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Federal Court

 

Cour fédérale

Date : 20100408

Dossier : IMM-883-09

Référence : 2010 CF 375

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2010

En présence de Monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

HUGO JIMENEZ GOMEZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 22 janvier 2009, qui lui a refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur voudrait que la décision de la Commission soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à la Commission pour nouvelle décision.

 

Introduction

 

[3]               Le demandeur est un homosexuel qui a fui le Mexique pour venir au Canada en 2007, en quête d’une protection contre son ex-compagnon, Ignacio. La Commission a rejeté sa demande d’asile parce que selon elle il pouvait obtenir de l’État au Mexique une protection suffisante. La Commission a estimé que le demandeur avait été un témoin difficile qui, sur les aspects essentiels de sa demande, avait rendu des témoignages contradictoires, confus, invraisemblables et évasifs. Néanmoins, la Commission était disposée à admettre la majeure partie de son récit aux fins d’analyser la question de la protection de l’État.

 

Le contexte

 

[4]               Le demandeur a rencontré Ignacio lors d’une fête à Cuernavaca, au Mexique, en décembre 2005, et ils ont commencé une liaison romantique. Il affirme qu’Ignacio travaillait pour le gouvernement mexicain. Il dit aussi qu’ils ont commencé à cohabiter en février 2006, mais qu’Ignacio est alors devenu violent et jaloux, jusqu’à le mordre violemment à une reprise.

 

[5]               En juillet 2006, le demandeur a tenté de dénoncer Ignacio aux autorités mexicaines, mais celles-ci ne l’ont pas cru. Il affirme qu’il avait vu Ignacio vendre et utiliser de faux documents d’identité.

 

[6]               En août 2006, le demandeur a été détroussé, enlevé et détenu durant trois jours, au cours desquels il a été tabassé. Il croit fortement que c’est Ignacio qui avait organisé le rapt. Il affirme avoir signalé l’incident à la police, mais que celle-ci n’a rien fait. Il affirme aussi qu’il a plus tard découvert que sa carte de crédit volée avait été débitée d’une somme de 50 000 $US.

 

[7]               Le demandeur dit que, en novembre 2006, il s’est installé à Tulum, à quelque 1 050 kilomètres. Le 23 août 2007, revenant du travail, il a vu Ignacio qui l’attendait. Ignacio était très en colère et a menacé de le tuer avec un couteau. Le demandeur affirme que, dans la lutte qui s’en est suivie, il a été lacéré au bras et a été violé. Il dit avoir signalé les faits à la police tôt le lendemain matin. La police s’est rendue à son appartement pour prendre des photos et lui a dit qu’il devrait quitter la région. Quelques semaines plus tard, le demandeur est parti pour le Canada.

 

La décision de la Commission

 

[8]               La Commission a rejeté la demande d’asile au motif que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État au Mexique.

 

[9]               Après avoir exposé le droit applicable, la Commission a résumé quelques renseignements généraux tirés de la preuve documentaire concernant les forces de sécurité au Mexique, le niveau de démocratie et les moyens employés dans le pays pour lutter contre la corruption. Puis elle a examiné les trois cas où le demandeur affirmait avoir tenté d’obtenir de l’État une aide ou une protection.

 

[10]           La Commission a estimé qu’il n’avait pas été déraisonnable pour la police de ne pas ouvrir une enquête lorsque le demandeur lui avait signalé les opérations d’Ignacio liées aux fausses pièces d’identité. La police lui avait dit qu’il lui faudrait d’autres preuves avant d’aller plus loin. Il n’a pas été établi à l’audience que le demandeur avait tenté de fournir des preuves additionnelles à la police.

 

[11]           S’agissant de l’enlèvement, la Commission a estimé que la police n’avait pas refusé d’aider le demandeur. La police avait dit qu’elle enquêterait, mais le demandeur ne lui avait pas donné suffisamment de renseignements. Le demandeur n’avait pu identifier aucun des ravisseurs. Il avait dit à la police que son seul ennemi était Ignacio. Son exposé circonstancié précisait qu’il avait embauché un avocat pour qu’il donne suite à la dénonciation qu’il avait faite à la police, mais que la police n’avait rien fait. Questionné à ce sujet, il avait répondu qu’il n’avait fait qu’un seul appel téléphonique pour savoir ce qu’il en était, alors que, d’après son témoignage, sa compagnie de carte de crédit l’avait plus tard informé qu’une somme de 50 000 $US avait été retirée par les ravisseurs, et il avait dit qu’il n’avait pas jugé utile de faire intervenir la Commission des droits de la personne. S’agissant des 50 000 $US, l’unique preuve soumise à la Commission était son témoignage d’après lequel il avait assumé la dette et avait emprunté auprès d’amis pour la rembourser. Il n’avait pas fait de dénonciation à la police. La Commission n’a pas accepté cette explication.

 

[12]           S’agissant de l’agression dont il disait avoir été victime à Tulum en août 2007, la Commission a estimé que la police était bien intervenue, comme elle le devait, et qu’elle était encore en train d’enquêter. Le récit du demandeur à propos de ce qu’il avait dit à la police n’est pas clair. On ne savait pas s’il avait donné à la police le nom d’Ignacio. Le demandeur n’avait pas la copie de la dénonciation qu’il avait faite à la police, de telle sorte que la Commission a examiné attentivement la lettre d’un ami du demandeur qui avait tenté d’obtenir du poste de police la copie de la dénonciation. La police avait dit à l’ami du demandeur que l’information était confidentielle, vu qu’une enquête était en cours.

 

[13]           La Commission a conclu que rien ne permettait d’affirmer que la police ne faisait pas de réels efforts pour mener son enquête, ajoutant que la décision du demandeur de quitter le Mexique avait pu retarder ou entraver l’enquête.

 

Les points litigieux

 

[14]           Les points litigieux sont les suivants :

            1.         Quelle est la norme de contrôle?

            2.         La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État était-elle raisonnable?

 

Les conclusions écrites du demandeur

 

[15]           Le demandeur dit que, puisque la Commission n’a pas dit qu’elle ne le croyait pas, alors elle devait accepter comme crédibles et dignes de foi la preuve et le témoignage qu’il avait produits. Les doutes qu’avait pu avoir la Commission sur sa crédibilité sont expliqués par le rapport du psychologue, selon lequel le demandeur avait pu avoir du mal à témoigner, et par l’absence d’un interprète.

 

[16]           Selon le demandeur, la conclusion de la Commission sur le premier incident est déraisonnable. La Commission n’a pas dit quels autres documents le demandeur aurait pu présenter. Le demandeur avait bien donné aux autorités le nom d’Ignacio et leur avait indiqué l’acte criminel dont il avait été un témoin oculaire. Ce témoignage aurait pu être le point de départ d’une enquête.

 

[17]           Le demandeur affirme que la conclusion de la Commission sur le deuxième incident est elle aussi déraisonnable. Il avait témoigné qu’il avait téléphoné trois fois à la police pour savoir où en étaient les choses. Par ailleurs, contrairement à la conclusion de la Commission, le demandeur avait bel et bien communiqué à la police, dans sa dénonciation écrite, des détails suffisants qui désignaient Ignacio.

 

[18]           S’agissant du troisième incident, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en concluant que, parce qu’une enquête était en cours, l’État apportait sa protection. Le fait que la police lui avait conseillé de [traduction] « quitter la région » constitue manifestement un aveu d’incapacité de l’État à le protéger. Lorsqu’elle s’interroge sur l’existence d’une protection de l’État, la Commission doit se demander si l’État est disposé à agir.

 

[19]           Le demandeur affirme aussi qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que la Commission ne lui a pas fourni un interprète lorsqu’elle a constaté qu’il avait du mal à témoigner. Finalement, le demandeur n’avait pas été informé des aspects auxquels il devait répondre, puisque la question de la protection de l’État n’avait pas été évoquée avant l’audience de la Commission.

 

Les conclusions écrites du défendeur

 

[20]           Le demandeur prétend que son récit doit être réputé crédible, mais la Commission a tout simplement estimé que le témoignage du demandeur quant au niveau de la protection de l’État n’était pas convaincant.

 

[21]           Le défendeur dit que la conclusion de la Commission sur le premier incident n’était pas déraisonnable et il réitère les motifs de la Commission. S’agissant du deuxième incident, la preuve démontre que le demandeur avait donné des renseignements incomplets à la police. Selon son témoignage, il n’avait parlé à la police que durant cinq minutes et, dans sa dénonciation, il n’avait rien dit du vol de sa carte de crédit ni de l’endroit où pouvait se trouver Ignacio. Pour autant, le Mexique considère l’enlèvement comme un délit très grave, et il avait été établi qu’une enquête était encore en cours.

 

[22]           S’agissant du troisième incident (l’agression commise en août 2007), le défendeur croit que le raisonnement de la Commission est solide. D’ailleurs, il était loisible à la Commission de dire que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption puisqu’il avait quitté le Mexique avant que la police ait eu l’occasion de réagir et d’enquêter.

 

[23]           Selon le défendeur, les questions d’équité procédurale ont été soulevées trop tard dans la présente instance. S’agissant de l’interprétation des témoignages, un interprète avait été présent tout au long de l’audience. La Commission avait indiqué dès le début de l’audience que le demandeur voulait que la procédure se déroule en anglais. Le président de l’audience avait également dit au demandeur que l’interprète serait à sa disposition pour lui expliquer tout ce qu’il ne comprendrait pas. En outre, le demandeur était représenté par un avocat qui, d’après le dossier, n’a jamais élevé la moindre objection sur l’interprétation ou sur l’ordre des interrogatoires. S’agissant de l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’avait pas été informé de ce à quoi il devait répondre, le formulaire d’examen initial renfermait un avis qui l’informait qu’il devait déposer des preuves et se préparer à témoigner sur « tous les éléments de la demande d’asile ».

 

L’analyse et la décision

 

[24]           Le point n° 1

Quelle est la norme de contrôle?

            Les questions portant sur le niveau de la protection de l’État sont des questions mixtes de droit et de fait, qui sont revues d’après la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413, au paragraphe 38).

 

[25]            En l’espèce cependant, le demandeur conteste des conclusions factuelles précises tirées par la Commission. Il ne trouve rien à redire à la manière dont la Commission a exposé ou interprété le droit relatif au caractère suffisant ou non de la protection de l’État. Il ne prétend pas non plus que le droit a été appliqué fautivement aux faits constatés par la Commission. Il conteste plutôt les conclusions factuelles elles-mêmes tirées par la Commission. Ces conclusions de fait doivent être revues selon la norme exposée dans l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, ainsi rédigé :

18.1(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

 

[. . .]

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18.1(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

. . .

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

 

[26]            Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. n° 12 (QL), la Cour suprême s’est récemment exprimée sur l’incidence de cette directive du législateur.

46     De façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence.  Ce qui est tout à fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir.  Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales.

 

 

C’est avec ce degré élevé de retenue à l’esprit que je vais maintenant examiner les conclusions de fait de la Commission.

 

[27]           Le point n° 2

            La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État était-elle raisonnable?

            La Commission a exposé le droit relatif à la protection de l’État, et je reproduis ici ces propos :

Un demandeur d’asile doit s’adresser à l’État en quête de protection s’il est raisonnablement possible de l’obtenir ou, subsidiairement, s’il est objectivement raisonnable de la part du demandeur d’asile de solliciter cette protection.

Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la p. 724.

 

Le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur d’asile est directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause : plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le demandeur d’asile devra avoir cherché à épuiser tous les recours qui s’offrent à lui.

M.C.I. c. Kadenko, Ninal (C.A.F., A-388-95), Hugessen, Décary, Chevalier, 15 octobre 1996.

Décision publié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kadenko (1996), 143 D.L.R. (4e), 532 à 536 (C.A.F.).

 

Un demandeur d’asile venant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il disposait dans son pays avant de demander l’asile.

Hinzman, Jeremy c. M.C.I. et Hughey, Brandon David c. M.C.I. (C.A.F., A-182-06; A-185-06), Décary, Sexton, Evans, 30 avril 2007; 2007 CAF 171, para 46.

 

Aucun État ne peut garantir une protection parfaite. Lorsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne réfutera pas la présomption de la protection de l’État.

 

Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 à 615 (C.A.).

M.E.I. c. Villafranca, Ignacio (C.A.F., A-69-90), Hugessen, Marceau, Décary, 18 décembre 1992.

Décision publié : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2e) 130 à 134 (C.A.F.).

 

 

 

[28]           Le demandeur ne s’est pas dit en désaccord avec cet exposé du droit, mais il a voulu préciser que les efforts faits par un État pour protéger ses citoyens doivent être mesurés d’après l’efficacité des efforts en question au niveau opérationnel (voir Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 385, [2007] A.C.F. n° 118).

 

[29]           Le défendeur voudrait pareillement préciser que, comme on peut le lire dans un arrêt récent de la Cour d’appel fédérale, Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, c’est au demandeur qu’il appartient de produire des preuves pertinentes, dignes de foi et convaincantes propres à persuader le juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est déficiente (voir l’arrêt Carillo, précité, paragraphe 30).

 

[30]           Le demandeur précise quant à lui qu’il suffit à un demandeur d’asile de produire des preuves claires et convaincantes pour réfuter la présomption (voir la décision Garcia, précitée, paragraphe 19).

 

[31]           Ce sont là, me semble-t-il, des éclaircissements utiles, mais je ne crois pas que la Commission a mal compris ou mal appliqué le droit.

 

[32]           En concluant que la présomption d’existence d’une protection de l’État n’avait pas été réfutée, la Commission ne disait pas qu’une protection avait été apportée au demandeur au regard des deux premières plaintes. Elle disait plutôt que le demandeur n’avait pas fait d’efforts suffisants pour obtenir une protection.

 

[33]           Le demandeur affirme aussi que, parce que la Commission n’a pas directement mis en doute sa crédibilité, alors sa preuve et son témoignage doivent être admis comme crédibles et dignes de foi. Je ne partage pas cet avis. La Commission écrivait qu’elle accepterait son témoignage pour son analyse de la question de la protection de l’État. Une telle affirmation n’obligeait pas la Commission à tenir pour avéré tout ce qu’avait dit le demandeur. La Commission n’a pas dit qu’elle acceptait l’intégralité du récit du demandeur, ni la version du récit la plus favorable à la cause du demandeur. Le demandeur ne saurait maintenant dans la présente demande de contrôle judiciaire tenter d’affiner et de préciser ce qu’étaient les aspects essentiels de son récit.

 

[34]           Tout en acceptant les aspects essentiels de son récit, la Commission pouvait quand même apprécier la preuve et estimer si le témoignage du demandeur était digne de foi. Par exemple, devant les incohérences du témoignage du demandeur, la Commission était habilitée à dire quelle version, selon elle, était la plus probable.

 

[35]           Réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État requiert une preuve très persuasive. La Commission était fondée à dire que la preuve du demandeur, même si elle était digne de foi, n’était pas assez claire ou assez convaincante pour que soit réfutée la présomption d’existence d’une protection de l’État.

 

[36]           La Cour doit garder à l’esprit qu’« il ne suffit pas que la preuve produite soit digne de foi; elle doit aussi avoir une valeur probante. Pensons par exemple au cas d’éléments de preuve dénués de pertinence : ils seront peut-être dignes de foi, mais ils n’auront aucune valeur probante ». (voir l’arrêt Carrillo, précité, paragraphe 30). Par conséquent, la question de la crédibilité ne sera pas nécessairement déterminante si la preuve produite, crédible ou non, n’a tout simplement pas une valeur probante suffisante. Selon les mots de M. le juge Zinn, l’agent d’ERAR « ni ne croit ni ne croit pas » l’allégation d’un demandeur d’asile, mais « il n’est pas convaincu » (voir la décision Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, [2008] A.C.F. n° 1308 (QL), paragraphe 34).

 

[37]           À mon avis, la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de révision lorsqu’elle a conclu que la présomption d’existence d’une protection de l’État n’avait pas été réfutée.

 

[38]           S’agissant de la première fois que le demandeur avait eu affaire aux autorités, quand il avait dénoncé le trafic de fausses pièces d’identité, la Commission n’a pas jugé déraisonnable que la police n’ouvre pas une enquête puisque le demandeur ne lui avait remis aucun document étayant ses accusations. On ne saurait dire que cette conclusion factuelle de la Commission était manifestement erronée. Il était raisonnable pour la Commission de conclure que la protection de l’État n’était pas déficiente du seul fait que la police avait demandé la production de preuves corroborantes avant de pouvoir lancer une enquête.

 

[39]           La Commission n’était pas tenue de conjecturer quant à savoir quelles preuves le demandeur aurait dû présenter à la police.

 

[40]           S’agissant de l’incident au cours duquel le demandeur aurait été enlevé et détroussé, la Commission a trouvé que sa dénonciation de l’incident à la police était incomplète. Selon moi, il était loisible à la Commission de dire que le témoignage du demandeur n’était pas clair ou convaincant. Le demandeur n’avait pu identifier aucun de ses ravisseurs et, alors qu’il avait dit à la police que selon lui c’est Ignacio qui avait ordonné l’enlèvement, il ne lui avait pas dit où elle pouvait trouver Ignacio. Le demandeur n’avait pas non plus signalé à la police que sa carte de crédit volée avait été débitée d’une somme de 50 000 $US. On ne peut guère s’attendre à ce que les forces policières d’un État enquêtent d’une manière efficace quand des éléments importants des actes criminels allégués restent inconnus.

 

[41]           Pareillement, s’agissant du dernier incident, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu’il ne constituait pas une preuve claire et convaincante de l’absence d’une protection suffisante. La police avait commencé à enquêter après l’agression commise par Ignacio, mais le demandeur avait quitté le Mexique six jours plus tard. Il était raisonnable pour la Commission de penser que son départ avait pu faire obstacle à l’enquête.

 

[42]           Le demandeur affirme enfin que, si certains aspects de son témoignage n’étaient pas clairs, c’était parce qu’il témoignait en anglais, sans l’aide d’un interprète. Cependant, comme je l’écrivais plus haut, c’est au demandeur qu’il appartient d’établir tous les aspects de son dossier, et il était en tout temps représenté par un avocat compétent. En tout état de cause, le demandeur n’a souligné aucun fait, ni aucun aspect de son témoignage, omis ou mal compris, dont la prise en compte par la Commission aurait changé radicalement les choses dans les conclusions de la Commission ou dans le présent contrôle judiciaire.

 

[43]           Dans son argumentation écrite produite en réponse, le demandeur avançait un argument selon lequel il y aurait eu manquement à l’obligation d’équité procédurale au regard de l’interprétation et au regard de l’avis selon lequel la question de la protection de l’État serait évoquée. Dans son exposé complémentaire d’arguments, le demandeur écrivait que sa demande de contrôle judiciaire soulevait un seul point, à savoir le fait que d’après lui la conclusion de la Commission selon laquelle il n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État était déraisonnable. D’ailleurs, la question de l’équité procédurale n’a pas été soulevée dans l’avis de demande de contrôle judiciaire ni ne l’a été durant l’audition de la présente affaire. Par conséquent, je n’examinerai pas cette question. Je pourrais ajouter que, si j’avais examiné la question, j’aurais refusé de conclure qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale, compte tenu des circonstances de la présente affaire.

 

[44]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[45]           Aucune des parties n’a souhaité proposer une question grave de portée générale à certifier.

 

 

JUGEMENT

 

[46]           LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Les dispositions législatives applicables sont reproduites dans cette section.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-883-09

 

INTITULÉ :                                       HUGO JIMENEZ GOMES

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 8 AVRIL 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael F. Battista

 

POUR LE DEMANDEUR

Kareena Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jordan Battista LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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