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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100218

Dossier : 09-T-53

Référence : 2010 CF 164

Montréal (Québec), le 18 février 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

DANIEL JOLIVET

requérant

et

 

LE MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA

et

LE GROUPE RESPONSABLE DE

LA RÉVISION DES CONDAMNATIONS

intimés

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Par la présente requête, Daniel Jolivet (le requérant) vise à obtenir une prorogation de délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire afin de contester une décision du ministre de la Justice (le Ministre ou l’intimé) rejetant sa demande de révision de sa condamnation criminelle.

Les faits

[2]               Les faits ne sont pas contestés. Le requérant est présentement détenu suite à une condamnation criminelle. Le 22 août 2005, il soumet au ministre de la Justice une demande en vertu de la partie XXI.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (le Code) afin de faire réviser sa condamnation criminelle. Le Code confère au Ministre le pouvoir de réviser une condamnation afin de déterminer si une erreur judiciaire a été commise. Le Groupe responsable de la division des condamnations criminelles (le GRCC) est chargé de réviser les demandes, mener des enquêtes et faire des recommandations au Ministre.   

 

[3]               Le 24 septembre 2007, le Ministre rend une décision rejetant la demande de révision au stade de l’évaluation préliminaire. Ce refus initial n’empêche pas le requérant de soumette d’autres renseignements et de nouveaux éléments pour faire reconsidérer son dossier (voir DORS⁄2002-416, art. 4). Suite au refus, le requérant et son avocat entreprennent plusieurs démarches auprès du GRCC afin de lui faire part de renseignements et observations concernant ce refus. Le GRCC révise donc le dossier et un deuxième refus est émis le 28 mai 2008. 

 

[4]               Malgré ceci, le 8 juillet 2008, le GRCC indique que l’évaluation du dossier se poursuit à la suite d’une rencontre avec le requérant qui a eu lieu le 23 mai 2008. Le 11 septembre 2008, l’avocate du requérant contacte le GRCC et on l’informe que la reconsidération de la demande va être rejetée. Le 17 septembre 2008, elle écrit au GRCC et l’informe que le requérant considère que sa demande est rejetée de façon définitive.  

 

[5]               Le requérant dépose alors une requête le 7 octobre 2008 en mandamus, et certiorari pour une réparation constitutionnelle devant la Cour supérieure du Québec. L'intimé lui signifie une requête en irrecevabilité pour défaut de juridiction le 7 novembre de la même année.

 

[6]               Or, un litige semblable a déjà fait l'objet d'une décision de la Cour supérieure, soit Bilodeau c. Canada (Ministère de la Justice), 2008 QCCS 1036, EYB 2008-131204. Le dossier du requérant est suspendu par le juge Brunton de la Cour supérieure en attendant la décision finale de la Cour d'appel. Le 21 avril 2009, la Cour d’appel du Québec rend sa décision et confirme que seule la Cour fédérale possède juridiction pour entendre les litiges relatifs aux décisions prises par le Ministre (Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 QCCA 746, J.E. 2009-827 (Bilodeau)). La Cour suprême rejette la demande d’autorisation d’appel le 8 octobre 2009 ([2009] C.S.C.R. no 254). Le 19 octobre 2009, le requérant dépose la présente requête.

 

[7]               Le 4 décembre 2009, l'avocate du demandeur reçoit une lettre de l'intimé à l'effet que le dossier du requérant sera fermé étant donné que la période d'un an est passée sans réception de renseignements additionnels.  

 

Législation pertinente

[8]               Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

 

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

Analyse

[9]               Compte tenu de l’importance de la question, de l’ampleur des documents et de la jurisprudence à produire, le juge Pinard de notre Cour ordonne que la requête soit entendue en présence des parties. J’ai donc eu le bénéfice d’entendre les plaidoiries orales avant de rendre la présente décision.

 

[10]           La jurisprudence nous enseigne que quatre éléments sont à considérer lorsqu'il s'agit de décider si une requête en prorogation de délai doit être accordée ou refusée : il doit y avoir eu une intention constante de la part du requérant de présenter sa demande; la cause doit être défendable; il doit y avoir une explication raisonnable pour le retard et la prorogation de délai ne doit causer aucun préjudice à l’autre partie (Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263). Ce critère est souple et doit être appliqué de manière à ce que justice soit rendue. Il s’ensuit qu’une prorogation peut être accordée même si l’un des éléments n’est pas rencontré (Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, [2007] A.C.F. no 37 (QL), para. 33).

 

L’intention constante

[11]           Ici, le requérant a démontré clairement qu’il a toujours eu l’intention de contester la décision du Ministre. Cette intention s’est illustrée par des démarches continues. Par exemple, il a eu des communications régulières pendant plusieurs années et un suivi de son dossier auprès du GRCC. Le requérant a indiqué son désaccord avec les refus. Sa requête en Cour supérieure du Québec a été déposée à l’intérieur du délai prescrit et il a agi rapidement suite au rejet de la demande d’autorisation auprès de la Cour suprême dans la cause Bilodeau. Ses démarches sont détaillées aux pages 5 et 6 de son Dossier de réplique. Je considère que ce sont des preuves manifestes que le requérant a toujours eu l’intention de contester la décision du Ministre.  

 

L’existence d’une cause défendable

[12]           Le requérant allègue qu’il y a eu plusieurs brèches à l’équité procédurale tant dans l’évaluation de la preuve qu'au niveau des délais pour évaluer son dossier. Il soumet aussi l'existence de plusieurs erreurs de droit. Finalement, il soutient qu’il y a eu une violation de ses droits en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c.11.  

 

[13]           Sans me prononcer sur le bien-fondé ou non de la décision du ministre, je considère que le requérant peut soulever des arguments de Charte et prétendre à des manquements à l'équité procédurale. Sa cause n'est certainement pas « si peu fondée qu'il faille la rejeter à cette étape-ci » (Marshall c. Canada, 2002 CAF 172, [2002] A.C.F. no 669 (QL) au para. 24).

 

Le préjudice

[14]           Le fait que la prorogation n'inflige aucun préjudice à l'intimé sert le requérant ou, à tout le moins ne joue pas contre lui (Grewal, page 279). Ici, les arguments de l'intimé ne m'ont pas convaincu qu'il subira un préjudice si la requête est accordée.

 

Explication raisonnable justifiant le délai

[15]           L’intimé fait remarquer que le requérant a toujours été représenté par avocat. Il soutient que, malgré la juridiction non équivoque conférée par la Loi sur les Cours fédérales, le requérant a choisi de déposer une demande devant la Cour supérieure du Québec ignorant si cette dernière avait juridiction pour se saisir de sa demande. Cette omission ou négligence ne saurait en soi constituer un motif pour obtenir une prorogation.

 

[16]           Il faut noter premièrement qu'aucun litige semblable n'avait été tranché avant la décision dans Bilodeau. Deuxièmement, la décision de la Cour d'appel du Québec dans cette cause comporte une dissidence importante. Il est vrai qu'il aurait été préférable que le requérant protège ses droits devant la Cour fédérale, mais, je ne crois pas que l'on puisse dire qu'il n'a pas agi avec diligence.

 

[17]           L'intimé soulève avec raison qu’un certain courant jurisprudentiel établit que le client doit supporter les erreurs de son avocat (voir la synthèse des courants jurisprudentiels dans l’affaire Muhammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 828, 237 F.T.R. 8). Cependant, le paragraphe 21 dans Muhammed, énonce qu'il est important de conserver l'objectif de Grewal, c'est-à-dire que justice soit rendue.

 

[18]            La Cour suprême dans Construction Gilles Paquette Ltée c. Entreprises Végo Ltée, [1997] 2 R.C.S. 299  para. 21, s'est prononcée ainsi : « [la] partie ne doit pas être privée de son droit par l'erreur de ses procureurs, lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans injustice à l'égard de la partie adverse ». Donc, même si on accepte que les procédures devant la Cour supérieure résultent d’une erreur du procureur du requérant, je ne crois pas qu'il s'agit d'un élément déterminant ici.   

 

[19]           Je crois plutôt que l'intérêt de la justice prédomine.

 

[20]           Dans la cause sous étude, le requérant a toujours suivi de près l’évolution de son dossier et a souvent agi de manière proactive. En septembre 2008, il n’y a pas eu de refus officiel de la part du Ministre, mais le requérant a plutôt présumé que sa demande était refusée. Lorsque la décision Bilodeau a été confirmée, il a agi rapidement en déposant la présente demande.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête en prorogation soit accordée. Le requérant devra signifier et déposer sa demande de contrôle judiciaire dans les 30 jours de la date de cette ordonnance. Le tout sans frais.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        09-T-53

 

INTITULÉ :                                      DANIEL JOLIVET c. LE MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA ET AL

 

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 février 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 18 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lida Sara Nouraie

Geneviève Beaudin                                                       POUR LE REQUÉRANT

 

Jacques Savary

Laurent Brisebois                                                          POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Desrosiers, Joncas, Massicotte                                     POUR LE REQUÉRANT

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LES INTIMÉS

Sous-procureur général du Canada                              

Montréal (Québec)

 

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