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Cour fédérale

 

Federal Court


Date: 20100413

Dossier : IMM-3861-09

Référence : 2010 CF 398

Toronto (Ontario), le 13 avril 2010

En présence de Monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

RAVINDER KUMAR SHARMA

KIRAN JAY SHARMA

RRIT SHARMA

SHRUT SHARMA

demandeurs

et

 

LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur principal est un adulte de sexe masculin, citoyen de l’Inde; son épouse et ses enfants sont les autres demandeurs. Ils résident tous au Koweït.  

 

[2]               Les demandeurs ont présenté une demande de visa de résident permanent pour entrer et résider au Canada. Par lettre datée du 27 mai 2009, que le Haut Commissariat du Canada à Londres (Angleterre) a adressée au demandeur principal, leur demande a été refusée au motif que l’état de santé – une déficience mentale – de l’un des membres de la famille, le fils nommé Shrut, risquait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. C'est cette décision qui fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejette la demande. Aucune question ne sera certifiée.

 

[4]               Le demandeur principal a présenté une demande de visa pour que lui et sa famille puissent entrer au Canada en tant que résident permanent en janvier 2004. Il a présenté sa demande en tant qu’entrepreneur. Le dossier montre que le demandeur principal exploitait une entreprise de construction au Koweït en tant que copropriétaire et qu’il possédait des actifs valant près de trois millions de dollars. Étant donné que le demandeur n’était pas un ressortissant du Koweït, il devait défrayer les frais de scolarité de ses enfants, qui y poursuivaient leurs études.

 

[5]               La présente demande a été examinée une première fois et, dans une lettre dite « lettre relative à l’équité » datée du 24 mai 2007, un agent du Haut commissariat a informé le demandeur principal qu’une évaluation développementale de son fils Shrut avait révélé qu’il souffrait d’une légère déficience mentale, risquant de faire en sorte qu’il ait besoin de recourir à divers services, notamment des services d’éducation spécialisée, d’orthophonie et autres. L’agent a en conséquence indiqué que Shrut risquait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada. Le demandeur principal a été invité à présenter des observations, et avisé qu’il aurait à supporter les honoraires des médecins et des autres professionnels dont il pourrait retenir les services.

 

[6]               Le demandeur principal a répondu au moyen d’une lettre de cinq pages datée du 6 juillet 2007. Dans cette lettre, le demandeur principal faisait référence, sans les produire, à des examens médicaux indiquant que son fils ne souffrait d’aucune déficience physique. Le demandeur principal y affirmait que son fils était en mesure de prendre soin de lui‑même et il offrait de défrayer ses dépenses de soins de santé et d’éducation. Le demandeur principal affirmait en outre qu’il avait les moyens de subvenir aux besoins de son fils et qu’il avait l’intention de le faire travailler au sein de l’entreprise familiale, le moment venu.

 

[7]               Le Haut Commissariat a répondu par lettre datée du 21 janvier 2009, indiquait de nouveau qu’il était d’avis que l’enfant avait des besoins spéciaux et qu’il risquait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé canadiens, le coût des services requis étant estimé à au moins soixante mille (60 000) dollars. Le demandeur principal a été invité a présenté ses observations :

 

[traduction] Avant que je prenne une décision définitive, vous avez la possibilité de présenter des renseignements supplémentaires sur un ou plusieurs des points suivants :

 

·        l’état médical indiqué;

·        les services sociaux requis au Canada pour la période précisée ci-dessus; et

·        votre plan personnalisé visant à garantir qu’aucun fardeau excessif ne sera imposé sur les services sociaux canadiens pendant toute la période précisée ci-dessus, ainsi que votre Déclaration de capacité et d’intention dûment signée.

 

Vous devez fournir tout renseignement supplémentaire dans les 60 jours suivant la date de la présente lettre. Si vous décidez de ne pas répondre, je prendrai ma décision en fonction des renseignements dont je dispose déjà, ce qui pourrait entraîner le refus de votre demande.

                       

Afin de prouver que vous-même ou le membre de votre famille n’imposerez pas un fardeau excessif sur les services sociaux si vous êtes autorisé à immigrer au Canada, vous devez établir la preuve, à la satisfaction de l’agent d’évaluation, que vous disposez d’un plan raisonnable et viable, ainsi que des moyens financiers et l’intention de mettre ce dernier en œuvre, afin de compenser le fardeau excessif qu’autrement vous imposeriez sur les services sociaux après avoir immigré au Canada. Les articles du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés qui définissent les « services sociaux  » et le « fardeau excessif » sont fournis à titre de référence.

 

[8]               Le demandeur principal a répondu par lettre datée du 24 février 2009. Dans cette lettre il réaffirmait que son fils n’avait pas de problème de santé et qu’il avait atteint un stade de développement suffisant. Aucun autre rapport professionnel, médical ou autre, n’a été fourni. Pour ce qui est de présenter un plan, bien que je comprenne l’argument de son avocat selon lequel la lettre en tant que telle constitue un plan, les seuls passages pertinents de ce document sont les suivants :

[traduction]

Plan individualisé :

 

Je gère ma propre entreprise de génie en tant que directeur général depuis plus de vingt-huit ans. Suivant les lois internes, je suis propriétaire de 49 % de l’entreprise. Nous devons travailler pour dégager des profits après paiement de tous les frais : matériel, main‑d’œuvre, employés et bureau. Nous devons de la même façon faire la preuve de notre compétence au Canada à l’intérieur du délai applicable, et nous sommes confiants d’y parvenir. Shrut suit un programme visant à lui permettre d’acquérir une formation particulière outre l’apprentissage de la langue, des mathématiques et des applications informatiques. Il a déjà acquis des connaissances relatives au travail de bureau, soit le traitement de fichiers de données, la numérisation par balayage et l’utilisation d’un photocopieur. Il apprend actuellement comment utiliser des systèmes de points de vente et à accomplir des tâches liées à la manutention de l’argent. Ces activités ne font pas appel à de grandes aptitudes langagières. Il sera en mesure de s’acquitter efficacement de ces tâches d’ici quelques mois. Il ne fait donc aucun doute qu’il fera partie intégrante de notre organisation dans un proche avenir. Il contribuera au succès de l’entreprise et il ne risque pas d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Je joins également une déclaration de capacité et d’intention, que j’ai dûment signée, pour vos dossiers.

 

 

[9]               Le demandeur principal a de nouveau déclaré être prêt à supporter les coûts des services dont pouvaient avoir besoin son fils et en avoir les moyens, et il a signé le formulaire de déclaration de capacité et d’intention du Haut Commissariat, dans lequel figurait l’énoncé suivant :

[traduction] Je déclare par la présente que je prendrai la responsabilité d’organiser la prestation des services sociaux nécessaires au Canada et que je joins à cette déclaration un plan détaillé sur la manière dont ces services seront fournis. Je joins également les documents financiers pertinents qui décrivent fidèlement ma situation financière pour toute la durée de la prestation des services requis.

 

 

[10]           La lettre de refus définitif datée du 27 mai 2009, qui constitue la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, énonçait notamment ce qui suit :

[traduction] Selon le paragraphe 38(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, l'état de santé du membre de votre famille, Shrut, qui souffre de déficience mentale légère, risque d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Les définitions pertinentes contenues dans le Règlement sont jointes aux présentes. Par conséquent, ce membre de votre famille est interdit de territoire pour motifs sanitaires.

 

Dans la lettre que je vous ai adressée le 26 janvier 2009, je vous invitais à répondre à l'évaluation préliminaire en me transmettant des renseignements ou documents supplémentaires. Nous avons reçu vos documents le 3 mars 2009 et, après les avoir soigneusement examinés, nous maintenons l'appréciation que nous avons faite de l'état de santé du membre de votre famille, appréciation qui est maintenant finale.

 

L’alinéa 42a) de la Loi énonce que, sauf pour une personne protégée, emporte interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale l'interdiction de territoire frappant tout membre de la famille d’un étranger qui l'accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l'accompagne pas. Le membre de la famille qui vous accompagne est interdit de territoire au Canada. Par conséquent, vous êtes également interdit de territoire.

 

[11]           Les notes du STIDI rédigées par l’agent ont été fournies aux demandeurs. En voici un extrait :

[traduction] Selon les observations soumises par le père, seule la question de la langue ne serait pas réglée avant un certain temps, mais aucun élément de preuve n’étaye ces propos. Le demandeur n’a pas soumis de plan d’action, si ce n’est le fait qu’il dispose de suffisamment d’argent (ce qui n’est pas contesté) et qu’il est prêt à payer. Toutefois, il n’explique pas comment il procéderait pour payer les dépenses engagées et il ne fournit aucun plan raisonnable et viable visant à atténuer les frais en question. Le demandeur n’a pas répondu à mes préoccupations. Ayant attentivement examiné les renseignements au dossier, je conclus que l’état de santé de Shrut risque d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé canadiens. Par conséquent, en vertu du par. 38(1) et de l’art. 42, le demandeur est interdit de territoire pour motifs sanitaires.

 

[12]           L’avocat des demandeurs a invoqué trois motifs à l’appui de la demande de contrôle judiciaire :

1.                  La décision était déraisonnable.

2.                   L’évaluation indiquant que le coût des services atteindrait environ 60 000 $ se fondait sur des données désuètes et elle devrait être écartée.

3.                  L’agent n’a pas tenu compte de la question de savoir si les services censés être nécessaires seraient en partie financés par le gouvernement de l’Ontario.

 

Question no 1: La décision était‑elle raisonnable?

 

[13]           Dans Sapru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 240, le juge Mosley de notre Cour a récemment fait un examen approfondi de la jurisprudence relative à la norme de contrôle applicable à l’égard de décisions de la nature de celle qui nous occupe. Il a conclu, et je suis d’accord avec lui, que lorsqu’une question de droit est soulevée, la norme de contrôle est celle de la décision correcte; toutefois, lorsque les questions concernent le contenu d’une décision essentiellement factuelle, la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 16 et 17 :

 

[16]  En l'espèce, les demandeurs allèguent que la médecin a omis de remplir les obligations énoncées dans l'arrêt Hilewitz. Il s'agit d'une question de droit qui doit être examinée selon la décision correcte. Les demandeurs soulèvent également des questions d'équité procédurale, qui doivent être examinées selon la décision correcte (Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539. En d'autres mots, cette norme devrait s'appliquer aux questions b) et c).

 

[17]  Par ailleurs, les questions d) et e) visent le contenu des décisions de la médecin et de l'agent des visas, qui sont essentiellement factuelles. Ces questions seront examinées selon la raisonnabilité.

 

[14]           En l’espèce, la question en litige ne concerne que les aspects factuels de la décision de l’agent. Depuis que la Cour suprême du Canada s’est prononcée dans Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2009] 2 R.C.S 706, il est admis que, dans des circonstances comme celles de l’espèce, un agent doit prendre en compte non seulement la preuve médicale concernant un demandeur et les membres de sa famille, mais aussi faire un examen individualisé de la capacité financière du demandeur et de sa capacité d’assumer une partie du fardeau que tout problème de santé peut occasionner.

 

[15]           Dans Jafarian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 40, le juge Harrington de notre Cour a noté que la question de savoir si un système provincial couvrirait les services de santé et les services sociaux pouvait être prise en compte pour déterminer si un demandeur a les moyens financiers voulus et s’il est effectivement prêt à assumer les frais anticipés. Il souligne au paragraphe 25 qu’un engagement de payer n’est pas exécutoire :

[25] En l’espèce, il faut notamment établir si M. Jafarian a le droit, selon la loi, de payer le coût du Rebif pour sa fille. L’engagement de ne pas demander au gouvernement de payer ce que ce dernier est tenu de payer de par la loi n’est tout simplement pas exécutable. Ce principe a été clairement énoncé par M. le juge Evans, au nom de la Cour d’appel, dans Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 271, [2003] 1 C.F. 301 et par le M. le juge Campbell dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1461.

 

 

[16]           En l’espèce les autorités ont demandé aux demandeurs de fournir des renseignements médicaux pour étayer leurs assertions concernant sur l’état de santé de Shrut. Cette demande est restée lettre morte. On leur a demandé de soumettre un plan concernant le type de support dont bénéficierait Shrut. On a offert de supporter les coûts, mais aucun plan précis n’a été fourni, si ce n’est la volonté que le fils participe à l’entreprise que les demandeurs mettraient éventuellement sur pied au Canada. Il n’était pas déraisonnable que l’agent rejette ces observations.

 

Question no 2 et question no 3

 

[17]           Je traite des questions no 2 et no 3 ensemble parce que l’avocat des demandeurs a fait valoir que l’agent avait l’obligation d’obtenir tous les renseignements à jour concernant le financement des services en cause en Ontario (la province où les demandeurs ont dit avoir l’intention de s’établir) et la mesure dans laquelle les lois ontariennes aideraient les demandeurs ou les obligeraient à supporter les coûts en question.

 

[18]           Je ne suis pas de cet avis. Les demandeurs cherchent à être admis au Canada. L’état de santé et le stade de développement de l’un d’eux posent problème. Les demandeurs ont été invités à deux reprises à répondre aux préoccupations des autorités, notamment en fournissant des renseignements médicaux et l’opinion de leurs propres experts – ce qu’ils n’ont pas fait –, et à fournir un plan, lequel était pour le moins sommaire. Il incombe aux demandeurs d’établir la recevabilité de leur demande, notamment en présentant les éléments nécessaires pour mettre au point un plan viable. L’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans l’examen de la demande au vu des renseignements dont il disposait.

 

Dispositif

 

[19]           La demande est rejetée. Aucune demande de certification n’a été présentée.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS :

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.      La demande est rejetée.

 

2.      Il n'y a aucune question à certifier.

 

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM-3861-09

 

 

INTITULÉ :                                                   RAVINDER KUMAR SHARMA, KIRAN JAY SHARMA, RRIT SHARMA et SHRUT SHARMA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 12 avril 2010

                                                                       

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE :                                                           Le 13 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

 

POUR LES DEMANDEURS

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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