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Federal Court

 

 

 

 

 

 

 

 

Cour fédérale


Date : 20100330

Dossier : IMM-1266-09

IMM-1267-09

 

Référence : 2010 CF 347

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

JESUS FRANCISCO QUINTERO PACHECO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit de deux demandes de contrôle judiciaire distinctes, présentées en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant deux décisions d’agents d’immigration distinctes. La première décision est celle par laquelle l’agent des visas Phillippe de Varennes (l’agent des visas) a refusé, aux environs du 20 octobre 2008, d’accorder au demandeur une autorisation de retour au Canada et l’a jugé être interdit de territoire. La seconde décision est celle par laquelle l’agent d’immigration Lourdes Hernandez (l’agent) a rejeté, aux environs du 21 octobre 2008, la demande de visa de résident permanent soumise par le demandeur. La seconde décision dépendait entièrement de la première.

 

[2]               À l’audience, le demandeur a déclaré qu’il se concentrerait sur le dossier de la Cour IMM‑1267-09, puisqu’il devait avoir gain de cause à son égard pour avoir gain de cause dans le dossier de la Cour IMM-1266-09.

 

[3]               Le demandeur sollicite des ordonnances infirmant les deux décisions et renvoyant les affaires à d’autres agents pour nouvel examen.

 

[4]               Pour les motifs que je vais exposer, je conclus que le demandeur a eu droit à une procédure équitable et que l’agent des visas a rendu une décision raisonnable. Je rejetterais par conséquent la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent des visas dans le dossier de la Cour IMM‑1267‑09. Par voie de conséquence nécessaire, la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent dans le dossier de la Cour IMM-1266-09 est également rejetée.

 

Contexte

 

[5]               Le demandeur est un demandeur d’asile débouté originaire du Mexique. Il a signé en octobre 2003 une mesure d’interdiction de séjour devant devenir exécutoire en cas de rejet de sa demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile du demandeur par décision datée du 27 mars 2006. La Commission a conclu que le récit du demandeur n’était tout simplement pas crédible. En mai 2006, la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur, et une mesure d’interdiction de séjour le visant est devenue exécutoire aux environs du 27 juillet 2006. Le demandeur n’a pas quitté le Canada dans les 30 jours, soutenant que son avocat ne l’avait pas informé qu’il y était tenu. En novembre 2006, plutôt, le demandeur a demandé à faire l’objet d’un examen des risques avant renvoi (ERAR), tel que le ministre lui en avait offert la possibilité.

 

[6]               Plus tôt en avril 2005, avant la tenue de l’audience sur la demande d’asile, le demandeur avait également présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleur qualifié. Le 15 mai 2007, alors que le demandeur attendait toujours que soit rendue la décision relative à  l’ERAR, l’ambassade du Canada au Mexique l’a informé qu’il devait quitter le Canada s’il voulait que se poursuive l’étude de sa demande de résidence permanente. Il disposait de 60 jours pour fournir la preuve de son départ du Canada.

 

[7]               Une décision par suite de l’ERAR a été rendue à l’encontre du demandeur par lettre datée du 25 mai 2007.

 

[8]               Le demandeur prétend n’avoir reçu l’une et l’autre lettres qu’en juin 2007 et, qu’après avoir reçu la lettre de l’ambassade, il a immédiatement informé le bureau responsable de l’ERAR qu’il souhaitait retirer sa demande d’ERAR. Le demandeur s’est fait remettre en main propre une directive datée du 15 juin 2007 lui enjoignant de se présenter pour son renvoi du Canada, le 10 juillet 2007, au bureau d’immigration de l’aéroport international Pearson. Le 10 juillet 2007, le demandeur a obtenu une attestation de départ et il est parti à destination du Mexique.

 

[9]               Par lettre datée du 3 août 2007, l’ambassade du Canada a confirmé que le demandeur avait quitté le Canada mais que, comme il avait eu son attestation plus de 30 jours après qu’était devenue exécutoire la mesure d’interdiction de séjour prise à son endroit, il lui faudrait obtenir une autorisation de retour au Canada (ARC) et expliquer son départ tardif.

 

[10]           Répondant au nom du demandeur, l’avocat de ce dernier a demandé que soit rendue une décision quant à l’ARC et il a fourni des explications au sujet du départ tardif. Non satisfaite de ces explications, l’ambassade canadienne a transmis en janvier 2008 une demande de motifs additionnels, à laquelle l’avocat a répondu en exposant des arguments supplémentaires.

 

La décision quant à l’autorisation de retour au Canada

 

[11]           Dans une lettre de décision datée du 20 octobre 2008, l’agent des visas a d’abord fait remarquer que c’était pour inciter les demandeurs d’asile déboutés à se conformer aux mesures de renvoi que des dispositions législatives permettaient la conversion de mesures d’interdiction de séjour en mesures d’expulsion. L’agent des visas a déclaré s’être longuement penché sur les motifs avancés par le demandeur pour ne pas s’être conformé dans le délai prescrit de 30 jours à la mesure d’interdiction de séjour devenue exécutoire le 27 juillet 2006. L’agent des visas a expressément  pris en compte la prétention du demandeur selon laquelle son avocat ne l’avait pas informé de l’obligation de se conformer dans les 30 jours.

 

[12]           En ce qui concerne la demande d’ERAR, l’agent des visas a tiré la conclusion qui suit :

[traduction]

Bien que vous ayez droit à un examen des risques avant renvoi, je suis d’avis que la demande que vous en avez faite avait pour seul but de vous faire rester plus longtemps au Canada, et n’était pas justifiée par une situation mettant votre vie en danger au Mexique. D’ailleurs, vous avez décidé de retirer votre demande d’ERAR et de retourner au Mexique lorsque vous avez appris votre convocation à une entrevue d’immigration, ce qui m’incite à croire que vous n’étiez exposé à aucun danger dans votre pays d’origine.

 

 

[13]           L’agent des visas a finalement conclu que, même si le demandeur s’était par la suite montré coopératif avec l’agent de renvoi, il n’avait pas expliqué suffisamment pourquoi il n’avait pas quitté le Canada dans les 30 jours après que la mesure d’interdiction de séjour fut devenue exécutoire. L’agent des visas a également établi que le demandeur était interdit de territoire au Canada.

 

La décision de l’agent

 

[14]           Dans une brève lettre de décision datée du 21 octobre 2008, l’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent soumise par le demandeur. Ce dernier était en effet interdit de territoire, comme une mesure de renvoi avait été exécutée à son endroit et qu’on avait refusé de lui accorder une autorisation de retour au Canada.

 

Les observations écrites du demandeur

 

[15]           Le demandeur a soutenu, en regard du retrait de sa demande d’ERAR, qu’un changement ayant une incidence sur sa crainte d’un retour au Mexique était survenu et lui avait permis d’y revenir en toute sécurité. L’agent des visas n’a pas pris cela en compte lorsqu’il a conclu que la demande d’ERAR avait été présentée pour des motifs factices.

 

[16]           L’agent des visas a commis une erreur, selon le demandeur, en concluant que son retard de 11 mois équivalait à une fausse déclaration. L’agent des visas a recouru à un critère inapproprié en prêtant un motif au demandeur relativement au dépôt de la demande d’ERAR, plutôt qu’à son défaut de quitter le Canada dans le délai prescrit de 30 jours. Si l’analyse de l’agent des visas devait être juste, nulle personne ayant déjà présenté une demande d’asile et qui soumet également une demande d’ERAR ne pourrait jamais obtenir une ARC.

 

[17]           Tout agent des visas doit communiquer ses préoccupations et impressions immédiates à un demandeur, de manière à ce qu’il puisse y réagir. En résumé, les règles d’équité procédurale imposaient à l’agent des visas de révéler au demandeur que le seul élément qu’il avait pris en considération c’était son défaut d’avoir quitté le Canada dans le délai prescrit de 30 jours.

 

[18]           Le demandeur soutient également que l’agent des visas a omis de prendre en compte le fait qu’il

1.         avait quitté volontairement le Canada;

2.         avait lui-même acheté son billet d’avion;

3.         apportait sa contribution à la société et était apte au travail;

4.         satisfaisait aux autres critères d’immigration.

 

[19]           Le demandeur ajoute que les conclusions de l’agent des visas quant à la crédibilité se fondaient sur une mauvaise interprétation de la preuve et contrevenaient à l’obligation d’agir équitablement. L’agent des visas a en effet conclu que, puisque le demandeur avait retiré sa demande d’ERAR en 2007, il n’avait en 2006 aucun motif légitime de la soumettre. L’agent des visas n’a pas fait part de ses inquiétudes concernant la crédibilité au demandeur, qui n’a ainsi pas eu l’occasion de les dissiper.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[20]           La norme de contrôle applicable à une décision quant à l’ARC est celle de la raisonnabilité. Un décideur n’a guère besoin de fournir de motifs ou de justification dans ce contexte.

 

[21]           Selon le défendeur, l’agent des visas a bien pris en compte l’explication du demandeur selon laquelle un changement influant sur sa crainte avait pu survenir, mais il a rejeté cette explication. L’agent des visas était manifestement disposé à accorder une ARC si le demandeur avait pu expliquer de manière satisfaisante pourquoi il n’avait pas quitté le Canada dans le délai prescrit. Il n’est énoncé dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) ni dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), aucun critère à suivre lors de l’étude d’une demande d’ARC. Le motif pour lequel un demandeur n’a pas quitté le Canada, toutefois, est déterminant. L’agent des visas a pris en compte ce que le demandeur avait répondu pour expliquer son départ si tardif, mais il a estimé que le demandeur n’avait pas fourni une réponse directe. Il semble d’ailleurs ressortir du dossier que le demandeur n’a jamais véritablement répondu à la question.

 

[22]           Le défendeur soutient que, dans l’ensemble, la décision de l’agent des visas était raisonnable. L’argument du demandeur selon lequel il ne savait pas quelle preuve il devait établir est sans aucun fondement. Dans les lettres de l’ambassade, on demandait expressément bien davantage d’explications quant au motif pour lequel le demandeur n’avait pas quitté le Canada dans le délai prescrit. Ainsi, le demandeur savait bien qu’il s’agissait là d’une question d’importance pour la décision à rendre par l’agent des visas. Il n’était pas non plus déraisonnable pour ce dernier, finalement, de tirer une conclusion défavorable des faits entourant la réception par le demandeur de la lettre de l’ambassade canadienne et du retrait subséquent de la demande d’ERAR.

 

Les questions en litige

 

[23]           Les questions suivantes sont en litige en l’espèce.

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.         L’audition a-t-elle été équitable?

3.         La décision de l’agent des visas était-elle déraisonnable?

 

Analyse et décision

 

[24]           Avant d’examiner plus en détail les arguments du demandeur, il me semble utile d’exposer le cadre législatif applicable lorsqu’est rendue une décision quant à l’ERAR. Le juge Lagacé a déjà procédé à cet exercice avec concision, comme suit, dans la décision Khakh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 710, [2008] A.C.F. n° 904 (QL).

14     Le pouvoir conféré [à l’agent des visas] se trouve au paragraphe 52(1) de la Loi, ainsi formulé :

 

52. (1) L’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement.

 

[...]

 

15     Les demandeurs d’asile déboutés, tels que les demandeurs dans la présente affaire, sont passibles de renvoi après qu’une décision définitive a été rendue sur leur demande d’asile. L’article 223 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), décrit trois genres de mesures de renvoi, à savoir les mesures d’interdiction de séjour, les mesures d’exclusion et les mesures d’expulsion.

 

16     Selon le paragraphe 224(2) du Règlement, l’étranger visé par une mesure d’interdiction de séjour doit quitter le Canada au plus tard 30 jours après que la mesure devient exécutoire, à défaut de quoi la mesure devient une mesure d’expulsion.

 

17     Cette conversion a son importance. Selon le paragraphe 224(1) du Règlement, l’étranger contre qui une mesure d’interdiction de séjour a été exécutée est dispensé de l’obligation d’obtenir l’autorisation prévue au paragraphe 52(1) de la Loi pour revenir au Canada. Cependant, après qu’une mesure d’interdiction de séjour devient une mesure d’expulsion exécutoire, le renvoi du Canada entraîne d’importantes conséquences. L’article 226 du Règlement, qui régit les mesures d’expulsion, dispose que la mesure d’expulsion oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

 

 

[25]           En l’espèce, le demandeur est devenu l’objet d’une mesure d’interdiction de séjour exécutoire en mai 2006, au moment où la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant sa demande d’asile. Le demandeur n’ayant quitté le Canada que le 10 juillet 2007, alors que cette mesure était devenue une mesure d’expulsion, il lui fallait obtenir une ARC avant de pouvoir revenir au Canada.

 

[26]           La première question en litige

Quelle est la norme de contrôle applicable?

Pour ce qui est de la question de l’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qu’il convient d’appliquer.

 

[27]           Pour une décision du type qui nous concerne (décision quant à l’ARC), la norme appropriée est celle de la raisonnabilité. Le Cour s’est récemment penchée sur cette question dans une affaire où avait été rendue une décision quant à l’ARC, soit dans Umlani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1373, 77 Imm. L.R. (3d) 179; le juge Russell y a statué comme suit :

21     La Cour suprême a aussi conclu, dans Dunsmuir, qu’il n’est pas nécessaire de mener l’analyse relative à la norme de contrôle dans tous les cas. Ainsi, dans les cas où la norme de contrôle applicable à la question à trancher est bien établie dans la jurisprudence antérieure, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement lorsque cette recherche est stérile que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs appliqués dans le cadre de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

22     Dans Sahakyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1542 (Sahakyan), la Cour a conclu que lorsqu’il s’agit du contrôle judiciaire d’une demande fondée sur l’article 52 de la Loi, c’est la décision raisonnable simpliciter qui s’applique.

 

23     Par conséquent, à la lumière de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême et des décisions antérieures de la Cour, je conclus que c’est la raisonnabilité qui s’applique comme norme de contrôle à la question de savoir si l’agent d’immigration a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’il s’agit d’examiner une décision en appliquant la norme de raisonnabilité, l’analyse « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »; voir Dunsmuir, au paragraphe 47. En d’autres termes, la Cour devrait uniquement intervenir si la décision était déraisonnable dans la mesure où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[…]

 

60     Je conviens avec le défendeur que, vu la nature très discrétionnaire et factuelle des décisions relatives aux autorisations de retour au Canada (ARC), la Cour devrait faire preuve d’une grande retenue lorsqu’elle examine ce type de décisions au regard de la norme de raisonnabilité. Comme il ressort clairement de la jurisprudence, un décideur n’a guère besoin de fournir de motifs ou de justification dans ce contexte. […]

 

 

[28]           Je souscris à cette analyse, et conviens qu’une grande retenue est de mise en procédant à l’examen d’une décision quant à l’ARC.

 

[29]           La deuxième question en litige

L’audition a-t-elle été équitable?

            J’en suis venu à la conclusion que le demandeur a eu droit à une audition équitable. Le demandeur prétend n’avoir pas été adéquatement informé des préoccupations de l’agent des visas non plus que de la preuve qu’il devait établir, et qu’on l’a ainsi privé de l’occasion de pouvoir y réagir. Toutefois, le demandeur s’est fait adresser non pas une mais bien deux lettres où on lui demandait expressément d’expliquer pourquoi il n’avait pas quitté le Canada dans le délai prescrit. J’estime que le demandeur a aussi été adéquatement informé de la preuve qu’il devait établir et qu’on lui a accordé suffisamment de temps pour ce faire. Il n’y a pas eu en l’espèce atteinte à l’équité procédurale.

 

[30]           On ne met pas en cause, dans la présente demande, la portée de l’obligation d’équité procédurale à respecter dans le traitement des demandes d’ARC; à mon avis, toutefois, cette portée doit être minimale pour les décisions prises dans ce cadre. On prétend dans la présente demande qu’il y a eu atteinte précise et fondamentale à l’équité procédurale.

 

[31]           Le principe audi alteram partem est fondamental en matière de justice naturelle. En contexte d’immigration, chaque fois que le ministre se propose d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de rejeter une demande en raison de faits particuliers, le principe s’applique et l’on doit accorder au demandeur l’occasion de présenter équitablement sa position relativement à toute question conduisant au rejet de sa demande (Lazarov c. Canada (Secrétariat d’État), [1973] C.F. 927 (C.A.),  paragraphe 25).

 

[32]           J’estime fort utile dans notre cadre particulier la décision Sahakyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1542, [2004] A.C.F. n° 1875 (QL). Dans cette affaire, M. Sahakyan était un demandeur d’asile débouté. Il aurait dû quitter le Canada avant mars 2000, moment à partir duquel la mesure d’interdiction de séjour le visant est devenue une mesure d’expulsion. Il a quitté volontairement le Canada en juin 2000 mais, en raison de son départ tardif, il a dû obtenir une ARC pour pouvoir y revenir. Dans le cadre du traitement de sa demande, l’ambassade du Canada a envoyé à M. Sahakyan une lettre type dans laquelle elle lui demandait d’expliquer en détail les raisons pour lesquelles il était dans l’intérêt national du Canada de lui donner une telle autorisation. Comme on pourrait s’y attendre, M. Sahakyan a répondu de la manière la plus rassurante possible, en mettant l’accent sur ses compétences et sur son intention de travailler fort et d’être un citoyen productif. Dans sa lettre rejetant la demande d’autorisation, l’agent a clairement indiqué que sa principale préoccupation avait trait au défaut de M. Sahakyan de se conformer aux exigences en matière d’immigration.

 

[33]           Annulant la décision de rejeter la demande, le juge Harrington a exprimé comme suit ce qu’il reprochait à la procédure utilisée à l’endroit de M. Sahakyan :

25     La règle « audi alteram partem » est au cœur de la justice naturelle. Cela signifie que M. Sahakyan avait le droit d’être entendu, de savoir quelle preuve il devait établir et d’avoir la possibilité de répondre à cette preuve. L’agent avait une préoccupation valable à l’égard de son départ tardif. Même si le bureau de Citoyenneté et Immigration à Montréal l’avait informé qu’il n’avait pas d’objections au retour de M. Sahakyan au Canada, il appartenait à l’agent de rendre une décision à cet égard. Il aurait fait preuve de négligence quant à ses obligations s’il avait omis de tenir compte du départ tardif. Cependant, il avait l’obligation d’obtenir des renseignements, une obligation dont il ne s’est pas acquitté.

 

[…]

 

29     Si M. Sahakyan avait eu une possibilité d’expliquer le retard, il aurait dit, comme il a dit devant la Cour, qu’il avait prévu présenter à partir du Mexique sa demande de statut d’immigrant au représentant du Québec, qu’il devait remettre son passeport arménien afin d’obtenir un visa mexicain et qu’il ne pouvait pas quitter le Canada avant que le passeport lui soit rendu.

 

 

[34]           En l’espèce, l’agent des visas a bien cherché à obtenir des renseignements, deux fois même en fait. Sa première lettre, envoyée le 3 août 2007, comportait la directive expresse suivante : [traduction] « Vous devez expliquer dans vos observations écrites pour quels motifs vous n’avez pas quitté le Canada dans les 30 jours après qu’est devenue exécutoire la mesure d’interdiction de séjour prise à votre endroit ». Insatisfait de la réponse fournie, le ministre a donné au demandeur une nouvelle occasion de s’exécuter, dans une lettre datée du 18 janvier 2008 où l’on demandait à nouveau expressément ce qui suit [traduction] « une lettre expliquant par des motifs additionnels pourquoi  vous n’avez pas quitté le Canada après qu’on vous l’a ordonné en 2006 ». La lettre du 1er février 2008 par laquelle le demandeur a fourni sa réponse fait voir que ce dernier savait bien ce que demandait le ministre. On y déclare notamment : [traduction] « Mesure d’interdiction de séjour – Vous désirez qu’il soit expliqué pourquoi M. Pacheco n’a pas quitté le Canada à la fin de 2006, avant que l’offre d’un ERAR ne lui soit faite ».

 

[35]           Pour les motifs mentionnés, on ne peut soutenir que le demandeur n’a pas été informé de la preuve qu’il lui fallait établir. On a informé le demandeur amplement que ce qui importait le plus à l’agent des visas c’était d’obtenir une explication pour son départ tardif, et on lui a fourni des occasions plus que suffisantes de présenter sa position. Je n’accueillerais pas la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[36]           La troisième question en litige

La décision de l’agent des visas était-elle déraisonnable?

J’ai examiné la correspondance échangée entre les parties, la décision elle-même ainsi que les affidavits du demandeur et de l’agent des visas. À mon avis, la décision de l’agent des visas était raisonnable. Bien que des motifs détaillés ne soient pas requis pour pareille décision administrative de nature très discrétionnaire, les motifs que l’agent des visas a fournis dénotaient, à l’endroit de sa conclusion finale, les caractères de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification.

 

[37]           Le demandeur soutient pour deux motifs principaux que la décision était déraisonnable. Il fait valoir premièrement que la décision de l’agent des visas se fondait sur une conclusion déraisonnable tirée quant à la crédibilité. Deuxièmement, le demandeur soutient que l’agent des visas a mal interprété la preuve de manière générale, et fait abstraction de plusieurs facteurs favorables. Je vais examiner séparément chacun de ces motifs de contestation.

 

La conclusion quant à la crédibilité

 

[38]           On l’a dit, l’agent des visas a estimé que le demandeur avait pour seul but de demeurer plus longtemps au Canada lorsqu’il a soumis sa demande d’ERAR. L’agent des visas a également conclu que le motif pour lequel le demandeur avait retiré la demande d’ERAR, par la suite, était davantage lié à la lettre reçue de l’ambassade canadienne qu’à tout changement de situation ayant une incidence sur sa prétendue crainte. J’estime comme le demandeur que, ce faisant, l’agent des visas mettait ouvertement en doute sa crédibilité. Cela s’apparentait à tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[39]           Le demandeur affirme que, si connaître le motif véritable de la présentation de sa demande d’ERAR constituait une grave préoccupation pour l’agent des visas, celui-ci était tenu de lui en faire part et de lui fournir une occasion valable de dire ce qu’il en était. Je ne suis pas de cet avis. La crédibilité du demandeur avait déjà été mise en question dans les décisions faisant suite à sa demande d’asile et à sa demande d’ERAR et, en tout état de cause, le motif véritable pour lequel le demandeur avait sollicité un ERAR n’a pas constitué le fondement de la décision de l’agent des visas. Ce dernier n’avait à tirer aucune conclusion quant aux motifs exacts du demandeur.

 

[40]           L’examen de la décision et de la correspondance qui l’a précédée fait clairement ressortir que ce qui importait le plus à l’agent des visas ce n’était pas de connaître le motif véritable de la présentation de la demande d’ERAR; c’était plutôt, tel qu’il est expressément mentionné dans les lettres, de se faire expliquer en détail pourquoi le demandeur n’avait pas quitté le Canada dans le délai prescrit.

 

[41]           Le demandeur a fait allusion à sa demande d’ERAR en répondant à ces lettres, et nié avoir enfreint une quelconque règle en matière d’immigration ou ne pas être parti dans le délai prescrit. Il est facile de comprendre pourquoi l’agent des visas n’a pas jugé satisfaisante cette explication. Le demandeur était censé quitter le Canada volontairement avant le 27 juillet 2006 et l’offre d’ERAR ne lui a pas été faite avant novembre 2006.

 

[42]           L’explication implicite du demandeur et son argument principal en l’espèce c’est qu’il n’était pas retourné plus tôt au Mexique parce qu’il craignait toujours de le faire. La sincérité de la crainte constituait l’élément clé de l’explication donnée pour son départ tardif par le demandeur, et ce dernier a présenté des observations à l’agent des visas pour démontrer le bien-fondé de cette crainte. Comme, toutefois, tant la Commission que l’agent d’ERAR avaient rejeté les demandes présentées par le demandeur en partie pour manque de crédibilité, il n’était pas injustifié pour l’agent des visas de respecter ces décisions et de mettre en doute lui aussi la crainte du demandeur. L’agent des visas aurait d’ailleurs manqué à son devoir s’il avait fait abstraction de ces décisions antérieures.

 

[43]           La volonté soudaine du demandeur de revenir au Mexique, en plus de l’élément de preuve que constituait la lettre de l’ambassade canadienne, ne pouvaient qu’inciter davantage l’agent des visas à souscrire à la conclusion de la Commission et de l’agent d’ERAR selon laquelle le demandeur serait exposé à un risque trop peu élevé en cas de retour au Mexique.

 

[44]           L’agent des visas n’avait pas à demander expressément que le demandeur explique son soudain désir de revenir au Mexique. Le demandeur savait quelle preuve il devait établir, et je suis convaincu qu’il en aurait fait part si une telle explication avait existé.

 

[45]           En résumé donc, il était justifié pour l’agent des visas, au vu de la preuve et des décisions antérieures, de tirer sa conclusion défavorable quant à la crédibilité. Cette conclusion convenait également dans le contexte, le demandeur ayant fait de cela l’élément central de sa réponse à ce que demandait principalement l’agent des visas, soit le motif du départ tardif.

 

Les éléments de preuve non pris en compte

 

[46]           Le demandeur soutient que l’agent des visas a mis à tort l’accent, à l’exclusion de toute autre considération, sur son défaut de partir dans le délai prescrit de 30 jours. L’agent des visas aurait plus particulièrement fait abstraction erronément du fait que le demandeur

            1.         avait quitté le Canada volontairement;

2.         avait lui-même acheté son billet d’avion;

3.         apportait sa contribution à la société et serait apte au travail à son retour (c.-à-d. sa contribution passée et éventuelle à l’économie);

4.         satisfaisait aux autres critères d’immigration (c.-à-d. qu’il disposait du nombre requis de points).

 

[47]           Lorsque des délégués du ministre rendent des décisions quant à l’ARC, celles-ci ne nécessitent pas, contrairement à d’autres décisions discrétionnaires rendues en application de la Loi, la prise en compte de facteurs particuliers. Dans la décision Chazaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 966, [2006] A.C.F. n° 1234 (QL) reposant sur des faits semblables, le juge Blais a fait état de l’absence de critères précis en la matière, mais a également conclu que les explications relatives au départ tardif d’un demandeur constituaient un élément central dont il ne pouvait être fait abstraction :

19     Ni la Loi, ni le Règlement n’imposent de critères à l’agent chargé d’évaluer une demande d’autorisation de retour. Cependant, l’arrêt Sahakyan, ci-dessus, donne des lignes directrices. Le juge Harrington, au paragraphe 23, a indiqué que l’élément central pour le genre d’évaluation qui a eu lieu en l’espèce est l’analyse des raisons relatives au retard du demandeur à quitter le Canada :

 

En dernier ressort, il appartient aux cours, non au ministre ou à ses représentants, d’interpréter la Loi. L’accent que l’agent a mis sur des questions qui n’auraient pas été pertinentes si M. Sahakyan avait quitté le pays au bon moment démontre qu’il a mal interprété la Loi. Cela ne veut pas dire que les antécédents canadiens de M. Sahakyan ne sont pas pertinents. Ce que cela signifie c’est que ces antécédents doivent être pertinents à son départ tardif. L’élément central des préoccupations de l’agent devait être les raisons pour lesquelles M. Sahakyan avait quitté le pays en juin plutôt qu’en mars.

 

[Je souligne.]

 

 

[48]           Le demandeur invoque toutefois la décision Akbari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1421, [2006] A.C.F. n° 1773 (QL) pour soutenir qu’une erreur révisable est commise lorsqu’une décision quant à l’ARC se fonde uniquement sur les antécédents d’immigration d’un demandeur, sans prise en considération d’aucun des autres faits en cause. Mme Akbari était elle aussi une demandeure d’asile déboutée, détentrice en outre d’une carte verte des États-Unis. S’étant rendue aux États-Unis, Mme Akbari avait sans le savoir donné elle-même effet à son renvoi du Canada, après quoi on avait refusé de lui accorder une ARC. Mme Akbari était l’épouse d’un citoyen canadien, qui ne pouvait toutefois pas entrer aux États-Unis sans dispense, parce que marié à une détentrice de carte verte. Les autorités canadiennes de l’immigration avaient au même moment saisi le passeport de Mme Akbari, puis l’avaient perdu. Celle-ci n’ayant pu obtenir un nouveau passeport, elle et son mari ne pouvaient non plus se rencontrer dans un pays tiers. Mme Akbari s’était ainsi retrouvée dans une situation très fâcheuse (dont elle n’était pas entièrement responsable), et la Cour l’a reconnu. La juge Layden-Stevenson a expliqué que c’était le défaut de l’agent de faire la moindre mention de la situation de Mme Akbari dans ses motifs qui constituait une erreur susceptible de révision.

13     Si l’agent d’immigration a pris en considération les faits précis invoqués par Mme Akbari, ses notes n’en disent rien. En l’absence d’une quelconque indication dans ses notes que l’agent ait au moins porté son attention sur la situation concrète de Mme Akbari, je me vois dans l’obligation de conclure qu’il ne l’a pas fait.

 

 

[49]           La juge Layden-Stevenson a ensuite restreint la portée de sa conclusion aux seuls faits inusités d’espèce.

14     Il s’ensuit que, à mon sens, le fait que l’agent n’ait pas pris en considération la totalité des faits présentés par Mme Akbari constitue un manquement à l’équité procédurale envers elle. Ma conclusion, j’y insiste, repose principalement sur les faits particuliers de la présente espèce et ne s’applique qu’à cette dernière. En outre, ma décision ne doit pas être interprétée comme une opinion ou une position sur le fond de la demande d’ARC de Mme Akbari.

 

 

[50]           Malgré la mention qui y est faite de l’équité en matière de procédure, j’estime que les faits de l’affaire Akbari, précitée, donnent aussi ouverture à l’erreur révisable sur le fond. En fonction des faits d’espèce, autrement dit, Mme Akbari a démontré que la décision rendue par l’agent était  déraisonnable.

 

[51]           Pour les décisions quant à l’ARC, en général, l’agent dispose du pouvoir discrétionnaire de décider quels faits il prendra ou non en considération. Les demandes d’ARC ne devraient pas être vues comme de mini-demandes fondées sur des motifs humanitaires. Plutôt, une décision quant à l’ARC est non seulement de nature fortement discrétionnaire, mais également « relève dans une large mesure d’un pouvoir d’appréciation libre et subjectif » (Akbari, précitée, paragraphes 8 et 11).

 

[52]           En l’absence de circonstances particulières s’apparentant aux circonstances de l’affaire Akbari, précitée, les agents des visas n’ont pas à mentionner expressément dans leurs motifs la totalité des faits présentés par les demandeurs, et ils ne sont « pas non plus tenu[s] d’exposer formellement [leurs] motifs » (Akbari, précitée, paragraphe 11).

 

[53]           La situation unique de Mme Akbari  nécessitait qu’on lui porte une considération particulière. On n’a pas affaire à une situation semblable en l’espèce. En outre, aucun élément de preuve ne réfute la présomption que l’agent des visas a bien pris en compte les facteurs susmentionnés. La personne qui rend une décision quant à l’ARC n’est pas tenue d’exposer formellement ses motifs ni d’en donner le détail.

 

[54]           Tout bien considéré, le demandeur n’a pas démontré que la décision était déraisonnable. Je n’accueillerais pas la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[55]           Pour ce qui est du dossier de la Cour IMM-1266-09, concernant le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent, présentée par le demandeur à titre de membre de la catégorie « immigration économique », la demande de contrôle doit être rejetée. Le demandeur n’ayant pas quitté le Canada avant la prise contre lui d’une ordonnance d’expulsion, il ne pouvait revenir au Canada sans obtenir une ARC (paragraphe 52(1) de la Loi). Comme la demande d’ARC du demandeur a été rejetée, celui-ci demeure interdit de territoire au Canada. C’est là la raison que l’agent a invoqué pour refuser la demande.

 

[56]           Les demandes de contrôle judiciaire sont par conséquent rejetées.

 

[57]           Ni l’une ni l’autre partie n’a soumis à mon attention une question grave de portée générale en vue de sa certification.

 

 

JUGEMENT

 

[58]           LA COUR ORDONNE que les demandes de contrôle judiciaire soient rejetées.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


ANNEXE

 

 

Dispositions législatives pertinentes

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

 

 

 

 

Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1266-09

                                                            IMM-1267-09

 

INTITULÉ :                                       JESUS FRANCISCO QUINTERO PACHECO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 30 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter G. Ivanyi

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rochon Genova

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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