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Cour fédérale

Federal Court

 

Date :  20100413

Dossier :  IMM-5100-09

Référence :  2010 CF 394

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2010

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

MARIE SOLANGE GUERILUS

NADEGE OSNE

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la loi), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 21 septembre 2009, selon laquelle les demanderesses ne sont ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

 

Contexte factuel

[2]               La demanderesse principale, Marie Solange Guerilus, et sa fille, Nadège Osne, sont toutes deux citoyennes d’Haïti. Elles demandent l’asile au Canada. La demanderesse principale allègue qu’elle et sa fille seraient persécutées dans leur pays en raison du fait que son feu mari était un partisan du président Aristide.

 

[3]               La demanderesse principale soutient également que son mari a participé à des activités politiques. Il a été battu à plusieurs reprises par des opposants d’Aristide entre 1991 et 1999. Les opposants d’Aristide ont aussi menacé son mari et les membres de sa famille pour son activisme.

 

[4]               La maison familiale fut incendiée le 1er octobre 1999. Le mari de la demanderesse a fui avec leurs deux fils pour l’île de Gonave. La demanderesse, qui n’était pas à la maison au moment de l’incendie, a quitté Haïti le 10 octobre 1999.

 

[5]               La demanderesse a ensuite été informée que son mari avait été porté disparu suite au naufrage du bateau à bord duquel il était embarqué.

 

[6]               La demanderesse et sa fille ont demandé l’asile aux États-Unis le 12 décembre 1999 mais leurs demandes d’asile ont été rejetées. Les demanderesses sont restées aux États-Unis jusqu’à leur arrivée au Canada le 23 octobre 2007, où elles ont présenté une demande d’asile, craignant d’être déportées en Haïti.

 

Décision contestée

[7]               Le tribunal a conclu que les demanderesses n’ont pas rencontré leur fardeau de preuve (Hernandez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 1126, [2008] A.C.F. no 1397 (QL); Valenzuela Del Real c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 140, 168 A.C.W.S. (3d) 368) et qu’elles ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Selon le tribunal, les risques énumérés par les demanderesses relèvent d’un risque généralisé et non personalisé. Le tribunal a aussi conclu qu’il existe un refuge interne pour les demanderesses en Haïti.

 

Questions en litige

[8]               Cette demande présente les questions en litige suivantes :

1.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant que les demanderesses n’étaient pas visées par un risque personnalisé en Haïti?

2.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant qu’il existe une possibilité de refuge interne (PRI) pour les demanderesses?

 

Norme de contrôle

[9]               L’examen d’une demande en vertu du paragraphe 97(1) de la loi nécessite une enquête individuelle (Prophète c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2009 CAF 31, 387 N.R. 149 au par. 7 (Prophète (FCA)). En conséquence, la norme de contrôle appropriée est la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Gabriel v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2009 FC 1170, [2009] F.C.J. No. 1545 (QL) au par. 10; Parada c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2009 CF 845, [2009] A.C.F. no 1021 (QL)).

 

[10]           La norme de contrôle applicable aux questions de possibilité de refuge interne (PRI) était la décision manifestement déraisonnable (Khan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 44, 136 A.C.W.S. (3d) 912; Chorny c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CF 999, 238 F.T.R. 289). Suivant Dunsmuir, la Cour doit continuer de faire preuve de retenue dans la détermination d’une PRI. Conséquemment, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus au par. 47). Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. 

 

1.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant que les demanderesses n’étaient pas visées par un risque personnalisé en Haïti?

 

[11]           Le paragraphe 97(1)b) de la loi exige que les demanderesses soient visées par un risque personnalisé et non un risque généralisé qui touche d’autres personnes au pays.

 

[12]           Il est reconnu que le risque de toutes formes de criminalité est un risque généralement ressenti par tous les Haïtiens. La jurisprudence réitère de façon constante que la sécurité est une situation qui touche l’ensemble de la population en Haïti. Ce risque encouru par l’ensemble de la population ne rencontre pas les critères des articles 96 et 97 de la loi ((Prophète c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 331, 167 A.C.W.S. (3d) 151 (Prophète (CF)); Cius c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 1, 164 A.C.W.S. (3d) 142)). 

 

[13]           En l’espèce, la demanderesse principale a témoigné craindre les personnes qui persécutaient son mari il y a 10 ans. Toutefois, lorsque le tribunal lui a demandé si des personnes spécifiques et identifiables pouvaient éventuellement représenter un danger pour elle, la demanderesse n’a pas été en mesure de répondre (notes sténographiques aux paragraphes 146-150) et n’a pas établi qu’elle vivrait un risque personnalisé si elle retournait en Haïti. À la lecture du dossier, la Cour est d’avis que la demanderesse n’a pas démontré le fondement objectif et subjectif de sa crainte de persécution selon la prépondérance des probabilités.

 

[14]           Il est en effet bien établi qu’un demandeur d’asile doit fournir les éléments de preuve qu’il juge nécessaire pour démontrer que sa demande d’asile est bien fondée (Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), (1994), 48 A.C.W.S. (3d) 1427, [1994] A.C.F. no 578 (QL) au par. 9). Le fardeau de preuve repose sur le revendicateur d’asile de démontrer qu’il serait déraisonnable pour lui de chercher refuge dans une autre partie du pays ou de prouver l’existence réelle de conditions l’empêchant de se relocaliser ailleurs (Ramirez c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 1214, [2008] A.C.F. no. 1533 (QL); Palacios c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 816, 169 A.C.W.S. (3d) 619 au par. 9). Tel que noté dans Kovacs c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 1473, [2006] 2 R.C.F. 455 au par. 33 :

« C'est aux demandeurs qu'il incombait de fournir des éléments de preuve à l'appui de leur demande d'asile (Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 578 (1re inst.) (QL), par. 9-10; Kante c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 525 (1re inst.) (QL), par. 8)… »

 

[15]           Le fait que la demanderesse principale allègue à plusieurs reprises qu’elle ne veut pas retourner en Haïti en raison de l’insécurité générale au pays ne suffit pas à la qualifier de réfugiée sous l’article 96 de la loi ou de personne à protéger sous l’article 97 de la loi. L’appréciation de la crainte chez les demanderesses doit se faire in concreto, plutôt que dans une perspective abstraite et générale (Ahmad c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2004 CF 808, 134 A.C.W.S. (3d) 493 au par. 22). Au regard de la preuve au dossier, la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve de démontrer qu’elle vivrait un risque personnalisé. La conclusion du tribunal sur ce point est donc raisonnable.

 

2.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant qu’il existe une possibilité de refuge interne (PRI) pour les demanderesses?

 

[16]           Selon la demanderesse principale, il était déraisonnable pour le tribunal de conclure à la possibilité de refuge interne compte tenu du caractère déraisonnable de cette possibilité et de sa situation particulière (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1994] 1 C.F. 589, 163 N.R. 232 (C.A.F.) au par. 12).

 

[17]           La demanderesse avait le fardeau de démontrer qu’elle ne pouvait bénéficier d’aucune possibilité de refuge interne dans une autre partie de son pays. Il lui revenait de démontrer qu’elle risquait sérieusement d’être persécutée partout en Haïti et qu’il était objectivement déraisonnable pour sa part de se prévaloir d’un refuge interne (Thirunavukkarasu; Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration, [1992] 1 C.F. 706, 140 N.R. 138).

 

[18]           Il y a deux volets à considérer pour établir une PRI : le tribunal doit d’abord être convaincu selon la prépondérance des probabilités que les demandeurs ne risquent pas sérieusement d’être persécutés à l’endroit proposé aux demandeurs; et la situation à l’endroit proposé doit être telle qu’il n’est pas déraisonnable pour eux d’y chercher refuge (Thirunavukkarasu).

 

[19]           Pour ce qui est du premier volet de l’analyse, le tribunal a déterminé que la demanderesse ne risquait pas sérieusement d’être persécutée par ses prétendus persécuteurs. La demanderesse n’a pas réussi à démontrer que le risque auquel elle ferait face est personnalisé car elle n’a pas pu identifier exactement qui sont ses persécuteurs (notes sténographiques aux pp. 148-150). En conséquence, les demanderesses n’ont pas pu démontrer que le risque est personnalisé et elles n’ont pas soumis de preuve qu’il ne serait pas loisible pour elles de se relocaliser dans une autre partie du pays.

 

[20]           Il incombait aux demanderesses de démontrer pourquoi, selon la prépondérance des probabilités, elles risquent sérieusement d’être persécutées dans une partie du pays où il y aurait une possibilité de refuge intérieur (Thirunavukkarasu). Les demanderesses doivent franchir un seuil très élevé afin de démontrer que la PRI est déraisonnable. Tel qu’expliqué dans Ranganathan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2001] 2 C.F. 164, 266 N.R. 380 (C.A.F.), ci-dessus au par. 15 :

 

«  …Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lien sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause… »

 

[21]           Les demanderesses n’ont pas convaincu cette Cour que la possibilité de refuge interne est déraisonnable et que le tribunal a commis une erreur qui justifie l’intervention de cette Cour. 

 

[22]           Cette demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification.

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5100-09

 

INTITULÉ :                                       Marie Solange Guerilus et al c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 avril 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Luc R. Desmarais

 

POUR LES DEMANDERESSES

Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Me Desmarais

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Myles Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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