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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20100330

Dossier : T-543-09

Référence : 2010 CF 348

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2010

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

MARSHALL JOHNSTON

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, en vue de soumettre à un contrôle judiciaire un réexamen daté du 6 février 2009 (la décision) par lequel le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le TACRA) a confirmé l’évaluation de la pension du demandeur.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance infirmant la décision du TACRA et renvoyant l’affaire, assortie d’instructions, à un comité différemment constitué du TACRA en vue de la tenue d’une nouvelle audience.

 

Introduction : le TACRA

 

[3]               Le TACRA est un tribunal indépendant constitué en vertu de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, V-1.6 (la Loi), et qui agit comme un organisme de révision et d’appel en rapport avec les décisions que rend le ministre des Anciens combattants (le ministre) au sujet des pensions et des prestations destinées aux anciens combattants, aux membres des Forces canadiennes (FC), aux membres de la GRC, de même qu’aux personnes à leur charge. La Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6, est la principale loi sous le régime de laquelle des pensions d’invalidité sont accordées aux anciens combattants des FC.

 

[4]               Il existe un système d’appels à deux paliers. Les personnes insatisfaites d’une décision que rend le ministre en vertu de la Loi sur les pensions peuvent demander que cette décision soit révisée devant le TACRA. Les personnes qui sont insatisfaites de l’issue de cette révision disposent d’un recours additionnel, sous la forme du droit d’interjeter appel auprès d’un comité d’appel du TACRA. Les demandeurs se voient assigner un avocat pour présenter des observations en leur nom au TACRA. En prévision d’une audience, le TACRA a pour politique de toujours passer en revue les décisions antérieures ainsi que tous les nouveaux éléments de preuve soumis.

 

[5]               Les pensions d’invalidité sont accordées en fonction de deux facteurs. Premièrement, le degré d’invalidité est évalué sur une échelle de 0 à 100 p. 100. Ensuite, la mesure dans laquelle cette invalidité a été attribuable au service du demandeur, ou aggravée par ce service, est déterminée au moyen d’une échelle divisée en cinquièmes (de 1/5 à 5/5). Enfin, les deux chiffres sont multipliés de façon à fixer le droit à pension.

 

 

Le contexte

 

[6]               Le demandeur a servi dans la force permanente du 19 décembre 1973 au 31 juillet 1995, principalement comme mécanicien de bord au sein d’équipages d’hélicoptère, et il attribue ses maux à ce travail.

 

La première demande

 

[7]               Le demandeur a d’abord demandé une pension en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions en 2005 pour l’affection suivante : dégénérescence d’un disque de la colonne lombaire. Le ministre a évalué le degré d’invalidité à 10 p. 100, mais il a rejeté la demande au motif qu’il n’existait aucun dossier indiquant que cette affection résultait du service militaire en temps de paix du demandeur ou qu’elle s’y rattachait directement. Insatisfait de ce résultat, le demandeur a interjeté appel auprès du TACRA. Le 30 juin 2006, celui‑ci a décidé de modifier la décision du ministre. Selon sa conclusion, étayée par le témoignage du demandeur et l’opinion d’un médecin, l’aggravation sérieuse de l’état de la colonne lombaire du demandeur était directement rattachée à son service. Le TACRA a conclu que cette aggravation était attribuable dans une proportion de trois cinquièmes à son service, mais il a fait abstraction des deux cinquièmes restants en se fondant sur une preuve de traumatisme et une plainte de douleur au bas du dos au moment de l’enrôlement. Lors de son évaluation, le demandeur a déclaré au médecin qu’il s’était blessé au dos dans un accident de la route de faible gravité à l’âge de 16 ans.

 

[8]               La décision a fait passer son droit total à 6 p. 100 (3/5 x 10 p. 100), rétroactivement à la date de la première demande.

 

Le deuxième appel

 

[9]               Insatisfait du degré d’évaluation de son invalidité, le demandeur a interjeté appel, soutenant que le degré d’évaluation devrait se situer dans la fourchette de 20 à 30 p. 100. Le 13 juillet 2007, le comité de révision de l’évaluation du TACRA a conclu que le degré d’évaluation de 10 p. 100 était juste et adéquat, et il a confirmé la décision antérieure.

 

Le troisième appel

 

[10]           Le demandeur a ensuite porté en appel la décision du 30 juin 2006, soutenant qu’au vu d’une nouvelle preuve d’expertise médicale et de ses antécédents professionnels, le TACRA devait accorder un droit équivalant à quatre cinquièmes. Le 28 août 2007, il a eu gain de cause, car le TACRA a accordé le cinquième additionnel qui était demandé afin de [Traduction] « refléter plus justement les facteurs ayant contribué à l’état de santé allégué ». Ce droit était lui aussi rétroactif.

 

Le quatrième appel

 

[11]           Le demandeur a ensuite interjeté appel de nouveau à l’encontre de l’évaluation de son invalidité, soutenant qu’il fallait la hausser à 20 p. 100. Dans une décision datée du 20 août 2008, le TACRA a passé en revue les observations du demandeur ainsi que l’évaluation et l’examen médical les plus récents, qui avaient eu lieu le 15 janvier 2007, et il a conclu qu’un degré de 20 p. 100 était injustifié. En prévision de l’audience, le TACRA a également examiné ce qui suit :

-         toutes les décisions antérieures pertinentes au dossier;

-         un rapport de consultation daté du 4 mai 2005;

-         une lettre datée du 3 décembre 2007, d’un centre de soins ambulatoires;

-         un extrait d’un document d’Anciens combattants Canada, auquel était jointe une décision d’appel relative au droit à pension, datée du 28 août 2007;

-         une copie du tableau 1 annexé à l’article 19.04, chapitre 19, de la Table des invalidités d’Anciens combattants Canada.

 

Le cinquième appel

 

[12]           Le 29 septembre 2008, un avocat-conseil régional représentant le demandeur a demandé au TACRA de réexaminer la décision datée du 20 août 2008 (la décision antérieure) au motif que celui‑ci avait commis des erreurs de fait et de droit. C’est sur la décision rendue à la suite de ce réexamen que porte la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[13]           Le demandeur a allégué, premièrement, que le TACRA avait omis de motiver sa décision et, deuxièmement, qu’il avait omis d’évaluer convenablement son état de santé en conformité avec la preuve et qu’il n’ avait pas tiré de cette dernière toutes les inférences raisonnables en faveur d’un rehaussement de son évaluation.

 

[14]           Dans des motifs datés du 6 février 2009, un comité du TACRA, formé de trois membres, a déclaré que la décision antérieure ainsi que les observations écrites avaient été examinées. Le TACRA a décidé que la décision antérieure n’était fondée sur aucune erreur de faits ou de droit et que, cela étant, il ne réexaminerait pas la décision antérieure. Le TACRA a également rappelé au demandeur que, s’il jugeait que son état de santé s’était aggravé, il pouvait toujours subir une nouvelle évaluation.

 

Les questions en litige

 

[15]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         À la suite d’une demande de réexamen, le TACRA est-il tenu de tenir une nouvelle audience?

            3.         Le TACRA a-t-il omis de motiver convenablement sa décision?

 

Les observations du demandeur

 

[16]           Le demandeur soutient que la demande de réexamen aurait dû être nouvelle audience. Le TACRA a négligé de le faire. Il a simplement réitéré et confirmé le ratio decidendi de la décision antérieure. Il s’agit là d’une pure erreur de droit liée à l’interprétation que fait le TACRA de sa compétence. Cela ne mérite aucune déférence.

 

[17]           Le demandeur soutient que le TACRA n’a pas motivé convenablement sa décision. Cette erreur est ironique, car le peu de motifs figurant dans une décision antérieure était un motif principal pour le réexamen que sollicitait le demandeur. Les motifs du TACRA n’offrent au demandeur aucune garantie qu’il a procédé à un examen sérieux et détaillé.

 

Les observations du défendeur

 

La norme de contrôle applicable

 

[18]           Selon le défendeur, la raisonnabilité est la norme qu’il convient d’appliquer lorsqu’on contrôle les décisions du TACRA. Le droit qu’accorde l’article 25 de la Loi d’interjeter appel devant le TACRA représente un facteur de l’objet de la loi qui appelle à une certaine déférence. Le fait que les décisions du tribunal concernant la question de savoir si un demandeur satisfait aux critères d’une pension sont des décisions principalement axées sur des faits milite davantage en faveur de la déférence. Il y a également une clause privative dans la Loi.

 

La décision était raisonnable

 

[19]           Le défendeur soutient que les articles 3 et 39 de la Loi sont conçus pour garantir que les cours de révision demeurent conscientes des contributions uniques que font de telles personnes à la société canadienne. Néanmoins, c’est le demandeur qui supporte le fardeau d’établir le bien-fondé de sa cause selon la prépondérance des probabilités.

 

[20]           Aux termes du paragraphe 32(1) de la Loi, un comité d’appel peut réexaminer une décision qu’il a rendue en vertu du paragraphe 29(1) et il peut soit la confirmer, soit l’annuler ou la modifier à la demande d’une personne qui allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés. En l’espèce, le TACRA a passé en revue toutes les informations disponibles et, en refusant de réexaminer la décision antérieure, il souscrivait effectivement à cette décision antérieure. Il y avait une série importante de décisions antérieures sur laquelle le TACRA pouvait se fonder.

 

[21]           Il y avait suffisamment de transparence, de justification et d’intelligibilité dans le processus décisionnel pour que, au regard de la norme de la raisonnabilité, il convienne de ne pas modifier la décision.

 

Analyse et décision

 

[22]           Question no 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Le demandeur soutient tout d’abord que le TACRA était obligé de tenir une nouvelle audience en rapport avec sa demande de réexamen. Son second motif conteste l’insuffisance des motifs que le TACRA a fournis à l’appui de sa décision. Je qualifierais ces deux aspects de questions relatives à la procédure du TACRA. La première question est liée principalement à l’interprétation de la loi constitutive du TACRA et, dans ce contexte, il convient de lui accorder une certaine déférence et de la contrôler selon la norme de la raisonnabilité (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. no 12 (QL), au paragraphe 25). L’insuffisance des motifs, en revanche, est une question d’équité procédurale et elle n’appelle aucune déférence. Les comités et tribunaux administratifs ne peuvent s’écarter des normes minimales qu’impose la common law.

 

[23]           Je souhaite analyser en premier la question no 3.

[24]           La question no 3

            Le TACRA a-t-il omis de motiver convenablement sa décision?

            Le Règlement sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), DORS/96-97, à l’article 7, oblige le TACRA à incorporer à toutes ses décisions les motifs qui les appuient. Par conséquent, la véritable question qu’il me faut trancher est celle de savoir si les motifs du TACRA étaient suffisants.

 

[25]           Lorsque la loi exige que l’on fournisse des motifs, les décideurs doivent fournir des motifs qui sont suffisants, en ce sens qu’ils doivent être suffisamment clairs et intelligibles pour permettre, d’une part, à la personne concernée de savoir pourquoi le tribunal a rendu sa décision et, d’autre part, à la partie déboutée d’évaluer s’il y a lieu de contester la décision (voir D.J.M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, 1998 (édition en feuilles mobiles, mise à jour en septembre 2009), aux pages 12 à 61 et 62, ainsi que Northwestern Utilities Ltd. c. Edmonton (Ville), [1979] 1 R.C.S. 684).

 

[26]           Pour ce qui est du caractère suffisant des motifs, il n’existe pas de critère particulier. Cela dépend toujours du contexte (voir Gardner c. Canada (procureur général), 2005 CAF 284, [2005] A.C.F. no 1442 (QL), aux paragraphes 28 à 31). Une cour de révision se doit d’examiner non seulement les simples motifs fournis, mais aussi les autres communications qu’il y a eu entre les parties et vérifier si, dans toutes les circonstances, la personne a été convenablement informée des facteurs décisifs de base.

 

[27]           En l’espèce, le demandeur a demandé au TACRA de réexaminer la décision que ce dernier avait rendue le 20 août 2008, et l’un des motifs invoqués était que cette décision n’était pas étayée par des motifs suffisants.

 

 

[28]            La décision datée du 20 août 2008 n’était pas un réexamen, mais un appel dans lequel toutes les décisions antérieures et les nouvelles preuves pertinentes allaient être évaluées. Dans cette décision, le TACRA a résumé certains des éléments de preuve médicale et les arguments du demandeur en faveur d’une évaluation de son invalidité à 20 p. 100, pour ensuite ajouter ceci :

[Traduction]

Le Tribunal a examiné la preuve dans son intégralité, et plus particulièrement la preuve médicale des Drs McCann, Alexander et Hennenfent.

 

Après avoir comparé les conclusions objectives au tableau 1 annexé à l’article 19.04, le Tribunal conclut que la demande de l’avocat-conseil en faveur d’un degré d’évaluation de 20 p. 100 est injustifiée. Le Tribunal a fondé sa conclusion sur la preuve médicale versée au dossier. De plus, le Tribunal n’a pas été saisi de nouveaux éléments de preuve médicale qui étayeraient un rehaussement du degré d’évaluation.

 

 

[29]           À mon avis, ces motifs étaient insuffisants. Comment peut-on contester efficacement une décision administrative quand les motifs indiqués n’expliquent pas pourquoi la décision a été rendue?

 

[30]           Le tableau 1 annexé à l’article 19.04 (dossier du TACRA, à la page 43) comporte les titres de colonne suivants : Symptômes, Posture, Amplitude des mouvements, Manœuvre de Lasègue, Réflexes et/ou, Atrophie, Marche sur le talon et la pointe du pied, Médication et Orthèse du dos. Les rangées qui se trouvent sous ces titres correspondent à une évaluation établie aux niveaux suivants : 0 à 10 p. 100, 10 à 20 p. 100, 20 à 30 p. 100, 30 à 40 p. 100 et plus de 40 p. 100. Le corps du tableau 1 évalue chacune des catégories par rapport à chaque degré d’évaluation correspondant, avec quelques mots descriptifs. Par exemple, l’évaluation de la manoeuvre de Lasègue à un degré de 20 à 30 p. 100 exige « moins de 75 degrés - irradiation au-delà des fesses ».

 

[31]           Dans son sommaire des constatations médicales, le TACRA n’a mentionné que certains des titres de colonne apparaissant dans le tableau 1. Même si le TACRA avait énuméré toutes les rubriques, l’élément qui manquait réellement dans les motifs indiqués était une explication de la raison pour laquelle on avait privilégié le degré d’évaluation global de 10 p. 100, plutôt que le degré de 20 p. 100 que le demandeur avait suggéré. Dans toute évaluation faite en fonction du tableau 1, il est implicitement exigé de donner quelques explications, car le tableau lui-même laisse une certaine latitude en recourant à des plages d’évaluation plutôt qu’à des chiffres précis.

 

[32]            Le demandeur, mécontent de l’insuffisance des motifs qui lui ont été fournis le 20 août 2008, s’est adressé de nouveau au même organisme administratif en présentant une demande de réexamen. Cela donnait au TACRA une chance de corriger le problème. Ce qu’il n’a pas fait. Cette décision-là, datée du 6 février 2009, indique en partie ce qui suit :

[Traduction]

Le Tribunal a examiné la décision datée du 20 août 2008 qui a été rendue à la suite de l’appel relatif à l’évaluation et il a considéré que, bien que les motifs fournis par le comité aient été succincts, cette décision indiquait que, d’après les éléments de preuve médicale figurant déjà au dossier, et en l’absence de nouveaux éléments de preuve médicale indiquant qu’il était justifié de rehausser le degré d’évaluation, comme il a déjà été mentionné dans la décision du comité d’examen de l’évaluation, il n’était pas justifié à ce moment de rehausser le degré d’évaluation de la dégénérescence d’un disque de la colonne lombaire du demandeur.

 

[33]            Il a été fait référence à la décision du comité de révision des évaluations, datée du 13 juillet 2007, où l’on mentionne en partie ce qui suit :

[Traduction]

Le comité a examiné avec soin la preuve par rapport à la Table des invalidités d’Anciens combattants Canada et il est d’avis que même en tenant compte des recommandations de l’avocat-conseil, l’absence de résultats significatifs pour la manoeuvre de Lasègue, les réflexes et la marche sur le talon et la pointe du pied est telle que, lorsqu’on fait entrer ces résultats dans l’équation, un degré d’évaluation de 10 p. 100 est juste et suffisant. Par conséquent, le comité confirme la décision antérieure. Il le fait toutefois à regret, car il a été des plus impressionnés par le demandeur.

 

                                                               [Non souligné dans l’original.]

 

 

[34]           C’est la partie soulignée des motifs datés de juillet 2007 qui fait que ces derniers sont suffisants. La partie soulignée indiquait au demandeur, de manière assez précise, pourquoi le TACRA estimait qu’un degré d’évaluation de 10 p. 100 était juste. Les motifs faisaient référence au tableau, ainsi qu’aux catégories particulières qui avaient été les plus importantes dans le processus décisionnel du TACRA.

 

[35]           Quand le demandeur a porté cette décision en appel en 2008 en ajoutant quelques nouveaux éléments de preuve médicale, les motifs susmentionnés, fournis en août 2008, n’ont pas expliqué ce qui, en particulier, était lacunaire dans les nouveaux éléments de preuve que le demandeur avait fournis. Le fait de se reporter simplement au tableau 1 n’aurait pas expliqué pourquoi le TACRA avait tranché l’affaire comme il l’avait fait. Les motifs d’août 2008 n’indiquaient pas non plus si le TACRA avait décidé qu’un degré d’évaluation de 20 p. 100 était injustifié pour les mêmes motifs qu’en juillet 2007. Ils ne l’expliquaient pas du tout.

 

[36]           Il ne suffit pas d’exposer simplement la preuve médicale et d’énoncer ensuite la conclusion. Les paragraphes suivants, rédigés par la juge Mactavish dans la décision Ladouceur c. Canada (procureur général), 2006 CF 1438, [2006] A.C.F. no 1817, sont instructifs :

[22]           L’obligation pour les organes juridictionnels de fournir des « décisions motivées » a été reconnue par la Cour suprême du Canada notamment dans les arrêts Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 et R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26. Si la décision faisant l’objet du contrôle en l’espèce n’a pas la même importance pour M. Ladouceur qu’aurait une décision en matière criminelle ou en matière d’immigration, elle était néanmoins importante pour lui et il n’aurait pas dû être laissé dans le doute sur le raisonnement suivi par le tribunal pour arriver à sa conclusion.

 

[23]           De plus, l’article 7 du Règlement sur le Tribunal des anciens combattants, DORS/87-601 prescrit expressément au Tribunal de fournir les motifs à l’appui de sa décision.

 

[24]           L’avocate du défendeur, tout en concédant que les motifs donnés par le Tribunal en l’espèce ne sont pas aussi détaillés qu’on pourrait le souhaiter, s’appuie sur la décision de la Cour McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 1 C.F. 647, pour dire qu’ils sont suffisants.

 

[25]           L’examen des observations du juge Evans dans la décision McTague indique qu’il a effectivement dit que lorsque le Tribunal effectuait une évaluation en se fondant sur les faits spécifiques de l’espèce, il était irréaliste de s’attendre à ce qu’il analyse les faits d’autres affaires semblables. Ce n’est pas la situation que nous considérons en l’espèce.

 

[26]           La décision qui fait l’objet du présent contrôle est essentiellement un exposé des éléments de preuve médicale, suivi de l’énoncé d’une conclusion. En accordant au Tribunal le bénéfice du doute et en présumant qu’il s’est penché sur la question, nous pouvons en déduire que le Tribunal n’a pas accepté que la douleur articulaire grave et la raideur dont souffrait M. Ladouceur lui donnaient droit à une pension supérieure à cinq pour cent. Mais les motifs du Tribunal ne nous en donnent pas la raison.

 

[27]           Dans les circonstances, les motifs du Tribunal étaient insuffisants et ils ont entraîné un manquement à l’équité procédurale à l’égard de M. Ladouceur.

 

[37]           Dans les motifs datés d’août 2008, le TACRA a simplement fait état de la preuve médicale et il a ensuite ajouté sa conclusion. Cela était insuffisant. Comme il a été mentionné plus tôt, la référence au tableau ne constituait pas une explication valable. Les motifs liés à la décision de février 2009 étaient eux aussi insuffisants, car ils laissaient encore le demandeur s’interroger sur la raison pour laquelle le TACRA était arrivé à sa décision en août 2008.

 

[38]           Cette situation a causé au demandeur un déni d’équité procédurale. Je suis donc d’avis de faire droit au contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[39]           Vu la conclusion que j’ai tirée à propos de la question no 3, je ne traiterai pas de la question no 2.

 

[40]           La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et l’affaire renvoyée à un comité différent du TACRA en vue d’une nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

 

[41]           Le demandeur aura droit à ses dépens à l’égard de la demande.

 


 

JUGEMENT

 

[42]           IL EST ORDONNÉ :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire renvoyée à un comité différent du TACRA en vue d’une nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

            2.         Le demandeur aura droit à ses dépens à l’égard de la demande.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


ANNEXE

 

Les dispositions législatives applicables

 

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), 1995, ch. 18, V-1.6

 

18. Le Tribunal a compétence exclusive pour réviser toute décision rendue en vertu de la Loi sur les pensions ou prise en vertu de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes et pour statuer sur toute question liée à la demande de révision.

 

21. Le comité de révision peut soit confirmer, modifier ou infirmer la décision qu’on lui demande de réviser, soit la renvoyer pour réexamen au ministre, soit déférer à ce dernier toute question non examinée par lui.

 

 

 

 

 

 

25. Le demandeur qui n’est pas satisfait de la décision rendue en vertu des articles 21 ou 23 peut en appeler au Tribunal.

 

 

26. Le Tribunal a compétence exclusive pour statuer sur tout appel interjeté en vertu de l’article 25, ou sous le régime de la Loi sur les allocations aux anciens combattants ou de toute autre loi fédérale, ainsi que sur toute question connexe.

 

 

29.(1) Le comité d’appel peut soit confirmer, modifier ou infirmer la décision portée en appel, soit la renvoyer pour réexamen, complément d’enquête ou nouvelle audition à la personne ou au comité de révision qui l’a rendue, soit encore déférer à cette personne ou à ce comité toute question non examinée par eux.

 

 

 

 

 

 

(2) Lorsqu’elle ne peut être renvoyée au comité de révision parce que ses membres ont cessé d’exercer leur charge par suite de démission ou pour tout autre motif, la décision peut être transmise au président afin qu’il constitue, conformément au paragraphe 19(1), un nouveau comité de révision pour étudier la question.

 

 

 

32.(1) Par dérogation à l’article 31, le comité d’appel peut, de son propre chef, réexaminer une décision rendue en vertu du paragraphe 29(1) ou du présent article et soit la confirmer, soit l’annuler ou la modifier s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si l’auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

 

 

(2) Le Tribunal, dans les cas où les membres du comité ont cessé d’exercer leur charge, peut exercer les fonctions du comité visées au paragraphe (1).

 

(3) Les articles 28 et 31 régissent, avec les adaptations de circonstance, les demandes adressées au Tribunal dans le cadre du paragraphe (1).

 

 

 

18. The Board has full and exclusive juris­diction to hear, determine and deal with all applications for review that may be made to the Board under the Pension Act or the Canadian Forces Members and Veterans Re-establishment and Compensation Act, and all matters related to those applications.

 

21. A review panel may

 

(a) affirm, vary or reverse the decision of the Minister being reviewed;

 

(b) refer any matter back to the Minister for reconsideration; or

 

(c) refer any matter not dealt with in the decision back to the Minister for a decision.

 

 

25. An applicant who is dissatisfied with a decision made under section 21 or 23 may appeal the decision to the Board.

 

26. The Board has full and exclusive jurisdiction to hear, determine and deal with all appeals that may be made to the Board under section 25 or under the War Veterans Allowance Act or any other Act of Parliament, and all matters related to those appeals.

 

29.(1) An appeal panel may

 

(a) affirm, vary or reverse the decision being appealed;

 

(b) refer any matter back to the person or review panel that made the decision being appealed for reconsideration, re-hearing or further investigation; or

 

(c) refer any matter not dealt with in the decision back to that person or review panel for a decision.

 

(2) Where the members of a review panel have ceased to hold office or for any other reason a matter cannot be referred to that review panel under paragraph (1)(b) or (c), the appeal panel may refer the matter to the Chairperson who shall establish a new review panel in accordance with subsection 19(1) to consider, hear, investigate or decide the matter, as the case may be.

 

32.(1) Notwithstanding section 31, an appeal panel may, on its own motion, reconsider a decision made by it under subsection 29(1) or this section and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if the person making the application alleges that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law or if new evidence is presented to the appeal panel.

 

(2) The Board may exercise the powers of an appeal panel under subsection (1) if the members of the appeal panel have ceased to hold office as members.

 

(3) Sections 28 and 31 apply, with such modifications as the circumstances require, with respect to an application made under subsection (1).

 

 

 

 

 

Loi sur les pensions, L.S. 1985, ch. P-6

 

21. […]

 

(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

 

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

b) des pensions sont accordées à l’égard des membres des forces, conformément aux taux prévus à l’annexe II, en cas de décès causé par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

 

 

c) sauf si une compensation est payable aux termes du paragraphe 34(8), la pension supplémentaire que reçoit un membre des forces en application de l’alinéa a), du paragraphe (5) ou de l’article 36 continue d’être versée pendant l’année qui suit la fin du mois du décès de l’époux ou du conjoint de fait avec qui il cohabitait alors ou, le cas échéant, jusqu’au versement de la pension supplémentaire accordée pendant cette année à l’égard d’un autre époux ou conjoint de fait;

 

 

 

 

 

 

 

d) d’une part, une pension égale à la somme visée au sous-alinéa (ii) est payée au survivant qui vivait avec le membre des forces au moment du décès au lieu de la pension visée à l’alinéa b) pendant une période d’un an à compter de la date depuis laquelle une pension est payable aux termes de l’article 56 — sauf que pour l’application du présent alinéa, la mention « si elle est postérieure, la date du lendemain du décès » à l’alinéa 56(1)a) doit s’interpréter comme signifiant « s’il est postérieur, le premier jour du mois suivant celui au cours duquel est survenu le décès » — d’autre part, après cette année, la pension payée au survivant l’est conformément aux taux prévus à l’annexe II, lorsque, à l’égard de celui-ci, le premier des montants suivants est inférieur au second :

 

(i) la pension payable en application de l’alinéa b),

 

(ii) la somme de la pension de base et de la pension supplémentaire pour un époux ou conjoint de fait qui, à son décès, est payable au membre en application de l’alinéa a), du paragraphe (5) ou de l’article 36.

 

21. . . .

 

(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

 

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

 

(b) where a member of the forces dies as a result of an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall be awarded in respect of the member in accordance with the rates set out in Schedule II;

 

(c) where a member of the forces is in receipt of an additional pension under paragraph (a), subsection (5) or section 36 in respect of a spouse or common-law partner who is living with the member and the spouse or common-law partner dies, except where an award is payable under subsection 34(8), the additional pension in respect of the spouse or common-law partner shall continue to be paid for a period of one year from the end of the month in which the spouse or common-law partner died or, if an additional pension in respect of another spouse or common-law partner is awarded to the member commencing during that period, until the date that it so commences; and

 

(d) where, in respect of a survivor who was living with the member of the forces at the time of that member’s death,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(i) the pension payable under paragraph (b) is less than

 

(ii) the aggregate of the basic pension and the additional pension for a spouse or common-law partner payable to the member under paragraph (a), subsection (5) or section 36 at the time of the member’s death,

 

a pension equal to the amount described in subparagraph (ii) shall be paid to the survivor in lieu of the pension payable under paragraph (b) for a period of one year commencing on the effective date of award as provided in section 56 (except that the words “from the day following the date of death” in subparagraph 56(1)(a)(i) shall be read as “from the first day of the month following the month of the member’s death”), and thereafter a pension shall be paid to the survivor in accordance with the rates set out in Schedule II.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-543-09

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            MARSHALL JOHNSTON

 

                                                            c.

 

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yehuda Levinson

 

POUR LE DEMANDEUER

Sogie Sabeta

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levinson & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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