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Date : 20100317

Dossier : T-805-09

Référence : 2010 CF 307

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2010

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

LI MIN WU

demanderesse

et

 

LA BANQUE ROYALE DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 21 avril 2009 par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), qui a rejeté la plainte de la demanderesse en matière de droits de la personne en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), au motif que la demanderesse avait été congédiée pour des raisons non discriminatoires.


LES FAITS

Le contexte

[2]               Le 29 avril 2005, la demanderesse a commencé à travailler pour l’intimée, la Banque Royale du Canada (la RBC), en tant que représentante du service d’assistance à la clientèle. Le 12 juillet 2006, elle a été congédiée pour « détournement de fonds » ou « tirage à découvert », aussi appelé « opérations de complaisance » dans le Code de déontologie de la RBC.

 

[3]               La demanderesse a d’abord déposé une plainte pour congédiement injuste contre la RBC devant un arbitre nommé en application du Code canadien du travail. L’arbitre ayant rejeté sa plainte, la demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour.

 

[4]               Le 18 septembre 2009, mon collègue le juge O’Keefe, dans les 45 pages des motifs de jugement et jugement qu’il a rendus dans la décision Li Min (« Amanda ») Wu c. Banque Royale du Canada, 2009 CF 933, a exposé en détail les allégations et les faits relatifs au « tirage à découvert » et au « détournement de fonds » reprochés à la demanderesse, concluant, au paragraphe 128 :

[128]    Je suis tenu de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de l’arbitre sur les faits et la crédibilité. Il a conclu que la demanderesse était malhonnête et que les transactions enfreignaient le Code de déontologie et la convention de titulaire de carte Visa, particulièrement l’entente de 2005. Il a également conclu qu’elle devait savoir que ses transactions excédaient la zone tampon consentie aux titulaires de cartes de crédit en sus de leur limite de crédit. Je conclus également que les conclusions de l’arbitre selon lesquelles le tirage à découvert et le détournement de fonds étaient visés par le Code de déontologie étaient raisonnables.

 

[5]               L’arbitre a ainsi conclu que la demanderesse était « malhonnête », qu’elle savait que les transactions en cause enfreignaient le Code de déontologie de la Banque Royale et qu’elles excédaient la zone tampon consentie aux titulaires de cartes de crédit en sus de leur limite de crédit et qu’elle savait aussi qu’elle effectuait des opérations de « tirage à découvert » et de « détournement de fonds », en violation du Code de déontologie de la Banque Royale. Le juge O’Keefe a confirmé les conclusions de l’arbitre, affirmant qu’elles étaient raisonnables.

 

[6]               Le juge O’Keefe a néanmoins accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que l’arbitre n’avait pas étudié la question de savoir si le congédiement de la demanderesse était proportionné à sa conduite (cette décision fait actuellement l’objet d’un appel).

 

[7]               De plus, le 10 juillet 2007, la demanderesse a déposé une plainte devant la Commission, affirmant qu’elle avait été défavorisée en raison de sa race (la demanderesse est chinoise). La demanderesse a prétendu que tout au long de l’enquête, l’enquêteur de la RBC, M. Bob Montgomery, avait attaché une attention excessive a ses origines chinoises. La demanderesse a cité trois affaires ayant fait l’objet d’un arbitrage en application du Code canadien du travail, dans lesquelles des employées de la RBC avaient été traitées différemment :

1.      Diana Lavalee, renvoyée en 1987 pour tirage à découvert, a eu l’occasion de présenter sa démission avant de faire l’objet d’un congédiement motivé;

2.      Dans la décision M. c. Banque Royale du Canada, [2000] C.L.A.D. n° 149, Mme M. a été congédiée plusieurs mois après avoir d’abord reçu une lettre d’avertissement pour ses opérations de « tirage à découvert »;

3.       Dans la décision Cowan c. Banque Royale du Canada, [2003] C.L.A.D. n° 292, Mme Rae Cowan a eu l’occasion de s’expliquer devant les ressources humaines de la RBC avant d’être congédiée.

La demanderesse soutient que, par comparaison avec les employées susmentionnées, elle a été congédiée de manière expéditive.

 

[8]               Le 17 octobre 2007, la RBC s’est opposée en vain à ce que la Commission entende la plainte, invoquant les alinéas 41(1)a) et b) de la Loi. Le 11 février 2008, la Commission a rejeté cette contestation et a déclaré la plainte recevable pour les motifs suivants :

1. des procédures d’appel ou de règlement des griefs ne sont pas normalement ouvertes à la plaignante;

 

2. il ne s’agit pas d’une plainte qui pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

 

 

[9]               La Commission a alors nommé un enquêteur pour qu’il examine la plainte.

 

La décision en litige

[10]           Le 14 janvier 2009, l’enquêteur de la Commission a conclu qu’il ressortait de la preuve qu’aux yeux de la RBC, les agissements de la demanderesse tombaient sous le coup des définitions de « opération de complaisance » et de « détournement de fonds », des motifs justifiant son congédiement immédiat aux termes du Code de déontologie de la RBC. La Commission a rejeté la plainte de la demanderesse en matière de droits de la personne, adoptant ainsi le rapport d’enquête au titre de ses motifs : voir l’arrêt Gardner c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 284, les motifs du juge Pelletier, au paragraphe 23.

 

[11]           Au paragraphe 22 de son rapport d’enquête, l’enquêteur s’est appuyé sur la définition de « tirage à découvert » du Black’s Law Dictionary :

[traduction]

 

Pratique condamnable consistant à tirer profit du flottant, soit du temps qui s’écoule entre le dépôt d’un chèque dans une banque et le recouvrement de la somme auprès d’une autre banque. Modalité consistant à tirer des chèques sur des dépôts sur lesquels les banques exercent encore une retenue. Le « tirage à découvert » consiste à tirer des chèques sur un compte en banque insuffisamment provisionné, en espérant que ledit compte sera provisionné avant que ces chèques ne soient présentés.

 

[12]           L’enquêteur a accepté la description que M. Montgomery a faite des activités de détournement de la demanderesse au paragraphe 10 du rapport d’enquête :

[traduction]

 

Il semblerait que [la demanderesse] ait avancé des montants importants avec sa carte Visa (dont le taux d’intérêt était de 1,9 %) afin de faire des remboursements des sommes dues dans sa marge de crédit ou d’effectuer des achats en passant par Action Direct. Elle prélève des montants sur sa carte Visa pour rembourser sa marge. Elle fait circuler les fonds d’un compte à l’autre pour économiser sur les taux d’intérêt. Le taux d’intérêt de sa carte Visa est particulièrement bas pour un compte Visa d’employé.

 

Le paragraphe 24 décrit plus en détail la circulation des fonds :

 

[traduction]

 

Pendant qu’elle était employée par la Banque Royale, Mme Wu a reçu une carte Visa ayant une limite de crédit de 29 500 $ et un taux d’intérêt de lancement spécial de 1,9 %. Le 29 mai 2006, Mme Wu a établi trois chèques Visa de 28 000 $, 29 000 $ et 29 000 $ respectivement, qu’elle a déposés sur son compte d’employé RBC. Le jour suivant, elle a transféré 60 000 $ de son compte d’employé vers sa marge de crédit RBC. Le 31 mai 2006, elle a transféré 94 000 $ de son compte d’employé RBC vers son compte Visa. Le 31 mai 2006, les chèques Visa ont été provisionnés. L’étude des documents permet de constater qu’à partir de mars 2006, la même opération a été effectuée plusieurs fois, de sorte que la somme totale de 716 300 $ a transité par son compte Visa. En effectuant ces transactions, il semblerait que la demanderesse avait pour but de tirer profit des 4 à 7 jours nécessaires pour que les chèques soient vérifiés et que son compte Visa soit provisionné. Tous les chèques qu’elle a établis étaient d’un montant légèrement inférieur à la limite autorisée, leur total étant largement supérieur à la limite en question.

 

[13]           L’enquêteur a conclu que la demanderesse était consciente des obligations que le Code de déontologie lui imposait, et qu’elle comprenait que la RBC considérait que le détournement de fonds et le « tirage à découvert » étaient des motifs de congédiement immédiat. L’enquêteur a également conclu que la RBC n’avait pas traité la demanderesse différemment des autres employées qui après enquête, s’étaient vu reprocher le détournement de fonds ou le « tirage à découvert ». Absolument tous les employés de la RBC qui avaient été pris à détourner des fonds ou à effectuer du « tirage à découvert » avaient fait l’objet d’un congédiement pour cette raison.

 

[14]           L’enquêteur a conclu que la preuve n’appuyait pas les dires de Mme Wu, qui prétendait avoir été victime d’un congédiement motivé par des considérations fondées sur la race et l’origine nationale ou ethnique.

 

[15]           Par conséquent, l’enquêteur a recommandé que la plainte de la demanderesse soit rejetée en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi, au motif que la demanderesse avait été congédiée pour des motifs non discriminatoires. La Commission a accepté la recommandation de l’enquêteur et a rejeté la plainte le 21 avril 2009.

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

[16]           L’alinéa 44(3)b) de la Loi autorise la Commission à rejeter une plainte en matière de droits de la personne à la réception du rapport d’enquête :

44(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

[...]

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

44(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

. . .

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

[17]           L’alinéa 41(1)c) de la Loi permet à la Commission de ne pas statuer sur des plaintes en matière de droits de la personne pour certains motifs, notamment si la plainte n’est pas de sa compétence :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

[...]

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

[...]

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

. . .

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

. . .

 

La conclusion selon laquelle la demanderesse a été congédiée pour des raisons non discriminatoires fait en sorte que la Commission n’est pas compétente, parce que la plainte en tant que telle n’est pas fondée.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[18]           La demanderesse a soulevé de nombreuses questions, lesquelles peuvent être résumées par les trois questions suivantes :

1.      le dossier de la demanderesse contient-il des preuves non admissibles au présent stade de l’instance?

 

2.      la Commission a-t-elle enfreint le droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

 

3.      la décision de la Commission de rejeter la plainte en matière de droits de la personne en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi était-elle raisonnable?

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 62, que la première étape de l’analyse visant à déterminer la norme de contrôle applicable consistait à vérifier « si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Voir également le paragraphe 53 des motifs du juge Binnie dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12.

 

[20]           La raisonnabilité est la norme de contrôle applicable à une décision par laquelle la Commission décide, en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi, de ne pas renvoyer une plainte devant le Tribunal canadien des droits de la personne et de la rejeter : voir les décisions Conseil national de recherches du Canada c. Zhou, 2009 CF 164, rendue par le juge Phelan, aux paragraphes 11 à 15, et Boiko c. Grover, 2009 CF 1291, rendue par la juge Tremblay-Lamer, au paragraphe 18. La norme applicable aux questions d’équité procédurale est la décision correcte : voir la décision Boiko, précitée, au paragraphe 18.

 

[21]           En étudiant la décision de la Commission au regard de la raisonnabilité, la Cour s’attachera à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir les arrêts Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

ANALYSE

[22]           Pour commencer, la Cour a devant elle la décision Wu, précitée, rendue par le juge O’Keefe. Cette cause a été entendue le 17 mars 2009 et tranchée le 18 septembre 2009. Le juge O’Keefe a accueilli le contrôle judiciaire au motif que l’arbitre avait omis de procéder à une analyse de la proportionnalité. Cependant, la Cour a estimé que l’arbitre avait à juste titre conclu que Mme Wu avait fait des opérations de « détournement de fonds » et de « tirage à découvert » et qu’elle avait fait preuve de « malhonnêteté ».

 

[23]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour est saisie de questions découlant de la plainte en matière de droits de la personne déposée par la demanderesse, qui a prétendu avoir été défavorisée en raison de sa race. Toutefois, pour examiner la décision de la Commission, la Cour s’appuie sur les conclusions tirées par le juge O’Keefe dans la décision Wu, précitée, aux paragraphes 128 à 129, qui a estimé que l’arbitre avait conclu à juste titre que la demanderesse avait été congédiée pour un motif valable, du fait de ses activités de détournement de fonds ou de « tirage à découvert ». Dans cette affaire soumise à l’arbitrage, Mme Wu n’avait pas formulé d’accusations de discrimination raciale.

 

Question n° 1 :           Le dossier de la demanderesse contient-il des preuves non admissibles au présent stade de l’instance?

 

[24]           La défenderesse, la RBC, s’est opposée à l’affidavit et aux éléments de preuve afférents de la demanderesse et a fait valoir que la Cour devrait radier cet affidavit en totalité. À titre subsidiaire, l’intimée soutient que les paragraphes 2 à 33, 37, 38, 40, 41 et 42 à 59, ainsi que les pièces A à H, J et K devraient être radiés, au motif qu’ils font état d’opinions personnelles, de conjectures ou d’arguments, et qu’ils visent à présenter des éléments de preuve dont la Commission ne disposait pas.

 

[25]           Un principe élémentaire de droit veut que des éléments qui n’ont pas été présentés au tribunal ne puissent pas être introduits à l’étape du contrôle judiciaire, à moins qu’il ne soit question d’équité procédurale : voir la décision McNabb c. Société canadienne des postes, 2006 CF 1130, rendue par la juge Heneghan, au paragraphe 51.

 

[26]           Les paragraphes 2 à 20 de l’affidavit de la demanderesse décrivent les transactions effectuées entre la RBC et la demanderesse du temps où cette dernière était une simple cliente, le but de chacun de ses comptes et de la marge de crédit qu’elle détenait ainsi que les opérations qu’elle a effectuées sur ces comptes. L’enquêteur ne disposait pas de ces nouveaux éléments de preuve, et de ce fait, ils ne sont pas admissibles.

 

[27]           Aux paragraphes 24 et 25, la demanderesse accuse l’enquêteur de la RBC d’avoir fabriqué une dette artificielle qu’elle était censée devoir à la banque. Il s’agit d’une nouvelle allégation, qui n’a pas été formulée devant l’enquêteur, et de ce fait, elle n’est pas admissible.

 

[28]           La Cour est d’avis que les paragraphes restants sont admissibles à titre d’éléments de preuve nouveaux quant à la question de l’équité procédurale. La demanderesse consacre le reste de son affidavit à la remise en cause du caractère adéquat du travail de l’enquêteur. Elle en a le droit.

 

Question n° 2 :           La Commission a-t-elle enfreint le droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

 

[29]           La demanderesse fait valoir que l’enquêteur a manqué à son devoir de conduire une enquête neutre et exhaustive : voir la décision Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), confirmée par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.), rendue par le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), au paragraphe 49. La demanderesse souligne que les omissions suivantes ont été commises lors de l’enquête :

1.      l’enquêteur a omis d’interroger quatre témoins clés, y compris M. Montgomery;

2.      l’enquêteur a omis d’interroger adéquatement Mme Echo Wang;

3.      l’enquêteur a omis d’examiner la question de la différence de traitement entre la situation de la demanderesse et celles de Diana Lavalee, de M. c. Banque Royale du Canada et de Cowan c. Banque Royale du Canada;

4.      l’enquêteur n’a pas suivi la politique de la Commission relative aux entrevues en ce qui concerne le droit à un avocat et le droit de quitter l’entrevue en tout temps;

5.      l’enquêteur nourrissait des préjugés à l’égard de la demanderesse.

 

[30]           Dans la décision Murray c. Canada (Commission des droits de la personne), 2002 CFPI 699, au paragraphe 24, j’ai défini les caractéristiques de l’obligation d’équité procédurale dont la Commission doit s’acquitter à l’égard de toute personne ayant déposé une plainte en matière de droits de la personne :

[24]      Les principes de justice naturelle et l’obligation d’équité procédurale, en ce qui a trait à une enquête et à une décision subséquente de la Commission, consistant à donner au plaignant le rapport de l’enquêteur, à lui fournir pleinement l’occasion de répondre et à examiner cette réponse avant que la Commission ne prenne une décision. L’enquêteur n’a pas l’obligation d’interroger tous et chacun des témoins, comme l’aurait souhaité le demandeur, ni l’obligation d’aborder tous et chacun des prétendus incidents de discrimination, comme l’aurait souhaité le demandeur. En l’espèce, la demanderesse a eu l’occasion de répondre au rapport de l’enquêteur et d’aborder toute lacune laissée par l’enquêteur ou de porter à l’attention de l’enquêteur tout témoin important manquant. Cependant, l’enquêteur et la Commission doivent contrôler l’enquête et notre Cour n’annulera, suite à une demande de contrôle judiciaire, une enquête et une décision que lorsque l’enquête et la décision sont manifestement déficientes. Voir la décision du juge Nadon (tel était alors son titre) dans Slattery, précitée, et celle du juge Hugessen (tel était alors son titre) au nom de la Cour d’appel.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]           L’enquêteur avait l’intention d’interroger M. Montgomery, mais celui-ci a de son côté refusé d’être interrogé par l’enquêteur en l’absence d’un avocat. L’enquêteur n’a pas reporté à temps l’entrevue pour qu’un avocat soit présent. Il n’est pas possible d’affirmer que cette décision a rendu l’ensemble de l’enquête déficiente.

 

[32]           La demanderesse a pressé l’enquêteur d’interroger M. Montgomery afin d’établir qu’il avait prêté une attention déraisonnable à ses origines chinoises. Il est possible que la demanderesse soit sincère lorsqu’elle affirme que M. Montgomery l’a traitée du fait de sa race d’une façon qui la défavorisait, mais la preuve n’appuie en aucune façon une telle croyance. M. Montgomery a demandé à la demanderesse de confirmer que sa signature était en langue chinoise. Les origines chinoises de la demanderesse ont été évoquées à une seule autre reprise, lorsque la demanderesse a clamé son désir de retourner en Chine.

 

[33]           L’enquêteur a pris en considération les affaires de Diana Lavalee, de M. c. Banque Royale du Canada et de Cowan c. Banque Royale du Canada, et il a noté que, dans aucune il n’avait été question des origines de l’employée. Contrairement à ce que la demanderesse a affirmé dans ses observations, l’enquêteur a comparé ces affaires à celle de la demanderesse et a conclu que la RBC avait toujours congédié les employés qui avaient effectué des opérations de détournement de fonds ou de « tirage à découvert ».

 

[34]           La demanderesse prétend que l’enquêteur a dérogé à la politique de la Commission relative aux entrevues. Il suffit de dire que la Cour a en maintes occasions conclu que les tribunaux administratifs, comme la Commission, étaient maîtres de leurs processus et que le fait de s’écarter légèrement d’une politique à l’étape de la cueillette de renseignements dans le cadre d’une instance en matière de droits de la personne ne portait pas atteinte à l’équité procédurale : voir la décision Banque Royale du Canada c. Bhagwat, 2009 CF 1067, rendue par le juge Barnes, aux paragraphes 9 à 15.

 

[35]           En ce qui a trait au caractère adéquat des motifs, il suffit de dire qu’en l’espèce, l’enquêteur a étudié exhaustivement la plainte de la demanderesse, qui affirmait avoir été victime de discrimination raciale. L’enquêteur a expliqué de manière adéquate que la plainte de la demanderesse devait être rejetée au motif que son congédiement était lié à ses opérations de détournement de fonds ou de tirage à découvert. En outre, aucun élément de preuve ne montrait que la demanderesse avait fait l’objet d’un traitement qui l’avait défavorisée du fait de sa race et qui était différent de celui accordé à d’anciens employés qui s’étaient conduits de la même manière. Toutefois, certains éléments de preuve établissent que d’autres employés ont reçu un avertissement, ou l’occasion de démissionner avant d’être renvoyés sommairement.

 

[36]           La Cour ne peut conclure que l’enquêteur nourrissait des préjugés à l’égard de la demanderesse. Je suis convaincu que la Commission s’est assurée que la plainte en cause a fait l’objet d’une enquête au cours de laquelle la demanderesse a eu toute latitude pour répondre aux fautes qu’on lui reprochait et que la Commission a tenu compte aussi bien de ces réponses que du rapport d’enquête pour rendre sa décision. Le fait que l’enquêteur ait informé la demanderesse qu’il ressortait de la preuve que son congédiement était motivé par ses opérations de détournement de fonds et de tirage à découvert ne prouve pas qu’il avait des préjugés à l’égard de la demanderesse.

 

Question n° 3 :           La décision de la Commission de rejeter la plainte en matière de droits de la personne en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi était-elle raisonnable?

 

[37]           La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable que la Commission rejette sa plainte en matière de droits de la personne et que cette décision n’était pas fondée. Les observations de la demanderesse ont trait à la prétendue attention que M. Montgomery aurait portée à ses origines chinoises ainsi qu’au fait qu’elle s’est vu priver de son droit à des mesures disciplinaires graduelles, droit qui avait été accordé à des employées qui s’étaient trouvées dans des situations similaires.

 

[38]           Dans l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 899, le juge Sopinka a conclu que, lorsqu’on examine la question de savoir s’il faut renvoyer une plainte devant le Tribunal canadien des droits de la personne ou rejeter la plainte en totalité, « [l]e but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante ».

 

[39]           Il n’y a aucune preuve étayant l’allégation que la demanderesse a été victime de discrimination du fait de ses origines chinoises. Les origines chinoises de la demanderesse n’ont été évoquées que lorsque l’enquêteur a fait référence à la signature en chinois de la demanderesse. Sur les 41 pages de la transcription de l’entrevue, il s’agit de la seule référence aux origines chinoises de la demanderesse. La preuve montre que l’enquêteur de la RBC voulait alors s’assurer que la signature était valide.

 

[40]           Dans les affaires de Diana Lavalee, de M. c. Banque Royale du Canada et de Cowan c. Banque Royale du Canada, il n’est fait aucune mention des origines ethniques des employées, et rien ne donne à penser non plus que la demanderesse ait été traitée de manière significativement différente avant son congédiement. La RBC congédie systématiquement tout employé qui a effectué des opérations de détournement de fonds ou de tirage à découvert. Il était loisible à la Commission de conclure que la demanderesse n’avait pas été victime de discrimination fondée sur la race au moment de son congédiement.

 

[41]           La preuve établit que l’enquêteur de la RBC a refusé à la demanderesse le droit à un avocat, de même qu’il a refusé qu’elle quitte l’entrevue, comme elle affirme l’avoir demandé, et comme la politique d’enquête de la RBC l’autorise à le faire. Le juge O’Keefe a étudié ces deux allégations de traitement discriminatoire aux paragraphes 113 et 114 de ses motifs de jugement. Il a correctement formulé ces questions. Il a mis en doute la proportionnalité de la sanction imposée et de l’inconduite de la demanderesse. Le juge O’Keefe a également souligné que la demanderesse n’avait reçu aucun avertissement, qu’elle n’avait pas été suspendue et qu’il n’y avait eu aucune autre mesure disciplinaire (on ne lui avait pas non plus donné l’occasion de démissionner au lieu d’être congédiée). Le juge O’Keefe a noté qu’il n’y avait « aucune preuve concluante attestant la réalisation d’une perte ou l’existence d’un risque significatif pour la Banque, seulement un estimé chiffrant la perte à 14 $ par jour » (voir le paragraphe 131 de la décision). Le juge O’Keefe a correctement énoncé ces questions lorsqu’il a effectué le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. Ces questions relèvent du processus d’arbitrage. Aucune preuve prima facie n’établit que la demanderesse a été traitée de la sorte en raison de ses origines chinoises. Après avoir entendu la preuve en l’espèce, je peux comprendre les raisons pour lesquelles le juge O’Keefe a demandé à l’arbitre de tenir compte de la proportionnalité de la sanction.

 

 

CONCLUSION

[42]           La Cour conclut, selon la raisonnabilité, que la Commission a à juste titre conclu que la demanderesse n’avait pas établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur ses origines chinoises. La Cour conclut également que la demanderesse n’est pas parvenue à démontrer qu’il y avait eu violation de l’obligation d’agir équitablement pendant l’enquête. La demanderesse a eu toute latitude pour répondre au rapport de l’enquêteur et la Commission a tenu compte de ses réponses pour rendre sa décision.

 

[43]           Le fait que l’enquêteur n’ait pas jugé utile d’interroger quatre témoins relevait de son pouvoir discrétionnaire. Il ressortait clairement de la preuve dont l’enquêteur disposait que la demanderesse avait été congédiée pour détournement de fonds et tirage à découvert, et que ses origines chinoises n’avaient joué aucun rôle dans la décision de la banque. Cela étant dit, pour des motifs qu’il a exposés en détail, le juge O’Keefe a accueilli le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre parce que ce dernier n’avait pas examiné la question de savoir si le congédiement de la demanderesse était raisonnablement proportionné à l’inconduite de celle-ci.

 

Les dépens

[44]           Compte tenu des circonstances de l’affaire, des questions soulevées par le juge O’Keefe quant à la question de savoir si le congédiement était une sanction proportionnée à l’inconduite de la demanderesse et des questions légitimement soulevées relativement à l’enquête, la Cour ne rendra aucune ordonnance en ce qui concerne les dépens. Même si la Cour confirme la décision de la Commission, la demanderesse a soulevé des questions raisonnables relativement à la rigueur et à l’impartialité de l’enquête menée par la Commission.

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour-Lord, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-805-09

 

INTITULÉ :                                       LI MIN WU

                                                            c.

                                                            BANQUE ROYALE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 mars 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Kelen

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mars 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Li Min Wu

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Lorene Novakowski

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Li Min Wu

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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