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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20100409

Dossier : DES-7-08

Référence : 2010 CF 379

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2010

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR);

 

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

ET MOHAMED ZEKI MAHJOUB.

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Mahjoub propose que Henry Garfield Pardy soit qualifié d’expert dans le cadre de la requête en exclusion d’éléments de preuve présentée en vertu du paragraphe 83(1.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (LIPR). M. Mahjoub cherche à faire qualifier M. Pardy à titre d’expert sur les questions suivantes :

(1)   les services consulaires et le programme des services consulaires au Canada;

 

(2)   la circulation de l’information de nation à nation par les voies diplomatiques en matière de maintien de l’ordre et de sécurité;

 

(3)   la quantité de renseignements partagés par ces voies;

 

(4)   les facteurs qui influencent la fiabilité de ces renseignements;

 

(5)   l’évaluation de l’information, y compris les renseignements secrets;

 

(6)   comment les renseignements secrets peuvent avoir eu des répercussions sur les Canadiens détenus à l’étranger;

 

(7)   la véritable culture du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) en ce qui concerne les droits de la personne des Canadiens détenus à l’étranger entre 1998 et 2003.

 

 

[2]               En ce qui a trait au dernier domaine d’expertise proposé, l’avocat de M. Mahjoub a modifié la requête en qualification durant les plaidoiries. L’avocat a reconnu que M. Pardy ne pouvait pas s’exprimer sur la véritable culture du SCRS, mais a soutenu qu’il pouvait s’exprimer sur la conduite du SCRS qu’il a observée en matière d’échange de renseignements sur les Canadiens détenus à l’étranger.

 

[3]               Dans ses observations, l’avocat de M. Mahjoub a également fait valoir que M. Pardy doit être qualifié pour livrer un témoignage d’expert sur des questions qui ont trait à la torture et aux mauvais traitements et sur la façon de porter un jugement sur la probabilité de torture ou de mauvais traitements relativement à des personnes détenues à l’étranger.

 

[4]               Les ministres conviennent que M. Pardy a l’expertise dans le domaine des affaires consulaires et des relations diplomatiques. Ils admettent qu’il peut livrer un témoignage d’expert sur les services consulaires et sur le programme des services consulaires au Canada.

 

[5]               Les ministres n’admettent pas que M. Pardy a l’expertise en ce qui a trait à la circulation d’information de nation à nation par les voies diplomatiques en matière de maintien de l’ordre et de sécurité. Ils conviennent que M. Pardy peut livrer une opinion sur la circulation d’information de nation à nation par les voies diplomatiques et consulaires dans la mesure où cette information vise les affaires diplomatiques ou consulaires. Les ministres reconnaissent que M. Pardy a en effet reçu des renseignements mais maintiennent que ceux-ci étaient accessoires à son mandat aux Affaires étrangères. Par conséquent, les ministres contestent l’étendue de l’expertise dans ces domaines.

 

[6]               Les ministres conviennent que M. Pardy peut émettre une opinion sur la quantité de renseignements partagés par les voies diplomatiques et consulaires et les facteurs qui influencent la fiabilité de ces renseignements. Il est également convenu que M. Pardy peut livrer un témoignage d’expert sur la façon d’évaluer l’information de nature diplomatique et consulaire, y compris les renseignements secrets.

 

[7]               Les ministres soutiennent de plus que M. Pardy n’a aucune expertise quant à la question de savoir comment les renseignements secrets peuvent avoir eu des répercussions sur les Canadiens détenus à l’étranger ou quant à l’effet de l’échange de renseignements, par le SCRS, sur les personnes détenues à l’étranger.

 

[8]               Les parties conviennent que le critère d’admissibilité du témoignage d’opinion livré par un expert est énoncé dans l’affaire R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9. Quant au critère requis, les ministres contestent principalement la question de savoir si M. Pardy est un expert suffisamment qualifié. Les parties conviennent que, pour qu’un témoin soit qualifié à livrer un témoignage d’opinion sur un sujet en particulier, il doit posséder des connaissances ou une expérience spéciales sur le sujet qui dépassent celles que possède un juge des faits.

 

[9]               La question consiste à déterminer, par conséquent, si M. Pardy devrait être qualifié à titre d’expert pour livrer un témoignage dans la présente requête. Et si tel est le cas, quels sont les domaines d’expertise dans lesquels M. Pardy est qualifié à livrer un témoignage d’opinion?

 

 

[10]            La preuve établit que, tout au long de sa longue et vaste carrière aux Affaires étrangères, M. Pardy avait l’obligation d’interagir avec les gouvernements étrangers et différentes entités, y compris des services de renseignement, en tant que représentant du gouvernement du Canada. En raison de son emploi aux Affaires étrangères, il a occupé de nombreux postes, y compris ceux d’attaché de liaison et d’ambassadeur. Dans le cadre de ces fonctions, il a reçu de l’information et des renseignements secrets qu’il a évalués et transmis au gouvernement du Canada. La preuve démontre, par exemple, que M. Pardy :

·        a reçu de l’information d’entités militaires étrangères aux fins d’analyser la croissance de forces militaires face au conflit dans le cadre de la guerre entre l’Inde et le Pakistan (1969 -1972 – Deuxième secrétaire, Haut commissariat du Canada, New Delhi, Inde.)

 

·        a obtenu de l’information sur des menaces terroristes potentielles auprès de missions des Affaires étrangères déployées à l’étranger et d’organismes nationaux, aux fins d’informer le gouvernement canadien de l’existence de ces menaces pour permettre d’élaborer les politiques de sécurité appropriées en vue des Jeux olympiques de Montréal (1972-1978 Ottawa. Section de la sécurité nationale, division de la liaison en matière de sécurité.)

 

·        a agi en tant qu’agent de liaison pour fournir des renseignements canadiens à des organismes américains et pour recevoir des renseignements provenant d’organismes américains, y compris l’Agence centrale de renseignements (CIA), pour le compte du gouvernement du Canada, en ce qui a trait à des questions de non‑prolifération. Dans le cadre de ce rôle, il a dressé des rapports relativement aux renseignements qu’il a reçus, en fonction de sa compréhension de la politique américaine (1978-1982 Conseiller, ambassade canadienne, officier de liaison renseignement, Washington D.C., Central Intelligence Agency; questions de non‑prolifération.)

 

·        a reçu des renseignements d’organismes de renseignement étrangers aux fins de déterminer la politique canadienne relativement à la sédition au Sri Lanka (1985‑1989. Ottawa. Directeur, division Asie-Pacifique du Sud).

 

 

[11]            M. Pardy n’a jamais travaillé pour le SCRS, et n’a jamais travaillé pour un autre service de renseignement. Il n’aurait aucun argument sur lequel s’appuyer pour livrer un témoignage d’opinion sur la circulation ou la transmission d’information et de renseignements secrets par la voie diplomatique en matière de sécurité. Même s’il est vrai qu’il a reçu et évalué de l’information et des renseignements secrets que lui ont remis les services de renseignement et de maintien de l’ordre, y compris la CIA, ces gestes ont été posés alors qu’il agissait à titre de responsable aux Affaires étrangères. Cette expérience ne fait pas de lui un expert sur le maintien de l’ordre ni sur la circulation d’information de nation à nation par les voies diplomatiques en matière de sécurité, pas plus qu’il n’est un expert sur la quantité d’information ou de renseignements secrets partagés par ces mêmes voies diplomatiques.

 

[12]           Je note cependant que M. Pardy a l’expertise nécessaire quant à l’évaluation de l’information, y compris les renseignements secrets, et quant aux facteurs influençant la fiabilité de ces renseignements. Cette expertise, cependant, se limite aux renseignements reçus par les voies diplomatiques ou consulaires, et se fonde sur l’expérience que M. Pardy a acquise à évaluer l’information et les renseignements secrets dans le cadre de ses fonctions diplomatiques et consulaires.

 

[13]           Étant donné les antécédents et l’expérience de M. Pardy, et plus particulièrement ses connaissances limitées sur l’échange de renseignements entre les organismes de renseignement ainsi que ses connaissances limitées sur les activités du SCRS et des autres organismes de renseignement, je conclus qu’il ne possède pas l’expertise requise pour livrer un témoignage d’opinion sur les conséquences ou l’effet de l’échange de renseignements, par le SCRS, sur les Canadiens détenus à l’étranger. De plus, il n’a pas l’expertise pour s’exprimer sur la façon dont l’information ou les renseignements secrets partagés entre les organismes de renseignement peuvent avoir eu des répercussions sur les Canadiens détenus à l’étranger.

 

[14]           J’en viens maintenant à la question de savoir si M. Pardy est qualifié pour livrer un témoignage d’opinion sur la question déterminante de la torture et des mauvais traitements subis par les Canadiens détenus à l’étranger. Dans le cadre de son mandat à titre de directeur général de la Direction générale des affaires consulaires (1995-2003), M. Pardy devait veiller à la protection des droits des Canadiens et des Canadiennes à l’étranger. Il devait aussi évaluer, lors de ce mandat, la probabilité que des Canadiens détenus à l’étranger subissent des mauvais traitements ou de la torture. M. Pardy a témoigné que ses évaluations se basaient, pour la plupart, sur des renseignements publics fournis par des sources secondaires, comme Amnistie internationale et, dans certains cas, sur des renseignements obtenus directement auprès du personnel canadien. À mon avis, l’expérience de M. Pardy lui fournit un fondement suffisant pour livrer un témoignage d’opinion sur les conditions de détention et de traitement des personnes détenues à l’étranger.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      Pour les motifs exposés ci-dessus, je suis d’avis que M. Pardy est qualifié pour livrer un témoignage d’opinion fondé sur l’expérience qu’il a acquise dans ses fonctions diplomatiques et consulaires, relativement à ce qui suit :

a)      les services consulaires et le programme des services consulaires au Canada;

 

b)      la circulation de l’information de nation à nation par les voies diplomatiques ou consulaires;

 

c)      la quantité de renseignements partagés par les voies diplomatiques ou consulaires;

 

d)      les facteurs qui influencent la fiabilité de ces renseignements reçus par les voies diplomatiques ou consulaires;

 

e)      l’évaluation de l’information, y compris les renseignements secrets, reçue par les voies diplomatiques ou consulaires;

 

f)        les conditions de détention et de traitement des personnes détenues à l’étranger.

 

 

 

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    DES-7-08

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE c.

                                                                        MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         Du 24 mars au 1er avril 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 avril 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Donald MacIntosh

Marcel Larouche

Rhonda Marquis

Sharon Stewart Guthrie

Nfnanthfka Kameira

 

POUR LES DEMANDEURS

Barbara Jackman

Marlys Edwardh

Adriel Weaver

 

Anil Kapoor

Gordon Cameron

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS SPÉCIAUX

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DEMANDEURS

Jackman & Associates

 

Marlys Edwardh Barristers Professional Corporation

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 


AVOCATS SPÉCIAUX :

Gordon Cameron

Anil Kapoor

 

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