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Cour fédérale

 

Federal Court



 

Date : 20100331

Dossier : IMM-907-09

Référence : 2010 CF 349

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2010

En présence de monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

YUQIANG CAO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande qu’a présentée Yu Qiang Cao - alias Yuqiang Cao -  (le demandeur) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision, datée du 9 février 2009 et portant le numéro de dossier TA5-05671, par laquelle un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a décidé que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger du fait de ses croyances religieuses en tant que membre d’une église-maison chrétienne.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

 

Le contexte

[3]               Le demandeur, citoyen de la République populaire de Chine, dit craindre avec raison d’être persécuté s’il est renvoyé dans le pays dont il a la citoyenneté à cause de ses croyances religieuses en tant que membre d’une église-maison chrétienne. Il dit aussi avoir la qualité de personne à protéger à cause des risques que ses croyances lui font courir en Chine.

 

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada à titre d’étudiant étranger le 22 décembre 2004, et il a présenté une demande d’asile le 21 avril 2005.

 

[5]               Le demandeur déclare qu’il est devenu chrétien en mars 2004 et qu’il a participé à des services religieux en Chine au sein d’une congrégation rattachée à une petite église-maison. Après être entré au Canada muni d’un visa d’étudiant, il a assisté à des services religieux. Il affirme qu’en avril 2005, son père l’a informé que les autorités policières avaient perquisitionné son domicile en Chine à la suite d’accusations liées à la participation du demandeur à des activités religieuses illégales ainsi qu’à la propagation de rumeurs religieuses illégales dans le pays. Il a appris aussi l’arrestation de trois membres de son église chinoise.

 

[6]               Sa demande a d’abord été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés) le 27 juin 2006. Cependant, le 1er novembre 2007, le juge Hughes a annulé cette décision et l’a renvoyée à un autre tribunal en vue d’un nouvel examen.

 

[7]               Un nouveau tribunal a entendu l’affaire le 7 janvier 2009 et, dans une décision datée du 6 février 2009, il a rejeté de nouveau la demande.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]               Le tribunal a conclu que le demandeur était chrétien et qu’il se peut fort bien qu’il ait fréquenté une église clandestine en République populaire de Chine. Cependant, il n’a pas jugé digne de foi le témoignage du demandeur selon lequel la petite église-maison qu’il fréquentait en Chine avait été l’objet d’une descente, eu égard à la situation de cette église et à la preuve documentaire dont disposait le tribunal. Ce dernier a également conclu qu’un reçu, produit par le demandeur au sujet d’objets que le Bureau de la sécurité publique avait saisis, était faux.

 

[9]               Selon le tribunal, le demandeur avait indiqué que son église-maison, située dans la province du Guangdong, ne discutait pas du renversement du gouvernement chinois, n’embarrassait d’aucune façon le gouvernement ou le Parti communiste chinois et n’était associée à aucune église étrangère, et elle n’avait pas non plus publié des documents quelconques. Le demandeur a également ajouté que son église-maison comptait huit membres. Le tribunal a fait remarquer que, d’après des documents sur le pays, les églises-maisons de petite taille ne sont pas obligées de s’enregistrer et ne sont donc pas considérées illégales en République populaire de Chine; de toute façon, elles sont en général tolérées. Le tribunal a donc conclu que le témoignage du demandeur, selon lequel des descentes avaient eu lieu dans son église-maison, n’était pas digne de foi.

 

[10]           Le tribunal a examiné plus en détail la documentation relative au pays et conclu que le demandeur pouvait retourner en République populaire de Chine et pratiquer librement la religion chrétienne, compte tenu du nombre vaste et grandissant de citoyens chinois qui le faisaient maintenant sans craindre d’être persécutés.

 

[11]           Le tribunal a donc conclu que la demande n’avait pas été présentée de bonne foi.

 

La position des parties

[12]           Le demandeur se représente lui-même et il a produit un dossier de demande comprenant un affidavit et un exposé des arguments écrit. Cependant, le dossier de la Cour indique que l’enveloppe recommandée contenant l’avis d’audience sur le bien-fondé de la présente demande a été refusée. L’avis d’audience a par la suite été transmis au demandeur par le courrier ordinaire, à l’adresse inscrite au dossier. Le demandeur ne s’est pas présenté à l’audition de la présente demande, qui a eu lieu à Toronto le 25 mars 2010, mais la Cour a retardé l’audience durant 45 minutes afin de donner au demandeur une chance additionnelle de faire connaître sa présence. L’audience a finalement eu lieu en l’absence du demandeur. Pour arriver à la présente décision, j’ai passé en revue et pris en considération l’affidavit et le mémoire des arguments écrit du demandeur qui figuraient dans le dossier de la Cour.

 

[13]           L’argument principal du demandeur est que la preuve documentaire n’étaye pas la conclusion du tribunal selon laquelle les églises-maisons de petite taille sont licites en Chine; elle indique plutôt que, dans certaines parties de ce pays, les églises de ce type sont simplement tolérées. Le demandeur ajoute que le tribunal n’a pas pris en considération une preuve documentaire importante établissant que la persécution des chrétiens en Chine se poursuit et que, en fait, elle s’intensifie. À l’appui de ces arguments, le demandeur se reporte à divers comptes rendus.

 

[14]           Le demandeur conteste également la conclusion du tribunal selon laquelle le reçu qu’il a produit est faux, car le tribunal est arrivé à cette conclusion en se fondant principalement sur le fait que ce document était manuscrit et sur la présomption que les faux documents sont monnaie courante en Chine. Le demandeur affirme que le tribunal a agi de manière irrégulière en tirant cette conclusion.

 

[15]           Le ministre soutient que la décision du tribunal était raisonnable, et il ajoute que cette décision reposait sur le manque de preuve de persécution des églises-maisons dans la province du Guangdong. Le ministre a fait remarquer qu’aucun des documents du demandeur ne contestait les conclusions que le tribunal a tirées au sujet de cette province.

 

[16]           Quant aux conclusions relatives à la crédibilité que le tribunal a tirées, le ministre fait valoir qu’elles reposaient sur la preuve produite et que, dans les circonstances de l’espèce, elles étaient donc raisonnables.

 

La norme de contrôle applicable

[17]           Il a été constamment statué que la norme de contrôle applicable aux décisions qui concernent les demandes d’asile et qui sont fondées sur des questions de crédibilité et d’appréciation de la preuve est la raisonnabilité : voir, notamment, Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL); [1993] 160 N.R. 315; et Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1153; [2008] A.C.F. no 1433 (QL), au paragraphe 4. Comme il est indiqué dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 57 et 62, il n’est pas nécessaire dans tous les cas de déterminer la norme de contrôle qui s’applique quand cette norme a été fixée de manière satisfaisante par la jurisprudence. Je procéderai donc au contrôle judiciaire de la décision du tribunal en fonction de la norme de la raisonnabilité.

 

Analyse

[18]           Les principes qui s’appliquent en l’espèce ont été clairement énoncés dans la décision Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 635; [2008] A.C.F. no 808 (QL), au paragraphe 15 :

Selon la jurisprudence, il incombe à la Commission de se prononcer sur l’élément central d’une demande d’asile. Dans une série de jugements qui ont suivi la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 480, [2002] A.C.F. n° 647 (QL), la Cour a toujours dit que, même lorsque la Commission arrive à la conclusion que l’allégation de persécution religieuse dont se dit victime un demandeur d’asile dans son pays d’origine n’est pas crédible, soit parce que selon elle il n’était pas membre du groupe religieux considéré, soit parce que selon elle il n’a pas été persécuté, la Commission doit néanmoins dire, implicitement ou explicitement, s’il est aujourd’hui effectivement membre de ce groupe et s’il serait exposé à la persécution à son retour (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 266, [2008] A.C.F. n° 338 (QL); Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 132, [2008] A.C.F. n° 164 (QL); Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 544, [2007] A.C.F. n° 739 (QL); Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 510, [2007] A.C.F. n° 692 (QL); Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 695, [2006] A.C.F. n° 880 (QL); Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 971, [2003] A.C.F. n° 1236 (QL)).

 

 

[19]           En l’espèce, le tribunal a effectivement tiré une conclusion à propos des pratiques chrétiennes du demandeur en Chine ainsi que de ces convictions chrétiennes au Canada. Le tribunal a également fait une analyse et tiré des conclusions au sujet du fait de savoir si le demandeur risquait d’être victime de persécution religieuse s’il était renvoyé en Chine.

 

[20]           Il est bien établi en droit qu’à moins de circonstances exceptionnelles, il n’y a pas lieu, au stade du contrôle judiciaire, de modifier les conclusions de fait qu’un tribunal administratif a tirées. La Cour n’a pas à réviser les faits ou à soupeser la preuve : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51 et 53 : « [e]n présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée »; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 46 : « [d]e façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) [de la Loi sur les Cours fédérales] que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence ».

 

[21]           En l’espèce, les conclusions que le tribunal a tirées quant à la crédibilité appartiennent aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit. En fait, il était raisonnable pour le tribunal de conclure que le reçu produit par le demandeur était faux dans les circonstances de l’espèce. Le fait qu’il s’agisse d’un document entièrement rédigé à la main, et non d’un document imprimé, la preuve documentaire concernant le grand nombre de faux documents en Chine, ainsi que la conclusion du tribunal quant au manque de crédibilité des prétentions de persécution du demandeur font tous en sorte que cette conclusion précise est  raisonnable dans les circonstances.

 

[22]           Quant aux conditions dans lesquelles on exerce la foi chrétienne dans les petites églises‑maisons en Chine, il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la documentation disponible sur les conditions qui règnent dans ce pays. La Cour doit plutôt s’assurer que le tribunal a vérifié si le demandeur risque d’être persécuté sur le plan religieux s’il est renvoyé en Chine et, ensuite, si les conclusions du tribunal à cet égard sont raisonnables, c’est-à-dire qu’elles appartiennent aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit.

 

[23]           En l’espèce, le tribunal a bel et bien procédé à l’évaluation requise et a motivé raisonnablement ses conclusions en se fondant sur son analyse de la documentation disponible.

 

[24]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[25]           Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune n’est justifiée en l’espèce.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-907-09

 

 

INTITULÉ :                                       YUQIANG CAO c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 mars 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mainville

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 mars 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Absent

 

DEMANDEUR NON REPRÉSENTÉ PAR UN AVOCAT

 

David Knap

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Néant

 

DEMANDEUR NON REPRÉSENTÉ PAR UN AVOCAT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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