre, la demanderesse allègue que l’agent a également erré en faisant défaut de tenir une audience pour aborder un certain nombre de questions liées à la crédibilité qui, à son avis, avaient été soulevées dans le cadre de l’examen.

 

[72]           La demanderesse prétend de plus que l’agent a erré en écartant des éléments de preuve selon lesquels elle subirait des difficultés en tant que femme si elle était forcée de retourner en Turquie, plus particulièrement en raison de ses problèmes physiques.

 

IX.     Analyse 

          A. L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère en évaluant la demande CH?

[73]           Je ne puis être d’accord avec la position de la demanderesse selon laquelle l’agent a implicitement appliqué le mauvais critère en évaluant la demande CH.

 

[74]           La décision CH a été rendue le jour précédant la décision ERAR. Il n’est donc pas possible que l’agent ait simplement remplacé le mot « difficultés » par le mot « risque » dans le texte qui figure dans la décision ERAR.

 

[75]           Lorsqu’il a été confronté à ce fait durant l’audience, l’avocat de la demanderesse a répondu que bien que la décision ait été datée du jour précédant la décision ERAR, il était évident qu’elle avait été rédigée après la décision ERAR.

 

[76]              Je ne suis pas d’accord. Premièrement, l’agent a déclaré, presque au début de la décision ERAR [traduction] : « Je suis l’agent qui a rendu la décision CH ». Cela vient davantage soutenir le fait que la décision CH a été rédigée en premier. Deuxièmement, l’agent a pris soin, tout au long de la décision CH, de mettre l’accent sur le critère exact, lequel a été répété maintes fois dans le cadre de celle-ci. Troisièmement, mis à part les renseignements de la partie intitulée « Risque de retourner en Turquie », qui fait l’objet d’une discussion dans la partie VII ci-dessus, la décision CH soulève des questions qui n’ont pas été abordées dans la décision ERAR.

 

[77]           Bien que la demanderesse prétende que la discussion de l’agent sur la protection de l’État vient appuyer son opinion voulant que l’agent ait simplement adopté l’analyse qui figure dans l’examen ERAR en évaluant la demande CH, je suis d’avis que cette section de la décision faisait partie de l’examen fait par l’agent des difficultés, le cas échéant, auxquelles la demanderesse était susceptible de faire face si elle était forcée de retourner en Turquie. Après avoir examiné la preuve sur la protection de l’État, l’agent conclut [traduction] : « Bien qu’elle ne soit pas parfaite, je conclus que la protection de l’État est adéquate, et que la demanderesse n’aurait aucune difficulté à accéder à cette protection si elle choisissait de la demander ». L’agent en vient immédiatement à une conclusion plus générale en ce qui a trait aux présumées difficultés auxquelles la demanderesse ferait face en Turquie.

 

[78]           Par conséquent, je ne suis pas en mesure de conclure que l’agent a appliqué le mauvais critère en évaluant la demande CH.

 

B. L’agent a-t-il erré en faisant défaut de tenir une audience?

[79]           Cette présumée erreur se fonde sur les mêmes faits et arguments qui ont été abordés dans la partie V.A de la présente décision et par conséquent, il ne m’est pas nécessaire de les aborder de nouveau ici.

 

C. L’agent a-t-il erré en écartant des éléments de preuve importants?

[80]           La prétention finale de la demanderesse est que l’agent a erré en écartant la preuve selon laquelle elle subirait des difficultés en tant que femme si elle devait retourner en Turquie, en particulier en raison de ses problèmes physiques.

 

[81]           Je suis d’avis que l’agent a accordé une attention raisonnable à l’ensemble de la preuve produite par la demanderesse qui a fait l’objet de recherches indépendantes par ce dernier. Ce faisant, l’agent a spécifiquement reconnu les différentes lacunes dans la mise en œuvre de lois renforcées et autres initiatives conçues pour améliorer la protection des droits de la personne (y compris la discrimination fondée sur le sexe) et pour contrer plus efficacement la violence faite aux femmes. Cependant, après avoir évalué les progrès qui ont été réalisés à cet égard, l’agent a conclu que la demanderesse était incapable d’établir que ses présumées difficultés sont telles qu’elles constitueraient des difficultés inhabituelles, non méritées ou disproportionnées.

 

[82]           L’agent a également abordé, de façon implicite, la question médicale soulevée par la demanderesse en concluant qu’il n’y avait aucun obstacle médical au retour de la demanderesse. Cette déclaration a été faite dans le contexte de l’examen par l’agent de la nature des difficultés auxquelles la demanderesse ferait face si elle était forcée de retourner en Turquie.

 

[83]           En conclusion, je suis d’avis que l’agent n’a pas erré en écartant d’importants éléments de preuve dans le cadre de son examen de la demande CH déposée par la demanderesse.

 

X.      Conclusion à l’égard de la décision CH

[84]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE les demandes de contrôle judiciaire de la demanderesse dans les affaires IMM-4648-09 et IMM-4649-09 soient rejetées.

 

                                                                                                  « Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-4648-09 et IMM-4649-09

 

INTITULÉ :                                       KIRAZ COSGUN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)        

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Geraldine MacDonald

POUR LA DEMANDERESSE

 

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Geraldine MacDonald

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.