Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20100331

Dossier : IMM-5015-09

Référence : 2010 CF 350

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

ARDIAN KRASNIQI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision du 24 septembre 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que le demandeur n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

Le contexte factuel

[2]               Le 30 mai 1997, le demandeur, un citoyen de l’Albanie, se trouvait dans un café dans son village de Dragobi avec son cousin, Jakup Ismaili. M. Hamdi Metaliaj et deux ou trois autres personnes sont entrés dans le café. M. Metaliaj a demandé à M. Ismaili de sortir du café pour qu’ils puissent avoir un entretien. Peu après, le demandeur a entendu des coups de feu à l’extérieur, puis il a vu M. Metaliaj gisant au sol.

 

[3]               Le demandeur a alors parlé au chef du village, qui lui a dit de rester chez lui jusqu’à ce que la situation ait été tirée au clair. Les membres de la famille de M. Hamdi Metaliaj (la famille Hamdi) ont dit au chef du village qu’ils chercheraient M. Ismaili, mais ils ont promis de ne rien faire avant d’avoir communiqué de nouveau avec lui.

 

[4]               Le 20 juillet 1997, la police a accusé M. Ismaili de meurtre, et un mandat d’arrestation a été délivré contre lui. Le demandeur n’a jamais revu M. Ismaili.

 

[5]               Le demandeur n’a eu aucun problème pendant plus de quatre ans après le meurtre de M. Metaliaj. Le 1er juin 2002, le chef du village a annoncé au demandeur que la famille Hamdi chercherait à assouvir sa vengeance. Le demandeur s’est adressé à l’organisation de réconciliation s’occupant des problèmes de vendetta. Le dirigeant de l’organisation, M. Hoti, a avisé le demandeur que la famille Hamdi refusait de négocier.

 

[6]               Le 4 mars 2005, le demandeur s’est rendu en Macédoine avec l’aide d’un passeur qui n’a pu obtenir les faux documents qui auraient permis au demandeur d’atteindre le Canada. Le passeur a pris les mesures nécessaires pour que le demandeur retourne en toute sécurité dans sa maison dans le village en Albanie le lendemain.

 

[7]               À 6 h le 18 octobre 2006, quelqu’un a fait feu sur le demandeur alors qu’il se trouvait à l’extérieur, sur son terrain. C’est à ce moment que le demandeur a décidé de quitter le pays.

 

[8]               Le 25 octobre 2007, le demandeur a quitté l’Albanie pour aller en Italie. Il a ensuite pris une voiture pour se rendre en France, où il est resté deux jours avant de s’envoler vers le Canada le 28 octobre 2007. Le demandeur a demandé l’asile le lendemain.

 

[9]               Le demandeur craint d’être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social. La demande d’asile du demandeur repose sur une prétendue crainte de persécution découlant d’une      « vendetta » déclenchée après que son cousin a tiré sur M. Metaliaj et l’a tué.

 

[10]           L’audition du demandeur a eu lieu le 1er septembre 2009.

 

La décision contestée

[11]           Les questions déterminantes dont la Commission était saisie avaient trait au lien, à la crédibilité, à la protection de l’État et à la possibilité de refuge intérieur. La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur pour trois motifs. D’abord, la Commission a estimé que le demandeur n’était pas crédible. Ensuite, elle a aussi conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle l’Albanie aurait pu le protéger s’il s’était réclamé de la protection de l’État. La Commission, enfin, a conclu que le demandeur pouvait se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur.

 

[12]           Dans Asghar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 768, 278 F.T.R. 302, la Cour a souligné qu’il était établi que la crainte de représailles motivées par de la vengeance ou le fait d’être victime d’un acte criminel ne constituait pas un motif de persécution tel que prévu par l’article 96 de la Loi (se reporter également à Rawji c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 87 F.T.R. 166, 51 A.C.W.S. (3d) 1143; Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327, 251 N.R. 388). Au paragraphe 25 de la décision Asghar, la Cour a conclu ainsi : « [l]es victimes d’actes criminels n’appartiennent pas de ce fait à un groupe social ». La Commission a donc rejeté l’argument du demandeur fondé sur ce motif.

 

[13]           La Commission a dégagé nombre de contradictions et d’incohérences du témoignage et de la preuve du demandeur, notamment ce qui suit :

a.       Au début de l’audience, le demandeur a confirmé que tous les renseignements paraissant dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) étaient exacts, véridiques et complets. Cependant, lorsqu’on lui a demandé l’âge de son cousin, il a modifié sa réponse, déclarant qu’il ne savait pas si son cousin avait 50 ou 60 ans et qu’il ne l’avait pas vu depuis 1997.

b.      Dans son exposé circonstancié, le demandeur a précisé que M. Metaliaj était accompagné de deux personnes lorsqu’il est entré dans le café. Le demandeur a toutefois changé sa réponse à l’audience et a indiqué que trois personnes étaient entrées en même temps que M. Metaliaj.

c.       Lorsqu’on lui a demandé si le chef du village, M. Izat Selimaj, avait parlé à la police au sujet du meurtre de M. Metaliaj, le demandeur a d’abord répondu [traduction] « Oui, sans doute », mais sa deuxième réponse a été [traduction] « J’ignore s’il s’est adressé à la police ». Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer cette contradiction, le demandeur a dit [traduction] « Je ne sais pas s’il a parlé à la police par la      suite ».

d.      Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi l’incident survenu le 4 mars 2005, soit lorsqu’il était allé en Macédoine dans le but de venir au Canada, pour revenir en Albanie, ne figurait pas dans son FRP, le demandeur a fait la déclaration suivante [traduction] « Je n’en ai pas parlé parce que je suis retourné en Albanie ». Selon la Commission, cela ne justifiait pas l’omission d’un fait aussi important.

e.       Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il était retourné en Albanie après s’être rendu en Macédoine plutôt que d’aller dans un autre pays pour y demander l’asile, le demandeur a répondu qu’il avait peur de rester en Europe. Le demandeur a indiqué qu’il faisait plus confiance à ce passeur qu’à la police parce que le père de son épouse le connaissait. Cependant, le retour du demandeur en Albanie, où la situation était pire, soulevait de sérieux doutes quant à sa crainte subjective de retourner dans la maison du même village dans laquelle il avait été enfermé pendant plus de quatre ans.

 

[14]           Ensuite, la Commission a conclu que même si le demandeur avait été crédible, ce dernier aurait pu se réclamer de la protection de l’État. Le demandeur ne s’est jamais adressé à la police albanaise pour obtenir sa protection. La Commission a souligné que des éléments de preuve documentaire, notamment l’article 3.6.9. de la directive opérationnelle (Operational Guidance Notes) de l’agence des frontières et de l’immigration (Border and Immigration Agency) du ministère de l’intérieur (Home Office) du R.-U., démontraient que, règle générale, le gouvernement albanais pouvait fournir une protection efficace à ses citoyens victimes de vendettas, exception faite de certains cas particuliers où le niveau de protection était insuffisant en pratique, et qu’il était disposé à offrir cette protection. Le niveau de protection devrait être évalué au cas par cas. En l’espèce, a conclu la Commission, même si l’on prêtait foi au demandeur, celui-ci ne s’était adressé qu’à une organisation non gouvernementale, soit le comité de réconciliation nationale. Il ne s’était jamais adressé aux autorités, notamment à la police, pour obtenir une protection.

 

[15]           La Commission n’a reconnu aucune valeur probante à divers éléments de preuve documentaire, comme la pièce P-5, le rapport d’hôpital de Mehmet Rama, le beau-père du demandeur; la pièce P-6, la lettre d’un aîné du village de Valbone, Izat Selimaj; la pièce P-7, la lettre du président de la municipalité de Margegaj, Rexhe Buberi; la pièce P-8, la lettre du président du comité de réconciliation nationale, Gjin Marku, qui contenait la conclusion suivante : « L’État albanais ne peut pas assurer la sécurité des familles impliquées dans des conflits de vendetta ». La Commission a attribué peu de force probante à cette conclusion par trop générale.

 

[16]           La Commission a déclaré qu’un demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devait s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 362 N.R. 1). En l’espèce, le demandeur s’est tout simplement adressé au chef du village et à une organisation non gouvernementale; il ne s’est jamais adressé aux autorités policières du pays.

 

[17]           Lorsque la Commission a demandé au demandeur pourquoi il n’avait pas porté plainte auprès des autorités policières de son pays ou demandé à une femme de sa famille de porter plainte pour son compte, le demandeur a répondu que la police ne garantissait pas la protection des victimes de vendettas.

 

[18]           La Commission a souligné que le caractère adéquat de la protection de l’État ne pouvait pas se fonder sur la crainte subjective du demandeur (Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1050, 141 A.C.W.S. (3d) 116) et qu’un demandeur ne pouvait réfuter la présomption de la protection de l’État dans une démocratie qui fonctionne en faisant simplement valoir une réticence subjective à s’adresser à l’État (Judge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1089, 133 A.C.W.S. (3d) 157; Santiago c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 247, 165 A.C.W.S. (3d) 325). De l’avis de la Commission, le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[19]           La question de la possibilité de refuge intérieur (PRI), qui fait partie intégrante de la définition de « réfugié au sens de la Convention » (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706, 140 N.R. 138 (C.A.F.)), a été soulevée à l’audience. Même si le demandeur était crédible et même s’il n’existait aucune protection de l’État, les villes de Shkodër au nord, de Korçë à l’est et de Vlorë au sud-ouest ont été désignées comme PRI éventuelles.

 

[20]           Le meurtre de M. Metaliaj commis par le cousin du demandeur est survenu il y a plus de 12 ans dans le cadre d’un événement local. La Commission n’a pas cru que les persécuteurs auraient la volonté et les moyens de repérer et de trouver le demandeur en Albanie, un pays qui compte 3,6 millions d’habitants. Le demandeur n’a pas envisagé ni essayé de PRI, même lorsqu’il est revenu de Macédoine au début de mars 2005.

 

[21]           La Commission a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de démontrer qu’aucune PRI n’existait et, compte tenu des circonstances de l’affaire, qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de vivre dans l’une des villes désignées comme PRI. Le demandeur ne serait pas exposé à un grand danger physique et ne subirait pas d’épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie du pays ou pour y demeurer, et il ne mettrait en péril ni sa vie ni sa sécurité (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 164, 266 N.R. 380). Le demandeur a travaillé comme menuisier et il pourrait exercer le même métier dans une autre ville de l’Albanie.

 

Les questions en litige

[22]           La demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

                                       i.            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

                                     ii.               La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l’État?

                                    iii.               La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait se prévaloir d’une PRI raisonnable?

 

La norme de contrôle

[23]           Lorsqu’il est question de crédibilité et d’appréciation de la preuve, la Cour n’interviendra que si la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire ou abusive ou sans tenir compte d’éléments dont elle disposait (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.)). Avant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable. Depuis, la norme applicable est celle de la raisonnabilité.

 

[24]           La norme de contrôle applicable aux questions relatives à la protection de l’État est celle de la raisonnabilité (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, 137 A.C.W.S. (3d) 392, paragraphes 9 à 11; Gorria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 284, 310 F.T.R. 150, paragraphe 14; Chagoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 721, [2008] A.C.F. no 908 (QL), paragraphe 3).

 

[25]           La norme de contrôle applicable aux questions concernant la PRI était celle de la décision manifestement déraisonnable (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 44, 136 A.C.W.S. (3d) 912; Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, 238 F.T.R. 289). Depuis Dunsmuir, la Cour doit continuer de faire preuve de retenue lorsqu’une PRI est déterminée, cette décision appelant la nouvelle norme de la raisonnabilité. Conséquemment, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

Analyse

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

[26]           Selon le demandeur, la Commission a examiné dans une perspective étroite la preuve documentaire sur les mesures prises par l’État à l’encontre des vendettas, en vue de justifier les conclusions défavorables qu’elle a pu tirer.

 

[27]           Quant à la question du lien et de l’article 96, le demandeur soutient que la Commission a comparé à tort la présente affaire à l’affaire Ashgar, qui mettait en cause des menaces proférées contre un citoyen pakistanais par des criminels voulant empêcher le père du demandeur de témoigner. En Albanie par contre, soutient le demandeur, les vendettas constituent un problème endémique faisant partie intégrante de la culture depuis des siècles. Le demandeur prétend être ainsi victime d’un acte jugé socialement acceptable, et qu’on accorde depuis des années au Canada le droit d’asile aux personnes victimes de vendettas en Albanie. Selon le demandeur, c’est à tort que la Commission a établi que la victime d’une vendetta n’était pas visée par l’article 96 de la Loi.

 

[28]           Quant à sa confusion au sujet de l’âge de certains membres de sa famille, le demandeur prétend qu’on ne célèbre pas les anniversaires en Albanie, et qu’il s’était rendu compte après coup qu’il avait mal évalué l’âge de sa tante. Le demandeur soutient que son erreur de calcul ne devrait pas le faire juger manquer de crédibilité.

 

[29]           La Cour estime qu’il était loisible à la Commission, en l’espèce, de conclure que les contradictions et omissions survenues entachaient la crédibilité du demandeur.

 

[30]           La Commission est la mieux placée pour évaluer les explications fournies par le demandeur au sujet des contradictions et invraisemblances apparentes. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de fait tirées par la Commission quant à la crédibilité du demandeur (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325, paragraphe 36; Mavi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 104 A.C.W.S. (3d) 925, [2001] A.C.F. n° 1 (QL)).

 

[31]           Les conclusions de la Commission n’étaient pas déraisonnables en l’espèce, comme le témoignage et la preuve du demandeur étaient remplis d’incohérences. Le demandeur n’a pu répondre correctement à plusieurs questions posées par la Commission, notamment quant à l’âge de son cousin, au nombre de personnes ayant accompagné M. Metaliaj au café et à la question de savoir si le chef du village avait signalé le meurtre de M. Metaliaj à la police. On peut considérer la conclusion de la Commission être rationnelle et acceptable au regard de la preuve dont celle-ci était saisie (Dunsmuir, précité, paragraphe 47).

 

[32]           La Commission a relevé dans la preuve produite par le demandeur de nombreuses contradictions importantes qui minaient sa crédibilité. La Commission a fait remarquer, par exemple, que le demandeur n’avait pas mentionné son voyage en Macédoine dans son FRP, et cette importante omission lui a fait tirer, quant à la crédibilité du demandeur, une conclusion défavorable. Selon le défendeur, il était raisonnable pour la Commission de tirer pareille conclusion par suite du défaut du demandeur de divulguer des incidents d’importance centrale pour sa demande d’asile, cela faisant par ailleurs douter de la crédibilité de ses déclarations antérieures (Ndlovu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 851, 124 A.C.W.S. (3d) 347; Oloye c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 969, 108 A.C.W.S. (3d) 133).

 

[33]           Le demandeur a dit être retourné en Albanie après être allé en Macédoine parce qu’il craignait de rester en Europe où il serait toujours proche de l’Albanie. Le demandeur ne se sentait pas en sécurité en Europe; la preuve documentaire produite à l’audience confirme sans équivoque qu’on met à exécution les vendettas dans les autres pays d’Europe. Le demandeur estimait qu’il ne serait en sécurité que dans sa propre maison. La preuve documentaire le confirme également, selon les règles de la vendetta généralement respectées par tous les Albanais, on ne peut s’en prendre aux gens lorsqu’ils sont dans leur foyer.

 

[34]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pu expliquer de manière raisonnable pourquoi il n’avait pas demandé l’asile en Macédoine. Je suis du même avis que le défendeur. La Cour a en effet statué que le défaut pour un demandeur de demander l’asile lorsqu’il se trouvait dans un pays signataire de la Convention de 1951 ou du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés faisait douter de sa prétendue crainte subjective et de sa crédibilité générale (Prayogo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1508, 143 A.C.W.S. (3d) 1087, paragraphe 26; Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1318, 136 A.C.W.S. (3d) 894, paragraphe 5).

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l’État?

[35]           Le demandeur a demandé assistance à l’organisation de réconciliation nationale, qui a tenté de régler la situation; la famille Hamdi, toutefois, a refusé de négocier. En outre, bien que le gouvernement albanais ait modifié les lois du pays pour punir les actes de vendetta, ceux-ci continuent d’avoir cours et, notamment, de nombreuses familles restent cloîtrées chez elles par crainte de représailles dans le cadre de vendettas (Prifti c. Canada, 2009 CF 868, 83 Imm. L.R. (3d) 266, paragraphe 10).

 

[36]           Le défendeur fait remarquer en premier lieu que le demandeur a admis n’avoir jamais demandé la protection de la police. La seule organisation qu’il aurait prétendument approchée était une organisation non gouvernementale vouée à la lutte contre les vendettas. Or, « plus les institutions de l’État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui » (Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 206 N.R. 272, 68 A.C.W.S. (3d) 334 (C.A.F.), paragraphe 5).

 

[37]           Selon le défendeur, la question de la disponibilité de la protection de l’État est une question de fait qui relève de la compétence et de l’expertise de la Commission et qui, pour cette raison, mérite un degré de retenue élevé (Perjaku). Le défendeur soutient que l’argument du demandeur visait simplement à faire évaluer et apprécier de nouveau la preuve par la Cour, qui n’a toutefois pas un tel rôle à jouer.

 

[38]           La Cour suprême du Canada a statué qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y avait lieu de présumer que l’État était capable de protéger ses citoyens (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, paragraphe 51). Le degré de protection offert par l’État n’a pas à atteindre la perfection, mais doit plutôt être adéquat (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 150 N.R. 232, 37 A.C.W.S. (3d) 1259; Zalzali, [1991] 3 C.F. 605, 126 N.R. 126 (C.A.F.); Milev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 64 A.C.W.S. (3d) 659, [1996] A.C.F. n° 907 (QL)). Le fardeau de preuve qui incombe au demandeur est directement proportionnel au degré de démocratie atteint dans l’État en cause (Kadenko).

 

[39]           En l’espèce, il était légitime pour la Commission de conclure que, compte tenu du contexte, le demandeur n’avait pas épuisé tous les recours offerts par l’État. En outre, il était raisonnable pour la Commission d’estimer insuffisante l’explication donnée par le demandeur dans son témoignage, selon laquelle il ne s’était pas présenté à la police parce qu’elle n’aidait en rien à contrer les vendettas.

 

[40]           Dans l’arrêt Kadenko, la Cour d’appel fédérale a souligné qu’on ne pouvait automatiquement conclure qu’un État démocratique n’était pas en mesure de protéger ses citoyens du fait que certains policiers locaux avaient refusé d’intervenir. En l’espèce, le demandeur n’a pas fait diligence pour obtenir la protection de son pays avant de venir au Canada. Il n’a par conséquent pas présenté une preuve claire et convaincante permettant de réfuter la présomption voulant que l’Albanie soit en mesure de le protéger.

 

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait se prévaloir d’une PRI raisonnable?

[41]           Le demandeur soutient non seulement qu’il est impossible d’habiter en Albanie si une vendetta y met votre vie en péril, mais qu’il est même dangereux d’habiter alors dans tout autre pays  d’Europe, les meurtres par vengeance étant mis à exécution aussi loin qu’en Angleterre.

 

[42]           Le demandeur soutient que, même si la police et le gouvernement tentent d’empêcher et de restreindre les vendettas, il s’agit là d’une très vieille tradition toujours bien vivante en Albanie, particulièrement dans les petites collectivités comme le village en montagne du demandeur.

 

[43]           Selon le demandeur, la Commission n’a pas respecté les principes de justice naturelle et elle a commis une erreur en démontrant n’avoir aucune compréhension de la situation ayant véritablement cours en Albanie.

 

[44]           Le critère servant à établir s’il existe une PRI comporte deux volets. Le premier volet consiste à se demander s’il existe une autre partie du pays où la vie du demandeur ne serait pas en péril. Dans l’affirmative, il s’agit d’établir s’il serait objectivement déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur aille vivre dans une autre partie moins hostile de son pays avant de demander l’asile à l’étranger, et si cela lui ferait subir des épreuves indues (Rasaratnam; Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, 163 N.R. 232 (C.A.F.)). Le second volet est de nature objective : est-il objectivement raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur aille vivre dans une autre partie de son pays?

[45]           La Commission a mentionné des villes où le demandeur pourrait se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur. Le demandeur conteste cette conclusion de la Commission en citant simplement des cas particuliers de victimes de persécution qui n’ont pas été en mesure de se cacher. La Cour juge à cet égard insuffisants les exemples fournis par le demandeur.

 

[46]           La Cour d’appel fédérale a statué dans l’arrêt Rasaratnam que deux critères servaient à établir l’existence d’une possibilité de refuge intérieur. Premièrement, le demandeur d’asile ne doit pas risquer sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il disposerait d’une possibilité de refuge intérieur. Deuxièmement, la situation dans la partie du pays désignée comme constituant une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile, compte tenu de l’ensemble des circonstances, d’y chercher refuge.

 

[47]           Dans Thirunavukkarasu, la Cour a conclu que le seuil à respecter pour satisfaire au critère du caractère déraisonnable était très élevé, citant à cet égard  Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, 266 N.R. 380 (C.A.F.), paragraphe 15 :

[…] Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. […]

 

 

[48]           La décision de la Commission se fondait sur le témoignage du demandeur de même que sur la preuve documentaire versée au dossier. La Commission s’est penchée sur la situation du demandeur et a examiné s’il y avait pour lui une possibilité raisonnable d’aller vivre dans des villes telles que Shkodër, Korçë et Vlorë. Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau lui incombant de démontrer que la Commission avait commis une erreur susceptible de révision. La décision de la Commission était par conséquent raisonnable. Elle appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir; Khosa). La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

 

[49]           La présente demande ne soulève pas de question grave de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5015-09

 

INTITULÉ :                                       ARDIAN KRASNIQI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 MARS 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 31 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eric Freedman

 

POUR LE DEMANDEUR

Alexandre Tavadian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eric Freedman

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.