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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100319

Dossier : T-1382-09

Référence : 2010 CF 323

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2010

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

 

RAZIEH JEIZAN

défenderesse

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) fait appel, conformément au paragraphe 14(3) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, de la décision d’un juge de la citoyenneté, en date du 19 juin 2009, qui a approuvé la demande de citoyenneté canadienne présentée par Razieh Jeizan (la défenderesse).

 

I.          Contexte

[2]               La défenderesse est citoyenne iranienne. Elle est devenue résidente permanente du Canada le 10 mars 2001. Elle vit à Toronto dans une maison qui appartient à son mari et à l’un de leurs fils. Quatre de ses enfants sont citoyens canadiens. Ses deux autres enfants et son mari ont tous demandé la citoyenneté.

 

[3]               Elle a demandé la citoyenneté canadienne le 13 mars 2006. Sa demande initiale, que, dit-elle, l’un de ses fils l’avait aidée à remplir, indiquait qu’elle avait accumulé 185 jours d’absence du Canada au cours des quatre années précédant sa demande. Cependant, dans un questionnaire sur la résidence, qu’elle avait produit, en même temps que des pièces justificatives, en réponse à une demande de Citoyenneté et Immigration Canada, elle écrivait qu’elle avait été absente 630 jours et présente 830 jours. Sa demande initiale, a-t-elle dit, était erronée.

 

[4]               Les pièces justificatives produites avec le questionnaire de la défenderesse concernant la résidence étaient une copie de son passeport, une facture d’hôpital établie à son nom, divers états financiers et des factures aux noms de son mari et de son fils, ainsi que des reçus génériques.

 

[5]               La défenderesse a été interrogée par le juge de la citoyenneté le 8 juin 2009. Sur demande, elle a produit plusieurs autres documents les jours suivants : des lettres de sa banque, de son médecin, d’une association communautaire pour les activités auxquelles elle participait, ainsi qu’une lettre signée par son mari confirmant qu’elle travaillait à temps partiel dans l’entreprise de celui-ci.

 

II.         La décision contestée

[6]               Le 19 juin 2009, le juge de la citoyenneté Gill a rendu sa décision disant que la défenderesse s’était conformée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté et approuvant la demande de citoyenneté de la défenderesse. Ses motifs consistent en un seul paragraphe manuscrit apparaissant sur le formulaire « Avis au ministre ». Le paragraphe en question est reproduit ci-après :

[traduction]

+55.  J’ai eu un entretien avec la candidate, j’ai examiné les passeports, j’ai constaté la présence de la famille au Canada, j’ai constaté qu’elle est propriétaire d’une maison, que les raisons pour lesquelles elle s’était absentée du Canada se rapportaient à des urgences familiales, et je suis d’avis que, même s’il lui manque quelques jours sur les 1 095 jours requis, elle a effectivement établi sa résidence au Canada et l’a maintenue. Elle remplit donc les conditions de résidence fixées par la Loi.

 

Dossier certifié du tribunal, Avis au ministre de la décision du juge de la citoyenneté, page 19.

 

 

[7]               Après la décision du juge de la citoyenneté, le dossier a été transmis à un représentant de Citoyenneté et Immigration Canada pour traitement ultérieur. La partie II du formulaire (« Avis au ministre de la décision du juge de la citoyenneté ») mentionne que, après que la demande de citoyenneté est approuvée par le juge, un fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration Canada doit examiner la décision et octroyer officiellement la citoyenneté.

 

[8]               Le 10 juillet 2009, le fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration Canada a informé la défenderesse par lettre qu’elle devait fournir d’autres renseignements : une explication portant sur ses absences du Canada, tout passeport qu’elle aurait pu détenir durant la période allant de février 2006 à avril 2007, et les avis de cotisation des années 2003 à 2006.

 

[9]               Le 24 juillet 2009, la défenderesse a envoyé à Citoyenneté et Immigration Canada une lettre expliquant ses absences. Elle y a écrit que les raisons de ses voyages en Iran étaient des urgences survenues au sein de sa famille (la maladie et le décès de sa mère et de son frère) et des événements familiaux (les mariages de ses fils et la naissance de son petit-fils). Elle a écrit qu’elle n’avait pas détenu de passeport de 2006 à 2007. Elle a ajouté qu’elle n’avait pas d’avis de cotisation pour les années 2003 à 2006 parce qu’elle n’avait pas produit de déclarations de revenu pour ces années vu qu’elle n’avait pas de revenu.

 

[10]           À la suite de la réponse de la défenderesse, le fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration Canada a introduit la procédure d’appel de la décision du juge de la citoyenneté.

 

III.       Points litigieux

[11]           Le présent appel soulève deux points principaux :

a.       Le juge de la citoyenneté a-t-il motivé suffisamment sa décision?

b.      La défenderesse a-t-elle rempli la condition de résidence fixée par la Loi sur la citoyenneté?

 

IV.       Analyse

[12]           La question de savoir si un candidat à la citoyenneté remplit ou non les conditions de résidence fixées par la Loi est une question mixte de droit et de fait. La norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable. Les deux parties reconnaissent que c’est ici la norme applicable, et il existe en effet une abondante jurisprudence sur ce point : voir par exemple Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 483, [2008] A.C.F. n° 603, paragraphe 7; Ishfaq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), 2008 CF 477, [2008] A.C.F. n° 598, paragraphe 4; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Arastu, 2008 CF 1222, [2008] A.C.F. n° 1561, paragraphes 16 à 21.

 

[13]           Lorsqu’elle examine une décision d’après la norme de la décision raisonnable, la Cour n’intervient que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n° 9, paragraphe 47.

 

A.        Le juge de la citoyenneté a-t-il motivé suffisamment sa décision?

[14]           La décision d’un juge de la citoyenneté d’approuver ou de rejeter une demande de citoyenneté doit être accompagnée de motifs. C’est ce que prévoit le paragraphe 14(2) de la Loi sur la citoyenneté :

14. Examen par un juge de la citoyenneté

 

Information du ministre

 

(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l’article 15, approuve ou rejette la demande selon qu’il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.

14. Consideration by citizenship judge

 

Advice to Minister

 

(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefor.

 

 

[15]           Le ministre fait valoir que le juge de la citoyenneté ne s’est pas acquitté de son obligation de motiver adéquatement sa décision. Plus précisément, il dit que le juge n’a pas précisé quel critère de résidence il appliquait ni pourquoi la défenderesse répondait à ce critère, et qu’il a passé sous silence les lacunes de la preuve de la défenderesse.

 

[16]           La défenderesse reconnaît que le juge de la citoyenneté n’a pas dit explicitement quel critère de résidence il appliquait. Cependant, d’après elle, il est clair qu’il n’a pas appliqué le strict critère de la présence physique exposé dans la décision Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259, [1993] A.C.F. n° 232, et qu’il est « probable » qu’il n’appliquait pas le critère en six volets exposé dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286, [1992] A.C.F. n° 1107. Par conséquent, il avait dû appliquer l’autre critère possible, développé dans la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.), et d’ailleurs la défenderesse affirme que les points de fait énumérés dans la décision du juge de la citoyenneté Gill reflètent pour l’essentiel le critère de la décision Re Papadogiorgakis, précitée.

 

[17]           Une décision est suffisamment motivée lorsque les motifs sont clairs, précis et intelligibles et lorsqu’ils disent pourquoi c’est cette décision-là qui a été rendue. Une décision bien motivée atteste une compréhension des points soulevés par la preuve, elle permet à l’intéressé de comprendre pourquoi c’est cette décision-là qui a été rendue, et elle permet à la cour siégeant en contrôle judiciaire de dire si la décision est ou non valide : voir Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, paragraphe 46; Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n° 545 (C.A.F.); VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.F.), paragraphe 22; décision Arastu, précitée, paragraphes 35 et 36.

 

[18]           Les motifs qui appuient la décision d’un juge de la citoyenneté devraient à tout le moins préciser quel critère de résidence a été appliqué et en quoi il a été ou non satisfait à ce critère : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Behbahani, 2007 CF 795, [2007] A.C.F. n° 1039, paragraphes 3 et 4; Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1555, [2005] A.C.F. n° 1979, paragraphe 32; Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 605, [2003] A.C.F. n° 790, paragraphe 22; Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 736, [2008] A.C.F. n° 1030, paragraphe 13.

 

[19]           Les motifs en l’espèce sont très semblables à ceux qu’a examinés la juge Danièle Tremblay-Lamer dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Wong, 2009 CF 1085, [2009] A.C.F. n° 1339, et qui consistaient eux aussi en un unique paragraphe manuscrit inséré dans le formulaire « Avis au ministre ». La juge Tremblay-Lamer a estimé que les motifs en question, qui eux non plus ne précisaient pas quel critère le juge de la citoyenneté avait appliqué, étaient déficients. Elle s’est exprimé ainsi, aux paragraphes 17 et 18 :

Dans un jugement récent, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahmoud, 2009 CF 57 [la décision Mahmoud], au paragraphe 6, le juge Roger Hughes écrivait que, parce que le ministre – ou, d’ailleurs, un demandeur de citoyenneté – n’a de recours que d’interjeter appel à la Cour, et parce que la citoyenneté doit être accordée en cas de recommandation favorable d’un juge de la citoyenneté, « l’exposition de motifs par le juge de la citoyenneté revêt une importance particulière. Les motifs doivent être suffisamment clairs et détaillés pour démontrer au ministre que tous les faits pertinents ont été pris en considération et soupesés comme il se doit et que les critères juridiques opportuns ont été appliqués. »

 

Inutile de le dire, les motifs du juge de la citoyenneté devraient se suffire à eux-mêmes. Le défendeur a senti le besoin d’expliquer dans un affidavit le raisonnement du juge de la citoyenneté, ce qui, à mon avis, montre clairement que les motifs du juge étaient déficients.

 

 

[20]           Le raisonnement du décideur ne devrait pas requérir d’autres explications. En l’espèce, c’est l’avocate de la défenderesse qui explique le raisonnement du juge de la citoyenneté dans son exposé des faits et du droit, mais des suppositions faites par le biais des arguments d’un avocat ne diffèrent pas de suppositions faites par le biais de l’affidavit d’une partie : Alem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 148, [2010] A.C.F. n° 176, paragraphe 19.

 

[21]           Les motifs n’attestent pas non plus une compréhension des questions soulevées par la preuve, en l’occurrence l’absence d’une preuve suffisante de la défenderesse pour prouver sa résidence au Canada. Le juge de la citoyenneté est allé jusqu’à affirmer qu’il manquait quelques jours à la défenderesse sur les 1 095 jours requis, alors que, selon la preuve, il lui manquait en fait 265 jours. Ce n’est manifestement pas là le signe d’un examen approfondi de la demande de citoyenneté de la défenderesse.

 

[22]           Je suis donc d’avis que les motifs exposés par le juge de la citoyenneté sont déficients; cet apparent manque de soin est très fâcheux parce qu’il a causé à la défenderesse, qui, croyait-il, méritait de se voir accorder la citoyenneté, l’inconvénient d’une situation incertaine et les frais du présent litige.

 

B.         La défenderesse a-t-elle rempli la condition de résidence fixée par la Loi sur la citoyenneté?

[23]           Vu ma conclusion sur la question de la qualité des motifs, il m’est impossible de dire que la conclusion du juge de la citoyenneté selon laquelle la défenderesse remplissait la condition de résidence fixée par la Loi sur la citoyenneté était raisonnable. Comme l’explique la Cour suprême dans un passage souvent cité de l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, « le caractère raisonnable [d’une décision] tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ». Les motifs exposés par le juge de la citoyenneté ne justifient pas sa décision, et ils ne sont ni transparents ni intelligibles.

 

[24]           La question n’est pas pour autant réglée cependant, parce que, comme l’a écrit le juge Douglas Campbell dans la décision Seiffert c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1072, [2005] A.C.F. n° 1326, la Cour peut, dans les cas qui le justifient, dire qu’un candidat à la citoyenneté a rempli les conditions fixées par la Loi sur la citoyenneté et a le droit de devenir citoyen canadien. Cela dit, la juge Tremblay-Lamer a écrit dans la décision Wong, précitée, que la Cour ne substituera sa propre décision à celle d’un juge de la citoyenneté que « dans des cas exceptionnels » (paragraphe 25), lorsque la question soulevée « n’est pas tranchée » (paragraphe 26).

 

[25]           L’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté prévoit explicitement qu’un candidat à la citoyenneté peut s’absenter du Canada durant un maximum d’un an au cours des quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. Cela signifie qu’il doit avoir résidé au Canada durant un minimum de trois ans, soit 1 095 jours, durant la période pertinente.

[26]           Comme la Loi sur la citoyenneté ne définit pas les mots « résidence » ou « résident », et exclut les appels à la Cour d'appel fédérale, la jurisprudence de la Cour fédérale est partagée sur le critère juridique qu’il convient d’appliquer pour savoir si un candidat à la citoyenneté remplit ou non la condition de résidence énoncée à l’alinéa 5(1)c). Trois différents critères de résidence ont donc été élaborés, auxquels j’ai déjà fait allusion au paragraphe 16 des présents motifs. Si le juge de la citoyenneté adopte l’un de ces trois critères, qu’il indique clairement le critère retenu et qu’il fait coïncider les faits avec ce critère, la Cour n’interviendra pas : voir par exemple Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 164 F.T.R. 177 (C.F. 1re inst.), [1999] A.C.F. n° 410, paragraphes 11 à 14; So c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 733, [2001] A.C.F. n° 1232, paragraphes 27 à 30; Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1641, [2005] A.C.F. n° 2029, paragraphes 11 et 12.

 

[27]           Les absences déclarées de la défenderesse, en l’occurrence 630 jours, montrent qu’elle ne pouvait pas satisfaire au strict critère de la résidence exposé dans la décision Re Pourghasemi, précitée. Elle n’a été présente au Canada que durant 830 jours, alors que, selon le critère, il faut l’être pendant 1 095 jours. Ces absences étaient confirmées par les dates des timbres d’entrée canadiens et des timbres de sortie iraniens apposés dans son passeport. Il est incontestable que la défenderesse n’a pas rempli le strict critère de la résidence énoncé dans la décision Re Pourghasemi, en raison de la preuve constituée par son propre passeport.

 

[28]           La preuve produite par la défenderesse ne satisfaisait pas non plus au critère de la décision Re Koo. Ce critère suppose l’évaluation détaillée de six facteurs distincts. Il n’apparaît pas, dans les brefs motifs fournis par le juge de la citoyenneté, que cette analyse approfondie a été effectuée pour cette demande de citoyenneté. En outre, le critère de la décision Koo reconnaît que la mesure de la présence physique au Canada du candidat à la citoyenneté est un facteur de « première importance ». Puisqu’il ressort clairement du dossier que la défenderesse a passé plus d’un an et huit mois en dehors du Canada durant la période de quatre ans, le juge de la citoyenneté ne pouvait pas raisonnablement considérer cette condition remplie. Quant à savoir si la défenderesse a établi que le Canada est l’endroit où elle « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou le pays où elle a « centralisé son mode d’existence », la preuve produite par la défenderesse au soutien de sa demande de citoyenneté est loin de suffire en tant que preuve documentaire. Elle n’établissait tout simplement pas que le Canada est le lieu de son domicile.

 

[29]           Il reste le critère de la décision Re Papadogiorgakis, selon lequel la manière de déterminer si un candidat à la citoyenneté canadienne remplit les conditions du paragraphe 5(2) de la Loi sur la citoyenneté consiste à mesure la qualité de ses liens avec le Canada. S’il démontre l’existence d’un lien suffisant avec le Canada et une intention de faire du Canada le pays de son domicile permanent, alors des absences temporaires peuvent être comptées comme des périodes de résidence au Canada.

 

[30]           Il est loin d’être évident, au vu de la preuve, que la défenderesse répondrait à ce critère. Il y a, dans sa preuve, des lacunes qui jettent le doute sur son intention de faire du Canada le lieu de son domicile permanent. D’abord, elle a très largement dépassé le nombre de jours d’absence autorisés du Canada. Elle explique que ses absences étaient attribuables à des engagements familiaux, par exemple les visites qu’elle a faites à son frère et à sa mère malades, tous deux aujourd’hui décédés, et ses visites en Iran pour assister aux mariages de ses fils et à la naissance de son petit-fils. Mais elle n’explique pas pourquoi elle a dû rester plus de quatre mois en Iran à chacun des mariages de ses fils, et elle n’explique pas non plus son séjour de six mois dans ce pays en 2003.

 

[31]           En outre, la preuve documentaire de résidence de la défenderesse est mince. La maison qu’elle habite est enregistrée aux noms de son mari et de son fils. Elle partage son compte bancaire avec son mari. Elle n’a pas produit les déclarations de revenu demandées par Citoyenneté et Immigration Canada parce que, d’après ce qu’elle dit, elle n’avait pas de revenu à déclarer. Son unique preuve d’emploi à temps partiel était une lettre produite par son mari selon laquelle elle travaillait dans son restaurant à lui. La preuve de sa participation à des activités communautaires se limitait à la lettre d’un ami et à une lettre type de l’Association mandéenne du Canada qui ne donne aucun détail sur son rôle véritable. Elle a produit des reçus d’épiceries et de magasins, mais rien ne prouve que c’est elle qui a acheté les articles. En outre, dix des quinze reçus qu’elle a produits pour prouver sa présence au Canada portent des dates auxquelles, de son propre aveu, elle n’était pas présente au Canada.

 

[32]           Il est fort possible, comme l’explique la défenderesse dans sa lettre à Citoyenneté et Immigration Canada datée du 24 juillet 2009, que, selon ses traditions culturelles, les biens familiaux et les comptes bancaires ne sont pas enregistrés ou établis au nom de la femme. Mais le juge de la citoyenneté n’a pas abordé cet argument, et la Cour en est réduite à conjecturer le poids qui a été accordé à cette explication dans l’évaluation de son lien avec le Canada. Le juge de la citoyenneté était convaincu, après son entretien avec la défenderesse, qu’elle avait droit à la citoyenneté, mais il n’a pas expliqué pourquoi tel était le cas. Ainsi, même si un nouvel entretien avec la défenderesse pourrait conduire à la même décision sur sa demande de citoyenneté, il ne s’agit pas ici d’un cas « tranché » où il serait opportun pour la Cour d’exercer son pouvoir en appel pour rendre sa propre décision sur la question de la résidence. Le ministre a le droit d’obtenir l’explication d’une décision avec laquelle il est en désaccord. L’appel doit donc être accueilli.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit accueilli sans frais, sans frais.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1382-09

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                                                            c.

                                                            RAZIEH JEIZAN

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 MARS 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 19 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DEMANDEUR

Eli Antel

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Zeppieri & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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