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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100330

Dossier : IMM-5109-08

Référence : 2010 CF 341

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2010

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE

DENEIVA OLIVIA RIGG

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE

LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.    Aperçu

 

[1]               Mme Deneiva Rigg est arrivée au Canada en 1977, en provenance de la Jamaïque, alors qu’elle était âgée de 12 ans. Par suite des déclarations de culpabilité prononcées contre elle au Canada, relativement à des accusations criminelles, une mesure d’expulsion a été prise en 2005. Mme Rigg a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi au motif qu’elle craignait d’être persécutée en Jamaïque, à cause de son orientation sexuelle et de sa toxicomanie. L’agent qui a effectué l’examen a trouvé que Mme Rigg ne serait probablement pas exposée à un risque de persécution, mais cette décision a été annulée à la suite d’un contrôle judiciaire. Un autre agent a effectué un nouvel examen de la situation de Mme Rigg et a rejeté sa demande une fois de plus.

 

[2]               Mme Rigg affirme que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de la preuve et qu’il n’a pas fourni de motifs adéquats pour expliquer sa décision. Elle demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer le dossier à un autre agent pour que celui-ci effectue un nouvel examen. Je conviens que l’agent a commis une erreur, et j’accueillerai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II. Les questions en litige

[3]               Il y a deux questions en litige :

 

1.         L'agent a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a traité la preuve?

2.         Les motifs de l’agent étaient-ils adéquats?

 

[4]               Je considère que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de la preuve. Par conséquent, il est inutile d’analyser la deuxième question.

 

III. Analyse

 

(1)        La décision de l’agent

 

[5]               Sur la question de l’orientation sexuelle, l’agent était convaincu, selon le dossier, que Mme Rigg était bisexuelle. Il a conclu par contre qu’elle ne serait pas la cible de persécution [traduction] « si elle continu[ait] de cacher son orientation sexuelle, comme elle l’avait fait dans le passé au Canada ». L’agent a tenu compte de lettres de soutien d’Amnesty International qui décrivent la violence contre les homosexuels, hommes et femmes, en Jamaïque. Il a cependant ajouté que les cas de violence se concentraient surtout dans les zones urbaines et que Mme Rigg pourrait se trouver un endroit où vivre dans des parties plus sécuritaires du pays.

 

[6]               En ce qui concerne la toxicomanie, l’agent a souligné que la preuve indiquait que Mme Rigg ne consommait pas de drogue à l’époque de l’examen. Mme Rigg avait aussi laissé entendre qu’elle se retrouverait probablement dans la rue à son retour en Jamaïque, étant donné qu’elle n’avait plus de famille habitant le pays. L’agent a éloigné les préoccupations de Mme Rigg après avoir passé en revue les différents programmes pour sans-abris qui existaient en Jamaïque.

 

A.  L'agent a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a traité la preuve?

 

[7]               Je peux annuler la décision de l’agent uniquement si je conclus que l’appréciation que l’agent a faite de la preuve était déraisonnable.

 

[8]               Le fondement principal de l’allégation de Mme Rigg selon laquelle elle serait exposée à un risque était son orientation sexuelle. Pour cette question, l’agent a consulté les éléments de preuve suivants :

 

•           l’affidavit de Mme Rigg;

•           des lettres d’Amnesty International;

•           une recherche de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié;

•           une directive opérationnelle de l'Agence des services frontaliers et de l’immigration du Royaume-Uni.

 

[9]               En s’appuyant sur ces éléments de preuve, l’agent a conclu qu’à l’exception d’un cercle restreint d’amis, Mme Rigg était réservée au sujet de son orientation sexuelle. Si elle continuait ainsi, elle ne serait pas la cible de persécution en Jamaïque. L’agent n’a pas semblé tenir compte du fait que Mme Rigg était alors dans une relation lesbienne ouverte.

[10]           L’agent a mentionné qu’il accorderait un poids important aux lettres d’Amnesty International et a souligné que leurs auteurs étaient préoccupés du fait que, en Jamaïque, les femmes homosexuelles en général, et Mme Rigg en particulier, étaient exposées à de graves violations des droits de la personne. L’agent a également précisé que les lois jamaïcaines condamnaient l’homosexualité masculine, et non féminine. En conclusion, l’agent a estimé que les risques de violence homophobe étaient plus élevés dans les zones urbaines qu’ailleurs et que Mme Rigg pourrait les éviter en choisissant de s’établir dans un quartier plus sécuritaire.

 

[11]           L’agent n’a pas fait référence à d’autres documents dont il disposait, notamment des rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch et du Département d'État américain. Même si on ne relève pas toute l’information de ces rapports, je constate que l’agent disposait de beaucoup d’éléments de preuve qui indiquaient que :

 

•           la violence contre les femmes homosexuelles et en particulier celles qui (comme Mme Rigg) ont une apparence masculine est largement répandue en Jamaïque;

•           le nombre de Jamaïcains qui croient que les lesbiennes peuvent se faire guérir par le viol est élevé;

            •           la police jamaïcaine maltraite les homosexuels des deux sexes;

•           il n’existe pas de protection de l’État adéquate pour les homosexuels exposés à un risque de violence.

 

[12]           À mon avis, l’appréciation qu’à faite l’agent de la preuve était déraisonnable. Il n’a pas analysé l’essentiel de la preuve documentaire à l’appui de la demande de Mme Rigg. De plus, bien qu’il ait annoncé qu’il allait accorder beaucoup de poids au rapport d’Amnesty International, il n’a pas expliqué pourquoi il concluait que des sources plus générales indiquant le contraire étaient plus convaincantes.

 

IV. Conclusion et décision

[13]           Un agent peut soupeser la preuve et il n’est pas nécessaire qu’il fasse mention de tous les éléments de celle-ci dans ses motifs de décision, mais il ne peut pas rendre une décision en se basant sur une analyse sélective de la preuve. Dans un cas où une preuve crédible contraire à sa conclusion existe, l’agent doit en faire mention et expliquer pourquoi on peut l’écarter (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F.1re inst.).

[14]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Mme Rigg a réclamé les dépens, mais je ne vois pas de circonstance spéciale justifiant leur octroi. Les avocats ont demandé à avoir la possibilité de faire des observations relativement à la certification d'une question. J'étudierai les observations déposées dans les dix jours suivant le présent jugement.


 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.                  Les observations à l'égard de la certification d'une question doivent être déposées dans les dix jours de la date du présent jugement.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COURS FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5109-08

 

INTITULÉ :                                       RIGG c. MCI et MSPPC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 29 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 30 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carole Simone Dahan

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mary Matthew

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BUREAU DU DROIT DES RÉFUGIÉS

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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