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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100331

Dossier : IMM-4886-09

Référence :  2010 CF 351

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2010

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

FRITZNER JULIEN

Partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la loi), à l’encontre d’une décision datée le 10 septembre 2009 de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal).

 

[2]               Le tribunal a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre du refus de la demande de résidence permanente au Canada de son épouse, madame Raymonde Charles, au titre de la catégorie du regroupement familial, en vertu du paragraphe 63(1) de la loi.

Contexte factuel

[3]               Le demandeur est un citoyen canadien né en Haïti. Il est arrivé au Canada en 1980, parrainé par sa première épouse qui est décédée en 2005.

 

[4]               L’épouse actuelle du demandeur, madame Raymonde Charles, est une citoyenne haïtienne qui a fait une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie du regroupement familial.

 

[5]               Le demandeur a connu madame Charles avant de quitter Haïti pour le Canada. Ils ont commencé à se fréquenter en 1968 et madame Charles est venue vivre chez le demandeur lorsqu’elle est tombée enceinte en 1969. En 1971, ils se sont séparés et madame Charles est retournée vivre chez ses parents avec leur fils. Ils ont gardé contact au début, mais vers la fin de 1972, leurs contacts se sont limités à des conversations au sujet de leur fils. Ce dernier est né avec une déficience.

 

[6]               Vers 1976 ou 1977, le demandeur a rencontré sa première épouse, qu’il a épousée en 1979. Suite à son départ pour le Canada en 1980, le demandeur maintient le contact avec madame Charles et il envoie de l’argent pour subvenir aux besoins de leur fils, ainsi que pour aider madame Charles à établir un petit commerce.

 

[7]               Le demandeur a fait plusieurs voyages en Haïti depuis son arrivée au Canada et il voyait madame Charles et son fils lors de chaque visite. En 1989, le demandeur est retourné en Haïti chercher son fils qu’il a amené au Canada.

 

[8]               En 2005, la première épouse du demandeur est décédée.

 

[9]               La mère du demandeur est décédée en 2007. Le demandeur est retourné en Haïti pour les funérailles de sa mère. Pendant ce séjour, il a épousé madame Charles. Seuls quatre témoins ont assisté au mariage et personne d’autre n’a été invité au mariage, pas même les quatre enfants de madame Charles vivant en Haïti, car le demandeur était en deuil.

 

[10]           Depuis le mariage, le demandeur est retourné en Haïti pour visiter madame Charles à deux reprises en 2008.

 

[11]           Le 8 mai 2008, la demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie du regroupement familial a été rejetée par un agent des visas qui était d’avis que le mariage entre le demandeur et son épouse visé par l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) n’est pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition de la résidence permanente au Canada. De plus, l’identité de madame Charles et celle de sa fille n’avaient pas été établie. L’agent des visas n’était pas convaincu de l’authenticité des documents fournis pour prouver l’identité de l’épouse du demandeur et sa fille.

 

[12]           Le demandeur a interjeté appel de la décision de l’agent des visas devant le tribunal en vertu du paragraphe 63(1) de la loi. Deux audiences ont eu lieu devant le tribunal : soit le 8 juin 2009 pour les témoignages et le 15 juin 2009 pour les soumissions orales des parties.

 

[13]           Au début de l’audience le 8 juin 2009, le conseil du ministre a avisé le demandeur de ses préoccupations concernant les documents attestant de l’identité de madame Charles.

 

[14]           Le 10 juin 2009, par l’intermédiaire d’une lettre de son avocate, le demandeur a demandé de rouvrir la preuve et de remettre l’audience prévue pour le 15 juin 2009 afin de lui accorder un délai raisonnable pour qu’il puisse obtenir un document corrigé pour établir l’identité de son épouse des Archives nationales d’Haïti.

 

[15]           Le 11 juin 2009, le conseil du ministre s’est objecté à cette demande en soulignant que la preuve était close.

 

[16]           Lors de l’audience du 15 juin 2009, le tribunal a rejeté la demande d’ajournement du demandeur.

 

[17]           Le 10 septembre 2009, le tribunal a rejeté l’appel du demandeur en raison de l’insuffisance de preuve de l’identité de son épouse, madame Charles.

 

[18]           L’authenticité du mariage n’est pas en cause dans ce contrôle judiciaire.

Décision contestée

[19]           Selon le tribunal, la preuve est insuffisante pour établir l’identité de madame Raymonde Charles selon la balance des probabilités. Le tribunal a aussi trouvé que la relation du demandeur et madame Charles est authentique et que le mariage n’a pas été conclu principalement pour permettre à madame Charles d’acquérir la résidence permanente au Canada. Madame Charles n’est pas visée par l’application de l’article 4 du Règlement.

 

[20]           L’identité de madame Charles est mise en doute notamment parce que la déclaration tardive de naissance de celle-ci déposée par le demandeur indique qu’elle aurait été faite par le père de madame Charles en 1999. Toutefois, alors que selon l’Annexe 1 de la demande de résidence permanente de madame Charles, son père serait décédé en 1994. Le demandeur a témoigné qu’il avait rempli lui-même l’Annexe 1 et qu’il est possible qu’il ait fait une erreur. De plus, le Certificat de Présentation au Temple déposé par le demandeur porte un numéro d’enregistrement différent de celui déposé initialement au dossier.

 

Questions en litige

[21]           Cette demande de contrôle judiciaire présente les questions suivantes :

1.         Est-ce que le refus du tribunal de rouvrir la preuve et conséquemment, d’accorder un délai supplémentaire au demandeur pour produire une nouvelle preuve sur l’identité de madame Charles, constitue un manquement aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale?

 

2.         Est-ce que le tribunal a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait quant à l’identité de madame Charles?

 

Législation pertinente

[22]           Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 :

Demande de changement de la date ou de l’heure d’une procédure

48. (1) Toute partie peut demander à la Section de changer la date ou l’heure d’une procédure.

 

Forme et contenu de la demande

(2) La partie :

 

a) fait sa demande selon la règle 43, mais n’a pas à y joindre d’affidavit ou de déclaration solennelle;

 

b) indique dans sa demande au moins six dates, comprises dans la période fixée par la Section, auxquelles elle est disponible pour commencer ou poursuivre la procédure.

 

Procédure dans deux jours ouvrables ou moins

(3) Dans le cas où les destinataires reçoivent la demande deux jours ouvrables ou moins avant la

 

 

 

Éléments à considérer

(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

 

a) dans le cas où elle a fixé la date et l’heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

 

b) le moment auquel la demande a été faite;

 

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

 

d) les efforts qu’elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

 

e) dans le cas où la partie a besoin d’un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d’aller de l’avant en l’absence de ces renseignements sans causer une injustice;

 

f) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l’expérience de son conseil;

 

g) tout report antérieur et sa justification;

 

h) si la date et l’heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

 

i) si le fait d’accueillir la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable;

 

j) la nature et la complexité de l’affaire.

Application to change the date or time of a proceeding

 

48. (1) A party may make an application to the Division to change the date or time of a proceeding.

 

Form and content of application

(2) The party must

 

 

(a) follow rule 43, but is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration; and

 

(b) give at least six dates, within the period specified by the Division, on which the party is available to start or continue the proceeding.

 

 

Application received two days or less before proceeding

(3) If the party’s application is received by the recipients two working days or less before the date of a proceeding, the party must appear at the proceeding and make the request orally.

 

Factors

(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

 

 

 

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

 

(b) when the party made the application;

 

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

 

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

 

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party’s arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

 

 

(f) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

 

(g) any previous delays and the reasons for them;

 

(h) whether the time and date fixed for the proceeding were peremptory;

 

(i) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings; and

 

(j) the nature and complexity of the matter to be heard.

 

Norme de contrôle

[23]           La Cour est d’accord avec les parties pour statuer que la norme de contrôle applicable aux questions de droit, de justice naturelle et d’équité procédurale est la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Dhaliwal c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 296, 165 A.C.W.S. (3d) 888 au par. 36; Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile) c. Philip, 2007 CF 908, 160 A.C.W.S. (3d) 525).

 

[24]           L’évaluation de la preuve documentaire et des témoignages est une question de fait qui implique l’appréciation de la preuve du demandeur par le tribunal. La norme de contrôle applicable à de telles questions d’évaluations de faits est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir; Thach c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 658, [2008] A.C.F. no 834 (QL)).

 

 

 

 

 

 

1.         Est-ce que le refus du tribunal de rouvrir la preuve et conséquemment, d’accorder un délai supplémentaire au demandeur pour produire une nouvelle preuve sur l’identité de madame Charles, constitue un manquement aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale?

 

[25]           Le demandeur soutient que le tribunal aurait dû faire droit à sa demande d’ajournement pour lui permettre de produire une preuve additionnelle concernant l’identité de son épouse puisque sa méprise sur la fiabilité des documents reposait sur l’erreur de son avocat.

 

[26]           Le demandeur soutient de plus que dans Construction Gilles Paquette ltée c. Entreprises Végo ltée, [1997] 2 R.C.S. 299, 212 N.R. 212 au paragraphe 21, la Cour suprême du Canada a conclu : « qu’une partie ne doit pas être privée de son droit par l’erreur de ses procureurs, lorsqu’il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans injustice à l’égard de la partie adverse ». Dans Phui c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CFPI 791, 115 A.C.W.S. (3d) 855, cette Cour a conclu qu’il ne faut pas priver un demandeur de ses droits en raison d’une erreur commise par son propre avocat.

 

[27]           Le demandeur allègue enfin que le document que le demandeur souhaitait obtenir en cours d’ajournement aurait pu changer les conclusions du tribunal concernant l’identité de madame Charles et qu’il était dans l’intérêt de l’administration de la justice d’y faire droit.

 

[28]           Le principe selon lequel le droit à un ajournement n’est pas absolu-car il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire du tribunal administratif-est bien établi (Wagg v. Canada, 2004 CAF 303, [2004] 1 F.C.R. 206 au par. 19; Schurman v. Canada, 2003 CAF 393, 315 N.R. 71; Gearlen c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 874, 274 F.T.R. 303; Hardware v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2009 FC 338, 345 F.T.R. 1). Lorsqu’un tribunal refuse un ajournement, il faut examiner les circonstances propres à chaque cause pour déterminer s’il y a eu manquement aux principes de justice naturelle.

 

[29]           Pour statuer sur des questions de procédure, notamment une demande d’ajournement et de réouverture d’enquête, le tribunal doit considérer, dans sa prise de décision, les facteurs énumérés à la Règle 48(4). En décidant sur des questions de procédure, le tribunal doit aussi tenir compte du paragraphe 162(1) de la loi, qui impose une obligation de célérité. Il est de jurisprudence constante que les tribunaux administratifs sont autorisés à contrôler leur procédure et à décider d’accorder ou non un ajournement (Siloch c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), (1993), 151 N.R. 76, 38 A.C.W.S. (3d) 570). La seule exigence est que leurs décisions soient conformes à l’équité et à la justice naturelle (Quindiagan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 769, 276 F.T.R. 88).

 

[30]           Le tribunal peut considérer les critères de la Règle 48(4) qui sont pertinents en l’espèce ainsi que tout autre élément pertinent. Toutefois, le tribunal n’est pas obligé de toujours considérer tous les critères à la Règle 48(4) (Gittens c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 373, 167 A.C.W.S. (3d) 139; Hardware).

 

[31]           La Cour note que dans son analyse, le tribunal a considéré les éléments pertinents pour statuer sur la demande d’ajournement du demandeur, tels que :

a.       les documents en cause concernant l’identité de madame Charles ont été déposés depuis octobre 2008 (règle 48(4)c));

b.      le demandeur a eu amplement de temps pour s’assurer des documents déposés et déposer des documents additionnels au besoin (règle 48(4)c), d) et i));

c.       le tribunal a accepté d’entendre le demandeur sur l’identité de madame Charles et l’audience a eu lieu les 8 et 15 juin 2009;

d.      les documents additionnels déposés le 5 mai 2009 concernant l’authenticité de la relation conjugale ne concernaient pas l’identité de madame Charles (règle 48(4)c) et d));

e.       le conseil du ministre a communiqué au demandeur au début de l’audience du 8 juin 2009 qu’il avait des préoccupations concernant les documents attestant de l’identité de madame Charles;

f.        le demandeur est représenté par un conseiller compétent (règle 48(4)f));

 

[32]           La Cour note également que dans sa lettre de refus datée le 8 mai 2008, l’agent des visas mentionne qu’elle n’est pas convaincue de l’authenticité des documents fournis pour prouver l’identité de madame Charles. Le demandeur aurait donc dû porter une attention particulière aux documents d’identité devant le tribunal (Règle 48c), d), e) et i)).

 

[33]           En l’espèce, la Cour conclut donc que le tribunal a considéré les critères pertinents de la Règle 48(4) et a rendu une décision raisonnable en tenant compte des faits. Le demandeur a eu un temps raisonnable pour fournir les documents et la preuve nécessaires pour démontrer l’identité de madame Charles. La seule justification du demandeur concerne son avocat en Haïti et le manque de diligence de ce dernier dans la vérification des documents. Ces explications n’établissent aucunement le bien-fondé de l’argument du demandeur selon lequel le tribunal a agi de manière inéquitable et contraire aux principes de la justice naturelle. La Cour rappelle qu’il incombe au demandeur de préparer son dossier adéquatement et ceci n’a pas été fait sans justification raisonnable (Yang c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), (2000), 101 A.C.W.S. (3d) 791, [2000] A.C.F. no 1941 au par. 8 (QL)).

 

[34]           De plus, la preuve au dossier ne convainc pas cette Cour que les vérifications de l’avocat en Haïti permettraient de corriger les anomalies soulevées dans les documents en cause. De plus, il n’a pas été établi que les documents obtenus changeraient la conclusion du tribunal (Hardware au      par. 67).

 

[35]           Le demandeur prétend qu’il ne devrait pas avoir à subir les conséquences d’une erreur de procédure imputable uniquement à son avocat et que l’équité exige qu’on lui accorde un ajournement. Toutefois, dans Moutisheva c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), (1993), 47 A.C.W.S. (3d) 684, 24 Imm. L.R. (2d) 212, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il n’y a généralement pas lieu de dissocier le comportement de l’avocat de celui de son client :

« Enfin, le procureur d’une partie à un litige est son mandataire. Il agit en son nom et à ce titre il assume un certain nombre d’obligations dont celles de la conduite des procédures ainsi que de la réception et de la délivrance des actes requis par les procédures. »

 

[36]           Le tribunal pourrait seulement annuler la décision d’un tribunal administratif en raison d’erreurs commises par un avocat qui a fait preuve d’une « incompétence extraordinaire » qui a donné lieu à un manquement à la justice naturelle (Gogol c. Canada, (1999), 95 A.C.W.S. (3d) 769, 2000 D.T.C. 6168 au paragraphe 3 ; Huynh c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration, (1993), 65 F.T.R. 11, 41 A.C.W.S. (3d) 696 à la p. 15). En l’espèce, le demandeur n’a pas établi que son avocat avait fait preuve d’incompétence extraordinaire. Le tribunal n’a donc pas commis d’erreur en rejetant la demande d’ajournement du demandeur et il n’y a pas eu de l’avis de cette Cour un manquement aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale. 

 

2.         Est-ce que le tribunal a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait quant à l’identité de madame Charles?

 

[37]           Il appartient au juge des faits, soit le tribunal, de soupeser la preuve testimoniale et documentaire et de tirer des conclusions en ce qui a trait à la suffisance de la preuve pour établir l’identité de madame Charles selon la balance des probabilités. La Cour doit faire preuve d’une grande retenue et il n’appartient pas à la Cour de substituer ses propres conclusions à celles du tribunal (Thatch aux par. 31-33; voir également Morris c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 369, 147 A.C.W.S. (3d) 489 au par. 5; Nguyen c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2004 CF 709, 134 A.C.W.S. (3d) 885 au par. 7; Froment c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 1002, 299 F.T.R. 70).

 

[38]           La Cour note que le témoignage du demandeur sur l’identité de madame Charles a été corroboré par le frère du demandeur, Jean Deleix Julien, qui a témoigné à l’audience. De plus, Violette Volcy et Gladys Charles ont soumis des déclarations confirmant qu’elles connaissent madame Charles et qu’elles étaient au courant de leur relation passée et de la naissance de leur fils commun. De plus, l’acte de naissance du fils du demandeur et de madame Charles, enregistré à sa naissance, confirme que les parties ont eu une relation il y a plus de quarante ans.

 

[39]           Malgré cela, il subsiste un doute important qui n’a pas été dissipé à la face même du dossier.

 

[40]           En effet, les explications du demandeur contenues au procès-verbal (pp. 488-490) n’apportent aucun élément de réponse clair concernant le fait que M. Charles Medixis (le père de madame Charles) serait mort en 1994 tel qu’indiqué par madame Charles dans sa demande de résidence permanente alors que les documents au dossier no. 003783, 52612 et 765425 indiquent plutôt que M. Medixis se serait présenté en 1999 pour présenter sa fille et faire reconnaître sa naissance. 

 

[41]           De plus, le tribunal a noté que le demandeur aurait pu déposer de la preuve additionnelle concernant l’identité de madame Charles avant l’audition de son appel. Le tribunal a aussi mentionné que le témoignage de madame Charles, l’acte de décès de son père pouvant démontrer qu’il n’était pas décédé lors de la déclaration de naissance, ou un test d’ADN, auraient pu être fournis pour appuyer l’identité de l’épouse et dissiper les doutes qui ont été soulevé concernant l’identité réelle de madame Charles. Le demandeur a choisi de ne pas fournir ces éléments de preuve.

 

[42]           À l’audience, le procureur du demandeur a plaidé que dans l’affaire Popal c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2000] 3 C.F. 532, 184 F.T.R. 161, la Cour a été sensible à la situation du pays d’origine du demandeur, soit l’Afghanistan, en décidant sur la question des pièces d’identité jugées non acceptables par le ministre. La Cour note toutefois, que dans cette affaire, le passeport avait été délivré sur la base d’un document canadien alors qu’en l’espèce un doute concernant l’authenticité d’un document haïtien en vertu duquel le passeport a été délivré persiste. De plus, dans l’affaire Popal, l’agent n’avait fourni aucun motif alors que dans la présente cause, le tribunal a rédigé des motifs (par. 22-30) portant sur la question de l’identité. La Cour conclut donc que Popal ne trouve pas application en l’espèce. 

 

[43]           Le tribunal a considéré l’ensemble de la preuve au dossier, incluant le témoignage du demandeur, celui du frère du demandeur, ainsi que les lettres de Violette Volcy et Gladys Charles. Le tribunal a aussi considéré l’acte de naissance du fils du demandeur et madame Charles, le passeport de madame Charles et les certificats de présentation au temple déposés dans le dossier d’appel et dans le dossier de demande de résidence permanente de madame Charles.

 

[44]           Toutefois, le fardeau de la preuve repose sur le demandeur et compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’un doute important demeure concernant l’identité de madame Charles. Le tribunal a donc raisonnablement décidé sur la base de la balance des probabilités que le demandeur n’a pas réussi à rencontrer son fardeau.

 

[45]           Cette demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et ce dossier n’en contient aucune.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4886-09

 

INTITULÉ :                                       Fritzner Julien c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 mars 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Francine V. Marion

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Patricia Deslauriers

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Beauchemin, Paquin, Jobin, Brisson & Philpot

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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