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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100323

Dossier : T-722-07

Référence : 2010 CF 327

Montréal (Québec), le 23 mars 2010

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

GALERIE AU CHOCOLAT inc.

demanderesse

et

 

ORIENT OVERSEAS CONTAINER

LINE LTD.

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) par Orient Overseas Container Line Ltd. (la défenderesse) à l’encontre de l’ordonnance du 22 janvier 2010 par laquelle le protonotaire Richard Morneau a rejeté la demande de conférence sur la gestion de l’instance de la défenderesse et lui a ordonné de produire son mémoire relatif à la conférence préparatoire.

 

[2]               Le 27 avril 2007, la demanderesse a déposé une déclaration dans le cadre d’une action dans laquelle elle réclame 115 599,95 $ en dommages-intérêts pour la perte d’un chargement de boîtes décoratives (le chargement) fabriquées par Balasi Exports et transporté par la défenderesse des Philippines à Montréal. La demanderesse allègue que le chargement était en bon état lorsqu’il a été expédié; la défenderesse allègue qu’il ne l’était pas.

 

[3]               La défenderesse a commencé à interroger au préalable le représentant de la demanderesse, Gerson Vineberg, le 9 septembre 2008. Les interrogatoires se sont poursuivis jusqu’au 18 février 2009. Plusieurs objections ont été formulées, et certains engagements ont été pris, tandis que d’autres ont été refusés. Le 19 juin 2009, la défenderesse a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance statuant sur les objections et obligeant la demanderesse à donner suite à ses engagements.

 

[4]               Le 2 juillet 2009, le protonotaire Morneau a rendu une ordonnance (l’ordonnance du 2 juillet) exigeant que la demanderesse réponde aux questions auxquelles elle s’était opposée et qu’elle donne suite aux engagements en litige. Cette ordonnance exigeait notamment que la demanderesse demande des renseignements à des tiers.

 

[5]               La demanderesse a répondu aux questions et aux engagements visés par l’ordonnance du protonotaire Morneau, mais la défenderesse a estimé que certaines de ces réponses étaient insatisfaisantes. Il y a eu par la suite, entre septembre et décembre 2009, un échange de lettres entre les parties concernant le caractère exhaustif des réponses de la demanderesse. La demanderesse était d’avis que ses réponses étaient complètes, et elle demeure de cet avis; la défenderesse était d’avis contraire, et elle le demeure.

 

[6]               Le 6 janvier 2010, la demanderesse a déposé sa demande de conférence préparatoire. Le lendemain, le protonotaire Morneau a donné une directive selon laquelle les parties devaient soumettre conjointement un échéancier relatif à la constitution du dossier. Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre à cet égard.

 

[7]               La défenderesse a répondu en demandant une conférence sur la gestion de l’instance afin de régler les questions non résolues reliées aux interrogatoires préalables, en particulier celles ayant trait aux éléments de preuve que la demanderesse comptait produire sur la question de l’état du chargement au moment de son embarquement.

 

[8]               Le 22 janvier 2010, le protonotaire Morneau a rendu une ordonnance (l’ordonnance du 22 janvier) rejetant cette demande et exigeant que la défenderesse produise son mémoire relatif à la conférence préparatoire avant le 5 mars 2010.

 

[9]               La défenderesse interjette maintenant appel de cette ordonnance.

 

[10]           Il est de droit constant que l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne devrait pas être modifiée à moins qu’elle porte sur des questions qui ont une influence déterminante sur l’issue de l’affaire ou que le protonotaire ait exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459). En outre, dans Montana Indian Band c. Canada, 2002 CAF 331, la Cour d’appel fédérale

[a] insist[é] […] sur le lourd fardeau qui incombe aux parties désirant faire annuler une ordonnance interlocutoire rendue par un juge responsable de la gestion de l'instance. Notre Cour répugne en tout état de cause à intervenir en regard de telles ordonnances, en raison des retards et des frais occasionnés par pareils appels dans quelque instance que ce soit. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'appel est interjeté de la décision interlocutoire d'un juge responsable de la gestion de l'instance qui a une connaissance intime de l'historique des faits ainsi que des détails d'une affaire complexe. La gestion d'instance ne peut être efficace que si notre Cour n'intervient que « dans les cas où un pouvoir discrétionnaire a manifestement été mal exercé », pour reprendre l'expression du juge Rothstein dans Bande indienne de Sawridge et al. c. Canada, 2001 CAF 339, (2001) 283 N.R. 112.

 

[11]           La défenderesse soutient que les questions que soulève son appel ont une influence déterminante sur l’issue de l’affaire, parce que l’ordonnance du 22 janvier l’empêche d’obtenir des éléments de preuve cruciaux et de commander et produire dans les délais des rapports d’expert essentiels.

 

[12]           La demanderesse conteste toutefois cette qualification, et elle soutient que les questions relatives à la communication de la preuve n’ont pas une influence déterminante sur l’issue de l’affaire. Elle ajoute que, puisque le protonotaire agissait à titre de juge responsable de la gestion de l’instance dans le contexte d’une instance à gestion spéciale, son ordonnance commande d’autant plus de retenue judiciaire. Je suis d’accord.

 

[13]           Dans Ruman c. Canada, 2005 CF 474, le juge James Hugessen a mis en garde au paragraphe 7 qu’« il est rare de pouvoir démontrer qu'un refus de divulgation supplémentaire ou de documents supplémentaires aura une influence déterminante sur l'issue du litige » (voir aussi Stevens c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 2). Je ne crois pas que nous ayons affaire ici à l’un de ces « rares » cas.

 

[14]           La décision du juge Luc Martineau dans Campbell c. Electoral Officer of Canada, 2008 CF 1080, invoquée par la défenderesse, se distingue de la présente espèce. Le juge Martineau a statué que la question de savoir si les demandeurs pouvaient produire des éléments de preuve additionnels au soutien de leur demande de contrôle judiciaire avait une influence déterminante sur l’issue de l’affaire parce que la réponse du protonotaire à cette question influait sur la capacité des demandeurs de tenter d’obtenir une partie essentielle de la réparation qu’ils demandaient. L’ordonnance du protonotaire avait pour effet de préjuger d’une question qui aurait dû être laissée au juge chargé de statuer sur le fond de l’affaire. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Les questions soulevées par la défenderesse n’ont pas une influence déterminante sur l’issue de l’affaire, et cette Cour ne modifiera pas l’ordonnance du 22 janvier à moins que celle-ci ait « [été fondée] sur un principe erroné ou une mauvaise compréhension des faits » et qu’elle constitue un « cas où la discrétion judiciaire a été manifestement mal exercée. »

 

[15]           La défenderesse soutient en outre que la demanderesse n’a pas respecté toutes ses obligations à la suite de l’ordonnance du 2 juillet. Elle souligne que les Règles prévoient qu’une personne assujettie à un interrogatoire préalable peut être tenue de se renseigner davantage relativement à une question à laquelle elle est incapable de répondre lors de l’interrogatoire. La défenderesse soutient que la demanderesse n’a pas demandé les renseignements qu’il lui avait été ordonné de communiquer, ou à tout le moins, qu’elle n’a pas fourni de preuves démontrant qu’elle avait fait ces demandes et donné un engagement de ne se servir au procès d’aucuns renseignements autres que ceux qu’elle avait communiqués à la défenderesse. La défenderesse soutient aussi que l’ordonnance du 22 janvier [TRADUCTION] « ne tient pas compte de la possibilité que la défenderesse puisse vouloir demander l’autorisation […] d’interroger des représentants » de tiers. Par conséquent, le protonotaire Morneau a commis une erreur lorsqu’il a affirmé que la demanderesse avait déjà communiqué à la défenderesse [TRADUCTION] « tout ce qui pouvait être communiqué au préalable » en vertu des Règles.

 

[16]           Je ne suis pas d’accord. La défenderesse ne signale aucune erreur du protonotaire Morneau qui pourrait être qualifiée de mauvaise appréciation des faits. Le protonotaire Morneau a étudié la correspondance que les deux parties lui avaient adressée. À titre de juge responsable de la gestion de l’instance, il est parfaitement au fait des circonstances de la présente espèce, y compris de l’ordonnance du 2 juillet, qu’il avait lui-même prononcée. Sa conclusion selon laquelle la demanderesse s’est conformée aux obligations que lui imposait cette ordonnance n’est pas un « cas où la discrétion judiciaire a été manifestement mal exercée », et cette conclusion ne doit pas être modifiée.

 

 

[17]           Pour ces motifs, l’appel de la défenderesse est rejeté avec dépens conformément au tarif B.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La requête est rejetée;

2.      La défenderesse doit signifier et déposer dans les 10 jours de la présente ordonnance un mémoire relatif à la conférence préparatoire en conformité avec les Règles, comprenant notamment tout rapport d’expert dont la défenderesse compte se servir au procès;

3.      Le protonotaire Morneau communiquera aux parties les disponibilités révisées pour la tenue de la conférence préparatoire dans la présente affaire;

4.      Les dépens de la présente requête seront calculés conformément au tarif B.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-722-07

 

INTITULÉ :                                       GALERIE AU CHOCOLAT INC. c. ORIENT OVERSEAS CONTAINER LINE LTD.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 22 mars 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 23 mars 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kenrick Sproule

 

POUR LA DEMANDERESSE

Maxime Gagné

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sproule Faguy

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Stikeman Elliott

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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