Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100409

Dossier : IMM-1194-09

Référence : 2010 CF 362

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2010

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

ENTRE :

JOSE CESAR FIDEL BAEZA ET

CARMEN PILAR RODRIGUEZ VELASQUEZ

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.        Aperçu

 

[1]               Les demandeurs se sont enfuis du Pérou au Canada en novembre 1998. Ils ont demandé l’asile au motif qu’ils avaient été menacés par l’armée péruvienne et par un groupe de guérilleros communistes appelé le Sentier Lumineux. La demande d’asile des demandeurs a été rejetée en 2000, et leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée en 2001.

 

[2]               En 2002, un avis de convocation à une entrevue a été envoyé aux demandeurs, mais ils ne s’y sont pas présentés. Un mandat a été décerné en vue de leur arrestation. Les demandeurs allèguent qu’ils n’étaient pas au courant de l’entrevue ni du mandat d’arrestation jusqu’à ce qu’ils soient arrêtés en 2007. Ils ne s’étaient jamais cachés des autorités, et ils avaient toujours donné des coordonnées valides aux agents de l’immigration. Les demandeurs soupçonnent que l’avis de convocation a été envoyé à leur consultant en immigration, qui a plus tard été accusé de fraude et d’agression sexuelle.

 

[3]               Les demandeurs ont aussi demandé la résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire en mars 2003. Au fil des ans, ils ont mis à jour leur demande lorsqu’on le leur a demandé. Un agent d’immigration a refusé leur demande pour motifs d’ordre humanitaire en 2009. Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis de nombreuses erreurs, et ils me demandent d’ordonner qu’un autre agent réexamine leur demande. Je conviens que l’agent a commis une erreur, et j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Bien que les demandeurs aient présenté de nombreux motifs de contrôle judiciaire, je confinerai mon analyse à celui que j’ai trouvé le plus convaincant – la  question de savoir si l’agent a traité de manière raisonnable les éléments de preuve étayant l’établissement des demandeurs au Canada.

 

II.     Analyse

a)   L’analyse de l’établissement par l’agent

 

[5]               L’agent a souligné que les demandeurs étaient au Canada depuis plus de 10 ans. Cependant, il a aussi observé que, pendant la moitié de cette période, les demandeurs étaient visés par un mandat d’arrestation. Cet état de fait a amené l’agent à conclure que les demandeurs [TRADUCTION] « n’hésiteraient pas à faire fi des lois canadiennes pour demeurer au Canada ».

 

[6]               L’agent a ensuite examiné les antécédents professionnels de M. Fidel Baeza, qui comprenaient des emplois stables comme conditionneur de viande et comme peintre au fil des ans. L’agent a toutefois souligné qu’il y avait de petites divergences entre, d’une part, les périodes au cours desquelles M. Fidel Baeza avait indiqué avoir travaillé pour certains employeurs dans la demande pour motifs d’ordre humanitaire, et d’autre part, deux lettres de référence datant de 2001 et 2002. Il n’y avait aucune divergence dans la documentation plus récente.

 

[7]               Monsieur Fidel Baeza avait aussi produit des déclarations de revenus comme preuves d’emploi, mais l’agent a souligné que M. Baeza n’avait pas produit de formulaires T4 comme preuve corroborante additionnelle. En outre, M. Fidel Baeza avait produit des permis de travail valides pendant différentes périodes, mais qui ne couvraient pas tout le temps que les demandeurs avaient passé au Canada.

 

[8]               Aussi, compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, l’agent a posé l’alternative suivante : (1) soit M. Fidel Baeza n’avait pas travaillé pendant la période pertinente, de sorte qu’il n’avait pas réussi à démontrer qu’il était financièrement autonome; (2) soit il avait travaillé illégalement, autre preuve de son mépris des lois canadiennes.

 

[9]               En conclusion, l’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils étaient disposés à respecter les lois canadiennes et que, par conséquent, ils n’avaient pas démontré qu’ils s’étaient établis au Canada. En conséquence, quitter le Canada ne leur causerait pas de difficultés inhabituelles, injustes ou indues.

 

b)   L’agent a-t-il traité les éléments de preuve de manière raisonnable?

 

[10]           J’ai des réserves à l’égard de deux aspects de l’analyse de l’agent :

 

(i)        La réticence des demandeurs à se conformer aux lois canadiennes;

(ii)       Les antécédents professionnels de M. Fidel Baeza.

 

[11]           Puisque ces deux questions se recoupent, je les traiterai ensemble.

 

[12]           À mon avis, l’agent a sauté à la conclusion que les demandeurs étaient réticents à se comporter comme des personnes respectueuses de la loi au sein de la société canadienne, en se fondant sur le fait qu’ils ne s’étaient pas présentés à une entrevue en 2002. Bien que cela puisse constituer une considération valable dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’égard d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire, l’agent disposait de nombreux éléments de preuve établissant que les demandeurs avaient communiqué régulièrement avec les autorités de l’immigration au fil des ans. Il est clair qu’ils ne se soustrayaient pas à la détection. Ils tentaient de régulariser leur statut relativement à l’immigration. À mon avis, la preuve n’étaye pas la conclusion de l’agent selon laquelle l’entrevue ratée représentait une attitude générale de mépris des lois canadiennes de la part des demandeurs.

 

[13]           L’agent a apparemment été conforté dans son opinion précitée au sujet des demandeurs par son examen des antécédents professionnels de M. Fidel Baeza. L’agent a laissé entendre que, soit M. Baeza mentait au sujet de son expérience de travail, soit, encore une fois, il n’avait pas respecté les lois canadiennes en travaillant parfois sans permis.

 

[14]           L’agent avait des réserves quant à la concordance des renseignements communiqués au sujet de périodes passées à travailler pour certains employeurs en 2001 et 2002. En fait, les périodes au dossier sont concordantes, sauf dans une mise à jour que les demandeurs ont produite en 2008. Une erreur d’écriture semble avoir été commise. Cette divergence mineure ne justifiait pas que l’agent émette l’hypothèse que M. Baeza mentait peut-être au sujet de ses antécédents professionnels.

 

[15]           Pour ce qui concerne la préoccupation de l’agent au sujet de l’absence de formulaires T4 corroborant, je crois qu’il incombait à l’agent de faire part de ses préoccupations aux demandeurs et de leur donner l’occasion de produire des éléments de preuve additionnels avant de conclure qu’ils mentaient peut-être : Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1111.

 

[16]           L’agent a aussi estimé que, si M. Fidel Baeza avait travaillé à des époques où il n’avait pas de permis de travail, cela constituait une preuve de plus de mépris des lois canadiennes. Là encore, je ne crois pas qu’il s’agissait-là d’une inférence raisonnable. Pour prouver qu’ils s’étaient établis au Canada, les demandeurs devaient démontrer qu’ils étaient financièrement autonomes. Il serait injuste de faire jouer une preuve d’emploi stable contre eux du seul fait qu’ils n’ont pas détenu des permis de travail valides en tout temps depuis qu’ils sont arrivés au Canada : Lau c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1984] 1 C.F. 434 (C.A).

 

[17]           Je fais observer que les lignes directrices relatives à la question de l’établissement (Guide opérationnel, 1P5) indiquent que les agents devraient examiner les questions suivantes :

 

•           Le demandeur a-t-il des antécédents d'emploi stable?

•           Y a-t-il une constante de saine gestion financière?

•           Le demandeur s'est-il intégré à la collectivité par une participation aux organisations communautaires, le bénévolat ou d'autres activités?

•           Le demandeur a-t-il amorcé des études professionnelles, linguistiques ou autres pour témoigner de son intégration à la société canadienne?

•           Le demandeur et les membres de sa famille ont-ils un bon dossier civil au Canada (p. ex., aucune intervention de la police ou d'autres autorités pour abus de conjoint ou d'enfants, condamnation criminelle)?

 

[18]           Les lignes directrices ne mentionnent pas des transgressions relativement mineures, comme rater une entrevue ou travailler sans permis.

 

[19]           À mon avis, la conclusion de l’agent selon laquelle les demandeurs ne s’étaient pas établis au Canada était déraisonnable, compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, et cette conclusion n’était pas conforme aux lignes directrices.

 

III.          Conclusion et décision

 

[20]           Je conclus que la conclusion de l’agent sur la question de l’établissement était déraisonnable. Cette prémisse a rendu déraisonnable sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas droit à une réparation fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre agent réexamine la demande des demandeurs. La présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un tribunal différemment constitué;

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1194-09

 

INTITULÉ :                                       BAEZA, ET AL. c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 12 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 19 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Manuel Mendelzon

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

POULTON LAW OFFICE

Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

JOHN H. SIMS, C.R.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.