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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100412

Dossiers : T-1509-07

T-1510-07

T-1511-07

T-1512-07

T-1513-07

 

Référence : 2010 CF 381

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2010

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

PRODUITS KRUGER LIMITÉE

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Produits Kruger Limitée, a déposé le 15 août 2007 cinq actions contre la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, pour obtenir, en application de l’article 81.2 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la Loi), un recouvrement de la taxe de vente fédérale (TVF), outre les intérêts applicables, payée en trop par la demanderesse entre le 1er avril 1982 et le 30 juin 1985 (la période considérée) sur ses ventes de papiers hygiéniques.

 

[2]               La demanderesse, auparavant connue sous le nom de Papiers Scott Limitée (Papiers Scott), est une société qui, à toutes les époques pertinentes, s’adonnait à la fabrication et à la vente de produits de papier, notamment des papiers-mouchoirs et des papiers hygiéniques.

 

[3]               L’Agence du revenu du Canada (ARC), et éventuellement le ministre du Revenu national (le ministre), ont accepté de rembourser la taxe payée en trop par la demanderesse sur ses ventes de papiers-mouchoirs durant la période considérée. La demanderesse s’est vu rembourser la somme de 3 023 576 $, correspondant aux ventes admissibles de papiers-mouchoirs de la demanderesse qui étaient exemptées de la TVF au motif qu’il s’agissait d’un « cosmétique » conformément à l’alinéa 50(5)g) de la Loi. Cette somme est inférieure de 2 362 884 $ à ce que la demanderesse réclamait à l’origine (5 386 460 $) et elle ne comprend pas la TVF payée en trop se rapportant aux papiers hygiéniques de la demanderesse vendus au cours de la période considérée.

 

[4]               L’ARC et le ministre ont refusé toute réclamation se rapportant aux papiers hygiéniques de la demanderesse vendus au cours de la période considérée, et cela pour deux raisons. D’abord, les demandes de remboursement de la demanderesse faites le 1er avril 1986 n’indiquaient pas les « papiers hygiéniques » comme produit pour lequel le remboursement était réclamé. Deuxièmement, la demanderesse n’avait pas droit au recouvrement d’un trop-payé de taxe sur ses ventes de papiers hygiéniques parce qu’elle avait demandé à inclure ses ventes de papiers hygiéniques dans les demandes de remboursement à la fin de 1999, c’est-à-dire après l’expiration du délai de prescription indiqué dans l’article 68 de la Loi.

 

[5]               La demanderesse estime à 13 081 573 $ la TVF totale payée par erreur sur ses ventes de papiers hygiéniques effectuées durant la période considérée. Elle voudrait entre autres choses que la Cour rende une ordonnance reconnaissant qu’elle a payé durant la période considérée un montant excessif de taxe sur ses ventes de papiers hygiéniques et disant que, en conséquence de ce trop‑payé, elle a droit à un remboursement. La défenderesse s’oppose aux actions.

 

[6]               À l’époque où la demanderesse avait déposé les réclamations en cause dans la présente instance (1986), la Loi donnait aux contribuables le droit de réclamer le remboursement de toute taxe payée par erreur dans les quatre années suivant le paiement de la taxe en question (ici la TVF). Le délai de prescription fut plus tard abrégé par modification législative (L.R.C. (2e suppl.), ch. 7, paragraphe 23(3)), passant à deux ans à compter du paiement de la taxe; cependant, il n’est pas contesté par les parties que le délai de prescription applicable aux réclamations en question ici est l’ancien délai de quatre ans.

 

[7]               L’article 68 expose le processus par lequel un contribuable peut se voir accorder le remboursement d’une taxe payée par erreur. Jusqu’en 2007, l’article 68 de la Loi était ainsi formulé :

68. Lorsqu’une personne, sauf à la suite d’une cotisation, a versé des sommes d’argent par erreur de fait ou de droit ou autrement, et qu’il a été tenu compte des sommes d’argent à tire de taxes, de pénalités, d’intérêts ou d’autres sommes en vertu de la présente loi, un montant égal à celui de ces sommes doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être payé à cette personne, si elle en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement de ces sommes.

68. Where a person, otherwise than pursuant to an assessment, has paid moneys in error, whether by reasons of mistake of fact or law or otherwise, and the moneys have been taken into account as taxes, penalties, interest or other sums under this Act, an amount equal to the amount of those moneys shall, subject to this Part, be paid to that person if he applies therefor within two years after the payment of the moneys.

 

 

[8]               En 2007, l’article 68 a été modifié, avec effet rétroactif au 3 septembre 1985. En fait, la Loi fut modifiée pour tenir compte de normes en vigueur de rédaction législative. Aujourd’hui, l’article 68 est ainsi rédigé :

68. (1) Lorsqu’une personne, sauf à la suite d’une cotisation, a payé relativement à des marchandises, par erreur de fait ou de droit ou autrement, des sommes d’argent qui ont été prises en compte à titre de taxes, de pénalités, d’intérêts ou d’autres sommes en vertu de la présente loi, un montant égal à ces sommes d’argent est versé à la personne, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, si elle en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement de ces sommes.

[Non souligné dans l’original]

68. (1) If a person, otherwise than pursuant to an assessment, has paid any moneys in error in respect of any goods, whether by reason of mistake of fact or law or otherwise, and the moneys have been taken into account as taxes, penalties, interest or other sums under this Act, an amount equal to the amount of the moneys shall, subject to this Part, be paid to the person if the person applies for the payment of the amount within two years after the payment of the moneys.

[My emphasis.]

 

 

[9]               L’article 68 doit être lu en même temps que les articles 71 et 72 de la Loi, ainsi formulés :

71. Sauf cas prévus à la présente loi ou dans toute autre loi fédérale, nul n’a le droit d’intenter une action contre Sa Majesté pour le recouvrement de sommes payées à Sa Majesté, dont elle a tenu compte à titre de taxes, de pénalités, d’intérêts ou d’autres sommes en vertu de la présente loi.

 

 

72. (1) Dans le présent article, « demande » s’entend d’une demande faite en vertu des articles 68 à 69.

 

(2) Une demande doit être faite en la forme prescrite et contenir les renseignements prescrits.

 

 

(3) Une demande doit être présentée au ministre de la manière que le gouverneur en conseil peut déterminer par règlement.

 

(4) Le ministre saisi d’une demande doit, avec toute la célérité raisonnable, l’examiner et déterminer le montant éventuel à payer au demandeur.

 

 

(5) Lors de l’examen d’une demande, le ministre n’est pas lié par une demande présentée ni par un renseignement fourni par une personne ou au nom de celle-ci.

 

[…]

71. Except as provided in this or any other Act of Parliament, no person has a right of action against Her Majesty for the recovery of any moneys paid to Her Majesty that are taken into account by Her Majesty as taxes, penalties, interest or other sums under this Act.

 

 

 

 

72. (1) In this section, “application” means an application under any of sections 68 to 69.

 

(2) An application shall be made in the prescribed form and contain the prescribed information.

 

(3) An application shall be filed with the Minister in any manner that the Governor in Council may, by regulation, prescribe.

 

(4) On receipt of an application, the Minister shall, with all due dispatch, consider the application and determine the amount, if any, payable to the applicant.

 

(5) In considering an application, the Minister is not bound by any application or information supplied by or on behalf of any person.

 

 

 

[10]           Conformément à l’article 81.28 de la Loi, les appels formés en vertu de l’article 81.2 sont réputés être des actions et doivent être déposés de la manière prévue dans l’article 48 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la LCF), qui régit l’introduction de procédures contre la Couronne. Cela signifie que l’appel n’est pas un contrôle judiciaire auquel s’applique une norme de contrôle, mais plutôt un appel de novo. Voir la décision Zale Canada Diamond Sourcing Inc. c. Canada, 2010 CF 202, au paragraphe 2, et la décision Pétroles Dupont Inc. c. Canada, 2010 CF 72, au paragraphe 7.

 

[11]           Le procès conjoint et commun des actions s’est déroulé devant la Cour le 25 mars 2010. Les faits pertinents ne sont pas contestés. Aucun témoin n’a été entendu par la Cour, les parties s’étant entendues pour procéder par voie d’exposé conjoint des faits, lequel était appuyé par un recueil conjoint des documents.

 

[12]           Les appels sont rejetés par la Cour.

 

[13]           D’abord, la prétention de la demanderesse selon laquelle elle s’est conformée aux dispositions du paragraphe 68(1) de la Loi relatives à un remboursement de taxe payée par erreur sur ses ventes de papiers hygiéniques n’est pas confirmée par les faits, ni par le droit. La demanderesse prie en fait la Cour d’adopter une interprétation du droit qui va à l’encontre de la jurisprudence pertinente et qui réduit à néant le délai de prescription prévu dans l’article 68 de la Loi.

 

[14]           Deuxièmement, la politique administrative de l’ARC ne saurait être d’aucune aide à la demanderesse dans la présente affaire. Sans doute la politique de l’ARC peut-elle offrir une certaine liberté d’action au demandeur d’un remboursement selon l’article 68 de la Loi, mais cette politique ne saurait se substituer au droit ni conférer des avantages ou droits additionnels non prévus par le droit. Au reste, d’après les faits présentés à la Cour, la politique de l’ARC ne renferme rien qui puisse conférer à la demanderesse le droit à un remboursement de la TVF payée en trop sur ses ventes de papiers hygiéniques effectuées durant la période considérée.

 

[15]           Les réclamations qui sont ici portées devant la Cour concernent le même genre de marchandises, c’est-à-dire des papiers hygiéniques, que la réclamation qui était examinée par la Cour dans la décision Papiers Scott Ltée. c. Canada, 2005 CF 1354 (la décision Papiers Scott 2005) et par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Papiers Scott Limitée c. Canada, 2006 CAF 372 (l’arrêt Papiers Scott 2006). L’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été refusée le 16 janvier 2007 (Papiers Scott Ltée. c. Canada, [2007] C.S.C.A. n° 26). Ces précédents ont tranché de manière concluante la réclamation de la société Papiers Scott relative à la TVF qu’elle avait payée sur ses ventes de papiers hygiéniques effectuées durant la période allant du 1er avril 1990 au 31 décembre 1990 (la réclamation de 1990).

 

[16]           Rejetant l’appel interjeté par Papiers Scott, la Cour d’appel fédérale écrivait que, dans sa réclamation initiale, l’appelante n’entendait pas réclamer un remboursement au titre de ses ventes de papiers hygiéniques. Cette conclusion était appuyée notamment par les dépositions des propres témoins de l’appelante et par le fait que la somme réclamée concernait exclusivement la taxe payée par Papiers Scott sur ses ventes de papiers-mouchoirs (voir les paragraphes 29, 30 et 32). Qui plus est, s’agissant de la présente affaire, la Cour d’appel fédérale ajoutait que l’article 68 de la Loi, qui permet au contribuable de demander un remboursement de la taxe payée en trop et qui établit le délai de prescription applicable, oblige le contribuable à préciser pour quels produits il réclame un remboursement (voir les paragraphes 47 à 49).

 

[17]           Il est demandé ici à la Cour de dire une deuxième fois, cette fois-ci sur le fondement de réclamations déposées par Papiers Scott pour la période allant du 1er avril 1982 au 30 juin 1985 (les réclamations de 1982-1985), si la demanderesse a droit au remboursement de la taxe payée en trop sur ses ventes de papiers hygiéniques. Plus précisément, le point soulevé dans ces appels est de savoir si la demanderesse a droit au recouvrement de la TVF payée en trop sur ses ventes de papiers hygiéniques effectuées durant cette période, alors même que les demandes de remboursement qui sont à l’origine des appels ne font pas état de ce produit. Hormis la période considérée dans les réclamations de 1982-1985, le point litigieux qui sépare les parties est le même que celui qui a été décidé d’une manière concluante dans la décision Papiers Scott 2005 et dans l’arrêt Papiers Scott 2006.

 

[18]           Les réclamations de 1982-1985 ont été produites sur des formulaires de remboursement N‑15, le formulaire réglementaire requis par le paragraphe 72(2). Selon les formulaires en question, l’erreur qui donnait à la demanderesse droit à un remboursement était le fait que les produits pour lesquels la TVF avait été payée étaient [traduction] « exemptés en vertu de la partie VIII ou de la partie XV de l’annexe III » de la Loi. La partie VIII et la partie XV de l’annexe III de la Loi concernaient les « produits de santé » et les « vêtements et chaussures », respectivement. La somme totale réclamée au titre de la TVF payée par erreur est de 5 386 460 $. Papiers Scott ne précisait pas sur ces formulaires si les produits en question étaient des papiers-mouchoirs, des papiers hygiéniques, les deux, ou ni l’un ni l’autre, mais les échanges ultérieurs entre les parties démontrent clairement que Papiers Scott demandait un remboursement de la TVF payée uniquement sur les papiers-mouchoirs vendus durant la période visée par les réclamations de 1982‑1985.

 

[19]           Les réclamations de 1982-1985 avaient à l’origine été déposées pour protéger le droit de Papiers Scott à un remboursement en attendant une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) concernant une demande de jugement déclaratoire déposée par Canadian International Paper Inc. (CIP). Par décision du 8 août 1986, le TCCE a rejeté la demande de CIP pour qui les papiers-mouchoirs devaient être exemptés de la TVF selon la Loi au motif qu’il s’agissait de « produits de santé ». Selon le TCCE, les papiers-mouchoirs n’étaient pas des « produits de santé », mais des « cosmétiques », qui n’étaient pas à l’époque des produits exemptés selon la Loi. Cette décision fut plus tard confirmée par la Cour d’appel fédérale. Voir l’arrêt CIP Inc. c. Sous-ministre du Revenu national, Douanes et accise, [1988] A.C.F. n° 582 (C.A.F.) (QL) (l’arrêt CIP).

 

[20]           En l’espèce, lorsque les parties ont signé l’exposé conjoint des faits, la demanderesse n’était pas en mesure de dire si les sommes indiquées dans les réclamations de 1982-1985 comme taxe payée par erreur étaient estimées au regard des ventes de produits autres que ses papiers-mouchoirs. Au cours de l’audience tenue devant la Cour, la demanderesse n’a pas nié que ces chiffres correspondaient exclusivement à ses ventes de papiers-mouchoirs effectuées durant la période considérée. Ce constat est confirmé par la preuve documentaire et par les échanges qui ont eu lieu entre les parties avant que l’ARC ne procède effectivement, quelque part en 2003, à son audit des réclamations de 1982-1985.

 

[21]           Tout comme les réclamations de 1982-1985, la réclamation de 1990 a été déposée par Papiers Scott à titre conservatoire. La réclamation de 1990 se fondait elle aussi sur l’arrêt CIP de la Cour d’appel fédérale. Pour autant, par avis de décision daté du 21 septembre 1993, le ministre a refusé la réclamation de 1990 au motif que les ventes de papiers-mouchoirs de Papiers Scott avaient été validement faites à l’acquittée. Le 9 décembre 1993, la demanderesse a déposé un avis d’opposition à l’avis de décision, alléguant que, selon l’arrêt CIP de la Cour d’appel fédérale, les papiers-mouchoirs devraient être inclus dans la définition de « cosmétiques » et ne devraient pas être soumis à la TVF. Le 14 mars 1995, la demanderesse a décidé de suspendre sa réclamation de 1990 jusqu’à l’issue d’une réclamation semblable faite par l’un de ses principaux concurrents, à savoir Kimberley-Clark Canada Inc. (Kimberley-Clark).

 

[22]           En 1994, Kimberley-Clark avait déposé devant la Cour une déclaration dans laquelle elle sollicitait un jugement déclaratoire disant si [traduction] « les papiers hygiéniques et/ou les papiers-mouchoirs sont, l’un ou l’autre ou les deux, des « cosmétiques » ou des « produits de santé » selon la définition figurant dans la [Loi] ». Le 12 mars 1998, la Cour a jugé que les papiers‑mouchoirs et les papiers hygiéniques étaient tous deux des « cosmétiques » selon la Loi et qu’ils étaient donc exemptés de la TVF dans certains cas. Voir la décision Kimberley-Clark Canada Inc. c. Canada (1998), 145 F.T.R. 265, [1998] A.C.F. n° 353, paragraphes 1 et 35 (C.F. 1re inst.) (QL) (la décision Kimberley-Clark). Cette décision n’a jamais été portée en appel.

 

[23]           Le 8 décembre 1998, Rosemary J. Anderson, comptable agréée, a écrit, au nom de la demanderesse, une lettre à Revenu Canada dans laquelle elle s’enquérait du statut des demandes de remboursement de Papiers Scott [traduction] « qui avaient été déposées en rapport avec le paiement de la taxe fédérale de vente sur des ventes de papiers-mouchoirs » [c’est moi qui souligne]. Comme on peut le voir, la demanderesse n’avait jamais considéré que ses demandes de remboursement incluaient la taxe payée en trop sur ses ventes de papiers hygiéniques.

 

[24]           En janvier 1999, le ministre a procédé à un audit des ventes de papiers-mouchoirs de la demanderesse visées par la réclamation de 1990. Ce n’est qu’à la fin de 1999 que la demanderesse a informé pour la première fois l’ARC que l’audit des réclamations de 1982-1985 et de la réclamation de 1990 devrait inclure ses ventes de papiers hygiéniques faites durant les périodes correspondantes. La demanderesse priait en fait l’ARC d’ajouter aux montants des réclamations de 1982-1985 et de la réclamation de 1990 une somme correspondant à la différence entre leurs montants nominaux initiaux et le montant des taxes par ailleurs non portées à son crédit qu’elle avait payées en trop sur ses ventes de papiers hygiéniques (les réclamations additionnelles). Ainsi, plus de treize ans après le dépôt des réclamations de 1982-1985 (dans le cas de la réclamation de 1990, c’était plus de sept ans après son dépôt), la demanderesse informait l’ARC qu’elle voulait que l’audit de ces réclamations prenne en compte la taxe payée en trop sur les ventes d’un autre produit, c’est-à-dire ses papiers hygiéniques.

 

[25]           La doctrine du stare decisis, un principe fondamental de notre système, oblige les tribunaux d’instance inférieure à conformer leurs décisions à celle déjà rendue par un tribunal d’instance supérieure sur un point de droit dans un cas où les faits sont les mêmes. En l’espèce, la demanderesse invoque des modifications législatives pour prétendre que la Cour fédérale n’est pas liée par l’arrêt Papiers Scott 2006 de la Cour d’appel fédérale. Elle soutient aussi que, en conséquence d’une politique régissant les demandes de remboursement, le ministre est tenu d’enquêter sur toute taxe qui a pu être payée en trop durant la période indiquée dans la demande de remboursement, sans qu’il importe de savoir si le trop-payé a déjà été ou non réclamé par le contribuable, ou si le produit pour lequel la taxe a été payée était ou non indiqué dans le formulaire réglementaire (le formulaire N-15). Selon la demanderesse, cette politique n’a pas été prise en compte par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Papiers Scott 2006, mais elle devrait l’être par la Cour fédérale dans l’examen de la question.

 

[26]           Pour les motifs qui suivent, les arguments de la demanderesse ne sont pas recevables.

 

Modifications législatives

 

[27]           Je ne crois pas que l’on puisse dire que les modifications mineures apportées au texte de la loi changent quoi que ce soit à l’interprétation qu’en donne la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Papiers Scott 2006, précité.

 

[28]           La demanderesse pointe l’inclusion des mots « relativement à des marchandises »; cependant, ces mots ne font que dire explicitement ce qui était implicite dans le texte antérieur, c’est-à-dire que le remboursement est dû à ceux qui ont payé un excédent de taxe pour des marchandises (par opposition à des services, dont il est fait état dans les articles 68.12 à 68.14 de la Loi). La modification parallèle apportée au texte anglais appuie cette interprétation. Plus précisément, les mots « in respect of any goods » signifient simplement que le trop-payé doit se rapporter, de manière générale, à des marchandises. Rien n’étaye l’interprétation de la demanderesse selon laquelle le remboursement peut être obtenu sans que soit précisé à quelles marchandises se rapporte le trop-payé.

 

[29]           Pareillement, en remplaçant, dans la version anglaise, le mot « therefor » par les mots « for the payment of the amount » (en français, dans les deux cas, « si elle en fait la demande dans les deux ans »), le législateur ne faisait que dire explicitement ce qui était auparavant implicite. Cela est d’autant plus évident si l’on considère que, avant que son jugement ne soit porté devant la Cour d’appel fédérale, la juge Heneghan, de la Cour fédérale, écrivait, au paragraphe 54 de la décision Papiers Scott 2005, précitée, que « le mot “en” fait référence à toutes les sommes payées par erreur ». Par ailleurs, la substitution des mots « for the payment of the amount » au mot « therefor » appuie l’interprétation donnée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Papiers Scott 2006. Le contribuable doit demander le montant de la taxe qu’il a payée en trop. Pour savoir quel montant constitue un trop-payé, le contribuable devra préciser la nature de l’erreur. Ainsi que l’écrivait la Cour d’appel fédérale, le contribuable serait tenu, pour préciser la nature de l’erreur, d’indiquer les marchandises à l’égard desquelles l’erreur a été faite.

 

[30]           Cette conclusion est confirmée par le fait que les modifications apportées à la version française des dispositions ne sont pas plus substantielles que les modifications apportées à la version anglaise, et par le fait que les notes explicatives se rapportant à la modification de 2007 de l’article 68 précisent que les modifications sont « des modifications de forme qui tiennent compte des normes en vigueur en matière de rédaction législative ». Par conséquent, outre le fait que les mots eux-mêmes ne semblent pas modifier le sens de la disposition, rien ne donne à penser que le législateur voulait apporter une modification de fond à la loi.

 

[31]           Dans l’arrêt Papiers Scott 2006, précité, au paragraphe 44, la Cour d’appel fédérale cite en l’approuvant la méthode d’interprétation législative exposée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 10. D’accord avec l’argument de la demanderesse, la Cour croit que le sens ordinaire des mots de l’article 68, tel qu’il était alors formulé, « doit “joue[r] un rôle dominant dans le processus d’interprétation” » (voir le paragraphe 47). La Cour d’appel fédérale a estimé que, d’après le sens ordinaire des mots de la disposition, il n’y avait qu’une seule interprétation possible, mais, selon la Cour fédérale, rien n’autorisait l’argument de la demanderesse selon lequel la nature de l’erreur (ou l’identité des marchandises) donnant lieu au remboursement n’a pas à être précisée. Faisant ressortir les mots « en fait la demande » (« applies therefor ») apparaissant dans l’ancienne version de la disposition, la Cour d’appel fédérale écrit, au paragraphe 49, que ces mots signifiaient que le contribuable devait faire une demande pour les sommes d’argent payées par erreur, ce qui, d’après elle, ne pouvait se faire sans que soit précisée l’erreur qui était au cœur de la demande de remboursement. La Cour d’appel fédérale relève que, pour préciser l’erreur, il est essentiel que le contribuable indique les marchandises pour lesquelles est demandé le remboursement, puisque, sans cette information, rien ne peut expliquer l’erreur qui fonde le droit du contribuable à un remboursement (voir le paragraphe 49).

 

[32]           L’argument de la demanderesse n’est pas non plus recevable compte tenu que, selon la jurisprudence, il est clair que l’établissement d’un délai de prescription dans l’article 68, lequel n’a pas été enlevé par les modifications législatives, n’aurait plus aucun sens si le contribuable n’était pas tenu d’indiquer dans sa réclamation l’identité des marchandises et la nature de l’erreur donnant lieu à remboursement. Voir la décision W. Ralston (Canada) Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2002 CFPI 627, paragraphe 20, qui a été cité avec approbation par la juge Heneghan dans la décision Papiers Scott 2005, précitée, aux paragraphes 56 à 61, propos qui ont ensuite été confirmés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Papiers Scott 2006, précité, aux paragraphes 46 et 47.

 

[33]           Tout contribuable aurait le droit de déposer une demande de remboursement formulée d’une manière approximative, ou une demande en blanc, à l’intérieur du délai de prescription, puis de préciser rétroactivement les marchandises pour lesquelles il a droit à un remboursement. Puisque l’objet d’un délai de prescription doit être d’apporter certitude et caractère définitif aux remboursements faits en vertu de l’article 68, il est impossible que le législateur n’ait pas voulu que le contribuable précise la nature de l’erreur et/ou l’identité des marchandises pour lesquelles le remboursement est réclamé. Tout aussi douteuse serait l’idée que l’ARC soit tenue de procéder à un audit complet pour chaque contribuable qui dépose une demande de remboursement, pour savoir s’il y a des marchandises pour lesquelles le contribuable a payé un excédent de taxe.

 

[34]           Comme dernière observation sur la question de l’interprétation législative, la Cour est d’avis que la demanderesse invoque à tort un arrêt de la Cour suprême, United Parcel Service Canada Ltd. c. Canada, 2009 CSC 20, au paragraphe 20 (l’arrêt UPS Canada). Dans ce précédent, la Cour suprême examinait le droit d’UPS d’être remboursée de la TPS qu’elle avait payée en trop. Étant donné que UPS n’était pas l’entité qui était légalement tenue de payer la TPS, le ministre faisait valoir que, compte tenu du texte du paragraphe 261(1), UPS n’avait pas droit au remboursement.

 

[35]           Le texte de la disposition est le suivant :

261. (1) Dans le cas où une personne paie un montant au titre de la taxe, de la taxe nette, des pénalités, des intérêts ou d’une autre obligation selon la présente partie alors qu’elle n’avait pas à le payer ou à le verser, ou paie un tel montant qui est pris en compte à ce titre, le ministre lui rembourse le montant, indépendamment du fait qu’il ait été payé par erreur ou autrement.

261. (1) Where a person has paid an amount

 

(a) as or on account of, or

 

(b) that was taken into account as,

tax, net tax, penalty, interest or other obligation under this Part in circumstances where the amount was not payable or remittable by the person, whether the amount was paid by mistake or otherwise, the Minister shall, subject to subsections (2) and (3), pay a rebate of that amount to the person.

 

 

 

[36]           Au paragraphe 17 de son arrêt, la Cour suprême exprime son désaccord avec l’interprétation que faisait le ministre du paragraphe 261(1). Selon elle, cette disposition n’obligeait nullement le ministre à enquêter pour savoir qui devait payer la taxe. Pour la Cour suprême, le sens ordinaire et grammatical de la disposition ne permet pas de dire que seules les personnes qui ont l’obligation de payer la TPS peuvent demander un remboursement en vertu du paragraphe 261(1) (paragraphe 20).

 

[37]           Il ne s’agit pas de cela dans l’arrêt Papiers Scott 2006, précité, de la Cour d’appel fédérale, et, par déduction nécessaire, il ne s’agit pas de cela dans l’interprétation préconisée par la défenderesse. À mon humble avis, et contrairement à l’idée avancée par la demanderesse, la Cour d’appel fédérale n’a pas ajouté dans l’article 68 une obligation qui ne s’y trouvait pas. En effet, l’article 68 n’aurait aucun sens si les mots « en fait la demande » (« applies therefor ») n’obligeaient pas la demanderesse, à tout le moins, à préciser quelle erreur, selon elle, lui donne droit au remboursement. S’agissant de l’article 68 dans sa forme actuelle, il n’en va pas différemment pour l’expression identique qui s’y trouve dans la version française (« applies for the payment of the amount » dans la version anglaise), puisque, comme je le disais plus haut, la version de 2007 de l’article 68 n’est pas différente de la version antérieure au point de rendre inapplicable l’interprétation qu’en donne la Cour d’appel fédérale.

 

[38]           Il est donc clair que les modifications législatives n’ont rien changé à l’interprétation de la Cour d’appel fédérale selon laquelle l’article 68 de la Loi oblige le demandeur d’un remboursement à préciser la nature de l’erreur et/ou l’identité des marchandises pour lesquelles le remboursement est réclamé.

 

Le rôle de la politique du ministre

 

[39]           Subsidiairement, la demanderesse fait valoir que, une fois qu’est déposée une demande valide de remboursement, le ministre, en conséquence de la politique en vigueur qui régit les demandes de remboursement, est tenu d’enquêter sur toute taxe qui a pu être payée en trop durant la période précisée dans la demande de remboursement, sans qu’il soit nécessaire de se demander si le trop-payé a ou non déjà été réclamé par le contribuable. Au soutien de cet argument, la demanderesse relève que l’article 72 de la Loi habilite le ministre à prescrire la procédure à laquelle doivent se soumettre les contribuables en quête d’un remboursement au titre de l’article 68.

 

[40]           Selon la demanderesse, le ministre a effectivement prescrit un formulaire (le formulaire N‑15), qui oblige le contribuable concerné à préciser la période pour laquelle le remboursement est demandé, le motif du remboursement et le montant du remboursement. Cependant, la demanderesse soutient que le ministre a rendu inopérantes les règles indiquées dans le formulaire N-15 parce qu’il a « promulgué » une politique relative aux demandes de remboursement, laquelle n’oblige pas le contribuable à fournir des renseignements exacts ou complets sur les formulaires réglementaires pour pouvoir obtenir un remboursement. Selon la demanderesse, dans la mesure où la demande de remboursement est déposée à l’intérieur du délai imparti, et dans la mesure où il existe des marchandises qui sont à juste titre exemptées selon la Loi, alors le ministre ne pourra pas rejeter une demande de remboursement.

 

[41]           Les parties s’accordent pour dire que, à la date où les demandes de remboursement de la demanderesse ont été soumises à un audit, l’ARC avait pour principe de ne pas refuser les demandes du seul fait que le demandeur du remboursement n’avait pas indiqué les marchandises ou exposé la raison du remboursement, ou encore lorsque le demandeur du remboursement avait commis une erreur sur la raison du remboursement ou sur le montant à rembourser. La politique de l’ARC n’obligeait pas non plus le demandeur à produire des documents justificatifs, mais, si des renseignements étaient manquants, alors la politique habilitait l’ARC à communiquer avec lui pour les obtenir, à exiger la production de documents au soutien de la demande ou à effectuer un audit sur les lieux où les documents justificatifs étaient censés être conservés. Finalement, la politique de l’ARC était telle que l’ARC remboursait à tout demandeur les sommes payées par erreur, en sus de la somme précisée dans la demande de remboursement, pour autant que les sommes portent sur la période même pour laquelle le remboursement était demandé et sur les mêmes marchandises que celles visées par la demande de remboursement.

 

[42]           La demanderesse relève que le paragraphe 72(5) de la Loi prévoit explicitement que, lorsqu’il examine une demande de remboursement, le ministre n’est pas lié par les renseignements contenus dans la demande. Elle dit que, outre la politique du ministre consistant à ne pas pénaliser un demandeur qui n’a pas fourni certains renseignements, l’application du paragraphe 72(5) est illustrée ici par le fait que le ministre a satisfait à une partie de la réclamation de la demanderesse au motif que le produit était un cosmétique, un motif que la demanderesse elle-même n’avait pas précisé dans ses demandes de remboursement. Puisque le ministre applique manifestement sa politique dans certaines circonstances, la demanderesse soutient qu’il est tenu de l’appliquer d’une manière uniforme, puisqu’il a l’obligation de traiter de la même façon les contribuables se trouvant dans la même situation. Voir la décision Johnson & Johnson Inc. c. Ontario (Ministre des Finances) (2003), 63 O.R. (3d) 675, [2003] O.J. no 676, paragraphe 40.

 

[43]           Ici encore, les arguments de la demanderesse sont irrecevables.

 

[44]           D’abord, l’article 72 de la Loi confirme en fait la conclusion ci-dessus selon laquelle l’article 68 requiert la production de renseignements permettant de calculer le remboursement. Dans l’arrêt Papiers Scott 2006, précité, la Cour d’appel fédérale faisait, au paragraphe 51, la même observation. En vertu du paragraphe 72(2), toutes les demandes doivent être faites en la forme prescrite et contenir les renseignements prescrits. Il est même souligné par la demanderesse que le ministre a effectivement prescrit un formulaire (le formulaire de demande de remboursement N-15) et les renseignements à indiquer sur ledit formulaire. Entre autres choses, le formulaire N-15 oblige le demandeur d’un remboursement à préciser la période pour laquelle le remboursement est demandé, le motif du remboursement et le montant du remboursement.

 

[45]           L’argument de la demanderesse selon lequel, en adoptant sa politique, le ministre rendait inopérantes les exigences de la Loi et du formulaire N-15 ne tient pas. Contrairement à la Loi et au formulaire N-15, il n’est pas établi devant la Cour que cette politique a été rendue publique. D’ailleurs, la demanderesse n’a pas réfuté l’affirmation de la défenderesse selon laquelle il s’agit simplement d’une politique interne.

 

[46]           Même si l’on pourrait prétendre qu’une politique créée une attente légitime, il est clair en droit qu’elle ne saurait créer de droits matériels, mais au mieux conférera certaines garanties de procédure. Voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 26. Cela dit, même si l’on considère la politique comme le voudrait la demanderesse, les formulaires de demande de remboursement présentés par la demanderesse ne donneraient même pas naissance à de nouvelles garanties de procédure.

 

[47]           L’ARC accorde une certaine latitude en ce qui concerne les renseignements fournis par le demandeur d’un remboursement en vertu de l’article 68 de la Loi, mais sa politique ne renferme rien qui puisse, d’après les faits soumis à la Cour, donner à la demanderesse le droit au remboursement de la TVF payée en trop sur ses ventes de papiers hygiéniques durant la période considérée.

 

[48]           D’abord, la demanderesse n’a pas indiqué de marchandises dans ses demandes de remboursement, se limitant à dire qu’elle demandait le remboursement de taxes payées sur [traduction] « des produits exemptés en vertu de la partie VIII ou de la partie XV de l’annexe III » de la Loi. Compte tenu de la décision Kimberley-Clark, précitée, rendue par la Cour, il est clair que, si les papiers-mouchoirs et les papiers hygiéniques sont tous deux exemptés en vertu de la Loi, ce n’est pas parce qu’ils entrent dans la partie VIII ou la partie XV de la Loi, mais plutôt parce qu’ils sont des cosmétiques au sens de la Loi. Par conséquent, la politique susmentionnée a été appliquée lorsque l’ARC a conclu que, en dépit de l’erreur commise par la demanderesse lorsqu’elle a indiqué le fondement de son droit à remboursement, les ventes de papiers-mouchoirs effectuées par la demanderesse étaient exemptées de la TVF en vertu de la Loi.

 

[49]           Deuxièmement, s’agissant de la décision de l’ARC de ne pas tenir compte de la taxe que la demanderesse avait payée sur ses ventes de papiers hygiéniques durant la période considérée, on ne voit, dans la politique ou sur les formulaires de demande de remboursement déposés par la demanderesse, rien qui l’aurait obligée à en tenir compte. Comme je le disais plus haut, aucun produit n’était indiqué sur les formulaires, et la demanderesse s’est trompée lorsqu’elle a indiqué le fondement de son droit à remboursement. Le seul renseignement restant qui aurait peut-être permis de rattacher la demande de remboursement de la demanderesse à ses papiers hygiéniques concerne donc les montants qu’elle demandait. S’agissant de ces montants, c’est du bout des lèvres que la demanderesse a admis que les montants détaillés dans les formulaires de demande de remboursement concernent uniquement ses papiers-mouchoirs. Et rien ne permet de conclure autrement. La seule fois où la demanderesse a prié l’ARC de considérer la taxe payée sur ses ventes de papiers hygiéniques, c’est après qu’a été rendue la décision Kimberley-Clark, bien au-delà du délai de prescription de quatre ans.

 

[50]           Par conséquent, même si la Cour admettait les arguments de la demanderesse, il n’y a, au vu de ses demandes de remboursement, et à la lumière de la politique de l’ARC, rien qui puisse lui donner droit au remboursement de la taxe payée sur ses ventes de papiers hygiéniques effectuées durant la période considérée.

 

[51]           Avant de conclure, et bien que cela n’intéresse pas directement l’issue de la présente affaire, la Cour évoquera brièvement une décision du TCCE à laquelle l’a renvoyée la demanderesse, Erin Michaels Mfg. Inc. c. Le Ministre du Revenu national, appel n° AP-94-330, 10 janvier 1997 (la décision Erin Michaels). La demanderesse fait valoir que, à tout le moins, le ministre devait considérer la taxe qu’elle avait payée en trop sur ses ventes de papiers hygiéniques durant la période considérée, et qui correspondait à la différence entre le montant effectivement remboursé et le montant initialement réclamé par elle. Cela dit, la position première de la demanderesse est que le ministre, compte tenu de la décision Erin Michaels, qui est une autre expression de la politique du ministre, aurait dû considérer la totalité de la taxe payée en trop sur ses ventes de papiers hygiéniques effectuées durant la période considérée, quand bien même s’agirait-il de quelque 13 millions de dollars en sus de ce qui était initialement demandé.

 

[52]           Compte tenu des conclusions ci-dessus, qu’il suffise de dire que le principe qui émane de la décision Erin Michaels, c’est que, lorsqu’une marchandise est bien indiquée, mais que le demandeur du remboursement se trompe dans le montant du remboursement auquel il a droit, alors le ministre doit effectuer un audit et rembourser au demandeur l’intégralité de ce qu’il a payé en trop. Autrement dit, lorsqu’un demandeur sous-estime ce à quoi il a droit dans son formulaire de demande de remboursement, il ne lui sera pas interdit d’obtenir le remboursement du montant intégral. Telle n’est pas la question dans la présente affaire, où la demanderesse n’a pas indiqué ses papiers hygiéniques dans sa demande de remboursement, se privant par conséquent du droit au remboursement de la taxe payée en trop.

 

Dispositif

 

[53]           Les actions doivent être rejetées.

 

[54]           Il n’est pas contesté que la demanderesse a payé un excédent de taxe sur ses ventes de papiers hygiéniques effectuées durant la période considérée, mais il est impossible de dire que les demandes de remboursement déposées en avril 1986 englobaient une demande de remboursement de la taxe payée sur ses ventes de papiers hygiéniques. En conséquence, et puisque la demanderesse n’a porté cette dernière réclamation à l’attention de l’ARC que bien après l’expiration du délai de prescription, la Cour arrive à la conclusion que la demanderesse n’a pas droit à un remboursement selon l’article 68 de la Loi.

 

[55]           Reste la question des dépens.

 

[56]           La défenderesse voudrait que lui soient accordés les dépens avocat-client, ou bien des dépens spéciaux correspondant, au minimum, à l’extrémité supérieure de la colonne V du Tarif B, au 4 juin 2009, outre les dépens ordinaires qui normalement découleraient d’une telle procédure.

 

[57]           La date à compter de laquelle la défenderesse sollicite ces dépens spéciaux correspond à la date à laquelle elle a eu affaire à la demanderesse après que celle-ci eut négligé de communiquer la lettre adressée en 1998 à Revenu Canada par Mme Rosemary J. Anderson, au nom de la demanderesse. Dans la lettre, datée du 4 juin 2009, la défenderesse informait la demanderesse que, à compter de cette date, si la demanderesse décidait de mener plus loin la procédure, alors la défenderesse tenterait d’obtenir des dépens spéciaux. Le fondement de ces dépens spéciaux est que, d’après la défenderesse, la demanderesse avait peu d’arguments à faire valoir, sinon aucun. La réclamation dont il s’agit ici n’est pas la même que celle qui fut examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Papiers Scott 2006, précité, mais la défenderesse fait valoir que c’est la même demanderesse, qui dépose le même type de réclamation, pour obtenir de la Cour le même redressement, après l’expiration du délai de prescription prévu par la Loi. Bien que cela n’ait pas été plaidé dans la portion principale de la présente affaire, la défenderesse affirme essentiellement qu’elle a droit à des dépens spéciaux parce que le recours de la demanderesse constitue un abus de procédure. Voir l’arrêt Toronto(Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.), Section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, paragraphe 38. La défenderesse fait observer que c’est la deuxième fois que Sa Majesté la Reine a dû se présenter devant la Cour pour défendre la disposition même qui fut examinée par la Cour d’appel fédérale et pour laquelle la Cour suprême a refusé l’autorisation de pourvoi.

 

[58]           Le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) prévoit que la Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens. Selon le paragraphe 400(6), ce pouvoir discrétionnaire englobe le pouvoir d’adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client. Je ne crois pas que la situation à laquelle nous avons affaire ici se prête à des dépens spéciaux. Il est clair en droit que les dépens avocat-client sont accordés lorsque l’une des parties a montré une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante (Roberts c. Canada., [2000] 3 C.N.L.R. 303, paragraphe 142 (C.A.F.)). Selon la Cour suprême du Canada, « les dépens entre avocat et client ne sont accordés qu’en de rares occasions ». Voir l’arrêt Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, 2002 CSC 13, paragraphe 86.

 

[59]           Je ne constate ici, chez la demanderesse, aucune conduite que l’on pourrait qualifier de « répréhensible, scandaleuse ou outrageante » et donc d’abus de procédure. S’agissant de l’inertie de la demanderesse à communiquer la lettre de Mme Anderson, il n’est pas établi devant la Cour que ce manquement a eu lieu dans une intention malicieuse ou dans le dessein de tromper la défenderesse. D’ailleurs, dans sa tentative de différencier l’arrêt Papiers Scott 2006 de la Cour d’appel fédérale, la demanderesse s’est fondée sur une modification rétroactive de la Loi et a pu produire comme preuve, sans que la défenderesse y trouve à redire, l’existence d’une politique ministérielle au sein de l’ARC.

 

[60]           Des dépens spéciaux ne peuvent être accordés du seul fait que la réclamation de la demanderesse n’avait nul bien-fondé ou que l’affaire est chose jugée (ou qu’elle est sujette au principe de la préclusion pour question déjà tranchée). Il ne s’agit pas ici d’un cas où l’importance et la complexité des questions, le volume de travail requis ou l’intérêt public à ce que l’affaire soit jugée justifient une adjudication particulière de dépens ou une taxation de dépens selon un barème majoré.

 

[61]           En conclusion, compte tenu de tous les facteurs pertinents, les dépens seront accordés à la défenderesse en tant que dépens partie-partie, et ils seront taxés selon la fourchette médiane de la colonne III du Tarif B.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  Les appels dont les nos du greffe sont T-1509-07, T-1510-07, T-1511-07, T-1512-07 et T‑1513-07 sont rejetés;

2.                  Les dépens sont adjugés à la défenderesse et seront taxés selon la fourchette médiane de la colonne III du Tarif B.

 

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      T-1509-07, T-1510-07, T-1511-07,

                                                            T-1512-07, T-1513-07

 

INTITULÉ :                                       PRODUITS KRUGER LIMITÉE

                                                            c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 MARS 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

DU JUGEMENT :                             LE 12 AVRIL 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brian Pel

J. Warnock

 

POUR LA DEMANDERESSE

André LeBlanc

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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