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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20100218

Dossier : 09-T-52

Référence : 2010 CF 176

Montréal (Québec), le 18 février 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

LOUIS-PHILIPPE ROCHON

requérant

et

 

LE MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA

et

LE GROUPE RESPONSABLE

DE LA RÉVISION DES CONDAMNATIONS

intimés

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Par la  présente requête, Louis-Philippe Rochon (le requérant) vise à obtenir une prorogation de délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire ( mandamus et certiorari)  afin de faire annuler une décision rejetant sa demande de révision de sa condamnation criminelle rendue par le ministre de la Justice (le Ministre ou l’intimé).

 

Faits et historique procédural

[2]               Le requérant est présentement détenu suite à une condamnation criminelle. Le 6 février 2004, il soumet au ministre de la Justice une demande en vertu de la partie XXI.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (le Code) afin de faire réviser sa condamnation criminelle. Le Code confère au Ministre le pouvoir de réviser une condamnation afin de déterminer si une erreur judiciaire a été commise. Le Groupe responsable de la révision des condamnations criminelles (GRCC) est chargé de réviser les demandes, mener des enquêtes et faire des recommandations au Ministre.   

 

[3]               Le 28 mars 2007, le Ministre rend une décision rejetant la demande de révision au stade de l’évaluation préliminaire. Malgré ce refus initial, le requérant peut, dans un délai d'un an, soumettre d'autres éléments et renseignements pour faire modifier la décision préliminaire (voir DORS⁄2002-416, art. 4).

 

[4]               Suite au refus initial, le requérant et son procureur, Me Asselin (l’ancien procureur), entreprennent plusieurs démarches auprès du GRCC afin d'obtenir des éclaircissements au sujet de la décision et demandent les documents consultés par le GRCC qui sont cités dans la décision. Le 3 décembre 2007, le GRCC recommande au requérant de s'adresser au Bureau d’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (le Bureau) pour obtenir les documents et informations demandées. 

 

[5]               Le 9 janvier 2008, l’ancien procureur formule une demande d’accès auprès du Bureau. Le 17 janvier 2008, par l’entremise de l’avocate qui s’occupait de la demande de révision d’un coaccusé, le requérant apprend que la nouvelle politique en matière de demande d’accès à l’information et de divulgation du GRCC est de ne pas communiquer les renseignements directement au requérant ou à son représentant, mais il faut dorénavant passer par le processus de l’accès à l’information.

 

[6]               Finalement, le 14 avril 2008, le requérant voit sa demande rejetée de façon définitive car la période d'un an est échue et aucune preuve additionnelle n’a été soumise.

 

[7]               Entre temps, le requérant s'adresse à Projet Innocence Québec et retient les services d’une autre procureure, celle qui est présentement au dossier. Le 11 décembre 2008, il obtient par son entremise la divulgation des renseignements en provenance du Bureau. Insatisfait de ces informations, il formule une demande d’accès en date du 26 mars 2009, auprès de la Commission d’accès à l’information du Québec et auprès du Service de police de la Ville de Montréal. Le Service de police de la Ville de Montréal rejette sa demande le 19 juin 2009.         

 

[8]               Le 8 avril 2009, la Commission d’accès à l’information du Québec refuse la demande du requérant et lui suggère de procéder par le biais des agences fédérales d’accès à l’information puisque le GRCC est un organisme fédéral. La procureure formule alors une demande auprès de l’agence fédérale en date du 26 mai 2009. À cette même date, elle fait aussi parvenir une demande de divulgation de renseignements auprès de la Gendarmerie royale du Canada.  Le 15 juin 2009, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada répond ne pas être en mesure de pouvoir aider le requérant dans ses démarches parce que la demande n'est pas soumise à sa juridiction. Le 29 juin 2009, la procureure dit avoir reçu un appel de la part de l’accès à l’information de la GRC l'informant que la demande est spéciale et nécessitera un délai important pour la traiter. La procureure affirme n’avoir jamais reçu d’autres informations de la GRC. 

 

[9]               Dans son affidavit, le requérant affirme qu’il a toujours eu l’intention de contester la décision. Il dit aussi que suite au refus à l’étape de l’évaluation préliminaire, il voulait procéder par voie de mandamus devant la Cour supérieure du Québec afin d’obtenir les documents demandés et être en mesure de présenter de nouvelles preuves. Il décide par contre de suspendre le dépôt de sa requête en mandamus et de procéder via les mécanismes de l’accès à l’information puisqu’il y avait alors un litige semblable devant la Cour supérieure du Québec (affidavit de Louis-Philippe Rochon para. 36 à 39). La cause Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 QCCA 746, J.E. 2009-827, est en appel devant la Cour d’appel du Québec lorsque le requérant obtient la divulgation du Bureau.

 

[10]           Finalement, le 21 avril 2009, la Cour d’appel du Québec rend sa décision et confirme que seule la Cour fédérale a juridiction pour entendre les litiges relatifs aux décisions prises par le Ministre. La Cour suprême du Canada rejette la demande d’autorisation d’appel le 8 octobre 2009 ([2009] C.S.C.R. no 254). Le 20 octobre 2009, le requérant dépose la présente requête en prorogation de délai.     

 

Législation pertinente

[11]           Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

 

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

 

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

Analyse

[12]           Compte tenu de l’importance de la question, de l’ampleur des documents et de la jurisprudence à produire, le juge Pinard de notre Cour a ordonné que la requête soit entendue en présence des parties. J’ai donc eu le bénéfice d’entendre les plaidoiries orales avant de rendre la présente décision.

 

[13]           La jurisprudence nous enseigne que quatre éléments sont à considérer lorsqu'il s'agit de décider si une requête en prorogation de délai doit être accordée ou refusée : il doit y avoir eu une intention constante de la part du requérant de présenter sa demande; la cause doit être défendable; il doit y avoir une explication raisonnable pour le retard et la prorogation de délai ne doit causer aucun préjudice à l’autre partie (Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.)). Ce critère est souple et doit être appliqué de manière à ce que justice soit rendue. Il s’ensuit qu’une prorogation peut être accordée même si l’un des éléments n’est pas rencontré (Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, [2007] A.C.F. no 37 (QL) au paragraphe 33).  

 

Intention constante

[14]           Le requérant affirme qu’il a toujours eu l’intention de contester le rejet de sa demande de révision. Il argue que les démarches entreprises auprès du GRCC et éventuellement par le biais de différentes agences d’accès à l’information pour obtenir les documents cités dans la décision témoignent de cette intention. J’accepte donc que les faits démontrent que le requérant avait l’intention de contester la décision du Ministre mais malheureusement, comme on le verra plus loin, il n'a pas fourni une explication raisonnable pour avoir retardé à s'exécuter.

  

Cause défendable

[15]           Le requérant allègue essentiellement que la décision du Ministre est fondée sur des éléments de preuve qui ne lui ont pas été divulgués. Il souligne qu’il ne peut pas vraiment contester le bien-fondé de la décision puisqu’il n’a pas accès aux documents en question. Même s’il ne l’a pas clairement argumenté, je suis prêt à accepter que cet argument pourrait être soulevé comme étant une atteinte à l'équité procédurale. Sans me prononcer sur le bien-fondé ou non de la décision du Ministre je ne crois pas que cette cause soit si peu fondée qu’il faille la rejeter à cette étape-ci (Marshall c. Canada, 2002 CAF 172, [2002] A.C.F. no 669 (QL) au paragraphe 24).  

 

Préjudice

[16]           Je ne suis pas convaincu que l'intimé subira un préjudice important si la requête en prorogation est accordée.   

 

Explication raisonnable

[17]           Je ne crois pas que le requérant rencontre ce critère. En effet, il affirme qu’il a toujours eu l’intention de contester la décision du refus de sa demande de révision. Il dit aussi que suite au refus à l’étape de l’évaluation préliminaire, il voulait procéder par voie de mandamus devant la Cour supérieure du Québec afin d’obtenir les documents demandés et être en mesure de présenter de nouvelles preuves, mais il a décidé d’attendre jusqu’au jugement final dans Bilodeau.

 

[18]           J’ai de la difficulté avec cet argument, car si on considère les dates des évènements, on note que le rejet initial de sa demande de révision est daté du 28 mars 2007 et la confirmation finale est en date du 14 avril 2008. Déjà, le 4 janvier 2008, l'intimé présentait une requête en irrecevabilité dans le dossier Bilodeau. La Cour supérieure rend sa décision le 18 mars 2008, donc avant le rejet final de la demande de révision du requérant. La décision de la Cour d’appel du Québec est datée du 21 avril 2009. Le requérant attend pendant une période de 18 mois, soit du 14 avril 2008 au 20 octobre 2009, avant de déposer sa requête devant la Cour fédérale.

 

[19]           Je note aussi que le requérant n’a jamais demandé le contrôle judiciaire des décisions administratives portant sur l’accès aux documents qu'il désirait obtenir.

 

[20]           Dans les dossiers 09-T-53 et 09-T-60, les requérants ont entamé des procédures judiciaires devant la Cour supérieure du Québec. Ici, le requérant n'a rien fait de tel. Il aurait pu au moins tenter d'obtenir un consentement de la part de l'intimé à l'effet que son dossier soit suspendu jusqu'à une détermination finale dans le dossier Bilodeau. Je considère donc que l'explication offerte par le requérant pour justifier son retard à déposer une demande de contrôle judiciaire n'est pas raisonnable, compte tenu des circonstances.

 

[21]           Je ne peux pas présumer non plus qu'il s'agit d'une erreur d'un de ses procureurs car il n'existe aucune allégation ou preuve à cet effet.

 

[22]           Même si je reconnais que les éléments dans Grewal sont flexibles, je suis d'avis que le manque d'explication raisonnable du délai l'emporte et malheureusement pour le requérant, sa demande de prorogation pour contester la décision finale du 14 avril 2008 sera rejetée.

 

[23]           Quant à la demande du requérant relativement à une prorogation de délai pour une demande de mandamus afin de forcer l'intimé à lui fournir des documents, je constate que le requérant aurait pu déposer une plainte au Commissaire à l'information en vertu de l'article 30 de la Loi sur l'accès à l'information s'il était insatisfait de la réponse du 3 décembre 2007 de l'intimé. Il aurait pu exercer un recours en révision en vertu de l'article 41 de la même loi à la suite d'une décision négative du Commissaire.

 

 

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête du requérant en prorogation de délai soit rejetée. Le tout sans frais.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        09-T-52

 

INTITULÉ :                                       LOUIS-PHILIPPE ROCHON c.

LE MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA

ET AL

 

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 février 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lida Sara Nouraie                                                        POUR LE REQUÉRANT

Geneviève Beaudin

Michel Asselin                                                             

 

Jacques Savary

Laurent Brisebois                                                          POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Desrosiers, Joncas, Massicotte

Montréal (Québec)                                                       POUR LE REQUÉRANT

 

Michel Asselin

Montréal (Québec)                                                       POUR LE REQUÉRANT

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LES INTIMÉS

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

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