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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100329

Dossier : IMM-4135-09

Référence : 2010 CF 339

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2010

En présence de monsieur le juge Barnes

 

ENTRE :

NALLIAH THIRUNAVUKARASU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de Nalliah Thirunavukarasu, qui conteste une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI) a rejeté sa demande de parrainage concernant son épouse et sa fille, qui accompagne cette dernière.

 

I.          Le contexte

[2]               M. Thirunavukarasu a demandé l’asile après avoir quitté le Sri Lanka pour le Canada en 1995. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté cette demande le 27 septembre 1996. En 1998, M. Thirunavukarasu a demandé le statut de résident permanent en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et sa demande a été approuvée en principe en mai 2001. À cause de difficultés à obtenir des documents, ce n’est qu’en janvier 2005 que M. Thirunavukarasu a acquis le statut de résident permanent.

 

[3]               Quand M. Thirunavukarasu a présenté sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en 1998, il a déclaré que son épouse et sa fille cadette se trouvaient toujours au Sri Lanka mais qu’il ignorait à quel endroit. Il a manifestement repris contact avec elles avant d’obtenir le droit d’établissement, mais il a omis d’informer Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de ce changement de situation. Cela lui a créé un problème en 2007, quand CIC a rejeté sa demande de parrainage concernant son épouse et sa fille parce qu’elles étaient interdites de territoire en tant que membres de la famille n’ayant pas fait l’objet d’un contrôle, aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR). C’est cette décision-là que M. Thirunavukarasu a porté en appel devant la SAI.

 

II.         La décision de la SAI

[4]               La SAI a tiré un certain nombre de conclusions factuelles très favorables à M. Thirunavukarasu et à sa famille. Elle était disposée à excuser le fait que l’épouse et la fille, par leur admission tardive, avaient menti à CIC à propos de la question de savoir si, à cause du conflit en cours au Sri Lanka, le contact avec M. Thirunavukarasu avait été rompu entre 1998 et 2004. La SAI a également accepté que l’omission de M. Thirunavukarasu d’informer CIC de la reprise des contacts avec sa famille était une omission involontaire. En dépit de ces conclusions, la SAI a conclu que M. Thirunavukarasu ne s’était pas acquitté de son obligation d’informer CIC du lieu où se trouvaient son épouse et sa fille avant qu’il n’obtienne le droit d’établissement. Par ricochet, cela a amené la SAI à appliquer le paragraphe 117(9) du RIPR, qui empêchait l’épouse et la fille de M. Thirunavukarasu d’obtenir le droit d’établissement parce qu’elles étaient considérées comme des membres de la famille n’accompagnant pas le répondant et n’ayant pas fait l’objet d’un contrôle. Le fondement de l’application par la SAI de cette disposition réglementaire est exposé dans le passage suivant, extrait de sa décision :

[26]      En outre, il ne faut pas confondre l’obligation de divulguer l’existence des membres de la famille et celle de procéder à un contrôle. L’obligation de divulguer incombe complètement à l’appelant. Une fois que cette divulgation a été effectuée, il incombe à l’agent des visas de déterminer s’il doit y avoir contrôle ou non. C’est à la suite de la divulgation que l’agent des visas peut décider de façon éclairée s’il doit procéder ou non à un contrôle. En l’espèce, les notes versées au SSOBL indiquent que le CIC s’est penché sur la question du contrôle des demandeures lorsqu’il a été inscrit au dossier que les allées et venues de celles-ci n’étaient pas connues. Il ne fait aucun doute que les demandeures ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle. Cependant, selon les faits dont je dispose, l’appelant a pris connaissance des allées et venues des demandeures avant d’obtenir le droit d’établissement. En me fondant sur la jurisprudence mentionnée ci-dessus, je suis d’avis que l’appelant avait l’obligation d’informer le CIC lorsqu’il a pris connaissance des allées et venues des demandeures, soit avant d’obtenir le droit d’établissement, soit au moment où il a obtenu ce droit. Cela aurait permis à l’agent d’immigration de déterminer s’il était nécessaire de soumettre la demandeure et sa fille à un contrôle. Comme il a été mentionné ci-dessus, malheureusement pour l’appelant, il importe peu que le défaut de divulguer les allées et venues des demandeures découle d’une inadvertance ou non.

 

[27]      Je ne suis pas non plus convaincue par l’observation du conseil de l’appelant, qui affirme que l’alinéa 117(9)d) met l’accent sur la divulgation de l’« existence » de membres de la famille et que, ayant divulgué l’existence des demandeures dès le début, l’appelant n’a pas contrevenu à cet alinéa. À mon avis, il s’agit d’une interprétation étroite de l’alinéa 117(9)d) et du paragraphe 117(10) qui est incompatible avec une interprétation raisonnable de cet alinéa et de ce paragraphe dans le contexte des considérations de principe sous-jacentes mentionnées ci‑dessus. Si l’appelant n’a pas l’obligation de divulguer un changement de situation avant d’obtenir le droit d’établissement, le paragraphe 117(10) est alors dénué de sens. En outre, une telle interprétation serait contraire à la décision de la Cour fédérale dans Fuente [note de bas de page omise], décision par laquelle je suis liée.

 

[28]      En résumé, j’estime que l’appelant a divulgué l’existence des demandeures [à] CIC et qu’il n’était pas au courant de leurs allées et venues au moment où il a présenté sa demande de résidence permanente. J’estime également que, lorsqu’il a pris connaissance des allées et venues des demandeures, l’appelant avait l’obligation d’en informer […] CIC avant d’obtenir le droit d’établissement. Malheureusement, il ne l’a pas fait, et les demandeures sont visées par l’alinéa 117(9)d).

 

 

III.       Les questions en litige

[5]               La SAI a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de l’alinéa 117(9)d) du RIPR?

 

[6]               La SAI a-t-elle commis une erreur en omettant d’évaluer correctement la demande de redressement de M. Thirunavukarasu en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (la Charte)?

 

IV.       Analyse

[7]               Les questions soulevées pour le compte de M. Thirunavukarasu comportent des points de droit qu’il est nécessaire de contrôler selon la norme de la décision correcte : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 44.

 

[8]               Si j’ai bien compris, M. Thirunavukarasu soutient essentiellement que, dans son interprétation de l’alinéa 117(9)d) du RIPR, la SAI a commis une erreur en n’acceptant pas que l’admissibilité de l’épouse et de la fille n’avait aucun rapport avec la demande de résidence permanente. Il soutient qu’on ne sert aucun des objets de la loi en considérant que cette disposition l’obligerait à indiquer où l’épouse et la fille se trouvaient parce qu’il n’était pas obligatoire qu’elles fassent en même temps l’objet d’un contrôle.

 

[9]               Le problème que pose cet argument est que la Cour d’appel fédérale l’a rejeté dans l’arrêt Azizi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 406, [2006] 3 R.C.F. 118. Dans cette affaire, le demandeur était entré au Canada à titre de réfugié ayant obtenu le droit d’établissement à une époque où il n’était pas obligatoire, semble-t-il, de soumettre à un contrôle les membres de la famille n’accompagnant pas le répondant. Le demandeur n’avait pas fait état de l’existence de sa famille à CIC parce que la seule façon qu’il avait de quitter le Pakistan était par l’intermédiaire d’un programme de bourses d’études qui exigeait qu’il soit célibataire. Comme dans le cas présent, le demandeur avait fait valoir que la manière dont la SAI interprétait l’alinéa 117(9)d) ne cadrait pas avec les objets de la LIPR et, en particulier, celui du regroupement familial. La Cour a rejeté cet argument pour les motifs suivants :

16        Si M. Azizi a raison de dire que la loi n'exige pas que les membres de la famille d'un réfugié qui n'accompagnent pas ce dernier au moment où il demande la résidence permanente au Canada fassent l'objet d'un contrôle, cette circonstance tombe sous le coup du paragraphe 117(10). L'agent prendra cette décision, et l'alinéa 117(9)d) ne s'appliquera pas. Toutefois, ce qui est important c'est que le paragraphe 117(10) exige que l'agent prenne la décision. Cela signifie qu'il doit y avoir divulgation de l'existence des membres de la famille n'accompagnant pas le demandeur au moment où il présente sa demande de statut de réfugié.

17        M. Azizi semble dire que l'alinéa 117(11)a) étaye son argument, mais ce dernier est un peu difficile à suivre. Cependant, l'alinéa 117(11)a), à l'instar du paragraphe 117(10), suppose qu'il y a eu divulgation de l'existence des membres de la famille n'accompagnant pas le demandeur. Sans cette divulgation, il n'y aurait aucune raison pour l'agent des visas d'informer le répondant que les membres de sa famille pourraient faire l'objet d'un contrôle. Suivant le régime établi par le Règlement, l'existence des membres de la famille qui n'accompagnent pas un demandeur et qui pourraient être plus tard parrainés en vue de leur entrée au Canada doit être déclarée au moment de la demande de résidence permanente du répondant.

 

[…]

 

21        La divulgation est implicitement exigée par l'alinéa 117(9)d) puisqu'il traite du contrôle des membres de la famille par les agents de l'immigration. À l'évidence, les membres de la famille ne peuvent pas faire l'objet d'un contrôle si leur existence n'a pas été divulguée. La référence explicite qui est faite à la divulgation au paragraphe 141(1) ne limite pas l'obligation de divulgation implicite dont il est question à l'alinéa 117(9)d). Au contraire, la référence explicite qui y est faite à l'alinéa 141(1)a) souligne l'importance de la divulgation dans la procédure canadienne d'immigration.

 

22        M. Azizi tente d'interpréter le Règlement d'une manière qui justifie l'omission par l'appelant ayant obtenu le statut de réfugié de faire la divulgation requise. Cela convient peut-être à sa situation, mais cela ne cadre pas avec le régime établi par le Règlement.

 

 

[10]           Pour l’application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR, je ne vois aucune distinction marquée entre une situation dans laquelle un demandeur omet de révéler l’existence de membres de sa famille présents à l’étranger et une situation, comme la présente, dans laquelle le demandeur omet de dévoiler au moment opportun le lieu récemment découvert où se trouvent des membres de sa famille. Je conviens que la première de ces deux situations comporte habituellement une fausse déclaration délibérée et que la seconde, comme c’est le cas en l’espèce, peut survenir involontairement, mais l’effet est le même – CIC est privé de la possibilité de procéder à un contrôle opportun des membres de la famille qui n’ont pas accompagné le répondant. L’argument invoqué en faveur de M. Thirunavukarasu fait bel et bien abstraction du libellé explicite du Règlement à cause d’une vision sélective des objets de la LIPR, et je n’y souscris pas.

 

[11]           Il a également été prétendu pour le compte de M. Thirunavukarasu que l’omission de CIC de se renseigner sur les membres de sa famille au Sri Lanka constituait en fait une renonciation à son droit de le faire et que cela donnait lieu à l’exception que crée le paragraphe 117(10) du RIPR. À l’appui de cet argument, M. Thirunavukarasu se fonde sur une inscription non datée qui figure dans les notes du STIDI de CIC : [traduction] « Pas de traitement simultané. Prétend que les personnes à charge à l’étranger sont impossibles à trouver ».

 

[12]           Il m’est impossible de tirer de cette note une conclusion utile quelconque, à part le fait que quand elle a été écrite, son auteur a fait remarquer que l’on ignorait le lieu où se trouvaient l’épouse et la fille de M. Thirunavukarasu. C’est précisément pour avoir dit à CIC que le contact avait été rompu que le demandeur était tenu d’informer CIC de leur emplacement une fois qu’il avait  pris connaissance de cette information. CIC n’était pas tenu de poser des questions, et le fait de ne pas en avoir posé n’entraîne aucune conséquence juridique.

 

[13]           L’argument fondé sur la Charte qu’invoque M. Thirunavukarasu est dénué de fondement. Que la SAI ait mal interprété ou non le seuil relatif au redressement que prévoit l’article 7 ou qu’elle ait mal interprété l’argument de M. Thirunavukarasu, rien dans le dossier ne corrobore une telle prétention. M. Thirunavukarasu a déclaré que [traduction] « j’ai l’esprit à l’envers », et cela est tout à fait insuffisant pour déclencher l’application de la Charte, surtout quand cette longue séparation familiale est due à la décision qu’a prise le demandeur de laisser sa famille derrière lui au Sri Lanka. La conclusion de la SAI, selon laquelle l’argument fondé sur la Charte ne pouvait pas être maintenu d’après la preuve soumise, est donc inattaquable.

 

[14]           La SAI a fait remarquer que M. Thirunavukarasu et sa famille n’étaient pas sans autre recours et qu’ils pouvaient se prévaloir de l’article 25 de la LIPR. Elle a également considéré que la preuve dont elle disposait faisait fortement pencher la balance en faveur d’un redressement fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. Je conviens avec la SAI que le regroupement de cette famille au Canada, après de nombreuses années de séparation et de difficultés, atteindrait vraisemblablement l’objectif que vise l’article 25 de la LIPR. Malheureusement, ni la SAI ni la Cour n’ont le pouvoir d’imposer une telle issue.

 

[15]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question à certifier et il ne ressort du présent dossier aucune question de portée générale.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4135-09

 

INTITULÉ :                                       NALLIAH THIRUNAVUKARASU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 MARS 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE :                                               LE 29 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

POUR LE DEMANDEUR

Stephen H. Gold

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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