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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100413

Dossier : IMM-3969-09

Référence : 2010 CF 395

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2010

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

VERNON VAROON VIJAYASINGHAM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

intimé

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), vise une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté, en date du 13 juillet 2009, l’appel du demandeur interjeté contre une mesure de renvoi prise à son endroit, sur le fondement de la validité de la mesure et de l’insuffisance des motifs d’ordre humanitaire pour annuler son exécution ou y surseoir. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que la demande doit être accueillie et que l’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

Contexte

 

[2]               Vernon Varoon Vijayasingham, le demandeur, est un citoyen du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada et est devenu résident permanent en 1993; il était alors âgé de 10 ans. Son père, sa mère, ses deux frères et sa sœur vivent tous au Canada. Trois semaines avant l’audience devant la SAI, il a commencé à cohabiter avec sa copine et leur fille alors âgée d’un an et demi.

 

[3]               Le seul membre de sa famille qui vit au Sri Lanka est une tante avec laquelle il n’est plus en contact et dont il ignore le lieu d’habitation.

 

[4]               Le demandeur a terminé sa onzième année. Après avoir quitté l’école, il a occupé divers emplois. Sa plus longue période d’emploi a été de 18 mois. Il a également reçu des prestations d’aide sociale par intermittence.

 

[5]               À partir de 2001, le demandeur a accumulé les déclarations de culpabilité : deux pour avoir proféré des menaces, deux pour vol, deux pour défaut de se conformer à un engagement, une pour vol qualifié et une pour introduction par effraction dans un dessein criminel. La déclaration de culpabilité pour vol qualifié en 2004 a donné lieu à la production d’un rapport le concernant et, en bout de ligne, à la présente instance. Sa dernière condamnation remonte à décembre 2008.

 

Décision contestée

 

[6]               Au début de l’audience devant la SAI, le demandeur a sollicité un ajournement pour lui permettre de retenir les services d’un avocat, mais le tribunal a refusé. La SAI a souligné que, même s’il s’agissait d’une première demande en ce sens, le demandeur avait antérieurement assisté à l’audience de mise au rôle en février 2009 et avait été informé de son droit de se faire représenter par un avocat. Le demandeur a alors déclaré qu’il économisait en vue de retenir les services d’un avocat, mais il n’a pas présenté de preuve de ses économies ni de lettre d’un avocat indiquant qu’ils avaient discuté d’une avance sur honoraires. Par conséquent, la SAI n’était pas convaincue que le demandeur se trouverait, en fait, dans une situation différente à la prochaine audience.

 

[7]               La SAI a de plus fait remarquer que, malgré le fait qu’il ait disposé d’une période amplement suffisante pour le faire, le demandeur n’avait pas pris des dispositions pour que les membres de sa famille assistent aux audiences ou lui fournissent des lettres d’appui. Encore une fois, la SAI n’était pas convaincue que l’ajournement serait utile au demandeur.

 

[8]               De plus, la SAI a noté que le demandeur savait depuis quelque temps qu’il ne serait pas représenté à la date prévue pour l’audience, or il ne l’a pas avisée de ce problème. Le demandeur n’a pas non plus fait part de ses préoccupations lorsqu’il a assisté à l’audience de mise au rôle. Selon la SAI, la demande d’ajournement présentée à la dernière minute n’était en fait qu’une tactique pour retarder la procédure.

 

[9]               Finalement, la SAI était d’avis que le demandeur comprenait la nature de la procédure. Elle a estimé que, même si les conséquences étaient graves, la demande n’était « pas complexe » et que le demandeur était en mesure d’aborder les questions soulevées.

 

[10]           En ce qui a trait au fond de l’appel, la SAI a souligné que le demandeur ne contestait pas la validité de la mesure de renvoi. Par conséquent, la seule question à trancher était de savoir si l’appel devait néanmoins être accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire, en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. Le critère pour répondre à cette question est celui qui a été élaboré dans Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL), et approuvé par la Cour suprême dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84. La SAI a également fait état de l’alinéa 3(1)h) de la LIPR, qui prévoit que cette loi a notamment pour objet « de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité ».

 

[11]           La SAI a noté que le demandeur refusait de reconnaître qu’il était entièrement responsable de sa conduite et diminuait la gravité de sa culpabilité, qu’il avait de la difficulté à gérer sa colère et qu’il avait été violent verbalement envers sa copine. Elle a également noté que sa dernière condamnation a été prononcée après la production d’un rapport contre lui par les autorités de l’immigration et qu’il devait être au courant des conséquences graves qu’entraînerait un autre défaut de respecter la loi. La SAI a conclu que le demandeur « n’a pas de remords à avoir enfreint la loi lorsqu’il croit qu’il est justifié de le faire » et qu’il n’était pas une personne qui tentait de se réadapter.

 

[12]           La SAI a conclu que le renvoi du demandeur au Sri Lanka lui causerait inévitablement des difficultés, compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis qu’il a quitté ce pays. Mais ce facteur, même s’il jouait en sa faveur, n’était pas suffisant pour l’emporter sur sa criminalité et son défaut de se réadapter. En outre, le tribunal a estimé que, « [m]anifestement, [le demandeur] n’est pas bien établi au Canada ».

 

[13]           La SAI a également noté que la famille du demandeur vit au Canada. Même si aucun des membres de sa famille n’a comparu ni présenté une lettre pour l’appuyer, la SAI a reconnu que son renvoi leur causerait certaines difficultés. Elle a cependant tenu compte du fait qu’ils pourraient lui rendre visite au Sri Lanka.

 

[14]           L’intérêt supérieur de sa fille de vivre avec ses deux parents était le facteur le plus important à jouer en sa faveur. Toutefois, la SAI a conclu que les difficultés que son renvoi causerait à sa copine et à sa fille pourraient être atténuées par la présence de sa mère et de son beau‑père. Il n’y avait pas de raison justifiant que sa copine ne serait pas en mesure de travailler pour assurer sa subsistance et celle de leur fille. De plus, compte tenu de ses antécédents criminels, le tribunal était d’avis qu’il n’était « pas un bon modèle de comportement et qu’il serait peut‑être dans l’intérêt supérieur de sa fille de ne pas vivre avec lui ». Dans l’ensemble, l’intérêt supérieur de sa fille jouait modérément en sa faveur.

 

[15]           Finalement, sur la question des difficultés auxquelles le demandeur devrait faire face au Sri Lanka, la SAI a tenu compte du fait qu’il n’avait pas fait état à l’enquête de ses préoccupations concernant la sécurité dans ce pays ni présenté de demande d’asile. En outre, il n’y avait pas de « témoignage crédible à cet égard », le demandeur ayant simplement déclaré qu’il avait peur de retourner au Sri Lanka parce qu’il avait entendu dire que le gouvernement sri-lankais persécutait les Tamouls. La SAI a conclu que, même si le demandeur serait exposé à certaines difficultés au Sri Lanka, celles‑ci ne pouvaient avoir plus de poids que le défaut de réadaptation et d’établissement au Canada.

 

Questions à trancher

 

[16]           Le demandeur soulève de nombreuses questions, y compris une allégation de violation du droit de se faire représenter par un avocat, mais la question de savoir si la SAI a fait erreur dans son appréciation des difficultés auxquelles il devrait faire face au Sri Lanka est, à mon avis, déterminante dans l’issue de la présente demande.

 

Analyse

 

[17]           La décision de fond de la SAI à l’égard d’un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339). Suivant cette norme, une décision qui est justifiée, transparente et intelligible et qui fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » ne devrait pas être infirmée (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190). 

 

[18]           Le demandeur soutient que la SAI a fait erreur dans l’appréciation des difficultés qu’il éprouverait au Sri Lanka en concluant que ces difficultés étaient atténuées par le manque de soutien, de réadaptation et d’établissement au Canada. Il avance que cette conclusion est illogique et injustifiée. Il ajoute que l’analyse des difficultés auxquelles il serait exposé au Sri Lanka est insuffisante et que le défaut de tenir compte des difficultés à l’étranger est une erreur de droit donnant lieu à révision.

 

[19]           De l’avis de l’intimé, la SAI a convenablement analysé les difficultés auxquelles le demandeur serait exposé au Sri Lanka en tenant en compte des facteurs pertinents. Le demandeur est insatisfait du poids accordé à ce facteur, mais cela ne constitue pas un motif justifiant l’intervention de la Cour. De plus, il n’est pas nécessaire que les motifs de la SAI soient parfaits, mais seulement suffisants, ce qui est le cas en l’espèce. Son raisonnement est transparent lorsqu’il est considéré dans son ensemble et dans le contexte.

 

[20]           Dans Ivanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 315, [2008] 2 R.C.F. 502, au paragraphe 11, la Cour d’appel fédérale a statué que le « fait de ne pas avoir pris en compte le facteur énoncé dans Ribic relatif aux difficultés à l’étranger constitue une erreur de droit ». Même si, dans la présente affaire, la SAI n’a pas entièrement omis de tenir compte de ce facteur, je suis d’avis que son analyse sur ce point était sommaire et ternie par la prise en considération de facteurs non pertinents au point de justifier l’intervention de la Cour.

 

[21]           Je conviens avec le demandeur que l’analyse de la SAI sur les difficultés auxquelles il se heurterait au Sri Lanka était confuse en raison des propos concernant l’absence de réadaptation au Canada. Même si la réadaptation et l’établissement au Canada font partie des facteurs dont la SAI doit tenir compte, ils n’ont rien à voir avec l’ampleur des difficultés auxquelles une personne se heurtera dans le pays où elle est renvoyée. Une personne qui n’est pas établie au Canada peut néanmoins n’avoir aucun lien avec le pays où elle est renvoyée et se heurter à beaucoup de difficultés dans ce pays. Inversement, une personne peut être bien établie au Canada et néanmoins être en mesure de retourner dans un autre pays sans se heurter à des difficultés excessives.

 

[22]           Le fait que le demandeur n’a pas abordé à l’enquête la question de la probabilité qu’il se heurte à des difficiles excessives au Sri Lanka n’était également pas pertinent. Le demandeur a affirmé qu’il avait peur de retourner dans son pays de nationalité. La preuve en l’espèce s’apparente à celle qui a été jugée suffisante, dans Ivanov, précité, pour faire naître, à l’égard de la SAI, l’obligation de se pencher sur la question. La SAI n’explique pas pourquoi elle n’a pas jugé crédible le témoignage du demandeur à cet égard.

 

[23]           Par conséquent, même si la SAI n’a pas commis d’erreur de droit en ne tenant pas compte du facteur des difficultés à l’étranger dans sa décision, son raisonnement n’est pas transparent et justifié. Sa décision doit par conséquent être annulée.

 

[24]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3969-09

 

INTITULÉ :                                                   VERNON VAROON VIJAYASINGHAM c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 31 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 13 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeremiah Eastman

 

POUR LE DEMANDEUR

Hillary Stephenson

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeremiah Eastman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉ

 

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