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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100319

Dossier : T-72-10

Référence : 2010 CF 322

Toronto (Ontario), le 19 mars 2010

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION DE COUCHICHING

demanderesse

 

et

 

DANIEL J. BAUM et AIMEE ADAMS

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Première nation de Couchiching (la demanderesse) voudrait que soit rendue une ordonnance empêchant le Dr Daniel Baum (l’arbitre) de poursuivre l’audition de la plainte déposée par Mme Aimee Adams (la défenderesse) en vertu des dispositions du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le CCT).

 

[2]               La demanderesse est l’ancienne employeuse de la défenderesse. La défenderesse dit qu’elle a été injustement congédiée par la demanderesse le 6 mars 2007. Elle a déposé sa plainte en vertu du CCT le 11 mai 2007.

 

[3]               La demanderesse, qui a déposé la demande sous-jacente de contrôle judiciaire le 15 janvier 2010, voudrait obtenir les réparations suivantes :

1.      une ordonnance annulant les décisions du défendeur Baum et disant que l’audition de la plainte devra avoir lieu intégralement dans la Première nation de Couchiching ou à proximité;

2.      une ordonnance relevant le défendeur Baum de ses fonctions d’arbitre de la plainte et annulant toutes ses décisions prises en rapport avec la plainte;

3.      les dépens résultant de la demande;

4.      une ordonnance accordant telle autre réparation que pourra solliciter son avocat et que pourra autoriser la Cour.

 

[4]               L’avis de requête en suspension de l’audience tenue devant le Dr Baum a été déposé le 22 février 2010. Les alinéas a) et b) de l’avis de requête exposent ainsi les fondements de la requête :

                                                               i.      La demanderesse a introduit la procédure de contrôle judiciaire le 15 janvier 2010 pour contester la décision du défendeur et arbitre Daniel Baum d’instruire à Thunder Bay, en Ontario, la plainte déposée par elle en vertu du CCT, et cela pour sa seule convenance à lui, plutôt qu’à Fort Frances, en Ontario, où les événements ont eu lieu et où les parties et les témoins résident, et pour obtenir la destitution du défendeur Baum ou l’empêcher d’agir comme arbitre de la plainte en raison de la partialité qu’il a montrée jusqu’au premier jour de l’audition de la plainte.

                                                             ii.      Le défendeur Baum a refusé d’accéder aux requêtes de la demanderesse, qui le priait de changer le lieu de l’audition de la plainte, de se récuser comme arbitre de la plainte et de reporter l’audition de la plainte jusqu’à l’issue de la présente demande.

 

[5]               La demanderesse a déposé les quatre affidavits suivants au soutien de sa requête :

a.       l’affidavit de Cynara Bruyere, adjointe de direction à l’Office administratif de la Première nation de Couchiching et de M. Smokey Bruyere, signé le 10 février 2010;

b.      l’affidavit de Coral Chisel, assistante juridique de Me Chantelle Bryson, signé le 11 février 2010;

c.       l’affidavit de Smokey Bruyere, directeur de la bande de la Première nation de Couchiching, signé le 11 février 2010;

d.      le deuxième affidavit de Coral Chisel, signé le 19 février 2010.

 

[6]               Le premier affidavit de Coral Chisel renvoie à 44 pièces, notamment des lettres échangées entre l’avocate de la demanderesse et le Dr Baum. Les pièces comprennent aussi diverses décisions rendues par l’arbitre sur un certain nombre d’objections élevées par l’avocate de la demanderesse concernant la tenue de l’audience relative à la plainte de la défenderesse. Le ton de la correspondance envoyée par l’avocate de la demanderesse est agressif et hostile, frisant parfois l’intimidation.

 

[7]               Le critère d’une suspension d’instance est triple, et les trois volets du critère sont conjonctifs, comme il est indiqué dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 : (1) il existe une question sérieuse à trancher qui découle de l’acte introductif d’instance déposé à l’origine, en l’occurrence une demande de contrôle judiciaire; (2) si la réparation n’est pas accordée, il en résultera un préjudice irréparable; (3) la prépondérance des inconvénients favorise la partie qui demande la suspension.

 

[8]               La demanderesse soutient qu’elle remplit les trois conditions d’une suspension qui sont énoncées dans l’arrêt RJR-MacDonald.

 

[9]               Elle affirme que le Dr Baum s’est montré partial et attire l’attention sur sa décision d’instruire la plainte à Thunder Bay plutôt qu’à Fort Frances. Elle signale aussi la décision du Dr Baum de ne pas se récuser, décision dont fait état une lettre datée du 21 décembre 2009 répondant à une requête présentée par l’avocate de la demanderesse par lettre du 16 décembre 2009.

 

[10]           Se fondant sur les décisions Gendarmerie royale du Canada c. Malmo-Levine (1998), 161 F.T.R. 25 (1re inst.), Woloshyn c. Yukon Teachers Association [1999] Y.J. No. 69 (C.S.T.Y.) (Q.L.), Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), [1999] A.C.F. n° 107 (1re inst.) (Q.L.), la demanderesse fait valoir que de sérieuses allégations de partialité constituent, aux fins d’une suspension d’instance, une question sérieuse à trancher, et elle ajoute qu’une contestation fondée sur des allégations de partialité vaut contestation de la compétence du tribunal administratif en cause.

 

[11]           La demanderesse, se fondant sur la décision Guttierez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n° 608 (1re inst.) (Q.L.), et sur la décision Great Atlantic and Pacific Co. of Canada Ltd. c. Ontario (Ministre de la Citoyenneté) (1993), 62 O.A.C. 1 (C. div.), soutient que, devant de sérieuses allégations de partialité, les intérêts de la justice sont mieux servis si l’on interrompt une audience à un stade précoce au lieu de la laisser suivre son cours jusqu’à une décision qui risque d’être viciée, nonobstant l’existence d’un recours en contrôle judiciaire.

 

[12]           Le critère de la partialité est exposé ainsi dans un arrêt de la Cour suprême du Canada, Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

 

[13]           C’est un critère auquel il n’est pas facile de satisfaire.

 

[14]           Les affidavits, y compris les pièces qui y sont jointes, montrent que le Dr Baum a rendu certaines décisions rejetant certaines requêtes de la demanderesse. Il a, par exemple, refusé d’ajourner l’audience en octobre 2009 et refusé de se récuser. Dans la mesure où l’affidavit de M. Smokey Bruyere et le deuxième affidavit de Mme Chisel prétendent décrire la conduite tenue par l’arbitre au cours de l’audience qui s’est déroulée le 1er décembre 2009, j’accorde peu de valeur auxdits affidavits. M. Bruyere n’est pas une partie désintéressée, et Mme Chisel fait une déposition sur la foi d’autrui.

 

[15]           L’arbitre, agissant en vertu des dispositions du CCT, est autorisé à conduire l’audience, sous réserve des impératifs de justice naturelle et d’équité procédurale. Une allégation fondée de partialité revient à dire que l’équité procédurale et la justice naturelle n’ont pas été respectées.

 

[16]           La décision défavorable rendue par un arbitre ne saurait automatiquement fonder une allégation de partialité. Sur ce point, je me réfère à la décision Boparai c. Canada (2008), 79 Admin. L.R. (4th) 240, où l’avocat des demandeurs avait déposé une requête en récusation à l’encontre de la juge Snider au motif qu’il avait déjà eu à se plaindre d’elle et que cela laissait craindre une attitude partiale de sa part envers lui. La juge Snider a résolument rejeté la requête.

 

[17]           Je répète qu’une allégation de partialité, dont la demanderesse dit ici qu’elle constitue le fondement de la demande sous-jacente de contrôle judiciaire, ne constitue pas automatiquement une question sérieuse à trancher, que ce soit aux fins d’une audition sur le fond ou aux fins d’une requête en suspension. Au vu des circonstances de la présente affaire, il ne m’est pas nécessaire de dire si la demanderesse a prouvé l’existence d’une question sérieuse à trancher parce que, en tout état de cause, je ne crois pas qu’elle se soit acquittée de son obligation de montrer qu’elle subira un préjudice irréparable si la suspension est refusée.

 

[18]           La demanderesse prétend qu’elle sera exposée à des frais importants si elle doit assister aux audiences à Thunder Bay alors que la plupart, sinon la totalité, de ses témoins vivent à Fort Frances. Elle dit qu’elle ne sera pas en mesure de recouvrer ces frais si elle obtient gain de cause dans la plainte de congédiement injuste déposée contre elle par la défenderesse.

 

[19]           Selon la jurisprudence, la partie qui sollicite une suspension d’instance doit produire, au soutien de l’argument du préjudice irréparable, une preuve qui ne soit pas fondée sur des conjectures. Je me réfère à la décision Nature Co. c. Sci-Tech Educational Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 359, et à la décision Centre Ice Ltd. c. National Hockey League (1994), 53 C.P.R. (3d) 34.

 

[20]           Les affidavits déposés au nom de la demanderesse n’apportent pas une preuve suffisante de préjudice irréparable. En fait, ils n’en disent rien, se focalisant plutôt sur l’historique des événements qui ont précédé la première journée de l’audition de la plainte de la défenderesse. Sans une preuve suffisante de préjudice irréparable, la requête en suspension présentée par la demanderesse n’est pas recevable.

 

[21]           Je relève que, s’agissant de la question de la prépondérance des inconvénients, la demanderesse s’est fondée sur les mêmes arguments que ceux qu’elle avait avancés pour la question du préjudice irréparable. Cependant, comme il est indiqué plus haut, elle n’a pas produit une preuve suffisante tendant à montrer qu’elle subirait un préjudice irréparable. Il s’ensuit donc que la demanderesse ne peut pas prouver que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur.

 

[22]           Le dossier produit dans le cadre de la présente requête n’est pas sans susciter quelques inquiétudes. À mon avis, la demanderesse ou son avocate, ou les deux, cherchent à empêcher et à retarder l’audition de la plainte de la défenderesse. C’est là une tentative de détourner la procédure sommaire prévue par le CCT, et une tentative de détourner le rôle légitime de l’arbitre dans l’établissement des paramètres et de la conduite de l’audience. Cette manière d’agir est irrégulière.

 

[23]           La demanderesse a sollicité les dépens, payables sans délai, au cas où elle obtiendrait gain de cause à l’égard de la présente requête. Puisqu’elle n’a pas obtenu gain de cause, elle n’a pas droit aux dépens, et il ne sera pas adjugé de dépens à l’égard de la présente requête.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la requête est rejetée; il n’est pas adjugé de dépens à l’égard de la présente requête.

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-72-10

 

INTITULÉ :                                       PREMIÈRE NATION DE COUCHICHING c.

                                                            DANIEL J. BAUM et AIMEE ADAMS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 MARS 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 19 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantelle J. Bryson

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Pas de comparution

POUR LES DÉFENDEURS

(non représentés)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Buset & Partners LLP

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

s.o.

POUR LES DÉFENDEURS

(non représentés)

 

 

 

 

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