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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100318

Dossier : IMM-5461-08

Référence : 2010 CF 310

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

Entre :

YU, WEN QIANG

demandeur

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), L.R.C. 2001, chap. 27, d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans laquelle il a été établi que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de la Loi. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Contexte

[2]                Wen Qiang Yu, un citoyen de la République populaire de Chine, habitait dans la province du Fujian avant d’arriver au Canada.

 

[3]               M. Yu est chrétien. Ses parents sont chrétiens depuis qu’il est enfant, mais il n’est devenu chrétien que récemment. En septembre 2006, un ami l’a invité dans une église protestante clandestine locale. M. Yu est devenu membre de cette église, qui menait ses activités dans les maisons de ses membres une ou deux fois par semaine.

 

[4]               M. Yu soutient que le 5 novembre 2006, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a effectué une descente lors d’un rassemblement clandestin de l’église auquel il participait. M. Yu soutient qu’un système de guetteur était en place afin de permettre aux membres de s’échapper et qu’il s’est immédiatement enfui pour se cacher. Il soutient que le lendemain, le BSP s’est présenté au domicile de sa famille et a [traduction] « prétendu qu[’il] avait participé à des activités religieuses illégales ». M. Yu déclare aussi qu’un certain nombre de membres de l’église ont été détenus et que l’un de ces membres a révélé son nom aux autorités. M. Yu soutient que le BSP a fouillé sa maison et a menacé ses parents pour tenter d’obtenir des renseignements sur l’endroit où il se trouvait.

 

[5]               M. Yu est resté caché, craignant que s’il était découvert, il serait [traduction] « sévèrement puni pour avoir participé à des activités religieuses illégales, arrêté et emprisonné ». Avec l’aide d’un trafiquant, il s’est organisé pour venir au Canada. M. Yu est arrivé au Canada le 17 décembre 2006 et il a présenté sa demande d’asile le 8 janvier 2007. M. Yu soutient que depuis son arrivée au Canada, ses parents ont continué d’être harcelés par le BSP qui continue de le chercher en raison de ses activités avec l’église chrétienne.

 

[6]               Le 27 août 2008, la Commission a rejeté la demande d’asile de M. Yu. La Commission a accepté que le demandeur est chrétien et qu’il a fréquenté une église chrétienne clandestine. Cependant, la Commission a conclu que « [e]st déterminante en l’espèce la question de savoir s’il est crédible que le demandeur d’asile soit recherché par les autorités parce qu’il est membre d’une église chrétienne clandestine au Fujian en Chine. »

 

[7]               La Commission a examiné l’abondante preuve documentaire sur la persécution religieuse en Chine et a conclu que « les [églises clandestines] protestantes en Chine font l’objet de persécution religieuse », mais qu’il était moins probable qu’une telle persécution ait lieu dans la province du Fujian, qui a une approche plus libérale envers ces églises. La Commission a noté qu’il existe « très peu » de preuves documentaires sur la persécution dans la province du Fujian. La Commission a tiré une conclusion négative de ce manque de preuve documentaire et a déclaré :

[…] étant donné la quantité importante de renseignements portant sur des exemples très précis dans des régions beaucoup plus éloignées et difficiles d’accès que le Fujian, le tribunal juge raisonnable de s’attendre à la présentation d’éléments de preuve convaincants étayant l’allégation voulant que les [églises clandestines] protestantes aient été la cible de [descentes] et que des personnes aient été emprisonnées au Fujian.

 

[8]               La Commission a ensuite examiné les facteurs qui sont généralement présents dans les cas de persécution de membres d’églises clandestines. La Commission a conclu que ces facteurs ne s’appliquent pas au demandeur. Après avoir examiné la preuve documentaire, et sans avoir précisément déclaré que le demandeur n’était pas crédible, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas une crainte fondée d’être persécuté. La Commission a conclu :

[…] selon la prépondérance des probabilités, que le groupe confessionnel dont le demandeur d’asile était membre n’a pas été la cible d’une [descente] et, partant, que personne n’a été emprisonné et que le [BSP] ne veut pas l’arrêter ni l’emprisonner pour des activités religieuses illégales. À cet égard, le tribunal a privilégié la preuve documentaire au témoignage du demandeur d’asile.

 

[9]               La Commission a ensuite eu à « décider si le demandeur d’asile pourra pratiquer sa religion sans s’exposer à un risque de persécution s’il retournait en Chine ». La Commission a demandé au demandeur pourquoi il ne fréquentait pas une église reconnue par le gouvernement qui était inscrite auprès « de l’association patriotique voulue ». Le demandeur a témoigné que « ces lieux de culte mettent l’accent sur la dévotion au Parti communiste plutôt qu’à Dieu, renseignement qu’il tient de dépliants et de l’organisateur de l’église clandestine ». La Commission a conclu que les chrétiens en Chine étaient en mesure de pratiquer leur foi librement dans les églises inscrites. La Commission a noté que la preuve documentaire ne confirmait pas l’allégation du demandeur selon laquelle les églises inscrites encourageaient l’allégeance au Parti communiste chinois plutôt qu’à Dieu. La Commission a conclu qu’elle « ne peut accepter que le demandeur d’asile serait empêché de pratiquer sa religion à une église patriotique s’il devait retourner en Chine ».

 

[10]           La Commission a aussi conclu, en raison du manque de preuve documentaire appuyant l’allégation selon laquelle il y avait persécution des membres des églises clandestines dans la province du Fujian, que « s’il devait pratiquer sa religion dans une [église clandestine] non enregistrée avec laquelle il entretenait des liens avant sa venue au Canada », il ne serait pas exposé à un risque réel de persécution. Par conséquent, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur.

Les questions en litige

[11]           Dans son mémoire, le demandeur soulève les questions suivantes :

1.  Les conclusions de la Commission quant à la pratique du christianisme en Chine étaient-elles erronées?

 

2.  La Commission a-t-elle commis une erreur en préférant le peu de preuve documentaire à la preuve par ailleurs crédible du demandeur?

 

3.  La Commission a-t-elle commis une erreur en interprétant erronément la preuve et en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents pour conclure qu’il n’y avait pas d’arrestations dans la province du Fujian?

 

4.  La Commission a-t-elle commis une erreur en se fondant sur la preuve documentaire sans tirer de conclusion précise quant à la véracité du récit du demandeur?

 

[12]           À mon avis, les questions soulevées par le demandeur se résument comme suit :

1.      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait pratiquer librement sa religion dans une église patriotique?

 

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en se fondant sur la preuve documentaire au sujet des conséquences de la pratique du christianisme dans la province du Fujian plutôt que sur la preuve du demandeur, sans tirer de conclusions précises au sujet de la véracité du récit du demandeur?

 

Analyse

i) La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait pratiquer librement sa religion dans une église patriotique?

 

 

 

[13]           Le demandeur a soutenu qu’il ne pouvait pas pratiquer sa religion dans une église patriotique parce que ces églises placent l’État avant Dieu. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il pourrait librement pratiquer sa religion dans une église patriotique parce qu’elle n’a pas correctement examiné la preuve documentaire et la jurisprudence à l’appui de son évaluation de la priorité accordée à l’État dans de telles églises.

 

[14]           Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission était raisonnable parce que le demandeur n’a présenté aucune preuve directe à l’appui de ses allégations et parce que les affaires sur lesquelles il se fonde se distinguent de celle en l’espèce.

 

[15]           La Commission a omis de tenir compte de plusieurs éléments de preuve clés à l’appui de l’allégation du demandeur selon laquelle il ne pouvait pas librement pratiquer sa religion dans une église patriotique. Un rapport de 2007 du Département d’État des États-Unis notait l’existence de rapports selon lesquels la doctrine de l’église patriotique [traduction] « place la soumission à l’autorité de l’État avant la soumission à l’autorité du Christ ». Une réponse à une demande d’information préparée par la Commission en 2007 note l’existence de [traduction] « rapports selon lesquels les organismes patriotiques interfèrent dans les décisions de doctrine des groupes religieux inscrits ». Une réponse à une demande d’information préparée par la Commission en 2005 fait état de la [traduction] « "Campagne de construction théologique" [du gouvernement chinois] qui a été mise en œuvre dans des séminaires protestants officiels » et du fait que cette campagne a entraîné la prolifération des églises clandestines.

 

[16]           Il est bien établi en droit que plus la preuve est contradictoire, plus il est probable que le défaut du décideur de tenir compte de cette preuve constituera une erreur susceptible de révision : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35. Le défendeur soutient que le défaut de la Commission de tenir compte de cette preuve ne constitue pas une erreur susceptible de révision parce que le demandeur n’a pas présenté de preuve directe et parce que le raisonnement de la Commission au sujet de l’approche plus « libérale » envers la religion dans la province du Fujian l’emporte sur le défaut de tenir compte de la preuve documentaire. Je ne suis pas de cet avis.

 

[17]           Bien qu’il soit préférable que le demandeur présente une preuve directe, il n’a pas l’obligation de le faire pour appuyer les allégations qu’il présente. En particulier, le demandeur en l’espèce n’avait pas l’obligation de fréquenter une église patriotique pour pouvoir remarquer par lui‑même si on y encourageait l’allégeance au Parti communiste chinois plutôt qu’à Dieu. Il suffit que la preuve documentaire appuie les allégations du demandeur et que ces allégations soient jugées crédibles.

 

[18]           Le demandeur a déclaré à la Commission qu’il ne pouvait pas fréquenter une église patriotique [traduction] « parce que ce type d’église encourage l’allégeance au Parti plutôt qu’à Dieu. Ce type d’église viole le premier des Dix Commandements ». La Commission n’a pas posé de question au demandeur au sujet de l’importance qu’il accorde au premier commandement et n’a tiré aucune conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur à ce sujet. En fait, la Commission a conclu qu’il était un chrétien pratiquant.

 

[19]           Le fait de se fonder sur l’absence d’une preuve directe, comme la Commission l’a fait en l’espèce, constitue une erreur lorsque la preuve documentaire appuie les allégations du demandeur. Bien que l’interprétation de la Commission au sujet de la persécution religieuse dans la province du Fujian soit pertinente pour la prochaine question, elle n’apporte rien à la présente question. La Commission n’a pas tenu compte des preuves contradictoires qui appuyaient les allégations du demandeur et la décision à ce sujet est donc déraisonnable.

 

[20]           Le demandeur cite les décisions Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1321, Zhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1066, et Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1210, à titre d’exemples récents où la Cour a annulé les décisions de la Commission au motif que la preuve documentaire appuyait les distinctions entre la pratique théologique des églises patriotiques et celle des églises clandestines et qui, par conséquent, appuyait les allégations des demandeurs au sujet des restrictions à leur droit à la liberté de religion qu’ils subiraient s’ils devaient fréquenter des églises patriotiques.

 

[21]           Le défendeur a tenté d’établir une distinction entre l’affaire en l’espèce et les décisions Zhu et Song. Le défendeur soutient que dans Zhu, la décision de la Commission a été renversée parce que la Commission n’avait pas tenu compte des convictions religieuses de la demanderesse. Le défendeur soutient qu’en l’espèce, la Commission a tenu compte des convictions religieuses du demandeur, mais qu’elle a conclu qu’il pourrait pratiquer sa religion librement dans une église patriotique. Le défendeur soutient que la décision Song était fondée sur les [traduction] « répercussions cumulatives » d’un certain nombre d’erreurs et non sur la seule conclusion de la Commission au sujet des églises patriotiques.

 

[22]           Chaque affaire est différente et est composée d’une preuve documentaire unique. La prudence est de mise lorsqu’on applique les conclusions au sujet d’un pays d’une décision de la Cour à une autre décision. Néanmoins, l’élément qui se chevauche dans les décisions citées par le demandeur est que de nombreuses personnes ne peuvent pas pratiquer leur religion librement dans les églises patriotiques. L’argument du défendeur selon lequel la décision de la Commission dans Song a été renversée en raison d’erreurs cumulatives est juste. Le défendeur a aussi raison de soutenir que dans la décision Zhu, la décision de la Commission a été annulée parce qu’elle n’a pas tenu compte des convictions religieuses de la demanderesse. L’affaire en l’espèce est semblable à l’affaire Zhou, dans laquelle la décision de la Commission a été renversée parce qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve qui appuyait l’allégation du demandeur au sujet des différences théologiques entre les églises patriotiques et les églises clandestines.

 

[23]           Pour ces motifs, je conclus que la décision de la Commission selon laquelle le demandeur pourrait pratiquer librement sa religion dans une église patriotique est déraisonnable.

 

 

ii) La Commission a-t-elle commis une erreur en se fondant sur la preuve documentaire au sujet des conséquences de la pratique du christianisme dans la province du Fujian plutôt que sur la preuve du demandeur, sans tirer de conclusions précises au sujet de la véracité du récit du demandeur?

 

[24]           Le demandeur soutient que le fait que la Commission a préféré la preuve documentaire à son témoignage était déraisonnable parce qu’elle a conclu qu’il était crédible. Il soutient que la Commission n’a pas tiré de conclusion négative au sujet de sa crédibilité et qu’aucune preuve documentaire citée par la Commission ne donnait à penser que les autorités ne persécutaient pas les chrétiens dans la province du Fujian. De plus, le demandeur soutient que constitue une erreur le fait de se fonder sur une preuve documentaire qui laisse entendre que le risque de persécution est moindre dans une région géographique en particulier sans avoir au préalable tiré de conclusions précises au sujet de la véracité des allégations du demandeur : Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 254.

 

[25]           Le défendeur soutient que la Commission pouvait raisonnablement se fonder sur le peu de preuve documentaire au sujet de la persécution dans la province du Fujian, par rapport à la volumineuse preuve documentaire d’ailleurs au pays (y compris des preuves provenant de provinces aussi éloignées que celle du Fujian) faisant état de persécution religieuse, pour conclure que la descente à l’église clandestine du demandeur n’avait pas eu lieu. De plus, le défendeur prétend que l’interprétation et l’application que la Commission a faites des facteurs qui augmentent généralement le risque de persécution dans la province du Fujian étaient légitimes et que la conclusion de la Commission selon laquelle ces facteurs ne s’appliquaient pas au demandeur et à son église appuyait d’autant plus la conclusion que les incidents de persécution n’avaient pas eu lieu.

 

[26]           Le demandeur a raison lorsqu’il soutient que « [q]uand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter », Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.). Il en découle que si la Commission avait des raisons de douter de la véracité générale du témoignage du demandeur, elle avait « l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité [du demandeur] », Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.). [Non souligné dans l’original.]

 

[27]           En l’espèce, le demandeur note correctement que la Commission n’a pas tiré de conclusion défavorable explicite au sujet de la crédibilité de son témoignage. Il soutient que la Commission a plutôt préféré la preuve documentaire et a conclu que « selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas eu de [descente] à l’[église clandestine]. » Il soutient que la Commission ne pouvait tirer cette conclusion que si elle avait d’abord établi un motif pour conclure que le témoignage n’était pas crédible. Je ne souscris pas à l’avis du demandeur.

 

[28]           Un juge des faits, lorsqu’on ne lui présente que la preuve orale d’un témoin, peut conclure que le témoin n’est en général pas crédible. Dans un tel cas, il ne sera accordé aucun poids, ou très peu, à la preuve du témoin. Le juge des faits voudra voir ou entendre d’autres preuves à l’appui d’un « fait » énoncé par un tel témoin, avant de conclure qu’il s’agit bien d’un fait. Bref, lorsque la seule preuve d’un fait est tirée d’une déclaration d’un témoin qui a été jugé non crédible, le juge des faits peut conclure que, selon la prépondérance des probabilités, le fait n’a pas été prouvé. Ce n’était pas le cas en l’espèce, puisque la Commission a conclu que le témoignage de M. Yu au sujet de ses croyances chrétiennes était crédible.

 

[29]           Subsidiairement, le juge des faits peut conclure que le témoin est crédible et accepter le témoignage en entier sans demander de preuve corroborant le témoignage. Cela ne devrait arriver que lorsqu’aucune preuve n’a été présentée qui pourrait mettre en doute une partie du témoignage.

 

[30]           Si une preuve a été présentée qui peut mettre en doute la véracité du témoignage, alors le juge de faits doit entreprendre une évaluation de toute la preuve portant sur la question et doit tirer une conclusion.

 

[31]           En l’espèce, la seule preuve qui a été présentée à la Commission au sujet de la descente à l’église clandestine du demandeur était le témoignage de celui-ci. Aucune preuve corroborant ce récit n’a été présentée. Bien que la Commission ait conclu que le demandeur était crédible, puisqu’elle a accepté qu’il était chrétien et qu’il fréquentait une église clandestine dans la province du Fujian, la Commission était saisie d’autres éléments de preuve qui mettaient en doute son récit au sujet de la descente.

 

[32]           L’autre preuve était la preuve documentaire. Elle ne contredisait pas directement le témoignage du demandeur, puisqu’elle ne prétendait pas qu’aucune église clandestine n’avait jamais fait l’objet d’une descente dans la province du Fujian. Cela n’est pas surprenant, puisqu’il est peu probable qu’on puisse trouver un rapport au sujet de quelque chose qui n’est pas arrivé, puisque ce sont les événements, et non les non-événements, qui font l’objet de rapports. Néanmoins, la preuve documentaire permet de supposer qu’aucune descente n’a eu lieu. Elle permet cette conclusion, comme la Commission l’a noté, pour de nombreuses raisons, notamment :

1.      Il existe un énorme écart dans la façon dont les églises clandestines sont traitées en Chine. Dans certaines parties du pays, des églises clandestines qui ont une grande congrégation exercent leurs activités ouvertement, sans objection des autorités, alors que dans d’autres parties du pays, des églises clandestines qui ont de petites congrégations sont visées par les autorités.

2.      Les chrétiens protestants qui tentent de se réunir en larges groupes, qui se déplacent en Chine et à l’extérieur de la Chine pour des rencontres religieuses sont plus à risque d’être visés par les autorités.

3.      Il existe des preuves documentaires de persécution religieuse des églises clandestines et de leurs membres dans de nombreuses parties de la Chine, y compris dans des régions éloignées, mais il n’existe que très peu de preuve d’une telle persécution dans la province du Fujian.

4.      La preuve existante de persécution religieuse dans la province du Fujian porte sur l’église catholique.

 

[33]           En l’espèce, la Commission a choisi de préférer la preuve documentaire indépendante au témoignage du demandeur. En lisant la décision dans son ensemble, il est évident qu’elle a préféré la preuve d’un « grand nombre de commentateurs différents […] qui n’ont aucun intérêt direct dans le traitement de demandes d’asile individuelles » au témoignage du demandeur à l’appui de sa propre demande de protection. Je ne peux pas conclure que l’appréciation de la preuve était déraisonnable. Comme la Commission était d’avis que la preuve documentaire était plus solide et serait préférée, elle n’avait pas besoin de tirer une conclusion explicite selon laquelle le témoignage du demandeur à ce sujet n’était pas crédible, puisqu’elle l’a fait indirectement.

 

[34]           Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé que les incidents de persécution qu’il alléguait avaient eu lieu. La Commission a fondé cette conclusion sur (1) le manque de preuve documentaire au sujet de la persécution religieuse dans la province du Fujian et sur (2) la preuve selon laquelle lorsqu’il y avait eu persécution religieuse, certains facteurs existaient qui causaient un plus grand risque. Comme ces facteurs n’étaient pas présents dans le cas du demandeur, la Commission a raisonnablement conclu qu’il était peu probable qu’il risque d’être victime de persécution.

 

[35]           Le demandeur a aussi contesté la façon dont la Commission a qualifié son église clandestine. Il a précisément demandé à la Cour d’examiner la transcription de son témoignage. Cependant, il convient de noter que le demandeur a aussi affirmé, sous serment, la véracité de son formulaire de renseignements personnels dans lequel il a donné plus de détails au sujet de son église clandestine et des dix membres. J’ai examiné la preuve dont la Commission était saisie et je conclus que son évaluation du demandeur et de son église clandestine était raisonnable.

 

[36]           Bien que la Commission ait commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait pratiquer librement sa religion dans une église patriotique en Chine, cela n’entraîne pas nécessairement l’annulation de la décision.

 

[37]           Il découle de la conclusion de la Commission que, selon la prépondérance des probabilités, l’église clandestine du demandeur n’a pas fait l’objet d’une descente, que « la preuve n’étaye pas l’existence d’une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté s’il devait pratiquer sa religion dans une [église clandestine] non enregistrée avec laquelle il entretenait des liens avant sa venue au Canada ».

 

[38]           Par conséquent, il était raisonnable pour la Commission de conclure qu’il n’existait pas une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté ou qu’il soit exposé au risque de torture ou à une menace à sa vie, à des traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait dans son pays d’origine. Par conséquent, le rejet de la demande d’asile du demandeur était raisonnable et ne peut pas être annulée.

 

[39]           Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question aux fins de la certification et je n’en relève aucune.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5461-08

 

INTITULÉ :                                       YU, WEN QIANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 MARS 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vania Campana

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Leila Jawando

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OTIS & KORMAN

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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